II. LES PRINCIPALES DIFFICULTÉS QUI FRAGILISENT LE MONDE DU CHEVAL

Jusqu'à présent, la filière équine française a fait preuve d'une plus grande résilience à la crise que celle des autres pays. Ce phénomène, qui peut s'expliquer non seulement par ses qualités intrinsèques mais aussi par une passion du cheval incitant les acteurs à poursuivre une activité non rentable, atteint néanmoins ses limites.

Quatre principales difficultés fragilisent le monde du cheval.

1. La filière des courses hippiques est confrontée à des défis majeurs

Elle génère environ 11 milliards d'euros de chiffre d'affaires dont 10 milliards issus des paris. On recense plus de 10 000 propriétaires de chevaux de courses et 30 000 chevaux actifs qui concourent sur 18 000 courses annuelles organisées sur les 244 hippodromes en activité en France.

Comme en témoignent ces chiffres impressionnants, notre système est parvenu à éviter le naufrage constaté chez certains de nos voisins européens mais au prix d'un fort accroissement du nombre de courses que certains ont qualifié de « fuite en avant ». En effet, l'ouverture des jeux en ligne et le vieillissement de la clientèle traditionnelle des paris hippiques induisent un risque de régression des paris hippiques qui a été combattu par une politique de densification du programme de courses pour augmenter l'offre de paris. Tout le problème est que la hausse des recettes des courses de chevaux a été inférieure à celle des coûts. Il en résulte, pour les propriétaires, une moindre rentabilité et un découragement qui ont un « effet domino » sur les entraîneurs et les éleveurs fragilisés à leur tour par le déclin de la demande solvable qui leur est adressée par les propriétaires.

RAPPEL DU CADRE JURIDIQUE APPLICABLE AUX COURSES ET AU MODÈLE ORIGINAL DU PARI MUTUEL URBAIN (PMU).

Juridiquement, l'institution des courses repose sur des textes anciens - la loi du 2 juin 1891 - établissant un double monopole au profit des sociétés de courses : sur l'organisation des courses de chevaux et sur la prise de paris qui ne peuvent être que mutuels. Le modèle économique de la filière et son mode de gouvernance sont le reflet de ce double monopole.

Alors que la prise de paris hippiques était, à l'origine, permise uniquement au sein des hippodromes, elle a été autorisée hors de ces derniers par la loi de finances du 16 avril 1930, ce qui a entraîné la création en 1931, par ces mêmes sociétés de courses, d'un service commun : le Pari Mutuel Urbain (PMU). Le décret du 4 octobre 1983 a transformé ce service commun en un groupement d'intérêt économique (GIE), forme juridique que le PMU a conservée depuis.

Aujourd'hui, le GIE PMU regroupe 57 sociétés de courses, avec d'une part, les sociétés de courses locales, qui organisent des courses de chevaux sur les hippodromes qu'elles exploitent et, d'autre part, les deux sociétés-mères - France Galop pour les courses de plat et d'obstacles et le Cheval Français pour les courses de trot - dont la mission est d'organiser et de réglementer les courses au niveau national.

Le statut de GIE implique la transparence fiscale : c'est pourquoi le PMU reverse l'intégralité de son résultat net aux sociétés de courses, contribuant au financement de la filière équine.

La loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 relative à l'ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne a renforcé le monopole de l'organisation des courses en définissant les obligations de service public incombant aux sociétés-mères. Cependant, la loi du 12 mai 2010 a limité aux seuls paris hippiques « en dur » le monopole légal que le PMU continue d'exercer via un réseau d'environ 12 000 points de vente physiques. Le PMU a ainsi perdu le monopole légal qu'il détenait jusqu'alors sur les paris hippiques en ligne. En revanche, ce texte a permis au PMU d'étendre son activité aux paris sportifs ainsi qu'au poker en ligne.

L'ouverture à la concurrence des paris hippiques en ligne comportait dès l'origine un nouveau risque de diminution à moyen terme des recettes tirées des paris hippiques alors même que les enjeux avaient commencé à stagner à partir de 2008 après dix années de croissance. Cette évolution du marché est donc intervenue à un moment critique où les paris hippiques pouvaient être analysés comme un produit « mature » caractérisé par deux phénomènes : d'une part, un taux de pénétration dans la population qui diminue et, d'autre part, un âge des parieurs hippiques plus élevé que celui des segments concurrents en ligne comme les paris sportifs et le poker.

La croissance du PMU qui est intervenue par la suite a été, pour l'essentiel, tirée par les activités Internet, en particulier les paris sportifs et le poker. S'agissant des paris hippiques, la très forte augmentation des enjeux pris par les opérateurs étrangers a partiellement compensé la baisse des paris vendus dans le réseau de points de vente physiques en France.

Dans sa dernière analyse du marché des jeux en ligne portant sur le dernier trimestre 2015, l'Autorité de régulation des jeux en ligne (Arjel) - qui, comme son nom l'indique, ne régule pas le réseau physique - indique que le secteur des paris sportifs (1,4 milliard d'euros) est la seule composante du marché des jeux d'argent en ligne à connaître une dynamique de croissance qui s'est accentuée en 2015. En sens inverse, les mises enregistrées en paris hippiques (1,02 milliard d'euros) « reculent continuellement et sont en baisse pour la quatrième année consécutive ». Jusqu'en 2013 - en ce qui concerne l'activité en ligne - les enjeux enregistrés en paris hippiques étaient nettement supérieurs à ceux réunis en paris sportifs puis, en 2014, l'équilibre s'est inversé et, en 2015, la prédominance des paris sportifs s'accélère.

Pour tenter de contrecarrer le phénomène majeur d'érosion des paris hippiques initiés depuis la France, l'opération PMU 2020 a pour objectif de recruter 50 000 nouveaux clients de moins de 35 ans dès 2014 et, simultanément, de ramener le public sur les hippodromes en valorisant les courses comme un sport spectacle. En même temps, conformément aux préconisations du comité stratégique présidé par Ambroise Dupont, l'Institution des courses a mené une politique très volontariste de compression des dépenses de fonctionnement et de restructuration.

Ces efforts ne pourront porter leurs fruits qu'à deux conditions : d'une part, l'équilibre commercial entre le PMU et ses opérateurs concurrents ne doit pas être menacé par diverses évolutions techniques et, d'autre part, il convient de mieux prendre en considération la mission de service public confiée par la loi aux sociétés de courses en faveur du soutien à la filière équine - ces deux aspects faisant l'objet de développements dans la partie du présent rapport consacrée aux recommandations (cf. infra).

Par ailleurs, le constat selon lequel le nombre de courses hippiques semble avoir atteint un maximum dans notre pays amène logiquement à explorer les possibilités de développement de ce secteur à l'international, ainsi que les possibilités de partenariat avec nos voisins européens ou hors de l'Union européenne, comme l'illustre l'exemple chinois mentionné plus haut. Encore faut-il lever d'éventuels obstacles juridiques ou statutaires à une telle évolution en examinant, par exemple, si le statut actuel du PMU, qui est un groupement d'intérêt économique, n'entrave pas sa capacité d'action financière en l'empêchant de contracter des emprunts dans de bonnes conditions.

2. Les centres équestres : une mécanique d'autofinancement et de croissance bouleversée par les hausses de TVA ainsi que par la modification des rythmes scolaires

L'augmentation des charges plus rapide que celle des recettes résume également les difficultés qui frappent les centres équestres depuis quelques années.

D'un côté, le pouvoir d'achat des 2,2 millions de cavaliers que recense notre pays a diminué. Ce chiffre inclut les 700 000 licenciés de la Fédération française d'équitation (FFE) qui occupe la troisième place des fédérations sportives. Les femmes représentent 80 % de ces licenciés et l'équitation attire surtout les adolescentes puisque plus de 60 % de la population cavalière a moins de 15 ans. Entre 2001 et 2012, la FFE a enregistré une progression de 15 000 à 30 000 licenciés supplémentaires par an, cette croissance étant principalement due à l'augmentation des cavaliers à poneys alors que les licences tourisme et cheval progressent plus modérément.

Depuis 2012, les 4 500 centres équestres 3 ( * ) qui emploient 17 400 salariés ont été confrontés non seulement à la diminution du pouvoir d'achat de la clientèle mais aussi à la moindre disponibilité de celle-ci en raison de la modification des rythmes scolaires qui à elle seule a entraîné une diminution du chiffre d'affaires de 10 à 15 % le mardi soir, le mercredi matin et le samedi. Au cours des auditions, il a été plusieurs fois indiqué qu'il s'agit là d'un choc dont l'ampleur est comparable à celui de la hausse des taux de TVA.

Les représentants du Groupement Hippique National (GHN) ont souligné qu' avant de subir les conséquences des hausses de taux de TVA, les centres équestres parvenaient à s'autofinancer et à se développer avec succès sans faire appel à des aides publiques , ce qui correspond à leur tempérament. Afin de retrouver cette autonomie, ce secteur marque donc sa très nette préférence pour un rééquilibrage des comptes par un retour à des taux de TVA réduits plutôt qu'à la prorogation - d'ailleurs incertaine - de dispositifs de compensation .

Pour la première fois de leur histoire, nos centres équestres se sont mobilisés collectivement contre une hausse de la TVA qui apparaît peu équitable, car elle met en péril une logique de fonctionnement vertueuse mais sans équivalent ailleurs en Europe. En effet, chez nos voisins européens, les cavaliers possèdent leur propre monture et utilisent les installations des centres équestres. À l'inverse, notre modèle de « cheval partagé » permet la pratique de l'équitation sans posséder un cheval . Cette caractéristique a permis, en France plus qu'ailleurs, une démocratisation de ce sport. Cependant, sur le plan fiscal, l'annexe III de la directive du 28 novembre 2006 dite « directive TVA » s'est « calée » sur le modèle dominant en Europe : ce texte permet d'appliquer le taux réduit de TVA dans l'hypothèse où un cavalier ayant sa propre monture utilise un centre équestre en tant qu'équipement sportif. C'est pourquoi le présent rapport souligne avec force dans ses recommandations (ci-après) la nécessité de revenir à des taux réduits qui permettaient à nos centres équestres d'équilibrer leurs comptes tout en favorisant l'ouverture à tous de la pratique de l'équitation.

La situation actuelle est d'autant plus regrettable que les centres équestres restent, avec le « galop », les premiers secteurs de recrutement. Le métier de moniteur représentait traditionnellement 65 % des offres d'emploi et celui de palefrenier-soigneur 20 %.

3. L'élevage d'équidés est en forte régression

Fondamentalement, les éleveurs ne peuvent plus faire face au prix élevé de l'ensemble des intrants - en particulier des actes vétérinaires, selon les auditions - et à l'accumulation de normes difficilement applicables, le tout face à une concurrence internationale en très nette progression.

Le nombre d'élevages, qui avoisinait 35 000 en 2014, a ainsi baissé de plus de 20 % depuis dix ans. Parallèlement, le cheptel de juments mises à la reproduction a également diminué d'un cinquième pour les chevaux de trait et de sport tandis qu'il a stagné pour les juments pur-sang.

Financièrement, la baisse du prix des chevaux de selle et de la demande adressée au marché intérieur, alors que les importations ont augmenté de 50 % en 10 ans, conjuguée à la hausse des charges et de la TVA ont fait plonger les excédents bruts d'exploitation depuis quatre ans. Ils se situent aujourd'hui entre 8 500 et 20 000 euros par an et par unité de main d'oeuvre.

Dans le détail, la liste des difficultés auxquelles les éleveurs de chevaux doivent faire face comporte au moins quinze rubriques, parmi lesquelles le coût très élevé de la fin de vie des équidés, les difficultés d'application de la PAC, les normes d'accessibilité aux handicapés, le compte pénibilité, auxquelles s'ajoutent un volet fiscal insuffisamment favorable aux activités équestres et une prise en compte insuffisante du cheval dans le plan de soutien à l'élevage.

Parmi ces éleveurs, 4 900 sont spécialisés dans les équidés de travail , c'est-à-dire 24 races d'ânes et de chevaux de trait qu'il faut préserver, car certains animaux extraordinaires avec des aptitudes différenciées sont en voie de disparition.

4. Le secteur de la viande de cheval subit une tendance baissière de long terme

Le secteur de la viande de cheval est, pour sa part, soumis à une tendance baissière de long terme puisque sa consommation a été divisée par cinq depuis les années 1980. La viande chevaline qui reste consommée par environ 20 % des foyers français 4 ( * ) provient essentiellement de l'importation tandis que la production française est exportée.

Ce marché nous réserve peut-être de bonnes surprises pour l'avenir. En effet, le groupe d'études s'est intéressé à la mise en place d'une filière d'exportation de viande de cheval vers le Japon. Elle connaît des difficultés initiales de définition et de vérification des normes sanitaires. Le plus frappant se situe dans la claire manifestation de volonté des acheteurs japonais de surmonter les obstacles administratifs et douaniers pour acquérir des produits français qui ont l'avantage de bénéficier d'une parfaite traçabilité et qui correspondent à une demande du consommateur nippon pour les sushis à la viande de cheval. L'avenir nous dira quelle est l'ampleur de ce gisement de croissance. On peut faire observer, d'une part, que depuis vingt ans, on constate une forte croissance de la consommation des produits « exotiques » et, d'autre part, que les qualités intrinsèques de la viande de cheval n'ont jamais été remises en cause puisque les crises de confiance alimentaires se sont accompagnées de sursauts de consommation de viande de cheval.


* 3 Le dernier Tableau économique, statistique et graphique du cheval en France publié en novembre 2015 par l'Institut Français du Cheval et de l'Équitation (IFCE) chiffre à 9 005 le nombre d'établissements équestres affiliés à la Fédération française d'équitation, mais le nombre de centres équestres actifs, selon les représentants du Groupement Hippique National (GHN) se situe aujourd'hui entre 4 000 et 4 500 et on constate depuis plusieurs mois la fermeture d'un centre chaque semaine, en raison des difficultés analysées dans le présent rapport.

* 4 En France, la viande de cheval est consommée à raison d'environ 300 grammes par habitant et par an - contre 33 kg de porc, 24 kg de viande bovine et 26 kg de volaille (Agreste conjoncture - décembre 2014).

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