DÉBAT
M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Les différentes interventions que nous venons d'entendre mettent en lumière une grande diversité d'approches et l'existence d'un processus d'apprentissage, entre science et industrie, sur un certain nombre d'activités liées à l'exploitation minière.
Nous disposons à présent de temps pour ouvrir la discussion. Qui souhaite, à ce stade, prendre la parole ?
M. Michel Jebrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère, université du Québec à Montréal. Je souhaiterais simplement vous faire part d'une expérience canadienne concernant les échanges entre les compagnies minières et la population. Le Canada est un pays minier, mais est aussi le pays qui a vu naître Greenpeace et MiningWatch , ce qui fait que nous disposons d'une certaine expérience en matière de conflits miniers.
La première étape a été celle de l'information. Des sites web ont ainsi été créés. Mais nous nous sommes vite rendu compte que cela n'était pas suffisant. Une structure nommée Minalliance , qui regroupe un certain nombre de compagnies minières de petite taille, a donc été constituée voici trois ans, avec pour vocation d'écouter les gens. L'objectif est donc davantage d'être à l'écoute du public que de lui « vendre » la mine. Même si elle n'évite pas nécessairement les conflits, cette activité prépare les entreprises minières, mais aussi le public, à une meilleure acceptabilité sociale. Cette initiative est un succès, puisque nous recevons des milliers de commentaires, émanant essentiellement de blogueurs et d'utilisateurs de l'ensemble des outils des réseaux sociaux. Peut-être faudrait-il s'inspirer en France de ce type d'expérience pour partager avec la population.
Les entreprises ne sont par ailleurs pas nécessairement expertes en matière de dialogue social. Ce n'est pas la fonction première d'une compagnie d'exploration minière, surtout si elle est de petite taille. Il faut donc que se mettent en place des structures de conseil, susceptibles d'accompagner les entreprises dans cet apprentissage. Il s'agit là, assurément, d'une activité à développer.
M. Patrick Hetzel. Merci pour cet éclairage, qui montre bien que les questions de dialogue avec les populations et, éventuellement, avec les opposants à un projet, sont extrêmement importantes. Il est en effet essentiel de pouvoir faire circuler une information objectivée, afin que les débats se déroulent en toute connaissance de cause.
M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES. J'aimerais, dans le prolongement de l'intervention de M. Michel Jebrak, vous faire part d'un témoignage concernant, sur notre territoire, un opérateur industriel américain qui se plaignait, après avoir implanté une usine et mis en place un ou des instruments de communication avec le milieu environnant, du fait que les CLI avaient tendance à tuer le dialogue. Il faut, je crois, avoir conscience du fait qu'un instrument ne suffit pas à instaurer un dialogue. La communication doit nécessairement être multiforme.
M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles, Rio Tinto Alcan. Mon intervention concerne les aspects de gouvernance et de bonnes pratiques. Ont bien évidemment été citées au cours des échanges les règlementations françaises et européennes. M. Corbier a fait mention par ailleurs des initiatives de la Banque mondiale ou de SFI en matière de bonnes pratiques, qui sous-tendent l'acceptabilité et le financement des projets miniers. M. Recoche a, en outre, fait référence aux initiatives des secteurs, au travers de l'exemple de l'ICMM.
Nous avons, dans le domaine de l'aluminium, mis en place une approche novatrice de « gouvernance produit », également connue sous le nom de « product stewardship ». Le caractère innovant de cette démarche réside dans le fait qu'elle vient du client final, qu'il s'agisse de Tetrapak, Nespresso ou BMW, qui nous ont demandé de la traçabilité sur des aspects de sécurité environnementale ou de travail, et ce jusqu'à la mine. Nous nous sommes donc engagés auprès de nos clients à mettre en place cette traçabilité, comme cela a été fait par exemple dans le domaine du bois. Le standard, auditable, a été élaboré en 2014 et conduit tous les acteurs de la chaîne de valeur, du client final à la mine, à auditer leur fournisseur pour savoir s'il répondait effectivement au standard de respectabilité mis en place. Cela a conduit par exemple l'usine Constellium de Neuf-Brisach à auditer l'usine d'aluminium de Dunkerque, dans le Nord, sur ce standard.
M. Patrick Hetzel. Il s'agit d'un véritable enjeu, qui fait intervenir des acteurs économiques importants en recherche de traçabilité et suppose une capacité à contrôler le process . Ce contrôle peut-il être effectué de la même manière dans une chaîne de valeur qui remonte jusqu'en Chine ? Votre groupe dispose-t-il d'une telle expérience ? Il existe, dans certains pays, des recommandations environnementales tout à fait rigoureuses, respectées de bout en bout. Il semblerait que le maillon faible réside dans la capacité à effectuer le même degré de contrôle dans le volet chinois de l'activité. Ce sujet suscite-t-il des réactions ou commentaires autour de la table ?
M. Olivier Dufour. Il s'agit d'une excellente question, qui me permet de rebondir sur les propos de Claude Marchand relatifs à la différenciation par rapport aux produits et aux services. Nous ne possédons pas de mine de bauxite ou d'usine d'aluminium en Chine mais ce standard a justement vocation à nous permettre d'effectuer une différenciation par rapport à des produits chinois ou indiens qui ne le respecteraient pas. Cela contribue donc à apporter un attrait particulier à nos produits, imposé non par la législation mais par les clients ou les réseaux sociaux. C'est, par exemple, le cas d' Apple , qui va choisir favorablement nos produits plutôt que d'autres issus de Chine.
M. Patrick Hetzel. Avez-vous une idée du delta financier que vos clients sont prêts à payer pour cela ?
Prenez le processus de Solvay, seule entreprise en Europe à permettre d'aboutir à l'ensemble de la palette des terres rares avec des degrés de pureté extrêmement importants : ceci témoigne d'une démarche extrêmement rigoureuse en termes de qualité d'une part, de traçabilité d'autre part. Mais bien évidemment, cela a un coût, répercuté chez les clients. Sentez-vous aujourd'hui, de la part de vos clients, une appétence réelle pour cette traçabilité et ce processus de normalisation ou point qu'ils seraient prêts à payer plus cher les produits que vous leur fournissez ou cela reste-t-il dans une zone quelque peu sensible ?
M. Olivier Dufour. Je ne connais pas la problématique des terres rares et ne pourrai donc répondre à votre question que pour ce qui concerne l'aluminium primaire. Les sociétés Rio Tinto et Constellium sont à l'origine de l'« aluminium stewardship initiative ». Notre implication dans cette démarche résulte du fait que nous avions parfaitement perçu chez nos clients un intérêt pour ce processus, nous offrant une possibilité de différenciation intéressante. Il existe donc pour nous un intérêt financier à adopter cette approche.
Mme Adeline Defer, ministère des affaires étrangères et développement international. Je voudrais intervenir en réaction à la question relative à l'existence de règlementations ou d'instruments visant à mettre en place une traçabilité et concernant éventuellement la Chine. Je pense notamment à l'exemple de la section 15-02 de la loi dite « Dodd-Frank », loi de réforme des marchés américains qui demande aux entreprises américaines et étrangères cotées à la bourse américaine de mettre en place une traçabilité sur leur chaîne d'approvisionnement en quatre minerais, à savoir l'or, l'étain, le tungstène et le tantale.
Or vous n'êtes pas sans savoir que les chaînes d'approvisionnement de ces métaux passent par l'Asie et notamment par la Chine. La mise en place de cette règlementation, qui a inspiré un projet de règlementation européen, montre bien que l'existence d'une pression émanant d'un consommateur final ou d'une sensibilité de ce consommateur peut contribuer à la promotion de normes de transparence et de traçabilité sur les chaînes d'approvisionnement, pour des standards qui peuvent toucher différents critères. Pour la loi américaine, il s'agit par exemple de la question du financement de conflits armés à travers l'extraction minière et de celle relative aux violations les plus graves des droits humains.
C'est suite au vote de cette loi qu'un certain nombre de réformes ont commencé à se mettre en place en Chine, avec l'appui d'organisations comme l'OCDE. La Chambre des métaux et minerais chinoise, qui est un peu l'équivalent de l'A3M pour la Chine, a ainsi travaillé à l'élaboration d'un guide de lignes directrices à destination de ses entreprises membres sur la question de la transparence et la responsabilité des approvisionnements en métaux éventuellement liés au financement de conflits.
M. Gilles Recoche, directeur RSE, sécurité et intégration dans les territoires, Areva Mines. Je souhaiterais revenir sur un point souligné par les représentants de l'Ademe et de l'INERIS, qui est la notion de l'« après-mine ». Nous sommes, à Areva Mines, très concernés par cette problématique. Je pense qu'il s'agit aujourd'hui d'un sujet essentiel et qu'il est nécessaire de bien anticiper cette phase. Après l'excitation et la difficulté qu'il peut y avoir à démarrer un projet, il est important d'imaginer sa fin, pour des raisons économiques ou autres, et de gérer l'étape d'après-mine. Ceci doit être abordé très en amont des projets. C'est ce que nous essayons de mettre en oeuvre. C'est ce que chaque industriel se doit de faire.
Je voudrais citer à ce propos l'exemple de la Mongolie. Nous y sommes aujourd'hui dans des phases de faisabilité, visant à développer des projets et à obtenir des permis d'exploitation. Or les questions qui émanent de l'administration et des parties prenantes, notamment des éleveurs de bétail, concernent souvent l'après-mine.
Cette question me semble essentielle, dans la mesure où la mine dure seulement un temps. Il est donc important d'anticiper très en amont le futur du site, qui doit s'élaborer avec les parties prenantes dès le démarrage. Nous essayons, pour ce faire, de mettre en place des outils permettant d'envisager les possibilités d'après-mine, de seconde vie, de continuité de l'existence du territoire, qui passent notamment par des réaménagements des sites. Il est important, dans ce cadre, de pouvoir montrer des exemples de réalisation. Ceci est essentiel en termes de communication. Nous avons ainsi été sollicités par différents parlementaires, de Mongolie et d'ailleurs, qui ont exprimé le souhait de venir visiter en France nos anciens sites miniers réhabilités, afin de voir à quoi cela pouvait ressembler. Cela a considérablement favorisé nos échanges, ainsi que la compréhension et l'acceptabilité du projet.
Cette vision de long terme dès le démarrage est, selon moi, un devoir permanent pour tous les industriels. L'activité minière a un impact, notamment sur la vie locale ; il ne faut pas le nier. La mine est très attractive ; elle va faire monter les salaires et créer une forme de déséquilibre qu'il va falloir gérer tout au long du projet. Le jour où l'activité cesse, l'industriel et les autorités doivent prendre en compte la phase suivante et préparer l'après. Être dans l'incapacité d'en faire la démonstration peut créer des problèmes pour le démarrage de nouveaux projets. Cela est essentiel aujourd'hui pour les industriels.
M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Je souhaite revenir sur les interventions de MM. Michel Jebrak et Gilles Recoche sur la communication. J'ai, au cours de ma carrière, travaillé avec de grands groupes et avec diverses institutions. Je fais aujourd'hui partie d'une petite société junior, autrement dit une start-up , et perçois très bien les différences dans les difficultés de communication qui se présentent à moi. Dans un grand groupe, on trouve facilement du soutien. Il existe des systèmes de communication, des services dédiés, un appui logistique considérable. Quand une petite structure doit expliquer à des milliers de personnes son travail et ses projets, répondre à des questions sur l'après-mine alors même que l'on n'a pas encore trouvé la mine, elle s'expose à de très grandes difficultés.
L'idée de faire appel à des consultants est très séduisante, à ceci près qu'il n'en existe pas en France aujourd'hui. Nous nous connaissons tous et avons tous recours aux mêmes experts et conseillers. Un enrichissement du tissu social et des connaissances est donc tout à fait nécessaire. Peut-être faudrait-il confier aux universitaires ou aux écoles la mission de participer à cette communication et à cette éducation. Ceci représente, en tout état de cause, l'un des problèmes auxquels les petites sociétés se trouvent régulièrement confrontées.
Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. J'aimerais revenir sur le retour d'expérience d'Areva Mines et de Solvay autour du « bien savoir communiquer », qui pose, ainsi que cela vient d'être souligné, des difficultés à une plus petite échelle.
Diverses actions peuvent être menées pour contribuer à la lutte contre le changement climatique. Par ailleurs, vous avez évoqué la limitation des gaz à effet de serre dans les activités minières ou encore le développement de projets sociétaux et d'actions de préservation de l'eau et de la biodiversité. Cela me paraît difficilement applicable à tous les niveaux. Je me demandais s'il existait une solution susceptible de convenir à tous, sans ajouter de contraintes en termes de règlementation.
M. Jack Testard. Un effort est déjà effectué en ce sens avec la « mine responsable ». Il s'agit d'un élément important, qui n'en est qu'à ses débuts et devra se diffuser.
M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Concernant la question de la traçabilité, je voudrais prendre l'exemple de l'or et de la bijouterie « éthiques ». J'ai personnellement encouragé, en Amérique du Sud, le mouvement ayant pour objectif de rendre des mines d'or éthiques, de façon à ce que cet or puisse être utilisé dans des boutiques de bijouterie elles-mêmes éthiques. Le principal problème que nous avons rencontré résidait non pas dans le fait de produire cet or, mais de le faire venir en Europe, dans une usine d'affinage, sans qu'il ne soit mélangé à d'autres. La traçabilité était alors un enjeu essentiel. La preuve est faite aujourd'hui que cela peut fonctionner : il est possible de tracer le métal produit dans une mine à l'autre bout du monde, de le vendre et de commercialiser les produits finis avec une prime acceptée par le consommateur. Figurez-vous que les principales boutiques ou bijouteries qui s'inscrivent dans cette démarche sont, à ma connaissance, toutes localisées en France, plus précisément à Paris, à l'exception d'une marque implantée en Suisse. Il s'agit d'un mouvement nouveau, marginal dans ses volumes, mais d'une ampleur considérable en termes de marketing . Les boutiques en question reçoivent en effet des clients de toute l'Europe. Les consommateurs se déplacent pour venir acheter spécifiquement des bijoux en or dit « équitable ».
M. Patrice Christmann, direction de la stratégie et de la recherche, BRGM. Mon intervention concerne également cette question de la traçabilité. Je souhaiterais évoquer à nouveau la « Global reporting initiative », abordée précédemment par M. Recoche. La GRI est une ONG, basée aux Pays-Bas, qui a développé des lignes directrices sur la façon de préparer un rapport RSE, dont certaines spécifiquement adaptées aux industries minières et métallurgiques.
En 2013, 163 entreprises minières ou métallurgiques à travers le monde ont publié un rapport RSE conforme aux lignes directrices de la GRI, ce qui va assurément dans le sens de la transparence et de la responsabilité. Il existe dans ce contexte trois niveaux de conformité (A, B et C), auxquels on adjoint un « + » lorsque le rapport a été évalué par un auditeur externe agréé. Bénéficier du niveau A+ signifie que l'on a satisfait à cent quatre indicateurs dans différents domaines tels que les performances environnementales, sociétales, la gouvernance, etc. Cela permet notamment de solliciter son adhésion à l'ICMM ( International Council on Mining and Metals ).
Sur les cent soixante-trois entreprises en question, aucune n'est chinoise, à l'exception d'une société australienne contrôlée par une entreprise chinoise. Or il faut savoir que la Chine est aujourd'hui le premier producteur mondial de quarante matières premières minérales, en commençant par les plus importantes comme l'acier, le ciment, l'aluminium ou le cuivre.
Où allons-nous ? Quelles décisions prendre, dans le cadre de nos politiques publiques, pour encourager et récompenser les entreprises qui font l'effort de se conformer aux normes RSE ? Devons-nous continuer à laisser entrer sur nos marchés des produits élaborés n'importe comment et n'importe où, au détriment de nos emplois et de notre compétitivité ou faut-il chercher à agir de façon plus durable ? Je soumets ceci à votre réflexion.
M. Gilles Bordier, directeur adjoint du centre de Marcoule du CEA, en charge des activités scientifiques. Je souhaite intervenir sur l'accompagnement et la suite des activités industrielles.
Ma première remarque fait écho à l'intervention de M. Alain Rollat, qui a évoqué la radioactivité des minerais. Cette radioactivité accompagne des minerais existants, comme l'uranium, le thorium et le radium. Mais cette radioactivité naturelle peut être renforcée, par exemple si on la concentre dans le minerai. Les exploitants nucléaires, et en particulier le CEA, savent traiter ces aspects de manière propre, en plusieurs étapes : la collecte, le conditionnement, l'entreposage dans des entrepôts sûrs, conçus spécifiquement pour cet usage et répondant à un certain nombre de normes, et la surveillance de l'eau, de l'air et des colis, en en prélevant quelques-uns régulièrement et en vérifiant leur état de conservation. Nous savons faire.
Le second aspect concerne la suite des activités industrielles. Il existe en France un certain nombre de friches industrielles, de terrains potentiellement contaminés. Nous avons créé à Marcoule, autour du fameux triptyque « formation-recherche-industrie », une association intitulée « pôle de valorisation des sites industriels », qui s'occupe à la fois des sites industriels nucléaires et non nucléaires. La remédiation des sols et des sites est en effet une activité à la fois industrielle et de recherche. Le CEA est l'un des organismes qui effectuent de la recherche dans ce domaine. Ceci permet par exemple d'aller extraire, dans des sols contaminés, certains métaux qui sont ensuite mis de côté dans la mesure où ils présentent un caractère toxique, voire radioactif.
M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, groupe Eramet. Je souscris totalement aux propos relatifs à la traçabilité. Dans la chaîne de valeur, nous sommes tous le client et le fournisseur de quelqu'un d'autre. Si on lie cet aspect aux échanges concernant les bonnes pratiques, je pense que ces dernières, lorsqu'elles sont déployées, permettent de tirer vers le haut un certain nombre d'acteurs de la chaîne de valeur. Dans un groupe intégré comme celui auquel j'appartiens, dans lequel une partie de la chaîne de valeur se trouve au sein dudit groupe, le déploiement des bonnes pratiques et de la culture que j'évoquais précédemment fait particulièrement sens.
Pour ce qui est de la Chine, il se trouve que j'ai passé plusieurs années à Genève, au sein du World business council for sustainable development . L'expérience du WBCSD avec la Chine était la suivante : lorsqu'il existait des filiales de grands groupes internationaux, y compris français, implantées en Chine, alors ces dernières jouaient un rôle de locomotive absolument exceptionnel dans la prise en compte de tous les facteurs contribuant au développement durable.
Je souhaiterais rappeler par ailleurs qu'un débat, qui me met quelque peu mal à l'aise, se développe actuellement, consistant à opposer l'amont à l'aval. Je pense nécessaire de considérer que tous les acteurs auront à effectuer les efforts permettant d'aboutir à cette traçabilité.
Un dernier point enfin sur les métaux et la transition énergétique : il est vrai que la mise en oeuvre de la transition énergétique va nécessiter beaucoup de métaux. Or ceci concerne les métaux avec les technologies et les procédés d'aujourd'hui, même si les avancées en la matière sont continues. Il ne faut pas attendre le saut technologique pour faire cette production de métaux. J'aimerais mentionner à ce propos un événement organisé par Alain Liger et le COMES à la COP 21dans le but de sensibiliser à cette question du besoin en métaux en lien avec la transition énergétique.
M. Rémi Galin, chef du bureau de la gestion et de la législation des ressources minérales, ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. Mon intervention concerne les questions de bonnes pratiques et les aspects règlementaires. Lorsque nous avons élaboré le projet « mine responsable », nous avons essayé de recueillir l'ensemble des bonnes pratiques. Certains membres du piloté de pilotage ont en outre insisté sur la nécessité de clairement identifier les aspects relevant ou non de la sphère règlementaire.
Ce travail a été assez compliqué à effectuer, dans la mesure où la règlementation française est, au final, assez extensive. La mise en oeuvre de la séquence « éviter-réduire-compenser » répond par exemple à des règles d'application : si l'on considère la conformité d'une exploitation minière à un stage, toute atteinte à un milieu devra ainsi donner lieu à compensation, selon un certain format explicitement prévu. En matière de stockage des déchets, celui-ci peut être conforme règlementairement, c'est-à-dire correctement dimensionné, étanché, mis à l'abri des phénomènes météorologiques ; mais dans la durée, un stockage à l'extérieur peut présenter un certain nombre de fragilités vis-à-vis d'événements n'ayant pas nécessairement été prévus (tremblements de terre, etc .). Une autre méthode consiste à effectuer le tri des déchets au fond. Où se situent, dans ce cas, la bonne pratique et l'aspect règlementaire ? Ceci est un peu difficile à déterminer.
Cela prouve bien que les discussions précédentes sur l'anticipation de l'après-mine doivent avoir lieu dès le début du projet. Il existe de solutions, des conformités règlementaires et des pratiques allant au-delà de ces éléments de conformité. Nous attendons aujourd'hui des mines que nous pourrions éventuellement ouvrir en métropole qu'elles répondent aux meilleurs standards. Or cela est possible.
M. Maurice Leroy, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC). Je souhaiterais revenir sur les propos de M. Alain Rollat, qui nous a raconté l'histoire, depuis Rhône-Poulenc jusqu'à Solvay. Il nous notamment expliqué que Rhône-Poulenc avait été amené à tout transférer en Chine, faute de disposer en France de la capacité de prise en charge des déchets. Cela signifie d'une part qu'il existe une pression, d'autre part que l'on va retomber sur les propositions et, donc, sur la notion d'expert. La question est alors de savoir qui, en termes d'expertise, va être crédible pour dire que le nouveau procédé et la nouvelle mine que l'on va exploiter remplissent toutes les conditions. Ceci renvoie au questionnement fondamental suivant : qu'est-ce qu'un expert ? Quelle crédibilité lui accorder ?
M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d'ERA-Min. Les métaux dits « critiques » ou utilisés dans les hautes technologies sont ceux qui disposent des potentiels d'amélioration technologique les plus importants, en termes d'usage, de réduction d'usage, de substitution, etc. Dans le passé, l'expérience a montré que les améliorations technologiques ne tendaient pas à diminuer l'utilisation de matières premières, bien au contraire.
On trouve par ailleurs, à côté des métaux technologiques, les métaux de base. Or on ne fera pas d'éolienne de deux-cents mètres de haut en carton. La substitution sera vraisemblablement très difficile.
Il s'agit de deux problèmes très différents, mais la criticité mesurée en termes de besoin pour un secteur industriel sur réserve connue actuellement n'est pas forcément un critère complètement pertinent. Un élément comme le cuivre peut, clairement, devenir très rapidement extrêmement critique.
Il a été souvent question autour de cette table, de risque, sans que cette notion ne soit précisément définie. Je parlerais plutôt, pour ma part, d'impact.
Je remarque enfin que n'a pas été mentionné, au fil de ces discussions, l'impact négatif que peut avoir l'exploitation minière. Il suffit d'effectuer quelques recherches sur internet pour en trouver des exemples. Il ne s'agit bien évidemment pas de remettre en cause la bonne foi ni la bonne volonté des acteurs présents autour de cette table : je constate seulement qu'il existe un grand écart entre le discours souvent réconfortant, rassurant, tenu notamment par les exploitants, et la réalité de certains faits retracés par exemple dans des documentaires. Je pense à l'impact des activités d'Areva à Bakouma, tel que présenté dans un documentaire diffusé par Arte . Je n'ai pas d'avis sur cette question, mais m'interroge sur ce grand écart, qui peut conduire à la remise en cause des personnes qui détiennent le savoir. Il est important, pour être crédible, de développer une communication qui n'occulte pas les problèmes éventuels et les faits avérés.
M. Laurent Corbier. Je pense que cela montre aussi que le risque zéro n'existe pas et qu'il peut y avoir des problèmes même sur des exploitations au sujet desquelles on a fait preuve d'une grande vigilance et qui ont fait l'objet d'une mise en oeuvre de bonnes pratiques.
Madame la Sénatrice, vous avez, dans vos propos introductifs, évoqué l'exemple des modèles suédois et finlandais. J'ai toutefois en tête des cas (je pense notamment à une mine connue en Finlande) dans lesquels sont survenus de gros problèmes. J'aimerais donc attirer votre attention sur le fait qu'il est très difficile d'imaginer un modèle parfait. Sans doute faut-il, pour parvenir à une solution satisfaisante, combiner plusieurs benchmarks .
Mme Delphine Bataille. Vous avez raison de souligner qu'il n'existe pas de modèle idéal. Il est vrai toutefois que la visite que nous avons effectuée dans les pays scandinaves nous a beaucoup intéressés et surpris, dans la mesure où il nous a par exemple été expliqué qu'il n'était pas nécessaire de communiquer avec les populations, contrairement à la situation que nous connaissons en France, parce que l'activité minière y est inscrite dans le paysage et concerne tout le monde. Il convient par ailleurs de souligner que la densité de population, dans les régions proches du cercle polaire, est extrêmement faible, ce qui réduit considérablement les difficultés. Des dispositifs y ont néanmoins été mis en place, qui permettent de repérer l'impact de l'exploitation sur l'hygrologie et la biodiversité. Il s'agit là d'un témoignage, sur un site et à un endroit donnés ; peut-être aurions-nous eu une tout autre vision si nous nous étions rendu dans une autre mine et un autre territoire.
Il n'existe effectivement pas de modèle idéal, mais des initiatives intéressantes, des bonnes pratiques. Partant de ce constat, nous pouvons imposer un cadre, susceptible de s'adapter aux réalités et conditions locales, différentes selon les territoires et les pays.
M. Gilles Recoche. Nous sommes là au coeur d'un questionnement permanent, que nous rencontrons dans toutes nos instances de dialogue, qu'il s'agisse des CLI ou des CSS (Commission de suivi de site) en France : nous constatons que, de plus en plus souvent, chaque partie prenante arrive avec ses propres experts, dont les avis ne sont pas nécessairement partagés et convergents. Ceci crée des discussions sans fin, au cours desquelles on s'use à expliquer et à démontrer, ce qui n'est assurément pas le meilleur moyen de convaincre.
J'en veux pour preuve la remarque de M. Vidal sur le site de Bakouma. J'ignore s'il s'agissait d'une question ou d'une affirmation, mais cela témoignait au moins d'une inquiétude. Ceci illustre parfaitement le doute dans lequel se retrouve souvent la population au sens large, qui a accès à certaines informations et est en permanence mise au défi de comprendre et de faire le tri entre les arguments parfois opposés qui lui sont soumis : qui a raison ? Qui dit la vérité ? Est-ce le journaliste ? L'entreprise ? L'expert ? L'administration ? Chaque message est remis en cause en permanence. J'ignore si cela est positif ou négatif, mais il est sûr que cela nuit au développement industriel et de nos activités.
Nous devons donc travailler, avec l'aide de l'administration, au développement d'une science partagée, concertée, admise par tous.
Pour ce qui est de l'exemple de Bakouma, situé en République Centrafricaine, je tiens à rétablir certaines vérités. J'ai déjà eu l'occasion de m'exprimer à ce propos sur les ondes de RFI. Areva est accusé, à travers sa filiale, d'avoir abandonné le site avant que des travaux de réhabilitation n'aient été effectués et d'avoir mis en danger ses salariés en ne leur fournissant pas les équipements nécessaires à la protection contre les rayonnements notamment. Je rappelle que le site de Bakouma a été investi par des troupes armées, dans un pays en guerre. À l'époque de l'intervention, nous étions, par l'intermédiaire de notre filiale présente sur place, en phase de réhabilitation et avions déjà réalisé 95 % des réhabilitations des plateformes. Je précise qu'il ne s'agissait pas d'un site minier en exploitation ; nous étions seulement en exploration. Nous avons ainsi réhabilité plus de 2 000 plateformes de forage, selon les standards en vigueur dans le groupe et reconnus par la communauté internationale. Nous avons pris l'engagement vis-à-vis des autorités de réaliser les 5 % restants en sous-traitant à une entreprise locale, supervisée par l'administration locale. L'ensemble des plateformes présentes est ainsi rétabli depuis trois ans maintenant.
Concernant la radioprotection des travailleurs, tous les salariés du site étaient suivis de manière très professionnelle par un médecin, un spécialiste de la radioprotection, présent sur site. Ainsi, tous les anciens travailleurs ont été suivi médicalement et disposaient de dosimètres leur permettant de faire valoir ce qu'ils avaient reçu. Il apparaît que les résultats sont très bas par rapport à la moyenne. Il n'y a donc aucune crainte à avoir quant à un éventuel impact sur la santé de ces personnes. L'ensemble des documents a été transmis à l'administration locale, qui est l'équivalent de l'ASN française.
Les reproches adressés à Areva sont donc, de notre point de vue, totalement infondés.
M. Thierry Meilland-Rey, directeur carrières cimentières, Vicat et DGD Satma. Je voudrais établir un parallèle entre le milieu dont il est question aujourd'hui et l'industrie minérale en général. Il reste aujourd'hui en France très peu de mines. Il subsiste tout de même quelques industries lourdes, telles que l'industrie cimentière à laquelle Vicat appartient. Ne serait-il pas opportun d'utiliser l'expérience et le vécu de l'industrie ayant encore une activité extractrice, d'autant que les majors dans ce domaine ont pour la plupart une présence à l'étranger ? Nous sommes, pour notre part, présents dans onze pays.
Chaque fois que l'on découvre un gisement susceptible de répondre à nos besoins en molécules, la première démarche consiste à apprécier la faisabilité du projet, au niveau environnemental et des populations. C'est là que doit s'instaurer le dialogue, même si cela est loin d'être aisé, ainsi que l'ont souligné plusieurs intervenants. In fine , on a toujours à coeur de chercher la meilleure solution technique pour exploiter le gisement et imaginer la manière dont l'opérateur pourra partager et enrichir ce milieu avec les collectivités locales, dans une vision à court, moyen et long terme, incluant la phase d'après-mine. La question est alors de savoir si les opérateurs sont prêts à fournir les efforts nécessaires, en France comme à l'étranger, pour inscrire leur action dans les normes de nos standards et bonnes pratiques, en termes notamment de mine responsable. Ceci se traduit, comme cela a déjà été mentionné, par des prix de revient forcément plus importants. À ce titre, la collectivité au sens large, les consommateurs en général seront-ils disposés à fournir cet effort financier supplémentaire et à payer finalement à leur juste prix les produits exploités et transformés ? Dans notre domaine d'activité, nous notons régulièrement, sur les marchés français, la présence de produits venant de l'étranger, parfois de très loin, qui concurrencent les produits français, mais ne respectent pas les normes que nous appliquons.
M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager , Solvay . Je partage tout à fait le constat de M. Masse sur le manque de données concernant la toxicité des terres rares. Il faut toutefois savoir que s'est constitué, du fait de REACH et des enregistrements, un consortium de producteurs et utilisateurs européens de terres rares. Or ce groupement est en train d'alimenter la base de données relative à la toxicité et l'écotoxicité des terres rares. La situation évolue donc de ce point de vue, même si je suis néanmoins convaincu que cela ne répondra pas à toutes les questions et qu'il sera nécessaire de disposer d'éléments complémentaires.
Je souhaiterais relier ce sujet à la problématique de la compétitivité de l'industrie européenne. Comme vous vous en doutez, obtenir ces données de toxicité et d'écotoxicité coûte cher. Or ce sont aujourd'hui les producteurs et les utilisateurs de terres rares européens qui supportent ce coût, alors même qu'ils connaissent une situation économique difficile (les producteurs surtout). Il a ainsi été annoncé en janvier que l'unité de recyclage de terres rares de La Rochelle allait s'arrêter, pour des raisons purement économiques. Aujourd'hui, les produits recyclés élaborés à La Rochelle à partir de la récupération des terres rares contenues dans les lampes basse consommation sont en effet beaucoup plus chers que les produits vierges provenant de Chine.
Nous sommes donc dans une situation dans laquelle on met en place des normes, nécessaires pour protéger nos populations et nous assurer que nos produits n'ont pas d'impact sur l'environnement, sans prendre en compte le fait que d'autres pays n'appliquent pas les mêmes normes et peuvent faire entrer sur nos marchés des produits non conformes aux conditions que nous imposons sur nos chaînes de valeur. Je n'ai pas de solution à proposer, mais constate que nous sommes quotidiennement confrontés à ce type de difficulté.
M. Éric Marcoux, professeur à l'université d'Orléans. Lorsqu'on fait de l'information auprès du grand public, on se trouve confronté à un certain nombre d'idées reçues. Beaucoup de gens croient par exemple qu'il n'y a plus rien à trouver en France et que tout ce qui pouvait être exploité l'a déjà été durant les siècles et décennies passés. Or cela est totalement faux : le territoire français est riche de potentialités, pour ce qui concerne notamment le tungstène, l'antimoine, la fluorine, l'or, l'étain, le lithium et d'autres encore. Il faut donc s'attacher à rétablir cette vérité. Il appartient ainsi aux universités notamment d'informer les jeunes à ce sujet ; mais cette information doit être diffusée beaucoup plus largement. La France possède toujours de sérieuses potentialités minières. L'inventaire minier en a découvert un grand nombre ; certaines ont été exploitées, mais d'autres sont toujours en terre et nous attendent. Et c'est sans compter sur ce que l'on pourrait découvrir par la suite. Nous n'avons pas encore, en France, utilisé les méthodes d'exploration modernes mises en oeuvre dans tous les grands pays miniers comme le Canada, l'Australie ou les États-Unis. Encore faut-il parvenir à convaincre les populations qu'un avion ou un hélicoptère qui survole les campagnes ne présente pas de risque pour les personnes et les élevages, message qu'il est parfois difficile de faire passer.
M. Benoît de Guillebon, directeur, APESA . Il est vraiment dommage qu'une usine de recyclage de terres rares doive cesser son activité pour des raisons purement économiques, alors que la valeur créée par cette unité sur le territoire et en matière environnementale était réellement digne d'intérêt. Lorsque l'on a démarré les énergies renouvelables, on a su financer, pendant un certain temps, le décalage économique entre cette activité en développement et l'existant. Pourquoi n'avoir pas imaginé de dispositif similaire pour protéger pendant quelques années cette activité de recyclage, pour l'aider à se développer et à se stabiliser, en attendant que les règles du jeu internationales se diffusent, y compris dans des pays comme la Chine ?
M. Patrick Hetzel. Ce point fait écho, dans une certaine mesure, à la situation rencontrée par des sociétés japonaises comme TokyoEco, qui fait partie du groupe Toyota, ou par Mitsubishi, qui ont développé des process de recyclage et se retrouvent dans des difficultés similaires à celles évoquées par M. Rollat. Cela pose plus globalement la question de l'ensemble du processus. Dans certains domaines, des solutions ont effectivement été mises en place, par l'intermédiaire notamment de financements. Il s'agit là de points importants, sur lesquels il est nécessaire de se pencher.
Je voudrais d'ores et déjà vous remercier pour la qualité des échanges que nous avons pu avoir. Ces deux premières tables rondes nous ont en effet permis d'aborder, de manière assez objective à mon sens, d'une part l'avenir de l'industrie minière dans nos pays occidentaux, d'autre part la question de la mesure et de l'évaluation des risques liés à l'exploitation minière.
La transition est toute trouvée avec le sujet de la troisième table ronde, consacrée aux perspectives de la recherche et de la formation, thématiques plusieurs fois évoquées au fil des débats de cette matinée et abordées également de façon récurrente lors de notre visite au Japon. Recherche et formation font en effet partie des piliers de la stratégie japonaise, autour notamment de la création, sous l'impulsion des pouvoirs publics, d'un institut spécialisé dans ce domaine, le fameux NIMS. Nous avons ainsi pu rencontrer, au Tokyo institute of technology , des chercheurs qui se sont spécialisés dans les questions liées aux matériaux. Ceci témoigne de la volonté des autorités japonaises de créer un continuum entre les activités de recherche, d'innovation et de développement.
TROISIÈME TABLE
RONDE :
QUELLES SONT LES PERSPECTIVES DE LA RECHERCHE
ET DE LA
FORMATION ?
M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Cette table ronde, consacrée aux perspectives en matière de recherche et de formation, va se dérouler selon le même mode opératoire que les précédentes, à savoir des exposés de cinq minutes, suivis d'interventions de deux minutes et d'un débat.
Il semble évident que le volet recherche est susceptible d'avoir des incidences assez fortes sur l'évolution du secteur, à la fois dans l'usage et dans la mobilisation des matériaux. La transition énergétique nécessitera par exemple le recours à certaines matières premières qui risquent de ce fait de devenir non seulement stratégiques, mais aussi éventuellement critiques.
La partie formation, étroitement liée à la recherche, constitue également un élément important pour l'avenir.
Pour débattre de ces aspects et certainement de bien d'autres encore, je laisse sans plus tarder la parole aux intervenants.
M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme Nouvelles technologies de l'énergie. L'activité de recherche en France autour des terres rares est relativement riche.
Ces travaux sont le fait d'acteurs historiques : je pense notamment à l'Institut de la chimie des matériaux de Paris-Est, dont l'équipe dirigée par M. Michel Latroche est reconnue pour ses activités en métallurgie des terres rares, mais aussi à l'Institut Néel, basé en Rhône-Alpes, qui travaille beaucoup sur les matériaux magnétiques et notamment les matériaux de stockage de l'hydrogène, qui nécessitent le recours à des terres rares.
D'une manière plus générale, il existe un nombre important d'acteurs de la recherche, issus de l'université, des centres de recherche ou du CNRS, qui oeuvrent autour des terres rares ou des matériaux critiques et contribuent notamment aux travaux sur la minimisation, la substitution et le recyclage.
Il convient évidemment de mentionner également le rôle joué par les industriels, tels que Rhodia Solvay, particulièrement actif dans ce domaine.
N'oublions pas non plus les alliances nationales, dont l'Alliance nationale de coordination de la recherche pour l'énergie (ANCRE) et AllEnvi, qui mène également des travaux sur ces sujets des ressources.
Quels sont les efforts mis en oeuvre en France ? Ceux-ci sont mesurés à l'aune des projets de recherche et d'innovation existant sur ces sujets. Si l'on se réfère aux données de l'ANR sur la période 2007-2015, il apparaît que moins de quinze projets ont porté sur les matériaux critiques, pour un montant d'environ huit millions d'euros d'aides budgétaires apportées par l'ANR. Ces travaux portaient notamment sur l'optimisation des terres rares dans les luminophores, l'analyse des flux et stocks, l'extraction des terres rares dans les D3E (les déchets d'équipements électriques et électroniques), le recyclage des terres rares, la substitution des terres rares dans les aimants permanents, le recyclage des terres rares dans les batteries nickel métal hydrure ou encore la substitution de terres rares à base de cérium pour la catalyse.
On constate ainsi que le sujet des terres rares domine et qu'il n'existe pas réellement de communauté de recherche constituée aujourd'hui autour de ces thématiques. Or il faudrait un effort plus constant dans la durée.
D'autres acteurs, comme l'Ademe, supportent des projets via les appels à manifestation d'intérêt (AMI). Plusieurs ont été lancés dans le domaine du recyclage et dans le cadre du plan d'investissement d'avenir. On peut se féliciter que l'effort s'inscrive ici dans la durée, puisque l'on en est actuellement au troisième appel à projets dans ce domaine. Notez que la DGA y participe également.
À l'échelle de l'Europe, le contraste est vraiment saisissant. Il existe en effet beaucoup plus d'outils structurants au niveau européen. M. Cozigou évoquait par exemple ce matin l'EIP (le partenariat d'innovation européenne). Citons également Horizon 2020, le huitième programme cadre, ou encore le KIC (communauté de la connaissance et de l'innovation). On compte ainsi, sur les cinq dernières années en Europe, uniquement sur les aspects de substitution des métaux critiques, trente projets labellisés, correspondant à un effort financier de quelque 50 millions d'euros. On peut donc se féliciter de l'existence, au niveau de l'Europe, d'un cadre stratégique relativement précis.
Quels pourraient être les projets prioritaires ? Il est très difficile de répondre à cette question. J'évoquerai donc plutôt une méthode qu'il conviendrait selon moi de privilégier. Il faudrait tout d'abord mobiliser l'ensemble des acteurs d'une filière, travaillant sur un ou plusieurs métaux critiques, stratégiques pour notre pays ou pour l'Europe, et adressant quelques applications précises. Cette démarche devrait bien entendu s'inscrire dans la durée. Il serait aussi nécessaire d'entraîner dans ces projets davantage de PME et d'ETI. En effet, les grands groupes ont souvent la chance de disposer des ressources nécessaires pour déposer des projets au niveau de l'Europe ; or ce n'est pas le cas pour les petites structures, qui ne maîtrisent pas toujours le « langage européen ».
Je terminerai en évoquant un élément de rupture, à travers l'exemple d'un matériau et d'une action coordonnée. Le graphène est un matériau carboné à deux dimensions, souvent considéré comme le « couteau suisse » des matériaux, puisqu'il possède de multiples propriétés. La Commission européenne a lancé à ce sujet un projet phare extrêmement structurant, le « Flagship graphene », impliquant cent-quarante-deux partenaires (dont quinze français), vingt-trois pays, pour un budget d'un milliard d'euros. L'idée est d'essayer de couvrir toute la chaîne, c'est-à-dire de partir du développement du matériau, qui va agir en substituant, et d'aller jusqu'à la production industrielle, et de produire le maximum d'efforts pour parvenir à obtenir un impact économique. Cette initiative s'inscrit dans l'esprit de celle lancée en 2011 aux États-Unis sous le nom de « Materials genome initiative », qui avait pour but d'augmenter ou de diminuer le temps de développement d'un matériau, c'est-à-dire la durée s'écoulant entre la phase en laboratoire et le passage à l'étape industrielle.
J'ajouterai, pour faire le lien avec le volet formation, que tous ces projets de recherche impliquent la plupart du temps des étudiants en maîtrise ou en doctorat et contribuent ainsi à la formation de tous nos chercheurs et ingénieurs.
M. Alain Geldron, expert national Matières premières, direction Consommation durable et déchets, Ademe. Je vais vous présenter brièvement les outils de l'Ademe en matière de soutien à la recherche. Il en existe essentiellement deux.
Le premier, mis en place dès l'origine de l'Ademe, est le budget recherche et développement classique. Il est, tous secteurs confondus, sur l'ensemble des missions de l'Ademe, de 30 millions d'euros. Il est constitué de différents cadres d'intervention.
Quelque cinquante thèses sont ainsi financées chaque année ; elles peuvent notamment concerner des travaux sur l'efficacité des procédés, qui représente un élément de compétitivité important, mais aussi sur des technologies en rupture, pour aller vers de nouveaux modèles industriels. Il s'agit là d'un soutien à un niveau de recherche fondamentale et industrielle appliquée.
Nous disposons, en outre, de dispositifs ciblés d'appel à projets en recherche industrielle. Plusieurs sont en cours actuellement, mais aucun sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui. Ceci concerne le développement expérimental ou les expérimentations préindustrielles, pour des projets de moins d'un million d'euros de budget, avec des aides allant de 50 000 à 300 000 euros.
Nous avons par ailleurs participé au projet ERA-Min1, dans le cadre duquel nous avons soutenu quelques projets, bien qu'insuffisamment à notre goût. Peu de travaux concernaient en effet le recyclage, qui constitue le coeur de sujet de l'Ademe. L'essentiel des dossiers relevait du domaine minier, ce qui nous a d'ailleurs conduits à financer des projets d'extraction dans des résidus miniers ou des eaux minières. Ce projet doit se prolonger, sous forme d'un ERA-Min2, avec une structure et un financement différents. Tout cela est actuellement en cours de discussion avec les autres partenaires européens ; les projets seront déposés d'ici la fin du mois de mars. Si cela aboutit, le premier appel à projets devrait avoir lieu en 2017, pour un financement en 2018 pour ce qui concerne l'Ademe.
Le deuxième axe de financement de la R&D dont nous disposons est le programme des investissements d'avenir. Le fonds affecté à l'Ademe est ici de l'ordre de 3,3 milliards d'euros.
Cela porte sur divers sujets tels que le véhicule du futur ou les énergies renouvelables. Il existe en outre un appel à projets relatif à l'économie circulaire, au recyclage et à la valorisation des déchets, dans le cadre duquel peuvent parfaitement s'inscrire des projets sur les métaux. Ceci concerne des projets de plus de 2 millions d'euros de budget. Nous disposons aussi d'un appel à projets « industrie et agriculture éco-efficientes », pour des projets supérieurs à un million d'euros et qui identifient très clairement le secteur des métaux comme prioritaire. Le dispositif « initiative PME » concerne quant à lui les performances énergétiques dans le bâtiment et l'industrie, dans le cadre de projets de plus de 200 000 euros, avec une aide plafonnée à 200 000 euros.
Les modalités d'aide communes à ces différents outils prennent la forme d'une intervention en aides d'État. Nous avons ainsi soutenu à ce jour plus de deux-cents projets dans le cadre des investissements d'avenir, par le biais d'aides remboursables ou, dans une moindre mesure, de subventions.
Nous avons aussi des interventions en fonds propres, avec pour les PME un fonds commun de placement à risque doté de 150 millions d'euros, correspondant à des fonds placés entre un et dix millions d'euros en co-investissement. Ce dispositif est géré par la BPI.
Nous pouvons aussi, pour les grandes entreprises et les sociétés de taille intermédiaire, intervenir en fonds propres sous forme de joint-venture . Cinq investissements ont été aidés jusqu'à présent, dont un (EcoTitanium) dans le domaine des métaux.
Nous avons aujourd'hui vingt-huit appels à projets nationaux en cours, sur différents sujets, dont l'économie circulaire et les industries éco-efficientes.
Nous intervenons par ailleurs en termes d'expertise, dans le cadre notamment de l'expertise des dossiers sur le Fonds unique interministériel. Nous participons aussi au soutien de travaux comme ceux de REFRAM (plate-forme multi-parties prenantes pour un approvisionnement sécurisé des métaux réfractaires en Europe).
M. Patrick Hetzel. L'Ademe a-t-elle également des échanges avec l'Agence nationale de la recherche pour la programmation de travaux portant plus spécifiquement sur les matériaux ou les terres rares ?
M. Alain Geldron. Nous échangeons notamment dans le cadre du programme ERA-Min, au sein duquel nous sommes en discussion pour intervenir conjointement, en conservant chacun notre champ d'intervention spécifique.
Nous avons en outre participé aux travaux d'AllEnvi sur le recyclage des métaux critiques, qui visent là aussi à donner des priorités et des programmations au niveau de la recherche.
M. Patrick Hetzel. Rien de spécifique sur les terres rares ?
M. Alain Geldron. Il n'existe pour l'heure aucun projet spécifiquement identifié dans ce domaine. Par contre, tous métaux critiques font partie de nos priorités.
M. Michel Cathelineau, université de Lorraine, UMR géo-ressources, directeur de recherche CNRS, directeur scientifique du CREGU et Labex Ressources 21. Où en est la formation sur les matières premières à vocation géologique et minière ? La qualité de la formation est intimement liée à la qualité ou à l'excellence de la recherche. Une bonne formation nécessite une recherche forte.
Je ne passerai bien évidemment pas en revue tous les laboratoires qui s'occupent de recherche sur les ressources du point de vue géologique en France. Je signalerai seulement que l'on est actuellement en train, à la demande notamment du ministère, de réviser une base de données recensant l'ensemble des chercheurs travaillant sur le cycle géochimique amont, incluant la connaissance de la formation des gisements, l'extraction et l'écotoxicologie. Cette base de données révisée sera disponible d'ici quelques mois.
Dans le domaine de la recherche, il existe, dans le cadre des investissements d'avenir, des formations qualifiées de Labex, qui ont une triple vocation : la formation, la recherche et le lien avec l'industrie et la communication. Je mentionnerai tout particulièrement deux Labex intervenant plus spécifiquement dans le domaine qui nous réunit aujourd'hui : le Labex Voltaire, qui comporte un volet entier sur le thème « magmas, fluides et métaux », et le Labex Ressources stratégiques pour le XXI e siècle, entièrement dédié aux ressources stratégiques, dont je m'occupe à Nancy, et qui appréhende le cycle complet, depuis l'exploration et le traitement des minerais jusqu'à l'impact environnemental et à l'écotoxicologie. Dans le cadre de ce Labex, nous développons un projet consacré exclusivement aux terres rares. Les autres projets concernent le nickel et les éléments associés, ainsi que le tungstène, l'étain, le niobium et le tantale. Ce Labex a créé, en association avec les écoles, deux masters internationaux, dont un Erasmus mundus.
Si l'on dresse un bilan global des types de formations en France dans le domaine des géosciences, avec application notamment aux ressources minérales, deux grands types de formation apparaissent : les écoles d'ingénieurs et les formations universitaires.
Les écoles d'ingénieurs sont bien identifiées : on connaît ainsi l'école de géologie, l'école des mines de Nancy, l'Institut LaSalle Beauvais, l'école des mines d'Alès et Mines Paris, qui forment trente à quarante ingénieurs par an dans le domaine des ressources.
Les universités forment également, via les masters, des géologues. La répartition est ici plus hétérogène, tant spatialement, géographiquement, que dans le volume horaire consacré spécifiquement aux ressources. Le centre le plus important est certainement celui de Nancy, avec une forte implication des écoles et une spécialisation très marquée « ressources ». Citons également l'université d'Orléans (dont Éric Marcoux parlerait beaucoup mieux que moi), qui propose une formation originale, caractérisée par un parcours délocalisé en collaboration avec l'UQAM, au Québec, et l'université de Toulouse, qui dispense un enseignement plus généraliste, avec notamment un parcours centré sur les matériaux à finalité industrielle.
D'autres universités, à Rennes, Grenoble et Montpellier, se sont intéressées à un renouvellement de la formation dans le domaine des ressources. Ces établissements proposent surtout des masters généralistes, mais essaient de renforcer leurs équipes de formateurs. On voit bien ici l'importance de la constante de temps : jusque dans les années 2005-2008, il existait des besoins forts, exprimés par les industriels. Or il a fallu attendre 2015 pour que des postes soient créés, à un moment où la situation de l'emploi est relativement critique. Des postes viennent ainsi d'être créés cette année à Grenoble et Montpellier dans le domaine de la métallogénie.
Le potentiel de formation est donc réel et peut être suffisant, à condition toutefois qu'il puisse être maintenu. Le principal problème actuellement est lié au contexte général, dans la mesure où nous sommes dans une période de crise, caractérisée notamment par un abaissement considérable du cours des matières premières, ce qui a des répercussions sur l'emploi. La situation est, du point de vue de l'emploi, absolument catastrophique depuis deux ans, c'est-à-dire pour les générations diplômées depuis 2011-2012. Ceci illustre bien les problèmes liés à la faible réactivité du monde universitaire par rapport au contexte économique. En 2008, les cours connaissaient une apogée. En 2009-2010, ils se sont effondrés. Les années 2011 et 2012 ont été marquées par la fin des recrutements à l'échelle mondiale. Des générations entières d'ingénieurs et de masters ont ainsi éprouvé de réelles difficultés à trouver un emploi. L'économie des matières premières est une science difficile et tout ceci était peu prédictible. Nous avons connu, entre les années 2000 et 2010, une très forte demande industrielle, notamment en France, pour former des géologues.
La difficulté majeure sera de parvenir à maintenir ce potentiel de formation et de recherche. Le risque essentiel est d'être face à des générations d'étudiants qui auront des difficultés à trouver un emploi. La situation peut s'améliorer, mais cela peut contribuer à décourager les générations futures de s'engager dans cette voie.
M. Patrick Hetzel. Vous avez mis l'accent, avec raison, sur le lien existant entre la qualité de la recherche et celle de la formation, et insisté sur la difficulté de parvenir à maintenir ce potentiel, dans la mesure où l'effondrement du cours des matières premières a conduit à une réduction du nombre d'emplois. Cela a-t-il, à votre connaissance, une incidence sur le volet recherche ?
M. Michel Cathelineau. Je pense que cela risque effectivement d'avoir un effet à moyen terme, dans la mesure où une grande partie des financements des équipes qui travaillent sur les ressources actuellement est d'ordre industriel, sur contrat de recherche. En termes de financement public, il était possible d'obtenir des contrats européens, de type ERA-Net et ERA-Min. Mais cela est aujourd'hui difficile. Si l'on considère la partie amont, correspondant à la prospection et à l'exploitation (la partie relative au recyclage étant gérée par l'Ademe), il n'y a qu'une seule année à ma connaissance au cours de laquelle l'ANR a financé des projets sur le programme ERA-Net/ERA-Min, alors que l'Ademe a financé des projets chaque année dans le domaine qui est le sien. Des discussions sont actuellement en cours et nous ignorons pour l'instant quel sera le niveau d'implication de l'ANR dans les projets à venir.
Pour H2020, la difficulté réside dans le fait que l'Europe, globalement, ne finance plus la recherche, mais uniquement des projets avec des TRL ( Technology readiness levels - niveaux de maturité technologique) très élevés. L'an dernier, aucun projet issu des laboratoires académiques (y compris ceux issus des bureaux) n'a été retenu par H2020. Il est donc actuellement très difficile de faire financer de la recherche à l'échelle européenne.
Si la prospection est en panne et que la seule source de financement des projets est d'ordre industriel, il sera assurément difficile de maintenir un volume suffisant.
Certains universitaires ont déjà traversé des périodes difficiles, notamment au cours des années 1980 à 2000. La recherche était alors relativement peu subventionnée et les équipes se sont diversifiées, en travaillant sur toutes les approches similaires et transposables à d'autres objectifs, comme le stockage des déchets ou des gaz, éventuellement les hydrocarbures, malgré le prix très bas du pétrole.
Il existe donc des possibilités pour les laboratoires disposant d'une aptitude à surfer sur ces difficultés d'approvisionnement financier. Il apparaît toutefois que les laboratoires ayant fait l'effort de formuler des propositions et de lancer des appels d'offres en termes de recrutement dans ce domaine risquent fort d'avoir à redistribuer l'activité sur de la géologie plus classique.
Une autre difficulté, qui mérite d'être soulignée, est celle de la position des géologues dans les universités. Les géosciences représentent en effet 5 à 10 % du volume des étudiants et des professeurs dans les universités. Il s'agit donc de petites masses, qui ont du mal à se faire entendre et dispensent par ailleurs un enseignement relativement coûteux en termes de matériel nécessaire. Les dossiers sont donc certainement plus délicats à plaider auprès des présidents d'université qu'ils ne le sont dans d'autres disciplines. Les géologues sont ainsi, de ce point de vue, quelque peu fragiles.
M. Olivier Vidal, directeur de recherche au CNRS, coordinateur du projet d'ERA-Min. Permettez-moi de rappeler brièvement le principe d'ERA-Min : il s'agit d'un réseau européen d'agences de financement, qui cotisent à un pot commun pour formuler ensuite des appels d'offres sur des programmes de recherche au niveau européen, réunissant au moins trois partenaires européens. Ceci permet d'obtenir un effet de levier assez important et de ne pas trop diluer les efforts de recherche sur des sujets similaires dans les différents pays.
L'ANR n'a effectivement cotisé dans le cadre d'ERA-Min qu'une année. La raison invoquée n'est pas un désintérêt quant aux thématiques, mais relève plutôt d'un problème de gestion de la pénurie. Actuellement, les taux de succès à l'ANR sont inférieurs à 10 %, ce qui est très faible. L'ANR essaie donc de mettre l'argent où il existe une communauté non seulement active, mais ayant également ce qu'elle estime être une masse critique.
Les recherches menées en France dans le domaine des géosciences sont peu nombreuses et représentent une communauté de recherche susceptible de répondre à des appels d'offres de l'ANR relativement faible.
Le deuxième problème résulte du fait que l'ANR ne favorise pas particulièrement la recherche fondamentale, dans la mesure où elle demande souvent la présence, dans les projets, d'un partenaire industriel. Les recherches n'ayant pas de finalité d'application sont très difficiles à faire financer dans ce cadre.
Après un seul financement dans le cadre d'ERA-Min1, l'ANR s'est engagée à avoir un financement beaucoup plus important et récurrent dans la deuxième mouture d'ERA-Min qui, selon toute vraisemblance, devrait être acceptée et démarrerait en 2017. L'enveloppe serait alors de l'ordre de 800 000 euros, ce qui, bien que n'étant pas à la hauteur des enjeux, reste raisonnable.
La situation est donc difficile pour les chercheurs, mais pas forcément catastrophique, dans la mesure où l'ANR fait tout de même des efforts, à la hauteur de ses moyens, et parce qu'il existe des financements européens sur lesquels on peut émarger.
La principale difficulté est à mon sens de parvenir à agréger sur les mêmes projets des acteurs ayant des compétences très différentes, allant des sciences humaines et sociales, à l'économie et au droit, en passant par des sciences dites « dures », comme la physique, la chimie ou les sciences des matériaux. Probablement faudrait-il consentir de gros efforts dans ce domaine, si l'on entend disposer d'une vision à moyen et long terme de la problématique des ressources et de l'énergie. Cela mériterait, étant donné le caractère stratégique de tous ces sujets, un réel effort de réflexion et de recherche.
Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Vous évoquiez, Monsieur Cathelineau, la difficulté, pour un certain nombre d'étudiants, à trouver un emploi, à une échelle de deux à trois ans. Dans la mesure où l'on a cette visibilité, des solutions se font-elles jour actuellement pour pallier cette situation ? Peut-on évaluer la durabilité de cette crise en fonction d'autres facteurs que l'abaissement des coûts des matières premières ? Pensez-vous, globalement, que les crédits sont en adéquation avec les besoins en matière de recherche ?
M. Michel Cathelineau. Il me semble très difficile de connaître l'évolution des prix des matières premières à court terme. Aucun économiste n'avait ainsi anticipé le pétrole à 30 dollars, ni l'effondrement du cours du nickel en quelques mois. Lorsqu'on croise les besoins avec les prédictions de besoins, on a le sentiment que tout devrait repartir, à un certain moment. Actuellement, il se dit dans les couloirs qu'il faudrait attendre deux ou trois ans avant de voir l'emploi repartir.
Il est sûr, quel que soit le contexte et son évolution, que nous avons une responsabilité non négligeable vis-à-vis de nos étudiants. Cela s'est notamment traduit cette année par un abaissement du nombre de recrutés dans les écoles d'ingénieurs. À Nancy, il a par exemple été décidé de réduire le nombre d'élèves des nouvelles promotions par rapport à ce que nous avions connu au cours des dix dernières années. Ceci se vérifie aussi au niveau des masters.
Il faut savoir qu'actuellement un poste de géologue d'exploration en Australie suscite 200 à 300 candidatures. Il existe très peu d'emplois disponibles. Au niveau national, les majors françaises se situent plutôt dans une phase de non recrutement. Seul le domaine des matériaux connaît une situation un peu plus favorable. Cela incite globalement les étudiants à ne plus travailler véritablement dans le domaine des ressources et à se consacrer plutôt à des secteurs périphériques comme la géotechnique, l'eau, l'environnement, etc.
Les crédits récurrents de la recherche sont-ils suffisants ? Nous avons eu, deux années de suite, des appels d'offres de l'ANR offrant la possibilité de mentionner les ressources. Or la difficulté réside dans le fait que le taux de succès avoisine les 8 % : il y a donc beaucoup de projets soumis et très peu d'élus. À ma connaissance, aucun projet centré spécifiquement sur le domaine des ressources n'a été financé dans ce cadre l'an passé.
Nous connaissons le même type de difficulté vis-à-vis des financements européens. Tout projet ayant une trop grande connotation de recherche n'a aucune chance de passer, puisque sont privilégiés essentiellement les projets focalisés sur la technologie (de l'exploitation et éventuellement de l'exploration), avec des taux de transfert vers l'industrie extrêmement importants.
Il existe donc indéniablement un problème de financement de la recherche.
Certaines compagnies et structures continuent toutefois à financer des travaux de recherche. C'est le cas notamment d'Areva ou encore du Centre national de recherche technologique sur le nickel, basé à Nouméa. Les équipes traditionnelles parviennent donc à trouver ainsi une partie des financements nécessaires. Je ne pense toutefois pas qu'il y ait place pour beaucoup plus actuellement.
M. Patrice Christmann, direction de la stratégie et de la recherche, BRGM. Je suis saisi d'effroi par cette spirale infernale : moins il y a de chercheurs, moins il y a de recherche et de masse critique et ainsi de suite jusqu'à épuisement des équipes.
Il se trouve que j'ai une certaine familiarité avec le programme cadre fédéral allemand, particulièrement ambitieux sur tous les aspects des matières premières. Il existe même une plaquette d'une soixantaine de pages, téléchargeable, traduite en français par le ministère fédéral allemand, décrivant le paysage de la recherche en Allemagne. Chaque année, un appel à propositions est lancé. Cela permet probablement à des acteurs de la recherche de pouvoir se maintenir dans leur domaine de compétences, malgré les fluctuations et les errements des cours des matières premières.
Quand nous déciderons-nous, en France, à prendre les choses au sérieux ? Je n'ai personnellement pas encore été invité à un quelconque débat organisé par notre ministère de la recherche sur la question des matières premières, des matériaux qui leur sont liés et de l'aval industriel qui en découle. Quand mènerons-nous enfin une réflexion holistique, synergétique, englobant l'ensemble de cette filière, dont la France possède des acteurs d'excellence ? J'ai le sentiment que personne, à l'heure actuelle, ne dispose d'une vue d'ensemble du sujet.
M. Patrick Hetzel. Au cours des dernières années, ont été mises en place en France des alliances dont le rôle est justement de coordonner les différents organismes (CEA, CNRS, BRGM, etc .). Nous avons évoqué ce matin le rôle de l'alliance ANCRE. Joue-t-elle aujourd'hui ce rôle de programmation ?
M. Olivier Vidal. L'alliance ANCRE, dont je coordonne l'un des groupes de programmation, intervient uniquement dans le domaine de l'énergie, non des matériaux. À partir de là, elle a essayé de s'emparer du sujet, en produisant notamment un rapport sur le lien entre matériaux et énergie. Pour autant, les matières premières ne sont pas directement de son ressort.
Le rôle que l'on peut avoir, en tant que scientifique, au sein de l'alliance ANCRE est d'alerter et de faire remonter des sujets qui sont ensuite discutés au ministère de la recherche, incorporés dans la stratégie nationale de recherche et, éventuellement, déclinés dans la programmation de l'ANR.
L'ANR est souvent critiquée dans nos communautés ; cela dit, le terme « ressources minérales » y apparaît maintenant, notamment dans le Défi 1, ce qui peut être considéré comme un progrès, bien que cela ne se traduise pas nécessairement par une augmentation des financements, ce que l'on peut évidemment déplorer.
Il nous manque en fait, sur le thème des matériaux ou ressources au sens large, au-delà même des matières premières minérales, un guichet unique ou un sous-programme de l'ANR ayant clairement cet intitulé et au sein duquel des communautés très variées (physiciens, chimistes, juristes, etc .) pourraient se retrouver. On s'apercevrait alors que la masse critique des gens travaillant sur ces sujets en France est forte et qu'il y existe une capacité de recherche, fondamentale et appliquée, importante. Tous les organismes pourraient s'y retrouver. Malheureusement, une telle structure n'existe pas, malgré l'importance des enjeux.
Outre l'Allemagne, dont il a été question précédemment, d'autres pays voisins ont développé des dispositifs intéressants dans ce domaine. En Finlande par exemple, plusieurs centaines de millions d'euros ont été consacrées, au début des années 2000, au développement de l'extraction et de la production de machines. À l'échelle française, ceci correspondrait à un investissement de l'ordre de 600 millions à un milliard d'euros. Bien évidemment, le paysage et les contraintes sont différents en France et en Finlande. Il importe toutefois de prendre la mesure des enjeux et d'adopter une démarche proactive. Or seules les agences de financement peuvent le faire et drainer ainsi les chercheurs.
M. Maurice Leroy, président de la Fédération française pour les sciences de la chimie (FFC). Si la chimie doit, à un moment donné, se rallier à cette notion de matières premières, de ressources, de recyclage, cela demandera un énorme effort. Lorsque j'ai démarré ma carrière, en 1972, j'étais professeur de chimie minérale. L'intitulé de la discipline indiquait clairement qu'il s'agissait de traiter des minéraux, de la métallurgie et des métaux. Aujourd'hui, on parle plutôt de chimie inorganique, ce qui est sensiblement différent. La majorité des chimistes engagés dans cette voie travaillent dans le domaine de l'organométallique, des catalyseurs, de la fabrication des composés organiques, des sciences des matériaux. Or cela ne comprend pas la notion de matières premières. Sans signe extérieur à ce domaine visant à indiquer qu'il s'agit d'un enjeu national d'importance, il ne se passera rien.
Il faut aussi savoir que la recherche est très liée à la mode, qui gouverne les crédits alloués aux projets. Sans impulsion extérieure forte, clairement affichée, chacun va rester dans le domaine qu'il pense maîtriser. Or si les chimistes ne se rallient pas à cette cause, il manquera des pans entiers à ces travaux, en matière par exemple de toxicologie ou de procédés.
M. Alain Liger, ingénieur des mines, ancien secrétaire général du COMES. Je me demande si l'une des questions essentielles en matière de compétitivité de l'économie n'est pas au fond celle du financement de l'innovation. Je pense que certains métallurgistes ont sans doute, dans divers métaux, y compris très spécialisés, des besoins en termes d'innovation ou d'amélioration dans leur cycle de production de produits primaires, ainsi que dans les boucles de recyclage d'élaboration de produit final. Or je n'ai rien entendu aujourd'hui à propos de ce financement de l'innovation par les agences de financement. Qu'en est-il ? Est-ce un tabou, un domaine interdit ?
M. Alain Geldron. Les investissements d'avenir concernent typiquement ce domaine, sur des recherches aboutissant à des dispositifs commercialisés, industrialisés. On se situe plutôt là sur l'aval de l'aval. Ceci existe très clairement, pour ce qui concerne l'Ademe, dans le domaine du recyclage des métaux, qui fait partie des priorités, de la même manière que les procédés métallurgiques, dans le cadre d'un scénario d'amélioration de l'efficacité énergétique, qui est l'une des questions importantes du monde métallurgique.
M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Je crois pour ma part en la vertu de l'accident. Nous avons connu un accident dans le domaine des terres rares, qui n'a malheureusement pas été assez long pour que l'on puisse réagir sur du long terme. J'imagine que nous connaîtrons un jour un autre accident, économique ou industriel, lié à la ressource, soit dans le domaine de la voiture électrique, soit dans celui des énergies dites « renouvelables ». À partir de ce moment, caractérisé vraisemblablement par une pénurie soit de la ressource, soit d'un matériau fabriqué à partir de ces ressources (je pense en particulier aux aimants permanents), il est possible que toute cette recherche, aujourd'hui désorientée, trouve une ligne directrice. Il est vrai que nous sommes actuellement dans une sorte de marasme, dans lequel les chercheurs attendent de la part de l'ANR, de l'Europe ou d'autres instances, soit des fonds, soit tout simplement une direction vers laquelle orienter leurs propres travaux. J'avoue qu'il s'agit là d'un constat très perturbant.
M. Patrick Hetzel. Lors de notre voyage au Japon, nous avons clairement senti que, chaque fois que nous abordions le sujet des matériaux stratégiques et critiques, cela soulevait la question de l'indépendance stratégique du pays. Du coup, assez systématiquement, il était fait référence, dans les interventions de nos hôtes japonais, à la crise de 2010, qui a visiblement été consubstantielle à l'élaboration de leurs piliers stratégiques. Une structure comme JOGMEC s'est vue donner des lignes directrices élaborées à l'aune des événements de 2010 (y compris pour ce qui relève des investissements réalisés dans le secteur minier).
Récemment, au cours d'un entretien avec une entreprise, cette perspective d'une crise prochaine a été évoquée. Or notre propos, à travers ce travail, est plutôt d'essayer d'anticiper, afin de ne pas nous retrouver face à un mur. Les enjeux dans ce domaine ne sont d'ailleurs pas qu'économiques et peuvent rapidement devenir géopolitiques.
M. Didier Julienne. La situation de pénurie est effectivement consubstantielle de la manière de procéder du Japon.
De notre côté, la dernière grande crise est celle du pétrole, dans les années 1970, qui a débouché sur le nucléaire en France. Toute crise peut donc aboutir à une sortie de crise bénéfique.
Serons-nous à nouveau confrontés prochainement à une crise de cette ampleur, avec une sortie de crise bénéfique ? Je l'ignore. Peut-être la crise de terres rares n'a-t-elle pas été assez longue et profonde pour donner lieu à de réels changements.
M. Alain Liger. La mention de 1973 est intéressante. Cela n'a pas seulement débouché sur le programme électronucléaire, mais a aussi permis le développement d'une réflexion sur une possible crise d'approvisionnement en matières premières minérales. Il faut se remettre dans le contexte de l'époque : la France disposait alors d'une industrie de transformation métallurgique beaucoup plus importante qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cela a débouché sur une vraie politique métallique. Il a par exemple été question précédemment de l'inventaire minier, qui a duré quinze ans. A également été mis en oeuvre alors le Plan métaux qui, tout comme JOGMEC aujourd'hui au Japon, visait à financer et à assurer le risque d'opérateurs allant chercher des gisements à l'étranger. Cela a aussi donné lieu au développement d'une politique de formation, dénommée CESMAT. Les trois composantes de cette politique ont duré chacun entre dix et quinze ans.
M. Alain Geldron. La loi de transition énergétique pour la croissance verte dispose, dans le premier article de son titre 4 dédié à l'économie circulaire et au gaspillage alimentaire, d'un élément intéressant en termes de programmation. Cet article prévoit en effet que soit élaborée une stratégie nationale de transition vers l'économie circulaire, qui comporte une programmation des ressources nécessaires à l'économie, et notamment des ressources critiques. Il n'existe pour l'instant pas de calendrier arrêté par les pouvoirs publics, mais des réflexions de cadrage sont en cours. Cette programmation des ressources (incluant non seulement les ressources minérales, mais aussi la problématique des sols et de l'accès à l'eau) est probablement une fenêtre intéressante pour aboutir en quelque sorte à ce que M. Patrice Christmann appelait de ses voeux, à savoir une programmation sur les matières premières similaire à la stratégie que déploie l'Allemagne depuis plusieurs années déjà.
M. Michel Cathelineau. L'Allemagne a créé le Centre Helmholtz Freiberg, avec cinquante, puis cent, puis deux-cents personnes, et une réelle vision de la métallurgie. Ce sont ensuite les demandes des principaux constructeurs automobiles et de Siemens qui ont orienté une grande partie des projets, pour des montants de plusieurs millions d'euros, ce qui n'est absolument pas comparable avec les sommes injectées en France par les agences. Il s'agit d'un véritable choix effectué par les industries allemandes et les pouvoirs politiques. On peut se demander aujourd'hui si l'on ne se trouve pas dans une situation équivalente, qui justifierait la mise en oeuvre de programmes de la même ampleur.
Contrairement à ce qu'avançait M. Julienne, je ne crois pas que les chercheurs soient perdus. De très jolis programmes ont été générés dans le cadre de H2020 l'année dernière. Certes ils n'ont pas été financés, mais leur existence même démontre que l'on a les idées extrêmement claires sur ce qu'il faudrait faire pour développer par exemple l'exploration du tungstène en Europe de l'Ouest. Les programmes sont là. Le problème est de trouver les financements nécessaires.
Je souhaiterais enfin mentionner un point positif : en effet, une réunion doit se tenir au ministère dans une dizaine de jours au cours de laquelle nous allons chercher à fédérer l'ensemble des réseaux, notamment ERA-Min et le réseau dont le leader est le BRGM, le KIC Raw Materials , et l'ensemble des acteurs français des secteurs de l'industrie, de la formation et de la recherche. L'idée est de faire grossir le groupe miroir créé par Olivier Vidal côté ERA-Min, justement pour réfléchir à une stratégie. Cela ne signifie pas pour autant que le mouvement sera accompagné par des financements. La démarche devrait au moins permettre de disposer, à partir de cette année, d'un club qui fasse se côtoyer l'ensemble des acteurs français.
M. Patrick Hetzel. Nous allons, si vous le permettez, avancer dans les interventions inscrites au programme de cette table ronde, en faisant une petite entorse au déroulé initialement prévu ; je pense en effet que, dans la mesure où nous venons d'aborder les questions de recherche et de formation, il serait particulièrement intéressant que M. Michel Jebrak puisse s'exprimer à ce moment-ci du débat. Nous poursuivrons avec l'intervention de M. Roland Masse pour la partie consacrée aux potentiels toxiques.
M. Michel Jebrak, professeur au département des sciences de la Terre et de l'atmosphère, université du Québec à Montréal. La formation des personnels, l'éducation à la mine, constituent bien plus qu'un dossier technique dans le développement minier. Les ressources minières ne sont pas renouvelables, mais peuvent être durables si l'on transforme la capital naturel, le minerai, en un capital économique et social. C'est ce qu'ont fait les mines depuis la nuit des temps, depuis la fortune des Borgia jusqu'au développement de l'Ouest américain. La Cité du design, à Saint-Étienne, est directement la fille des houillères.
Il est donc essentiel que l'après-mine ne se résume pas à la gestion des résidus et de la pollution, mais s'inscrive dans une perspective de développement de longue durée, notamment par la formation des hommes et des femmes sur leur territoire.
Permettez-moi de vous présenter un exemple dans lequel je suis impliqué. Il s'agit du plus gros projet minier en France actuellement, intitulé Montagne d'or, situé en Guyane et développé par la compagnie canadienne Columbus et la société russe Norgold. Cette mine doit produire à partir de 2020. D'ici là, il faudra investir près de 500 millions d'euros, construire une route, peut-être un port, apporter l'énergie et édifier une base vie de trois cent-cinquante personnes en pleine forêt amazonienne. La durée prévue d'exploitation de la mine est de treize ans, ce qui est relativement court. On peut toutefois espérer des extensions de gisement et développer un district tout autour du site initial, afin de prolonger l'exploitation par la valorisation du district minier. Mais les échéances sont rapides : il faut donc penser dès à présent à développer les ressources humaines, qui perdureront au-delà du projet minier.
Quels sont les besoins actuels du développement minier en Guyane ? Je citerai trois enjeux majeurs, en insistant tout particulièrement sur les besoins en recherche et en formation.
Le premier enjeu concerne la formation des opérateurs miniers : conducteurs d'engins, de camions. La production d'une mine s'appuie d'abord sur ces personnels. Lorsque l'on observe la population minière, on constate qu'elle se compose en premier lieu de ce personnel-là. Montagne d'or devrait faire travailler plus de trois cents opérateurs, qu'il va falloir former dans les prochaines années. Or il faut savoir qu'il n'existe pas de formation de ce type en Guyane, où personne ne sait, par exemple, faire de l'hydraulique mécanique.
Columbus souhaite que le projet minier puisse servir à la réinsertion sociale des jeunes dans l'ouest du territoire guyanais, en travaillant par exemple avec le régiment du service militaire adapté (le RSMA), basé à Saint-Laurent-du-Maroni, sur le modèle de ce qui se fait actuellement en Nouvelle-Calédonie, où des jeunes, souvent illettrés, peuvent se réinsérer d'abord grâce à la rigueur du RSMA, puis dans un centre de formation aux techniques de la mine et des carrières. Un tel centre n'existe pas en Guyane, département où les opérateurs miniers sont actuellement des PME et non des entreprises mondialisées de la taille de Glencore, Vale ou Eramet.
De plus, la formation des opérateurs d'engins a connu de grands progrès au cours de ces dernières années. On peut utiliser aujourd'hui des simulateurs miniers, à la manière de ce qui existe par exemple dans l'aéronautique. Cela est à la fois efficace et ludique. Nous disposons en France des briques suffisantes pour développer le domaine. On utilise par exemple des outils de simulation développés chez Dassault ou à l'école de géologie de Nancy, des simulateurs de camions et de pelles, conçus chez Acreos, près de Metz. Il serait ainsi envisageable de coordonner une action visant à développer de tels simulateurs d'enseignement minier en France. Le projet Montagne d'or serait une belle occasion pour créer une école de ce type en Guyane, contribuer au retour social de la mine, utiliser le virtuel pour mieux travailler le réel.
Le second enjeu concerne la formation des professionnels dans le domaine des ressources. La France forme d'excellents géologues. J'en veux pour preuve le fait que le Canada a réussi à combler son déficit en géologues grâce aux excellentes formations offertes par la France. Ceci dit, le système est un peu moins efficace pour ce qui est des techniciens. Il existe actuellement une seule formation de niveau BTS, au lycée Loritz, en collaboration avec l'école de géologie de Nancy. La formation y est excellente, peu connue et mériterait sérieusement d'être mise à jour. Or cela est plus difficile dans la mesure où l'on se situe dans l'enseignement secondaire. Le problème réside aussi dans le fait que ces formations doivent être déployées là où on en a besoin, notamment en Outremer. Nous tentons actuellement de développer une licence professionnelle dans la nouvelle université de Guyane. Ceci vise à répondre à un besoin urgent, reconnu par toute l'industrie. La difficulté est qu'il nous faut pour cela partir de zéro ; aussi, une action concertée serait-elle la bienvenue. Nous aurions probablement besoin de la collaboration des universités et organismes français de métropole.
Le troisième enjeu est lié à la recherche. Les défis sont multiples. Il s'agit tout d'abord de défis géologiques. En effet, le potentiel minier de la Guyane, évalué par l'inventaire il y a plus de vingt-cinq ans, dans un contexte bien différent d'aujourd'hui, est totalement à revoir. La Guyane est ainsi moins bien connue que certains pays à équivalents géologiques en Afrique de l'Ouest.
Les défis sont également technologiques, puisque les méthodes d'exploration et de production ont fait des progrès significatifs. On utilise aujourd'hui des techniques beaucoup moins intrusives, plus miniaturisées et efficaces qu'auparavant. On voit poindre par ailleurs des innovations de rupture : on arrive par exemple à faire des forages dix fois plus vite qu'il y a dix ans. On ausculte le sous-sol et l'on dispose d'une simulation des milieux géologiques et environnementaux. On peut effectuer un suivi en temps réel de l'exploration par le biais de capteurs. Les anciennes méthodes de séparation des métaux ont été remplacées par de l'hydrométallurgie, voire par le lessivage in situ , comme le pratique Areva au Kazakhstan pour l'uranium. On passe ainsi progressivement d'une chimie ou d'une pyrométallurgie intensives à de la chimie, voire à des biotechnologies appliquées à la mine, au traitement des minerais et à celui des effluents.
Les défis humains sont aussi importants. Une mine doit être acceptée par sa communauté. Comment procéder ? Où se situent les rôles respectifs de l'État et des entreprises ? Ceci est actuellement très mal défini et correspond à un équilibre entre chacun des pays. Il faut donc mieux intégrer les ressources humaines au développement minier. Le CNRS a lancé une première action voici trois ans. Il importe de la prolonger par un programme spécifique.
De mon point de vue, les compétences de l'État sont certainement à reconstituer actuellement en France, à plusieurs niveaux, notamment au BRGM et sur le terrain. Les autorités de tutelle doivent disposer d'une vision plus large et interdisciplinaire des enjeux miniers. Je plaide donc pour le renouvellement d'écoles des mines du XXI e siècle, mieux intégrées, capables de suivre tout le cycle des ressources minérales et leur impact sur la société.
M. Roland Masse, toxicologue, membre de l'Académie des technologies et de l'Académie de médecine. Comme je l'ai signalé lors de la précédente table ronde, la contribution de la recherche à la connaissance des effets toxiques à long terme en ce qui concerne les terres rares et les métaux stratégiques d'une manière générale est, en France, peu apparente. Si l'on exclut le plomb, qui est l'objet de certaines réponses à des appels d'offres de l'ANR, rien n'apparaît dans ce domaine dans les publications scientifiques françaises.
Cela traduit un phénomène extrêmement dommageable, qui est la faiblesse de la toxicologie en France. Tous les dix ou quinze ans, il en est fait l'évaluation et l'on reconnaît immanquablement cette faiblesse. Il faut savoir que la toxicologie est peu enseignée dans notre pays : elle l'est seulement dans les UFR de pharmacie, dans les écoles vétérinaires, dans quelques facultés des sciences. Elle fait l'objet d'un enseignement spécifique au CNAM, mais ne participe pas à l'enseignement de base des étudiants en médecine. Il n'existe en outre, à ma connaissance, qu'un seul master de recherche en toxicologie environnement santé, celui des universités Diderot, Descartes et Créteil, qui rassemble des équipes extrêmement performantes, de très haute qualité. Ainsi, si la recherche en toxicologie est faible en elle-même, les équipes sont souvent proches de l'excellence. Cette situation rend les choses relativement difficiles.
Le dernier bilan global, que j'avais réalisé voici une dizaine d'années, montre que sur cinq cent-cinquante toxicologues répertoriés en France, trois cent-cinquante travaillaient dans le privé, essentiellement dans le secteur du médicament, et deux cents dans les organismes de recherche et d'enseignement supérieur.
Il existe toutefois un potentiel beaucoup plus important, en faisant appel, d'une part, aux centres de référence qui existent, constitués par les agences comme l'InVS, l'INRS, l'INERIS et l'IRSN, qui disposent d'un rôle d'expertise, mais aussi de formation par la recherche et, d'autre part, aux unités n'étant pas nécessairement identifiées comme centres de toxicologie (hormis pour une dizaine d'entre elles, localisées à l'Inserm, au CNRS, au CEA, à l'INRA ou à l'université), mais qui, par la spécificité qu'elles ont acquise, dans les connaissances des mécanismes moléculaires, cellulaires, au niveau du génome, du transcriptome ou de l'influence de l'environnement sur le fonctionnement du génome, disposent de compétences qui peuvent être recrutées et que l'on voit apparaître de temps en temps dans le cadre de réponses à des appels d'offres spécifiques, sur les perturbateurs endocriniens par exemple.
Tout cela compose un ensemble assez hétérogène et difficile à fédérer.
Des efforts ont toutefois été effectués dans ce sens. Les dernières recommandations formulées par l'Académie des sciences invitaient à fédérer ces différentes instances sous forme d'un réseau, de manière à disposer d'une masse critique satisfaisante. INERIS, de son côté, a, en créant le réseau Antiope, réussi à créer une instance de dialogue qui permet des échanges de techniques, de matériels. Mais cela est vraisemblablement insuffisant par rapport à la demande que constituent spécifiquement les effets à long terme.
Outre la solution d'un appel d'offres dédié, que j'évoquais ce matin, je pense qu'il faudrait faire preuve d'imagination pour trouver le moyen de fédérer l'ensemble de ces équipes autour d'un programme relatif aux effets à long terme des agents toxiques dans l'environnement, et notamment des métaux. Cela pourrait peut-être se faire sous la forme d'une plateforme entièrement dédiée à la toxicologie environnementale.
Il est désormais possible, avec les techniques nouvelles, d'obtenir des screenings à haut débit permettant d'évaluer la toxicité cellulaire, génétique, les effets du stress oxydant, la neurotoxicité. Or celles-ci se trouvent réparties dans différentes unités et sont peu accessibles à l'ensemble des chercheurs qui en auraient besoin. L'INERIS pourrait par exemple devenir cet endroit dédié, puisqu'il a vocation à faire de la toxicologie environnementale. Une autre solution consisterait à localiser cet espace au CEA, où il existe une excellente pratique de la gestion des plateformes. Le CEA, par le mécanisme de son financement spécifique, permet en effet l'élaboration de telles structures pérennes, le tout étant de maintenir l'activité sur place, avec des crédits suffisants et la volonté d'en assurer le maintien et la progression, dans la durée et non pas seulement de façon ponctuelle, dans le cadre d'appels d'offres.
Voici en quelques mots la proposition que je souhaitais vous soumettre, afin de tenter de sortir de l'impasse actuelle.
M. Yann Gunzburger, maître de conférence, université de Lorraine, chaire Mines et sociétés. Je ne peux que souscrire au constat effectué précédemment. Je précise que je m'exprime ici non pas à titre personnel, mais au nom de la chaire Mines et sociétés, initiative commune des écoles des mines de Nancy, Paris, Alès et de l'école de géologie de Nancy.
L'approvisionnement de la France en matières premières stratégiques est confronté à nos yeux à deux défis majeurs, déjà en partie évoqués.
Le premier est celui de la formation. Il est évident que les formations doivent s'adapter en partie à la cyclicité du cours des matières premières ; mais leur flexibilité n'est pas sans limite. Sans un effort de lissage, par le biais par exemple de propositions de stages et pas seulement d'emplois, elles risquent de disparaître au moindre creux, entraînant avec elles toute l'expertise de capacité de formation sous-jacente. Le problème va donc bien au-delà de la seule diminution du nombre d'étudiants. Or des besoins existent, significatifs en France et immenses dans beaucoup de pays francophiles, où se trouve d'ailleurs une partie des solutions à nos problèmes d'approvisionnement. Cela dépasse donc très largement les enjeux d'enseignement : il s'agit véritablement d'un enjeu de politique étrangère de la France.
Le second défi est celui de l'intégration des projets miniers dans leur territoire. Ces projets, et l'industrie extractive en général, font face, en France et dans de nombreux endroits à travers le monde, à une contestation croissante. La concertation doit donc être favorisée, pour améliorer les projets miniers et les rendre acceptables. Cela ne va toutefois pas de soi.
Pour répondre à ces deux enjeux, la chaire Mines et sociétés poursuit un double objectif. Nous souhaitons d'une part renforcer et fédérer les formations existantes, du moins ce qu'il en reste, qu'il s'agisse de formations initiales, continues ou de formations des formateurs. Je précise à ce sujet que nous menons en ce moment de l'ingénierie pédagogique pour le Maroc, le Gabon, la Guinée et le Congo, pour ne citer que quelques exemples. Nous avons plus de trente ans d'expérience dans ce secteur, sous l'égide du CESMAT (Centre d'études supérieures des matières premières minérales), qui a été à l'origine d'un vaste réseau avec les pays producteurs. Or il faut savoir que les dotations du CESMAT ont été brutalement réduites à zéro il y a trois ans.
Nous souhaitons d'autre part développer un corpus méthodologique permettant d'améliorer les modalités de concertation, afin de concevoir des exploitations minières mieux intégrées dans leur territoire. Nous nous appuyons pour cela sur une recherche pluridisciplinaire, basée non seulement sur les techniques minières mais aussi sur les sciences économiques et sociales. Ceci explique notamment que le Centre de sociologie de l'innovation de l'école des mines de Paris fasse partie intégrante de la chaire Mines et sociétés. Les partenaires contactés à ce jour pour participer à ce projet de chaire sont les industriels du secteur et leurs syndicats professionnels, les pouvoirs publics, mais aussi des ONG, avec des retours très positifs.
En conclusion, le secteur académique des ressources minérales est fragile, mais porteur de nombreux projets et de beaucoup d'enthousiasme, que seul un soutien appuyé des industriels et des pouvoirs publics mettra en capacité de répondre aux besoins stratégiques actuels.
M. Éric Marcoux, professeur à l'université d'Orléans. Je vais vous présenter brièvement l'initiative EGERM, acronyme de « Exploration et géomatique des ressources minérales ». Nous formons dans ce cadre des géologues de mines et de carrières, dont nous avons élargi les compétences afin d'accroître les possibilités d'embauche. Il s'agit d'une formation de niveau master 2, c'est-à-dire bac+5.
L'université d'Orléans a toujours formé des géologues en ressources minérales. Il est évident que la proximité du BRGM n'y est pas étrangère. Nous travaillons d'ailleurs toujours en symbiose avec eux, notamment à travers l'ENAG (École nationale d'application des géosciences) et d'autres formations.
Nous avons toutefois décidé, en 2001, de changer d'échelle et, mis sur pieds, avec la complicité de Michel Jebrak, une formation internationale entre Orléans et le Québec.
Je ne vais pas vous détailler ici l'enseignement dispensé dans ce cadre. Sachez simplement que les étudiants sont physiquement présents quatre mois au Québec, ce qui leur permet de visiter des mines et d'appréhender la réalité d'un vrai pays minier, ainsi que les termes de l'industrie minière en grandeur nature. Nous en sommes actuellement à quatorze promotions, ce qui représente cent-cinquante-quatre diplômés. La quinzième promotion est en cours de formation et sortira dans quelques mois.
Quels sont les débouchés ? Les étudiants que nous formons sont des géologues, compétents dans ce domaine depuis le stade de l'exploration jusqu'à celui de la réhabilitation. Ils maîtrisent notamment la géomatique, c'est-à-dire l'informatique appliquée aux géosciences : modélisation 3D, spatialisation des données, géostatistiques, autant d'outils indispensables dans la mine d'aujourd'hui.
Il convient, en termes d'embauche, de distinguer deux périodes : entre 2002, date de sortie de la première promotion, et 2009, nous étions à 94 % d'embauchés dans le domaine des ressources minérales, dont environ 20 % d'étudiants qui retournaient au Québec pour participer aux travaux dans des compagnies minières. De 2010 à 2014, nous avons connu une chute en termes de recrutement, comme tout le monde dans ce secteur. Nous sommes maintenant à 81 % environ d'embauchés. Les statistiques de suivi montrent que 49 % de nos étudiants travaillent dans des sociétés minières (dont 12 % chez Areva, 7 % à la SLN (filiale d'Eramet), 2 % à Variscan Mines), 15 % dans les minéraux industriels de construction (dont 8 % chez IMERYS, 5 % chez CEMEX, 2 % chez Lafarge, 2 % chez Eurovia), 8 % à des postes de géologues géotechniciens environnementaliste. 12 % environ des étudiants poursuivent leur formation en doctorat. Peu d'entre eux se retrouvent donc sans emploi.
Nous ne sommes pas la seule formation en ressources minérales en France à former des géologues. Nous avons toutefois la faiblesse de penser que le parcours que nous proposons est particulièrement bien adapté aux demandes de l'industrie minérale aujourd'hui, mines et carrières confondues.
Il est évident qu'une multiplication des projets miniers et des sociétés minières en France permettrait à nos étudiants de trouver plus facilement du travail. Notre message à l'attention des compagnies minières est qu'un vivier de compétences en géologie existe bel et bien dans notre pays et que nos étudiants sont prêts à devenir cadres dans leurs entreprises.
M. Thierry Meilland-Rey, directeur carrières cimentières, Vicat et DGD Satma. Alors que 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire français sans formation, certaines entreprises cherchent à recruter, sans succès.
Je m'exprime ici non seulement au nom des ciments Vicat, mais aussi de la SIM. Cette société savante de l'industrie minérale, fondée en 1857, s'est posé la question, en 2000, de la capacité de formation en France. Hélas, tous les partenaires réunis dans le cadre de cette réflexion (administrations, professionnels de l'exploitation, géologues, bureaux d'études, etc .) n'ont pu que constater un réel déficit de formation et de technicité.
Cette situation affecte les exploitants, le secteur de la prospection, les bureaux d'études, mais aussi l'administration centrale et locale. Comment imaginer par exemple des inspecteurs des installations classées venant visiter des exploitations minières ou des carrières sans disposer des connaissances techniques suffisantes pour être en mesure d'apprécier les risques ?
Nous nous réjouissons donc du développement, depuis quelques mois, du projet de chaire Mines et sociétés, qui rassemble différentes écoles de haut niveau susceptibles de s'associer pour dispenser l'ensemble des chapitres nécessaires à la formation de professionnels de très bonne qualité.
Pour l'heure, le malaise touche l'ensemble des strates de l'exploitation, depuis l'exploration jusqu'à la gestion proprement dite. Ceci concerne notamment les techniciens et opérateurs. Or sans opérateur, la mine n'existe pas. On ne dénombre actuellement en France que deux écoles de géologie spécialisées dans la prospection, l'une basée à Nancy, l'autre à Montalieu, près de Lyon. Ces formations doivent générer quarante à cinquante étudiants prospecteurs chaque année.
Il n'existe, en outre, plus aucune école d'exploitation en France depuis fort longtemps. On en retrouve quelques balbutiements à l'école des mines d'Alès, avec les formations diplômantes par alternance BADGE. Dernièrement, une formation de niveau licence, qui permet à des bacheliers de se former en deux ou trois ans à ses métiers, a été créée à l'INSA de Lyon, par l'Association française des tunnels et de l'espace souterrain (AFTES), qui rencontre les mêmes difficultés que nous à recruter.
Des projets sont également en cours, gérés par l'ANDRA et la Région Est, sur le puits de Bure : il s'agirait de développer une école de formation d'opérateurs et de maîtrise.
L'entreprise Vicat elle-même, qui ne trouve plus d'école pour former ses personnels, a également un projet similaire sur sa mine de l'Hérault. Faute de mieux, nous allons essayer de développer des compétences en interne, avec la collaboration d'écoles et de bureaux d'études spécialisés dans ce domaine.
Que serait-on sans les opérateurs ? Qui creusera les ouvrages du Grand Paris ou sous les Alpes, autant de travaux présentant de grandes similitudes avec ceux à l'oeuvre dans les mines ? Qui exploitera les mines issues des projets à l'étude dans l'ouest et le sud de la France, s'il n'existe plus d'école formant opérateurs et techniciens ?
M. Alain Rollat, Rare Earth upstream projects Manager, Solvay. Les compétences nécessaires à un groupe chimique comme Solvay sont essentiellement de deux types.
Il s'agit d'une part de compétences très transversales à ce genre d'activité (ingénieurs en génie chimique, techniciens de laboratoire), pour lesquelles nous ne rencontrons pas véritablement de difficultés de recrutement. S'ajoute à cela l'existence d'une mobilité importante à l'intérieur du groupe.
Nous avons, par ailleurs, besoin de compétences beaucoup plus pointues, dans le cadre des projets de recherche. Ceci concerne des titulaires de doctorats universitaires, des ingénieurs ayant donc une formation très liée au type de recherche qu'ils vont mener.
Dans le secteur des terres rares, on compte ainsi deux domaines très différents. Le premier est relatif aux applications. C'est là que Rhodia, puis Solvay, ont fait essentiellement porter leur effort depuis une quinzaine d'années. Nous ne connaissons dans ce segment pas réellement de problèmes de recrutement. Nous disposons de laboratoires d'excellence, dans lesquels sont réalisées des thèses, aussi bien en catalyse qu'en électronique. Nous parvenons donc à former sans trop de difficultés des professionnels susceptibles de répondre à nos besoins.
Le second volet est celui de l'hydrométallurgie, domaine dans lequel Rhodia s'était beaucoup désinvesti au début des années 2000, avant d'avoir besoin, à partir de 2010-2012, de nouveaux recrutements, lors notamment de la mise en place de l'unité de recyclage. Or je ne vous cache pas que cela est difficile. Entre l'époque, lointaine, où j'ai fait ma thèse et au cours de laquelle plusieurs laboratoires menaient des travaux dans ce domaine, et aujourd'hui, la situation a fondamentalement changé.
Heureusement que le CEA existe. Le CEA est en effet un pôle d'excellence, notamment en hydrométallurgie. Je ne pense pas qu'il faille nécessairement regrouper tous les éléments de compétences en un seul institut. Pour autant, nous devons selon moi nous appuyer sur cette spécificité de la France qui, quand on la compare à la plupart des autres pays développés hors Chine, constitue un vrai pouvoir, sur lequel nous avons conservé malgré tout une compétence peu présente ailleurs en Europe.
M. Maurice Leroy . Je souhaiterais revenir sur l'intervention de Roland Masse, qui me paraît extrêmement importante.
En 1998, j'étais directeur scientifique pour la chimie et l'interface chimie - biologie auprès du Haut-commissaire à l'énergie atomique. Avec Pierre Douzou, j'ai lancé un ensemble de recherches pluridisciplinaires, qui ont débouché en 2000 sur la création du programme de toxicologie nucléaire et environnementale, partagé notamment entre le CEA, le CNRS, l'INRA et l'INERIS. Ce programme a fonctionné pendant trois ou quatre ans. À l'issue de cette période, cette association a disparu, faute de crédits. Entre temps, a été créé au sein du CEA, à Marcoule, un service de biologie et de toxicologie nucléaire, qui a été fermé voici trois ans maintenant, par manque de crédits également.
Je précise que la toxicologie nucléaire et environnementale concerne les métaux, essentiellement radioactifs. Certains laboratoires travaillaient en outre sur les métaux non radioactifs et apportaient alors toute la connaissance nécessaire pour le transfert des métaux en milieu biologique. Il reste ensuite à comprendre les conséquences, à déterminer la nature des impacts éventuels. Si certains centres en France ont fort heureusement été conservés et disposent d'une expertise dans ce domaine (notamment ceux de Pau ou de Strasbourg, qui sont capables de faire de la spéciation, ou à Ifremer qui excelle également dans ce domaine), ils ne sont pas en réseau. Il n'existe aucune volonté d'affirmation de la toxicologie métallique comme étant une discipline extrêmement importante. Tant que ce message ne passera pas, la situation n'évoluera pas.
À l'époque où nous avions constitué ce programme de recherche, nous bénéficiions du soutien d'Areva, d'EDF, etc . Nous étions ainsi parvenus à réunir des montants permettant de soutenir un certain nombre de travaux de recherche.
Aujourd'hui, il faudrait engager des sommes considérables, d'une part pour que ce type de projet soit crédible, d'autre part pour que ce réseau puisse véritablement se constituer.
J'appuie donc totalement les propos de M. Roland Masse concernant la nécessité d'un message industriel et politique indiquant que la connaissance de la toxicologie est vraiment essentielle.
Mme Anne-Yvonne Le Dain, députée. Je constate que le débat passe peu à peu d'un échange sur les terres rares à une discussion sur la place de la géologie dans l'économie du XXI e siècle.
L'expression « terres rares » est avant tout un terme géologique. Ce n'est une formule ni politique, ni médiatique. J'y reviendrai.
J'aimerais tout d'abord intervenir dans le débat concernant la question de la formation, pour souligner que, dans ce domaine spécifique de la géologie et des terres rares, tout le monde est coupable.
Je me souviens très bien que, dans les années 1980-1990, il était couramment admis soit que cela n'était pas utile, soit qu'il ne s'agissait que de cailloux encombrants. Personne ne souhaitait de gravières, ni de carrières chez soi. On ne faisait que les réhabiliter, dans le meilleur des cas. Quant aux métaux et minéraux, on considérait volontiers que les immenses réserves potentielles des grands cratons américains, africains, chinois ou russes, y pourvoiraient, et ce d'autant plus qu'il s'agissait de pays pauvres et que les cours étaient bas. Au cours de ces décennies, le caillou n'était pas tendance et le minéral forcément sale, puisqu'il fallait l'extraire et utiliser de la chimie pour le produire. Tout cela avait donc vocation à être produit ailleurs, par des pauvres, tandis que nous nous consacrerions à des activités plus intelligentes, davantage ancrées dans l'économie du XXI e siècle. J'ai conscience de la violence de mes propos, qui résument une position que j'ai souvent entendue exprimer au cours des années 1990 et 2000.
Nous payons tout ceci aujourd'hui. La France a vendu, généralement à bas prix, ses pépites, et notamment la propriété d'un certain nombre d'usines, dans le monde entier, ne conservant que quelques biens dans le domaine de l'uranium. Tout cela était alors justifié par de très nombreuses « bonnes raisons », d'ailleurs fort peu discutées dans les médias, qui se désintéressaient de ce sujet. La tendance était à l'informatique et à la biologie. La chimie et la géologie n'avaient pas la cote.
Nous en sommes à ce stade de notre histoire. Il faut aujourd'hui que les politiques, et au-delà la société dans son ensemble, s'interrogent sur la manière dont ils construisent l'avenir à vingt ans, oubliant par là-même l'avenir à court terme.
Nous avons toujours eu besoin, pour construire nos routes, nos autoroutes, nos ponts, nos voies ferrées, de graviers, de pierre et de calcaire. Il me semble pourtant qu'il n'existe plus de gravière exploitée en Ile-de-France ; il faut dorénavant faire venir les graviers d'au moins 150 kilomètres, ce qui représente un coût élevé. Fort heureusement, l'institution a tout de même travaillé correctement, puisque nous disposons de ports de pondéreux en plein Paris.
Mais il n'existe pas que le bassin parisien ; il faut considérer la France dans son ensemble. De nombreux territoires disposent de ressources que l'on ne sait plus trouver ni exploiter.
Les compétences des géologues français sont en outre reconnues dans le monde entier. Mais l'arrêt de la formation de jeunes au niveau BTS, IUT ou master 1 est due au manque de perspectives sur le territoire national. Finalement, il apparaissait moins coûteux de recourir à des professionnels formés en Russie, en Chine, en Inde ou au Brésil.
Nous payons aujourd'hui ce choix, cette défaillance collective, qui n'est pas que politique, mais relève plus largement de l'institution.
Je suis, pardonnez-moi, un peu surprise d'entendre qu'il faudrait reconstituer ce tissu de formation autour des écoles des mines. Lorsque l'école d'Alès a créé, voici presque vingt ans, une filière autour des matériaux de grande diffusion, elle s'est heurtée à un mur. Cette filière s'est créée malgré l'institution. Il existe de même à Montpellier un petit cluster , nommé « Terr'Innov », regroupant des scientifiques de l'université et du CNRS, qui tentent vaille que vaille, avec les gravières et les carriers de notre région, de mener à bien leurs travaux. Lorsque ce cluster a été créé, nous nous sommes heurtés de toute part à une absence d'intérêt, qui a engendré des difficultés lorsqu'il s'est agi de réunir les fonds nécessaires. Nous n'avons en outre bénéficié d'aucun relais au niveau national, ni de la part du ministère de l'industrie, ni de celui de la recherche ; tout cela au motif qu'une mine, une carrière, une gravière abiment le paysage ou génèrent des nuisances sonores.
Il me semble important d'évoquer ces aspects dans une réunion comme celle-ci. Ne nous voilons pas la face sur les difficultés du système.
Plusieurs universités ont réussi à maintenir des compétences, à Nancy, à Montpellier, à Grenoble. Appuyons-nous sur ces expériences-là, qui ont le mérite d'exister, malgré les réticences auxquelles elles se sont heurtées à une époque où ce sujet n'était pas d'actualité. Ne les oublions pas à l'heure où il devient majeur.
Je crois que nous avons, en matière de minerais, de mines, de carrières, de gravières, raté beaucoup de choses.
Je remercie mes deux collègues de nous avoir permis, par l'intermédiaire de cette réflexion sur les terres rares (qui ne le sont d'ailleurs pas autant dans le monde que leur nom le laisse supposer), d'aborder ces problématiques essentielles et stratégiques.
Nous disposons de compétences, qui ont été conservées dans les laboratoires de biologie et de chimie. Il faut s'appuyer sur ce socle. Il n'est pas nécessaire de repartir de zéro.
Il s'agit d'un chantier considérable, qui doit concerner l'ensemble du territoire. Je reste confiante.
M. Laurent Corbier. Je souhaite simplement apporter un témoignage d'industriel à Messieurs Masse et Leroy, en espérant que cela puisse les rassurer quelque peu. Je croise tous les jours un toxicologue, dont le bureau se situe près du mien. Tout cela pour dire que les entreprises, qui sont confrontées notamment aux exigences du programme REACH , ont l'obligation d'avoir des connaissances en toxicologie. La personne en question, qui donne parfois l'impression de parler une langue étrangère, anime entre autres des sessions d'information en interne, afin de distiller une formation de base permettant à l'ensemble des acteurs concernés de comprendre les principaux mécanismes en jeu. Cela est très important.
Il s'est produit, de mon point de vue, un déport de cette discipline vers des associations propres à un métal (les « Commodity Associations »), qui se sont constituées en consortium pour les besoins de REACH et ont ainsi conservé et développé des compétences en toxicologie. Je connais par exemple l'équipe qui s'occupe plus particulièrement du nickel : il s'agit d'une association internationale, malheureusement basée à l'étranger, qui s'attache à répondre aux questions posées par l'Europe notamment. Le contexte européen de REACH, dont des versions voisines sont en train de voir le jour dans d'autres régions du monde comme la Corée, implique de conserver cette discipline. Je pense également à tout ce qui concerne les valeurs limites d'exposition, pour lesquelles il convient d'envisager des scénarios. Tout ceci ne pourra se faire sans l'apport des toxicologues.
M. Didier Julienne. Je n'ai pas très bien saisi le reproche que Mme Le Dain adressait à la démarche de centralisation autour des écoles des mines. Il y a beaucoup d'autres formations.
Contrairement à ce qui a été vous affirmé, le sous-sol français n'est pas bien connu, surtout au-dessous des 100 mètres, en dehors des grandes zones déjà explorées ou exploitées. Nous avons fortement besoin d'exploration en France. Pour ce faire, il faut des crédits. Les sociétés exploratrices éprouvent des difficultés à trouver l'argent nécessaire, parce que ce métier n'est pas reconnu comme étant d'importance en France. Les métiers des matières premières ont été désinvestis depuis quarante ans dans notre pays. Je l'ai vécu à titre personnel, comme d'autres certainement autour de cette table.
M. Olivier Vidal. Je souhaiterais tout d'abord, en tant que géologue, remercier Mme Le Dain pour ce beau plaidoyer. Je ne peux que souscrire globalement à son propos, même si certains détails pourraient sans doute être discutés.
Mon intervention concerne plus particulièrement le maintien des compétences. Ceci est très difficile pour un chercheur académique, en l'absence des fonds nécessaires lui permettant de mener ses travaux et notamment de publier. Notre évaluation en termes de carrière se fait à partir de nos publications. Si l'on ne parvient pas à publier sur un sujet, parce que celui-ci n'est pas à la mode ou qu'il n'existe pas de crédits suffisants pour mener les travaux, alors ce sujet disparaît de lui-même.
Se pose en outre un problème de temps de réactivité. Lorsqu'une compétence est perdue, il est très long de « réamorcer le pompe ». Il faut notamment embaucher de nouvelles personnes, ce qui n'est pas simple. Cette année par exemple, quatre postes de professeurs sont ouverts sur des thématiques de ressources minérales en France, ce qui est du jamais vu depuis plusieurs décennies. Or cela tombe au mauvais moment, alors que les cours des matières premières sont au plus bas. Cet effet de yoyo est constant. La création de ces postes a en effet été actée en 2011, lorsque les cours étaient à leur plus haut niveau. Ce décalage est permanent et le manque de stabilité permet difficilement de maintenir les compétences.
Concernant la question de la toxicité, je partage tout à fait les analyses de Messieurs Masse et Leroy. J'irais même plus loin : je pense que cette thématique n'intéresse pas seulement des chimistes, des biologistes ou des médecins, mais aussi des physiciens. Dans mon laboratoire, des minéralogistes, des géochimistes et des physiciens travaillent ainsi sur des problèmes de spéciation, en utilisant un rayonnement synchrotron, par l'intermédiaire du très bel outil national dont nous disposons à Grenoble. Ils collaborent également régulièrement avec des médecins. La spéciation permet de solubiliser ou non certains éléments, donc de les transporter. Ces phénomènes existent dans la nature et permettent notamment d'expliquer la formation des gisements. Ce type d'approches transverses, qui accueillent des compétences très différentes, est nécessaire dans ce domaine. Ceci requiert l'existence d'un projet phare, susceptible de drainer ces compétences et de donner envie à ces professionnels de valoriser leur savoir-faire autour d'une thématique commune.
M. Patrick Hetzel. C'est précisément à des démarches de ce type auxquelles M. Christmann faisait référence précédemment, lorsqu'il évoquait l'exemple allemand. Nous avons également pu constater une approche similaire dans le cadre de JOGMEC. Ceci renvoie notamment à l'articulation à prévoir entre recherche et entreprises, afin que cela débouche sur de l'innovation.
M. Jack Testard, président, Variscan Mines. Je suis géologue de formation et gère des équipes sur le terrain. Les travaux menés dans le domaine de la toxicologie nous sont très utiles. Un élément nous fait toutefois encore défaut : comment mettre en oeuvre des techniques visant par exemple à éviter que tout mon personnel ne tombe malade ? Cela m'intéresse beaucoup. Qui s'occupe, en France, de cette recherche appliquée, qui s'inscrit dans le prolongement de vos travaux ? Je me suis par exemple fait attaquer, lors de la première table ronde, sur le sujet de l'amiante. On me dit que la phase minérale est dangereuse ; or seul le bannissement m'est aujourd'hui proposé, alors qu'il existe sûrement d'autres solutions à mettre en oeuvre.
Ma deuxième observation concerne le cours extrêmement bas des matières premières. Il semblerait que le moment soit mal choisi pour investir. Je ne le crois pas : c'est au contraire le bon moment pour investir. Ce n'est pas lorsque le cours des matières premières aura remonté qu'il faudra se mettre à former pendant cinq ans des gens qui seront opérationnels précisément au moment où les cours seront peut-être repartis à la baisse. Il faut agir maintenant, faute de quoi nous serons toujours à contre temps. Or ceci nécessite un soutien de la collectivité.
M. Roland Masse. Concernant votre première question, l'organisme susceptible de vous éclairer sur ces aspects est l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS), dont les équipes vous indiqueront les connaissances dont elles disposent... à condition qu'elles en aient. En effet, si les effets toxiques et les conséquences à long terme liés au nickel par exemple sont relativement bien documentés, il n'en va malheureusement pas de même pour les terres rares et sur un certain nombre de métaux.
M. Yann Gunzburger. Si j'ai pu laisser croire que le projet évoqué dans mon intervention était piloté et centralisé par Paris avec des annexes en province, alors c'est que mon propos n'était pas clair. L'école des mines dont je fais partie est rattachée à l'université de Lorraine et fait partie du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche. Cette initiative inclut également l'école des mines d'Alès, qui contribue, avec l'université de Montpellier, au cluster Terr'Innov auquel vous avez fait allusion. Je signale en outre que le modèle des écoles des mines a un certain succès en Afrique.
Il a souvent, lors de ces débats, été question de géologie, et jamais de génie minier qui, contrairement à la géologie, est malheureusement très peu enseigné à l'université. Or cette discipline est pourtant tout à fait nécessaire. Une fois que les cibles minérales auront été identifiées, il faudra bien, en effet, être en mesure de les exploiter. M. Meilland-Rey évoquait précédemment les projets du groupe Vicat : or ces derniers sont suffisamment avancés pour que des questions d'exploitations se posent éventuellement déjà.
Mme Anne-Yvonne Le Dain a, par ailleurs, évoqué le fait que les réticences à l'égard des carrières étaient notamment liées au bruit et à la poussière qu'elles génèrent. La question de l'acceptabilité sociale est aussi un sujet de recherche. C'est précisément autour de ce sujet que nous voulons travailler. Pour questionner cette problématique et appréhender les ressorts qui font qu'une certaine population est prête à accepter un projet alors qu'une autre ne l'est pas, nous devons mobiliser des disciplines très variées, qui dépassent de loin celles qui peuvent être enseignées dans une école des mines. Cela nécessite donc d'impliquer l'université. On peut s'interroger par exemple sur le cas du Limousin et les raisons qui font qu'une certaine commune est tout à fait favorable au dépôt d'un projet d'exploration sur son territoire, alors qu'une autre, pas si différente, va s'y opposer. Ces questions sont essentielles et doivent être investiguées. Elles dépassent le seul domaine de la géologie et impliquent de multiples disciplines, qu'il est nécessaire d'inclure dans la réflexion. Il est d'ailleurs fort dommage que personne ne représente aujourd'hui ces disciplines.
M. Maurice Leroy. Je souhaiterais revenir sur la question de la toxicologie, en vous narrant une histoire un peu triste. Au Bengladesh, on a considéré essentiellement les eaux de surface et on s'est attendri sur le fait que de pauvres gens souffraient de dermatoses et de cancers, à cause de la présence d'arsenic, issu des résidus dendritiques de l'Himalaya. L'OMS a alors recommandé d'arrêter de puiser l'eau trop près de la surface et préconisé de creuser des puits à de grandes profondeurs. Au bout de quelques années, il a bien fallu faire le constat que cela n'avait rien arrangé, bien au contraire. On s'est alors vraiment intéressé à l'hydrologie et découvert que les nappes profondes étaient encore plus riches en arsenic que celles de surface.
Cela prouve bien que la toxicologie ne peut pas répondre à tout. En revanche, il est très important de savoir, à partir du moment où l'on a des espèces chimiques, dans quelles conditions et selon quelles modalités elles deviennent toxiques. Ainsi, pour ce qui est de l'arsenic par exemple, il faut savoir que l'arsénobétaïne ne peut pas être métabolisée par le corps humain et ne cause donc pas de dommages, contrairement à l'arsenic 3, qui peut engendrer la mort. Tant que l'on ignore ces éléments, on ne peut rien dire. Et lorsqu'on les connaît, il est important de comprendre comment cela intervient très précisément dans le processus biologique. Or ce maillon fait la plupart du temps cruellement défaut.
M. Thierry Meilland-Rey. Je souhaiterais revenir sur les propos de M. Yann Gunzburger. Le génie minier n'est effectivement pas très représenté en France aujourd'hui. Le Comité stratégique des filières (CSF) avait étudié notamment la formation à la géologie et au génie minier, avant de s'intéresser à la question de l'acceptabilité. Le ministère de l'éducation nationale avait également diligenté une étude sur les formations disponibles en France. De mémoire avaient été recensées, dans ce cadre, dix-neuf écoles de géologie et de mines. L'analyse en détail du contenu des formations, des volumes horaires consacrés à chaque discipline et des effectifs concernés par ces enseignements, montrait en outre que seules huit d'entre elles dispensaient réellement un enseignement dédié à nos métiers. Quasiment aucune école ne formait par ailleurs au génie minier.
Des évolutions positives ont eu lieu par la suite, avec la création de la chaire Mines et sociétés. Cette chaire n'est, je le confirme, pas pilotée par Paris, loin de là. Je crois savoir que c'est la province, notamment les écoles de Nancy et d'Alès, qui sont moteurs, ce dont on ne peut que se réjouir.
Il faut en outre savoir qu'il ne reste en France que cinq ou six professeurs de haut niveau dans le domaine de l'exploitation. Voici sept ou huit ans, nous avions dénombré huit projets d'enseignement du génie minier en France, parfois directement liés à des projets d'exploitation ou de grands ouvrages. Sachant qu'il faut en moyenne une quarantaine d'ingénieurs des mines annuellement pour pourvoir les postes dans les mines, les carrières ou les terrassements, je vous laisse imaginer l'effectif moyen de chacune de ces huit écoles. S'ajoutent à cela les crédits et les enseignants nécessaires à la formation. Il en résulte des situations quasiment impossibles à gérer.
Le fait d'avoir pu se regrouper au sein d'une Chaire, avec des compétences encore acquises, constitue donc selon moi un élément très positif. Je crois qu'il faudrait aussi former très rapidement de futurs professeurs, dans la mesure où les quelques enseignants encore en activité dans ce domaine ne tarderont pas à faire valoir leurs droits à la retraite. Il est donc grand temps que des jeunes prennent le relais et contribuent à faire perdurer ce magnifique métier.
M. Michel Cathelineau. Concernant la formation des techniciens, M. Jean-Marc Montel, directeur de l'École nationale supérieure de géologie, indiquait récemment que certains problèmes étaient spécifiquement liés au système académique français. Ainsi, cette formation est particulièrement difficile à mettre en place et à faire évoluer, car les deux niveaux de formation (BTS et IUT) sont régis par des procédures nationales dont la réactivité est très faible, au contraire des formations de type bac+5. Il faudrait donc que ces parcours gagnent en souplesse.
Au-delà même du cas des techniciens, il apparaît que l'on a globalement besoin d'obtenir des stages, pour permettre par exemple aux ingénieurs d'acquérir une expérience internationale. Or actuellement, ces séjours à l'étranger, notamment dans les compagnies minières anglo-saxonnes, sont extrêmement complexes à mettre en place. Il existe de nombreux freins.
Concernant le sujet de l'écotoxicologie, je perçois un problème de sémantique. Ce dont vous parlez relève plus spécifiquement, me semble-t-il, de l'écotoxicologie adaptée à l'homme. Plusieurs équipes oeuvrent, en France, dans le domaine de l'environnement minier, du transfert des métaux par les phases fluides, de l'interaction avec la biosphère ou l'atmosphère. Il existe, dans ce domaine, de véritables compétences en France.
Dans le cadre du Labex, nous travaillons par exemple actuellement sur le gadolinium issu des déchets hospitaliers et sur l'impact global sur les rivières du nord de la France. Nos travaux concernent également la spéciation, avec des méthodes assez novatrices. Ainsi, nous collaborons avec une chaire hollandaise, dont les équipes apportent leur savoir sur la convergence des modélisations thermodynamiques, qui relèvent à la fois du domaine chimique et biochimique.
De nombreux travaux existent donc dans ce domaine au sens large. Peut-être conviendrait-il à présent d'effectuer un lien entre eux, allant de l'écotoxicologie appliquée à la moule zébrée à la question des impacts sur l'homme. Il convient selon moi de considérer la globalité de cette chaîne.
M. Roland Masse. Je précise que mon propos traitait uniquement des aspects sanitaires, à partir du moment où la substance est entrée dans le corps humain. Il ne concernait donc pas l'écotoxicologie, dont je reconnais qu'elle est d'excellente qualité et dans une situation beaucoup plus favorable globalement que ne l'est la toxicologie.
M. Patrick Hetzel. Merci beaucoup pour la qualité de ces échanges. Certaines difficultés ont été pointées, liées notamment à la formation. La note d'optimisme réside assurément dans les diverses initiatives auxquelles il a été fait mention. Nous sommes certainement à un moment critique, au cours duquel il faut veiller à ce que ces projets non seulement puissent perdurer, mais aussi se développer. L'irréparable n'est peut-être pas encore commis, dans la mesure notamment où, ainsi que cela a été souligné à plusieurs reprises, des compétences subsistent en France, dans des domaines assez variés. Nous ne pouvons en tout cas que l'espérer.
QUATRIÈME TABLE
RONDE :
ENJEUX INTERNATIONAUX ET COOPÉRATION
INTERNATIONALE
M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Le sujet de la coopération et des enjeux internationaux a été rapidement abordé lors de la première table ronde par M. Gwenolé Cozigou, qui indiquait que la triade formée par l'Union européenne, les États-Unis et le Japon avait développé une coopération qui se poursuit.
Nous avons également pu constater que certains enjeux étaient liés à l'existence de zones de conflit et de restrictions commerciales. Ceci nous renvoie à la situation de 2010, où la Chine avait décidé de restreindre ses exportations, ce qui a eu un certain nombre d'incidences dont il a été précédemment question.
Il nous semble par conséquent intéressant de pouvoir aborder la problématique de la diplomatie économique et du rôle qu'elle est susceptible de jouer en la matière. Quelles sont par exemple les réalisations de la politique européenne ? Existe-t-il des actions bilatérales susceptibles d'être plus prometteuses ?
Notre visite au Japon nous a permis de constater que l'Ifremer avait par exemple développé une très ancienne coopération avec son homologue japonais. Cela soulève des questions sur ce que pourraient apporter, à l'horizon 2050, les nodules, certaines boues sous-marines, voire certaines sous-sols sous-marins situés à 4 500 mètres sous le niveau de la mer. Les Japonais commencent à être extrêmement actifs dans ces domaines et à développer des technologies permettant d'aller à ces profondeurs de manière efficace. Cela peut-il constituer des modèles économiques et à quel horizon ?
Quels sont les projets porteurs d'avenir, pour l'Europe mais aussi au-delà ? M. Michel Jebrak a notamment évoqué diverses initiatives développées au Canada. Il en existe d'autres en Australie et dans nombre d'autres parties du monde.
La coopération et les enjeux internationaux ont bien toute leur place dans la réflexion qui nous réunit aujourd'hui.
Mme Adeline Defer, ministère des affaires étrangères et développement international. Je vais commencer par évoquer la question de la diplomatie économique, non sans avoir précisé au préalable la manière dont cette diplomatie est déclinée, en particulier depuis 2013. Il s'agissait, en effet, d'une priorité forte de M. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères et du développement international. Cette priorité a été confirmée depuis le remaniement ministériel récent.
Cette diplomatie s'articule autour de quatre piliers. Le premier est le soutien des entreprises françaises à l'export. Cela passe essentiellement par le suivi politique des grands contrats, notamment des contrats régaliens, qui s'inscrivent souvent, par définition, dans la construction d'un partenariat politique. Ceci se traduit aussi par la promotion de l'offre française dans les secteurs d'excellence, qu'il s'agisse de l'agroalimentaire, de la santé ou des infrastructures.
Le deuxième axe concerne la modernisation du dispositif d'accompagnement des entreprises à l'export, avec par exemple la création de l'agence Business France voici un peu plus d'un an.
Les troisième et quatrième volets sont respectivement le suivi de la politique d'attractivité du territoire français pour les investisseurs étrangers et la prise en compte des intérêts économiques français dans les négociations multilatérales et internationales sur les enjeux économiques et commerciaux.
Il existe, au sein de la direction des entreprises du ministère des affaires étrangères, un suivi des opérateurs et des entreprises des secteurs minier et métallurgique. Je pense en particulier à Eramet, Areva et Rio Tinto Alcan, mais aussi à des opérateurs publics comme le BRGM. Nous menons également un dialogue avec les investisseurs étrangers du secteur qui investissent en France, dont Rio Tinto.
Nous n'avons pas, au niveau français, formulé de diplomatie des matières premières. Celle-ci est davantage exprimée à l'échelle européenne, ainsi que l'a expliqué M. Cozigou ce matin.
L'Union européenne a ainsi initié un certain nombre de dialogues avec des pays producteurs, consommateurs, ainsi qu'avec des ensembles économiques régionaux. Je pense notamment à l'Union africaine et à l'Union pour la Méditerranée (Euromed). Ces dialogues s'inscrivent souvent dans le cadre de structures d'échanges préexistantes : il peut s'agir de la politique de voisinage ou de dialogues bilatéraux déjà noués avec ces pays. Ils s'articulent souvent autour d'un objectif d'échange d'informations, de dialogue mutuel. Dans le cadre du partenariat développé par l'Union européenne avec la Tunisie, l'objectif est par exemple essentiellement l'échange d'informations sur le secteur du phosphate.
En termes de partenariats bilatéraux, l'exemple le plus emblématique est certainement celui de l'Allemagne. En 2010, l'Allemagne a adopté sa stratégie nationale de sécurisation des approvisionnements, qui repose sur une action intégrée et coordonnée des ministères de la recherche, de l'industrie, des affaires étrangères, de la coopération et de l'environnement, ainsi que sur un soutien renforcé auprès des entreprises, à travers notamment la mise en place de nouveaux partenariats stratégiques bilatéraux. Trois d'entre eux ont été signés avec la Mongolie, le Kazakhstan et le Chili. Je pense que l'une des particularités de la politique allemande sur ce sujet est d'avoir lié la thématique de la sécurisation des approvisionnements avec un certain nombre d'engagements en termes de coopération et d'aides publiques au développement. L'Allemagne est ainsi l'un des principaux bailleurs bilatéraux sur le secteur de la gouvernance et de la transparence des industries extractives. L'idée sous-jacente est qu'en aidant des pays producteurs à mieux gérer et contrôler leur secteur extractif, on favorise un accès de l'industrie à des ressources minérales sur les marchés internationaux. Il s'agit donc, à travers une coopération technique sur la mise en place de cadastres miniers ou de législations, de faciliter l'accès de l'industrie allemande à l'amont du secteur minier.
Ces partenariats bilatéraux ont donné lieu à un engagement politique très fort, au plus haut niveau. Cela s'est matérialisé par le déplacement de la Chancelière en Mongolie et au Kazakhstan.
La mise en oeuvre de cette politique est toutefois mitigée. C'est d'ailleurs le principal point de questionnement au sujet de ces partenariats bilatéraux. Il est important qu'il existe une adéquation entre l'offre et la demande. Or, concernant les partenariats allemands, on s'est aperçu après quelques années de mise en oeuvre que l'attente des pays producteurs (à savoir essentiellement une diversification des investissements étrangers) ne s'est pas matérialisée, puisque les industries mobilisées (en l'occurrence les entreprises membres de l'alliance des matières premières) se situaient surtout très en amont de la chaîne.
L'exemple peut-être le plus abouti en termes de diplomatie des matières premières est celui du Japon, qui déploie une diplomatie minière particulièrement offensive, notamment dans le secteur des terres rares. Cette démarche se met en place à travers, d'une part, JOGMEC, d'autre part, les sociétés de commerce privées japonaises qui jouent un rôle très important, puisque ce sont elles qui prennent des prises de participation dans des projets, accompagnées de la JOGMEC, qui fournit un appui financier. Je précise que JOGMEC bénéficie, pour déployer cette diplomatie minérale, d'un budget conséquent de plusieurs centaines de millions d'euros par an.
M. Guillaume Anfray, conseiller en stratégie de développement international, industries minières et chimiques, Business France. Business France est l'agence nationale au service de l'internationalisation de l'économie française.
Elle est chargée à ce titre du développement international des entreprises et de leurs exportations, ainsi que de la prospection et de l'accueil des investissements internationaux en France. Elle s'attache donc à promouvoir l'attractivité et l'image économique de la France, de ses entreprises et territoires. Elle gère et développe notamment le VIE (Volontariat international en entreprise), dont je rappelle qu'il concerne 8 000 personnes en poste dans le monde actuellement.
Business France a été créée le 1 er janvier 2015, de la fusion d'Ubifrance et de l'Agence française pour les investissements internationaux (AFII). Cette structure dispose de mille cinq cents collaborateurs, basés en France, sur deux sites, et dans soixante-dix pays, à travers un réseau de quatre-vingt bureaux. Elle s'appuie également sur un ensemble de partenaires privés et publics, dont les chambres de commerce françaises à l'international, BPI France ou encore la COFACE.
Business France accompagne en moyenne treize mille PME et ETI chaque année, dans le cadre de plus de six-cents missions d'affaires collectives.
Parmi les filières industrielles d'importance nationale, Business France accompagne de manière suivie le secteur paraminier français, c'est-à-dire l'ensemble des entreprises nationales qui produisent et fournissent des équipements, des technologies, des consommables ou des services destinés à l'industrie minière mondiale. Elle leur apporte un appui dans le cadre de leur développement international, à travers deux types d'accompagnement.
Nous proposons tout d'abord des prestations de conseil et de mise en contact sur mesure. Nous fournissons notamment des études de marchés, des études règlementaires, et effectuons de la recherche et l'identification de contacts ciblés au sein de grands donneurs d'ordres, notamment des compagnies minières et des bureaux d'ingénierie minière, sous-traitants, distributeurs ou agents par exemple. Nous organisons aussi des missions de prospection pour le compte des PME et ETI.
Nous apportons par ailleurs un appui aux PME françaises du secteur paraminier au travers des missions d'affaires internationales, pour le compte de délégations d'entreprises. Cela se traduit d'une part par des rencontres d'affaires avec les grands donneurs d'ordres de l'industrie minière étrangère, sur un pays donné ou une zone ciblée, d'autre part par la mise en oeuvre de pavillons France dans le cadre des grands salons miniers internationaux principalement consacrés aux équipementiers miniers.
Depuis qu'Ubifrance, puis Business France, appuient la filière paraminière, c'est-à-dire depuis 2009 environ, ce sont quelque 340 entreprises différentes qui ont été accompagnées dans le cadre de 54 missions d'affaires, dans un grand éventail de pays dont le Canada, les États-Unis, le Mexique, le Pérou, le Chili, le Brésil, la Suède, la Finlande, la Pologne, le Maroc, la Tunisie, l'Afrique du Sud, le Ghana, le Mozambique, la Zambie, l'Arabie Saoudite, le Kazakhstan, l'Australie, la Papouasie-Nouvelle-Guinée, la Mongolie et la Birmanie.
Dans le cadre de nos prestations individuelles, nous sommes en mesure d'accompagner ces entreprises sur le périmètre de l'ensemble de notre réseau, établi dans soixante-dix pays. Parmi les pays les plus demandés, citons l'Indonésie, les Philippines, la Côte d'Ivoire, le Cameroun, Oman, et depuis peu l'Iran, où nous disposons d'un bureau depuis le mois de septembre 2015.
L'expérience acquise depuis 2009 montre que la force de l'écosystème français d'entreprises paraminières réside principalement dans son internationalisation « forcée », du fait de la disparition de l'activité minière sur le territoire national métropolitain.
Les grands donneurs d'ordres français, tels qu'Areva, Eramet, ou dans le domaine de l'industrie minérale Lafarge, Imerys ou Vicat, ont été et sont encore des moteurs de son développement international. Toutefois, ces derniers ne suffisent plus à assurer des débouchés à l'export pour les PME françaises. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle, ces entreprises réalisent en moyenne entre 50 et 90 % (voire 100 % pour certaines) de leur chiffres d'affaire à l'export. Leur grande force est également d'avoir développé une forte présence et une excellente connaissance des marchés en Afrique de l'Ouest, principalement dans les pays francophones, et au Maghreb, même si elles ont tendance à perdre du terrain face aux concurrents canadiens, australiens, sud-africains et chinois. Cela ne les empêche toutefois pas de partir à la conquête des marchés grand export tels que l'Amérique latine, le Canada, l'Asie centrale, l'Afrique de l'Est, voire la Mongolie. Cela concerne principalement les entreprises financièrement les plus solides, les ETI et surtout les grands groupes.
L'offre minière française semble surtout appréciée pour sa capacité à proposer des produits et services sur mesure et de qualité. C'est essentiellement ce qui la différencie de la concurrence internationale, dans une large palette de domaines dont les détonateurs explosifs (avec des acteurs très connus comme Davey Bickford , Groupe EPC, Titanobel), la gestion des bases vie (avec notamment Sodexo et CIS), les installations, la manutention et le stockage du minerai en vrac, avec toute la palette de fournisseurs de pièces détachées qui gravitent autour, le matériel de traitement primaire du minerai, les pièces de fonderie pour concasseurs broyeurs calcinateurs, la transmission de puissance, les équipements de filtration, séparation, malaxage et centrifugation pour la séparation des métaux, la robinetterie industrielle, les travaux spéciaux, la consolidation des sols et les travaux de terrassement (principalement en Afrique), les engins miniers souterrains sur mesure, les engins auxiliaires, les logiciels de modélisation et de ressources (avec des sociétés comme Dassault Systèmes ou Airbus Defence and Space ), les logiciels et outils de services d'aide à l'optimisation de la production minière (par drone notamment) et évidemment toutes les solutions permettant de réduire l'empreinte environnementale des mines (recyclage des eaux, traitement des eaux d'exhaure et de process , abattage des poussières, ventilation des galeries, ingénierie environnementale).
M. Patrice Christmann, directeur adjoint, Direction de la stratégie-Direction scientifique et de la production, BRGM . Va-t-on vers une gouvernance mondiale des matières premières minérales ? L'OCDE, qui publie une base de données sur les restrictions au commerce des matières premières, recense actuellement plusieurs milliers de mesures, tarifaires et non tarifaires, restreignant le libre commerce des matières premières minérales.
Parler de gouvernance des ressources minérales, ou plus globalement des ressources naturelles, semble donc relever du domaine de l'utopie. Personnellement, je préfère toutefois les utopies aux dystopies du système actuel.
Quelques tendances lourdes du XXI e siècle méritent méditation et action ; il en va de l'avenir de l'humanité.
Ceci concerne tout d'abord la démographie : les Nations-Unies avancent ainsi le chiffre de 11 milliards d'humains sur la planète à la fin de ce siècle, soit 4 milliards de plus qu'aujourd'hui. Vus les désordres que nous voyons dans l'actualité, je vous laisse imaginer ce que pourrait être ce monde sans gouvernance.
La seconde tendance à l'oeuvre est l'émergence rapide d'une classe moyenne mondialisée. On estime que cela représentera plus d'un milliard de personnes à l'horizon 2030-2040. Ce phénomène est déjà largement à l'oeuvre en Asie, où il va se poursuivre. Il se traduit par un accroissement du nombre de consommateurs de ressources naturelles, d'alimentation, de viande, ce qui ne sera pas sans conséquence sur l'environnement mais aussi sur la demande en ressources minérales.
Si l'on ajoute à cela l'urbanisation croissante, on aboutit à des risques d'effondrement brutal d'écosystèmes locaux, voire de l'écosystème mondial : changements climatiques, perte rapide des terres fertiles, érosion de la biodiversité, pressions multiples sur les océans, conséquences inconnues des micropolluants en tout genre que nous émettons dans l'environnement.
Ma conclusion est que le scénario « business as usual », hérité de mai 68 et de la volonté de « jouir sans entrave » des bienfaits apportés par les innombrables applications des ressources minérales, sans en subir les nuisances (poussières, bruits, vibrations susceptibles d'être entraînées par une exploitation), n'est plus tenable et nous conduit au suicide collectif, à l'échelle de l'humanité.
Continuer à mesurer la compétitivité à l'aune du seul critère de prix est totalement déraisonnable, même si cela a très bien fonctionné depuis la Révolution industrielle. Adam Smith a certes écrit des merveilles sur l'économie libérale, mais l'Angleterre comportait alors fort peu d'habitants et n'était soumise à aucune contrainte sur les ressources naturelles. Je ne pense pas que ses écrits seraient les mêmes aujourd'hui.
Dans ce contexte, l'attitude consistant à vouloir continuer dans la même voie nous conduit à la perte.
L'avènement de l'économie circulaire est une nécessité de moins en moins contestée, afin de découpler la croissance de ses impacts négatifs sur l'environnement, ce qui est également indispensable.
Cela nécessite le développement d'une triple gouvernance : gouvernance individuelle (ceci allant de l'éducation dès la plus tendre enfance à un usage responsable des ressources naturelles, en passant par la formation), gouvernance des entreprises (avec une systématisation des pratiques de RSE comme mesure de la performance, en s'appuyant par exemple sur la GRI), gouvernance des États enfin, qui doivent être en mesure de renforcer leurs capacités institutionnelles à former, à acquérir les connaissances de base pour enrichir et documenter les politiques publiques, stimuler l'investissement et aider à la décision, de façon responsable.
Les États ont un rôle clé à jouer en matière de régulation. Or cela nécessite de la part de leurs services la mise en oeuvre de compétences scientifiques pointues, afin d'être par exemple en mesure d'évaluer les études d'impact ou les plans après-mine fournis par les opérateurs industriels dans le cadre de leurs études de faisabilité. La régulation peut jouer un grand rôle dans le niveau de transparence des entreprises minières et métallurgiques.
Aujourd'hui, la qualité de l'information disponible se dégrade. En trente ans, la Chine est en effet passée du statut d'opérateur minier et métallurgique négligeable à celui de premier producteur mondial de quarante matières premières minérales. Pour vingt-cinq d'entre elles, sa part de marché est supérieure à 40 % de la production mondiale. Or je ne connais pas, personnellement, de données statistiques fiables venant de la Chine, où les pratiques RSE n'existent pas. Même les comptes des entreprises chinoises sont considérés comme un secret d'État. Il en va de même pour les performances environnementales et les données relatives à l'exploration. Il n'existe pas en Chine d'équivalent du JORC ( Australian Joint Ore Reserves Committee ) ou du NI 43-101 (instrument national canadien pour les normes de divulgation concernant les projets miniers) pour informer sur les progrès de l'exploration, par exemple.
Le BRGM est, comme nombre d'autres acteurs, abonné à la base de données américaine SNL, moyennant la somme de 30 000 dollars par an. Il s'agit probablement de la meilleure base de données sur l'industrie minérale mondiale. Elle permet d'identifier tous les projets et toutes les sociétés ayant publié des informations. Pour ce qui est du plomb par exemple, 37 % de la production mondiale seulement y figure ; ceci signifie donc que l'on ne dispose d'aucune information sur les 63 % restants. Or je constate que la Chine produit 49 % du plomb mondial. Pour le zinc, on ne trouve recensés dans cette base, projet par projet et société par société, que 58 % de la production mondiale ; or la Chine produit 37 % de la production mondiale de zinc. Pour les métaux rares, comme le sélénium ou le tellure, les terres rares et autres « vitamines » des technologies modernes, les données sont quasiment inexistantes.
Cette question de la gouvernance des ressources naturelles, de l'économie circulaire et du découplage entre croissance et impacts environnementaux est l'objet de travaux de la part du Groupe international pour les ressources des Nations-Unies, dont j'ai l'honneur d'être membre et dont la France est l'un des bailleurs de fonds, au même titre que la Commission européenne. Je vous invite vivement à consulter ses rapports sur le site unep.org/resourcepanel .
Je terminerai en vous invitant à participer, les 9 et 10 juin prochains à Nancy, à la seconde édition du World Materials Forum , dont l'originalité est de réunir des dirigeants de grands groupes industriels mondiaux, des académiques, des PME innovantes et des instituts de recherche, sur les questions liées aux matériaux et aux matières premières.
Je vous remercie de votre écoute et salue une fois encore le travail remarquable effectué par l'OPECST, qui nous offre cette chance inestimable de débattre ensemble de sujets qui nous concernent tous.
M. Laurent Corbier, directeur des affaires publiques, Eramet. Nous avons, à Eramet, des attentes non seulement en tant qu'opérateur, mais aussi en tant que membre participant à une filière.
Je ne reviendrai pas sur un sujet abordé largement ce matin par Mme Claire de Langeron et M. Gwenolé Cozigou et qui concerne le problème des instruments de défense commerciale de l'Europe. Il s'agit là d'une attente forte de notre part, à la fois pour nos activités et pour celles de nos grands clients, notamment les aciéristes. Le sujet a été abondamment traité dans la presse et une marche multisectorielle s'est déroulée à Bruxelles le 15 février dernier, lors de laquelle les aciéristes étaient largement représentés, en provenance de toute l'Europe. Un débat sur la sidérurgie et la métallurgie françaises et européennes s'est en outre tenu à l'Assemblée nationale le 13 janvier 2016, dont je vous invite à consulter le remarquable compte rendu.
Nos attentes concernent aussi la directive sur les ETS (Système communautaire d'échange d'émission de CO 2 ). Il est très important de ne pas pénaliser l'industrie européenne par rapport à des acteurs situés hors de l'Europe. Nous demandons, en tant qu'opérateur, le « level playing field », c'est-à-dire des règles du jeu s'appliquant à tout le monde.
La France porte une voix, des messages, des positions au niveau de l'Union européenne. Nous sommes, en tant qu'industriels, très écoutés et entendus, dans un certain nombre de domaines, par les pouvoirs publics français, qui répercutent ensuite nos positions au niveau de Bruxelles. Il est très important que ce lien se fasse.
On assiste actuellement à une tendance à la transparence, à la vigilance, notamment en direction des entreprises du secteur extractif, en termes de publications et de reporting . Je pense qu'il est là aussi essentiel de veiller à l'établissement de ce « level playing field ». Je rappelle simplement, à titre d'exemple, que lorsque l'on demande des informations à des entreprises cotées en Europe, y compris avec des seuils, la situation est très différente de celle d'une initiative comme l'ITIE (Initiative pour la transparence des industries extractives), par laquelle sont concernées, pays par pays, toutes les entreprises opératrices dans le pays en question, et pas uniquement celles dont le siège est en Europe. Il est important de trouver les bons équilibres et combinaisons entre ces différents éléments.
Nous avons par ailleurs des attentes fortes quant à la simplification du cadre règlementaire dans lequel nous évoluons. Il n'est bien évidemment aucunement question de réduire les exigences en termes de reporting environnemental ou social, mais de simplifier certaines procédures lorsque cela est faisable. Je pense notamment au régime des centres de recherche par exemple. Nous sommes en train de mener à ce propos, dans le cadre de la CSF (Commission de surveillance du secteur financier), un travail qui sera présenté prochainement.
Je songe aussi à tout ce qui concerne les doublons et les superpositions. Il existe par exemple une discussion sur le nouveau règlement européen, qui est en train de se mettre en place sur les minerais de conflit, avec à nouveau du reporting, alors que nous faisons déjà du reporting sur la traçabilité, les chaînes de valeur. Nous sommes bien entendu favorables à la transparence et à l'information, mais une seule fois. Pas de doublon.
Il existe enfin des sujets de très long terme, qui ne sont absolument pas « prenables » par des industriels aujourd'hui, d'une part parce qu'il n'est pas aisé, dans la période actuelle, de dégager des ressources, d'autre part car cela s'inscrit à tellement long terme qu'il est difficile de se positionner par rapport à des réalités sur les écosystèmes ou sur la recherche, que l'on maîtrise mal. L'une de nos attentes en la matière est donc que les pouvoirs publics participent activement à la mobilisation des ressources budgétaires nécessaires pour mener ce genre d'étude. Je pense notamment à tout ce qui concerne la ZEE française. Nous serions évidemment très satisfaits que, dans cette ZEE, n'interviennent que des opérateurs français. Mais la réalité est la suivante : s'il faut aujourd'hui investir à un horizon de trente ou quarante ans, sur des ressources de grands fonds marins sur lesquels on ne dispose que de très peu d'informations en termes de faisabilité, cela ne se fera pas sans une très forte mobilisation des pouvoirs publics.
Voici, brièvement exposées, quelques-unes de nos attentes, en tant qu'opérateur et membre d'une filière. Il est très important à mon sens de travailler par filière.
Je rappelle enfin que nous sommes très soutenus, dans de nombreux domaines, par les pouvoirs publics français. Les problèmes apparaissent bien souvent lorsqu'il s'agit de traiter de ces questions au niveau de Bruxelles, où les discussions à vingt-huit sont beaucoup plus compliquées.
M. Didier Julienne, stratège industriel et éditorialiste en ressources naturelles, président de Néométal. Je vais tenter, en quelques minutes, un exercice de prospective.
Il n'existe pas de diplomatie de matières premières en France, car la France n'a pas connu récemment de pénurie grave de ressources naturelles. Pour autant, j'attends de voir le choc lié aux véhicules électriques et à la transition énergétique dans le domaine des énergies renouvelables pour constater quelle sera la réaction française à ce moment-là.
Le deuxième point de mon intervention portera sur les prédateurs et les proies, la puissance et la souveraineté. La France a souvent été un prédateur, développant une stratégie de puissance pour aller chercher des ressources naturelles dans des pays proies, qui ont eux-mêmes exercé une souveraineté sur leur sous-sol.
Je ne suis pas loin de penser que cette règle pourrait s'inverser. Nous avons en effet en France des ressources inexploitées. Il se pourrait donc fort bien que nous soyons « colonisés » par des pays étrangers qui viendraient faire des mines sur notre territoire national sans que nous soyons maîtres de notre destin. Le mieux qui puisse arriver serait que, dans le cadre d'une coopération franco-allemande, l'Allemagne finance et la France creuse. Le pire serait que des investisseurs non allemands soient présents en France pour geler des gisements de métaux stratégiques, spéculer sur leur valeur et ne pas les mettre en développement. On peut envisager que des gouvernements étrangers colonisent notre sous-sol via des fonds d'investissement. Ceci n'est pas pure fantaisie : je tire ces opérations de la réalité actuelle.
M. Étienne Bouyer, chef de laboratoire, CEA Tech Grenoble, programme Nouvelles technologies de l'énergie. Je vais vous présenter brièvement un retour d'expérience de notre collaboration croissante avec les Allemands, qui a démarré en 2012 grâce aux festivités liées aux cinquante ans du traité de l'Élysée. L'ANR et son homologue allemand, le BMBF, avaient alors lancé un appel à projets transnational touchant notamment aux métaux critiques.
Deux projets ont été labellisés dans ce cadre. Le premier, intitulé « Écometals », porté par le BRGM, concernait surtout les procédés dits de « biohydrométallurgie », pour aller extraire des métaux rares.
Le second, piloté côté français par le CEA, portait sur la récupération d'aimants permanents usagés, contenus dans des déchets d'équipements électroniques, en vue d'une réutilisation et d'un recyclage. Étaient également parties prenantes au projet Veolia, Arelec et, outre-Rhin, des acteurs industriels comme Bosch et BASF, aux côtés de notre homologue, les instituts Fraunhofer. Nous avons d'ailleurs constaté un effet miroir entre nos collègues allemands et la situation de la région Rhône-Alpes. En effet, le Centre Fraunhofer basé à Hanau est très proche de l'un des derniers industriels fabriquant des aimants en Europe, Vaccumschmelze . Or il se trouve que, dans les environs de Grenoble, existait encore, jusqu'en 2001, l'entreprise Ugimag. L'écosystème était donc favorable au rapprochement entre ces deux régions.
Nous avons, dans le cadre de Horizon 2020, déposé plusieurs projets, dont « Novamag », qui concerne l'innovation sur des aimants permanents qui ne contiendraient que pas ou très peu de terres rares. Ceci s'appuie sur le consortium franco-allemand cité précédemment, autour de l'Institut Fraunhofer, de Vaccumschmelze et du CEA, élargi à des pays tiers (le Japon et les États-Unis, au travers notamment de l'université du Delaware et de celle du Tohoku).
Un autre de nos projets est actuellement en cours d'évaluation Horizon 2020, toujours dans le domaine des aimants, en collaboration cette fois-ci avec le NIMS, organisation japonaise déjà évoquée ce matin.
Il existe par ailleurs, concernant l'EIT ou la KIC « Matières premières », un bras armé appelé « Centre de colocation franco-allemand », basé à Metz, qui va contribuer encore davantage à un rapprochement entre nos deux pays. Le CEA va prendre toute sa part à cet effort. La semaine dernière, j'étais par exemple à Berlin pour élaborer, toujours sur le recyclage des aimants, un projet avec nos collègues allemands.
M. Olivier Dufour, directeur des relations institutionnelles, Rio Tinto Alcan. Comment gagner des marchés à l'étranger grâce à une association efficace entre les partenaires privés et les pouvoirs publics ?
Mon exposé va prendre la forme d'un témoignage par rapport aux propos de Mme Defer et de M. Anfray sur la diplomatie économique française, au travers d'un projet mené au Vietnam, pays disposant d'importantes ressources en bauxite, estimées à quelque sept milliards de tonnes.
Jusqu'à une période récente, la bauxite était surtout exportée vers la Chine. Or le Vietnam souhaitait en bénéficier localement. Une société vietnamienne, THQ, a donc décidé d'investir dans une usine d'aluminium.
Or la meilleure technologie au monde pour la production d'aluminium est en France, détenue notamment par notre filiale Aluminium Péchiney et développée à Saint-Jean-de Maurienne en Savoie. La dernière technologie en date, nommée « APXe », est une technologie à faible consommation d'énergie et à émissions réduites, qui est très compétitive.
Un projet franco-vietnamien en a découlé. Il a également été rendu possible grâce à un partenariat avec la grappe technologique française de production de technologies aluminium, c'est-à-dire avec d'autres fournisseurs français comme Five, Alstom, Carbone Savoie, Sermas et d'autres.
Aluminium Péchiney s'est donc positionnée, pour offrir cette technologie, face à un concurrent majeur, puisque la technologie chinoise était également en lice. Cela supposait d'accepter une compétition féroce, dans la mesure où les Chinois viennent avec des bataillons d'ingénieurs et proposent des solutions « all in », comprenant le financement. Malgré son appartenance au Groupe Rio Tinto, Aluminium Péchiney apparaissait comme un « petit joueur » face à la proposition chinoise.
Nous avons toutefois bénéficié d'un contexte de relations diplomatiques tendues entre le Vietnam et la Chine, notamment autour du conflit des Iles Spratleys. Parallèlement, la diplomatie française a fait son travail, dans le cadre de l'initiative lancée par M. Laurent Fabius. De nombreuses visites ont eu lieu au Vietnam, notamment de la part du représentant spécial du ministre des affaires étrangères pour les pays de l'ASEAN, M. Philippe Varin, ancien de Péchiney. L'ambassade de France à Hanoï est également intervenue, avec le soutien des équipes de Business France et du ministère des affaires étrangères à Paris. Je dois dire que tout cela a été très efficace et que notre proposition a finalement été retenue.
Je tiens à souligner l'importance de la coordination opérée entre les différents acteurs français, qui ont apporté chacun leur brique technologique pour la construction de l'usine. La France a aussi joué un rôle pour lancer la recherche de partenaires financiers sur ce projet, qui représente 700 millions de dollars, dont le tiers est constitué par de la technologie française.
Cette histoire démontre que lorsque nous mettons en commun nos savoir-faire, que nous travaillons à un partage fluide des informations non concurrentielles entre les différents partenaires, avec le soutien des pouvoirs publics, les résultats sont au rendez-vous. Ceci rappelle très précisément la stratégie déployée à l'étranger par l'Allemagne, qui chasse en meute. Lorsque nous appliquons cette méthode, nous sommes nous aussi capables de décrocher de gros projets à l'international.
J'appelle donc à ce type de collaboration efficace, c'est-à-dire au développement d'une solidarité économique entre les acteurs publics et privés, afin de pouvoir se positionner mieux que les concurrents. L'exemple que je viens de vous présenter démontre que cela est parfaitement réalisable.
M. Patrick Hetzel. Merci beaucoup, Monsieur Dufour. Pouvez-vous nous préciser ce que vous entendez par « offre all in » ?
M. Olivier Dufour. Il s'agit d'une offre clé en main, consistant à délivrer l'usine, le génie civil, en important de la main d'oeuvre chinoise, qui construit tout de A à Z, avec le financement (généralement étatique) correspondant.
M. Alexis Sahaguian, Direction générale du Trésor. Comme vous le savez, la direction générale du Trésor est en charge de la politique commerciale au ministère des finances.
Je commencerai mon exposé sur les restrictions commerciales, l'acte au sein de l'OMC et l'approvisionnement responsable en provenance des lieux de conflit par quelques éléments d'actualité en termes de politique commerciale.
Nous avons eu, mi-janvier, s'agissant des matières premières, une réunion technique avec la Commission européenne, qui nous a apporté des éléments très utiles, concernant notamment les négociations commerciales en cours.
L'actualité est marquée par la négociation de l'accord bilatéral avec les États-Unis, le fameux accord « TTIP/PTCI » (Partenariat transatlantique pour le commerce et l'investissement). La Commission européenne souhaite y introduire un chapitre spécifique aux matières premières, car elle estime que les États-Unis partagent les positions européennes en termes de sécurisation des approvisionnements. La DG Commerce consulte comme il se doit les États membres sur l'intérêt d'aborder, même de loin, les sujets miniers avec les États-Unis, c'est-à-dire de fixer une approche commune pour évoquer notamment les risques de restrictions minières à l'exportation. C'est selon nous une bonne chose que cette consultation ait lieu. Nous y attachons une très grande importance.
Concernant les mesures restrictives en cours, j'en ai sélectionné quelques-unes, mais il en existe de nombreuses.
L'Ukraine a par exemple mis en place des restrictions sur les exportations de ferraille, via des systèmes de licences et l'application de quotas aux exportations, pourtant interdits par le protocole d'accession de l'Ukraine à l'OMC.
Un dialogue a par ailleurs été entamé par la Commission européenne avec l'Afrique du Sud, sur la révision de la loi minière locale, mais la question de la ferraille reste également un élément irritant.
La Commission a en outre fait le point sur la prorogation des droits à l'exportation sur le tungstène par la Russie. Ces droits, adoptés en 2013, avaient entraîné un effondrement des importations de tungstène de Russie au profit des importations du Canada. La Commission a donc initié à ce propos des démarches auprès de la Russie.
Tous ces sujets sont bien évidemment suivis au niveau de la DG Commerce.
S'agissant des contentieux OMC, l'actualité est marquée notamment par la Chine. Au-delà des surcapacités chinoises dans le domaine de l'acier, mentionnées par M. Corbier, ceci concerne les suites du panel OMC contre ce pays concernant le commerce des terres rares, du tungstène et du molybdène. La Chine a supprimé ses quotas sur les terres rares en janvier 2015 et les droits aux exportations en mai 2015. Il semblerait toutefois que ces mesures aient été remplacées par des mesures équivalentes, notamment des taxes sur les ressources et des quotas d'extraction.
Je souhaiterais dans un second temps évoquer le projet de règlement européen, discuté actuellement à Bruxelles, et auquel la direction générale du Trésor participe pour la France en tant que porte-parole. Ce projet vise à mettre en place un mécanisme européen de « diligence raisonnable », traduction du terme anglo-saxon « due diligence », c'est-à-dire un système de vérifications, de précautions, dans des chaînes d'approvisionnement par des importateurs d'étain, de tantale, de tungstène et d'or originaires de zones de conflit ou à haut risque.
Quel est l'objectif de ce règlement ? L'idée est que l'Europe se dote d'un outil législatif, plus ou moins proche de celui existant aux États-Unis, permettant de casser le lien entre l'extraction minière, le commerce (d'étain, d'or, etc .) et les conflits, notamment en Afrique centrale. L'objectif est, dans l'idéal, que ces matières ne soient plus une source de financement des groupes armés dans ces zones.
La question est alors de savoir comment y parvenir concrètement et jusqu'où aller en termes de réglementation en Europe. Diverses interrogations se posent actuellement à Bruxelles : jusqu'où doit-on aller pour contrôler les importateurs de produits ? Devront-ils mettre en place des contrôles facultatifs ? On s'orienterait alors vers un mécanisme incitatif. Faudra-t-il instituer des contrôles obligatoires ? Faudra-t-il aller plus loin encore ?
Il faut également pouvoir reconnaître des schémas d'approvisionnement sûrs.
D'autres questions se posent :
- jusqu'où doit-on aller au regard des intérêts des industriels européens ? En effet, l'or utilisé, par exemple, dans l'industrie et le contrôle des sources d'approvisionnement a un coût ;
- qui doit contrôler ? Les États membres ? La Commission européenne ? Les industriels ? Pour quels types de contrôles ?
Voici quelques-unes des questions discutées actuellement entre les États membres, le Conseil, le Parlement européen et la Commission. Bien évidemment, les États membres ont leur mot à dire pour encadrer ce texte, faire préciser les modalités pratiques et les vérifications en termes de contrôle.
La prochaine réunion sur le sujet doit se tenir ce mercredi à Bruxelles.
Mme Adeline Defer. Je souhaiterais apporter quelques éléments complémentaires du point de vue du ministère des affaires étrangères, afin de mettre ce sujet en perspective.
La question des minerais de conflit n'est pas un sujet nouveau sur l'agenda international. Le terme est apparu dans les années 1990, en lien avec les conflits au Liberia et en Sierra Leone, par rapport à la production de diamant brut. Depuis les années 2000, la problématique s'est recentrée sur l'Afrique centrale, ainsi que sur un certain nombre de pays avec lesquels la France entretient des relations très étroites, comme la République démocratique du Congo, la République Centrafricaine et la République de Côte d'Ivoire.
La production aurifère de la RDC varie annuellement entre 8 et 10 tonnes, dont 2 % sortent par la voie légale et paient des revenus à l'État, ce qui représente chaque année un manque à gagner d'un milliard de revenus fiscaux pour les caisses de l'État. Il serait intéressant de comparer ces chiffres avec les engagements en termes d'aides publiques au développement dont bénéficie la République démocratique du Congo. Ces montants sont colossaux.
La France, en tant que pays membre du Conseil de sécurité des Nations-Unies, est l'un des principaux contributeurs aux missions de maintien de la paix et de stabilisation en République démocratique du Congo, en République Centrafricaine et en Côte d'Ivoire. Il y a bien sûr ici un enjeu de sécurisation et de sortie des situations de conflit et de crise.
En réalité, la problématique est de plus en plus compliquée. Suite aux différentes initiatives règlementaires et industrielles (je pense notamment à la Fédération de l'industrie de l'étain) mises en place au niveau international, la situation s'est largement améliorée en ce qui concerne les « trois T » (coltan, étain et tungstène), mais reste très difficile pour l'or, que l'on parvient beaucoup moins à contrôler, en raison des propriétés physiques de ce métal. Il apparaît que couper le lien entre financement des groupes armés et extraction minérale n'est qu'une partie du problème. Si l'on y parvient, d'autres métaux prennent immédiatement la place. Ainsi, d'après les dernières études menées, la première source de financement des groupes armés en République démocratique du Congo est le charbon.
Je pense donc que le règlement européen sera l'une des réponses à ce problème, mais ne saurait être la seule.
M. Jean-François Labbé, direction des géo-ressources, BRGM. Quelles sont les perspectives d'un projet minier de terres rares hors de Chine d'ici 2020. Quelle est la problématique des financements, notamment à Norra Kärr en Suède ?
Les terres rares étaient essentiellement produites, jusqu'au début des années 1990, par les États-Unis. Puis la Chine a progressivement pris la première place, jusqu'à occuper une position totalement dominante, puisqu'elle produisait, jusqu'à voici deux ou trois ans, plus de 95 % des terres rares. Au fil des quarante dernières années, la consommation de terres rares a par ailleurs été multipliée par sept.
En 2010, les quotas d'exportation chinois ont été divisés par deux, le tout couplé à un certain nombre de développements technologiques qui ont fait monter, puis exploser le prix des terres rares. Cette hausse des prix dans les années 2009, 2010 et jusqu'à mi-2011 a encouragé et motivé de nombreuses sociétés, juniors ou autres, à essayer de rechercher et de développer des gisements ailleurs. Ainsi, en 2011, au PDAC au Canada ( Prospectors and Developers Association of Canada ), plusieurs dizaines de sociétés juniors présentaient des projets en lien avec les terres rares partout dans le monde.
Puis le bulle a explosé, pour diverses raisons que je n'ai pas le temps d'exposer ici. Pour vous donner un ordre de grandeur de ces fluctuations, sachez par exemple que le prix du dysprosium, l'une des terres rares lourdes utilisées dans les aimants permanents, a été multiplié par 106 entre la période 2002 - 2003 et le pic de 2011 (il s'agit, me semble-t-il, d'un record, toutes matières confondues), avant d'être divisé par dix depuis lors. Tous les financements obtenus ou sur lesquels on comptait pour explorer ou développer des mines de terres rares ailleurs se sont largement taris. Cette tendance se poursuit actuellement, puisque les prix ont encore diminué de 45 % au cours de l'année qui vient de s'écouler.
Cela a conduit, entre autres, à la faillite de Molycorp, exploitant de terres rares américain qui avait commencé à produire en 2011-2012. L'australien Lynas parvient à garder encore à peu près la tête hors de l'eau, mais connaît tout de même des difficultés financières.
Norra Kärr, le projet européen le plus avancé et le plus solide, basé en Suède et développé par la société canadienne Tasman Metals, est toujours plus ou moins d'actualité. Les partenaires concernés ont essayé de le maintenir avec un certain intérêt, en se débarrassant notamment d'autres actifs qu'ils possédaient ailleurs, et en tentant de valoriser, parallèlement aux terres rares, la néphéline et les feldspaths se trouvant dans le même gisement. Mais cela devient très difficile, avec notamment un cours en bourse qui a très fortement diminué ces dernières années. S'ajoute à cela le fait que, la semaine dernière, la Cour suprême administrative suédoise a annulé leur permis minier, arguant du fait qu'il aurait été attribué de manière trop légère, sur la base d'études d'impact environnemental insuffisantes. Je ne connais pas le détail du dossier. Cela constitue évidemment une raison de plus pour ne pas compter sur une mise en production de Norra Kärr d'ici 2020. Il en ira d'ailleurs probablement de même pour la plupart des projets de terres rares de par le monde, hors Chine.
La Chine conserverait environ 40 à 50 % des ressources, dans la limite des données dont nous pouvons disposer. Elle a donc tout à fait la capacité, pendant encore quelques décennies, d'intervenir et de jouer sur les prix, en approvisionnant le marché sans qu'il y ait besoin de développer des projets ailleurs. Les Chinois peuvent tout à fait adopter la même stratégie que celle qu'ils avaient mise en place dans les années 1980 pour le tungstène ou l'antimoine et faire baisser les prix en développant leurs capacités de production, tuant alors ainsi toute l'industrie minière du tungstène, en particulier en France.
En France ou en Europe, une entreprise minière a besoin d'être rentable en elle-même : il faut que le produit de ses ventes couvre avec bénéfices ses coûts d'exploitation. En Chine, les terres rares sont des filières : on peut très bien, dans ce contexte, se permettre que la partie extractive soit déficitaire, dans la mesure où l'on dispose également de toute la filière aval, jusqu'aux aimants permanents et aux produits finis. Il est donc très difficile pour les industries des autres pays d'être concurrentielles.
J'émets donc de très grands doutes quant à la réalisabilité, d'ici 2020, d'une exploitation ailleurs qu'en Chine, sauf éventuellement dans le cadre de la survie de Lynas.
Je souhaite enfin formuler une réflexion beaucoup plus générale : l'un des sujets du débat, si l'on veut faire revivre ou tout du moins manifester l'intérêt des ressources minérales dans l'économie française, est évidemment le problème conjoncturel, mais aussi la question de l'acceptabilité sociale de toute exploitation minière. Je vois sur le programme que cette table ronde est ouverte à la presse ; or peu de journalistes s'intéressent à cette thématique, hormis pour en dire beaucoup de mal, dans la plupart des cas. Cela m'interpelle.
M. Patrick Hetzel. Lorsque nous étions au Japon, nous avons eu l'occasion de rencontrer des représentants de la presse, dont le rédacteur en chef adjoint d'un journal économique japonais. Celui-ci étant parfaitement francophone et francophile, nous avons pu avoir un échange très intéressant. Il nous a ainsi expliqué que lorsque, dans les années 2010 et suivantes, il publiait un article sur les terres rares et les métaux stratégiques, il recevait un très bon accueil ; la presse était alors friande de papiers sur le sujet.
Il n'en est hélas plus de même aujourd'hui. Il nous indiquait ainsi que lorsqu'il propose un article sur le thème, celui-ci est désormais relégué dans les pages intérieures, très loin des grands titres. On lui conseille par ailleurs souvent de réduire sa production, dont on considère qu'elle occupe encore trop de place.
Vous avez donc malheureusement raison et nous ne pouvons que partager votre point de vue sur le peu d'intérêt de la presse aujourd'hui pour ces questions.
Ce n'est manifestement pas un problème strictement français. Les Japonais constatent le même phénomène, alors même que leur culture est toute différente et qu'ils ont une conscience certainement plus aiguë que nous de cette question des ressources, dans la mesure où, n'en disposant pas, ils doivent s'assurer de leur approvisionnement, ne serait-ce que pour garantir leur mode de vie.
PROPOS CONCLUSIFS
Mme Delphine Bataille, sénatrice, rapporteur. Je ne me hasarderai pas, après une journée aussi riche, à un exercice de synthèse.
Je tiens simplement à vous adresser nos remerciements les plus chaleureux pour vos contributions. Vous avez en effet accepté le principe d'interventions contraintes par le temps et certains d'entre vous n'ont de ce fait certainement pas pu s'exprimer aussi longuement qu'ils l'auraient souhaité.
Nous disposons désormais de nombreux éléments et constats. Certes, des questions restent posées, mais des réponses très précises nous ont également été apportées, bien que n'étant pas uniformes ; c'est d'ailleurs précisément ce qui fait la richesse du débat. Il serait trop simple que tout le monde soit d'accord ; j'en veux pour preuve la coopération avec les Allemands, qui n'apparaît pas, selon les derniers intervenants, évidente dans tous les domaines.
L'irruption des terres rares dans le débat depuis quelques années a accru la confusion autour des notions de matières « rares », « stratégiques » ou « critiques ».
La notion de rareté est à replacer dans un contexte historique : on peut remonter à l'Antiquité, avec le cas du fer, considéré alors comme rare et précieux. À l'inverse, l'uranium était sans utilité jusqu'à la fin de la Seconde guerre mondiale. Cette rareté dépend aussi d'une concentration suffisante pour l'exploitation économique, avec des moyens d'extraction et de traitement.
D'autres critères que la rareté permettent de définir les métaux critiques : leur utilisation pour fabriquer les produits liés aux nouvelles technologies, l'impossibilité, ou tout au moins les énormes difficultés à trouver des produits de substitution et enfin la concentration des sources de production sur un, voire deux pays.
Plusieurs facteurs entrent donc en ligne de compte dans la définition de la politique des métaux critiques. Au-delà de la sécurité de l'approvisionnement et de la question du recyclage, se pose le problème des besoins ciblés pour les nouvelles technologies et les industries de pointe, qui évoluent très rapidement, et de certaines innovations qui limitent les besoins. Il a par exemple été question, lors de plusieurs interventions, de l'europium et du terbium, répertoriés comme étant en situation de pénurie voici quelques temps au regard des besoins pour les ampoules fluorescentes, avant que l'apparition des LED ne fasse basculer le débat vers d'autres matières premières stratégiques.
Il y aurait également beaucoup à dire sur l'avenir des industries minières et métallurgiques. J'ai par exemple appris récemment avec inquiétude, bien que ne disposant pas d'informations complètes sur ce texte ni sur le calendrier correspondant, l'intention du groupe socialiste de cette Assemblée d'inscrire dans le code minier l'interdiction de toute forme d'exploitation du sous-sol. Il s'agit, semble-t-il, d'une proposition de loi visant à renforcer le dialogue environnemental et la participation du public. Je m'interroge donc sur l'arrivée de cette proposition de loi dans le débat parlementaire, alors que nous venons à peine d'achever les discussions issues de la loi de transition énergétique. Je n'en sais pas plus pour l'heure. La question sera suivie par le législateur, avec bien sûr un avis du gouvernement.
Nous avons aussi abordé de façon récurrente, au cours de nos échanges, la question de l'acceptabilité sociale de la relance d'une industrie minière. Beaucoup ont témoigné de la culture ancrée dans certains pays et territoires. M. Patrick Hetzel et moi-même pouvons en témoigner, puisque nous venons de l'Est et du Nord de la France. Je crois que l'on ne souligne jamais assez ce que ces industries, minières, métallurgiques, sidérurgiques, ont apporté à nos régions en termes de prospérité.
Ces matières premières critiques et stratégiques sont, on l'a vu, un maillon indispensable à l'approvisionnement d'industries essentielles, dont la sidérurgie, la construction, la défense ou encore l'aéronautique, la mécanique, l'automobile, les composants électroniques, les énergies renouvelables et bien d'autres encore.
Les défis sont nombreux. Il apparaît en premier lieu nécessaire de sécuriser l'accès aux ressources primaires, mais aussi secondaires. Cela renvoie à la question de l'indépendance nationale stratégique. Il convient également de valoriser les performances, grâce à l'utilisation optimale d'un minimum de matières premières. Nous avons par exemple recueilli au Japon le témoignage de chercheurs passionnés, engagés dans la création de matériaux nouveaux, notamment électroniques, en utilisant les éléments les plus courants ; ils se concentraient essentiellement sur l'ouverture de nouvelles propriétés, en revenant à la base de la physique - chimie. Les résultats scientifiques appliqués au niveau industriel sont encore trop rares, même si l'on dispose de témoignages très probants.
Citons aussi, parmi les défis à relever, ceux de la maîtrise des coûts, des exigences règlementaires et de la concurrence internationale et européenne.
La question des métaux stratégiques doit permettre un développement industriel et un accroissement de la compétitivité, tout en respectant le principe du développement durable, de l'environnement, de la santé et de la sécurité. Or ce n'est pas souvent dans cet esprit que se développent les témoignages des médias et des réseaux sociaux, qui jouent parfois un rôle négatif dans la mesure où il leur arrive de tenir des discours que je qualifierais de « déséquilibrés », et en tout cas sources d'angoisse pour l'opinion publique. J'en veux pour preuve un reportage tendancieux, diffusé hier au journal télévisé de la mi-journée, donc à une heure de grande écoute, et portant sur l'exploitation des hydrocarbures non conventionnels : ce sujet n'a bien évidemment évoqué que le volet négatif du dossier, en insistant sur les inconvénients. Cela pose la question, soulevée notamment par M. Cathelineau, de la crédibilité des scientifiques. Je tiens à rassurer M. Julienne, en affirmant que même si les élus que nous sommes ne font pas encore assez confiance aux scientifiques, nous sommes là aujourd'hui pour vous entendre. J'espère d'ailleurs que nous aurons l'occasion de partager bien d'autres séances de ce type. Il semble néanmoins difficile, pour une certaine partie de l'opinion, de respecter une forme de progrès, à partir du moment où la science avance.
Nous n'avons que très brièvement évoqué la question des brevets. La concentration en est plus importante au stade de la séparation et du recyclage que de l'extraction minière. Il a par exemple été question de l'utilisation des connaissances technologiques de Solvay. Si les brevets permettent d'afficher des progrès sur un plan technologique, il faut aussi veiller, lorsque les marchés sont tendus, à ce qu'ils ne soient pas utilisés comme des armes de contentieux. La Chine notamment les a utilisés comme tels, moins d'ailleurs contre des firmes étrangères que dans des conflits avec des entreprises locales chinoises. Ceci montre que les enjeux scientifiques et technologiques de l'approvisionnement en matières premières sont aussi très étroitement liés aux besoins en énergie. Certains brevets démontrent bien que les problèmes liés aux matières premières minérales et à l'énergie sont indissociables. Les métaux sont nécessaires pour construire des infrastructures de production, pour le stockage, le transport et la distribution de l'énergie. Inversement, l'énergie est indispensable à la production des métaux. Il y a là, au-delà de la question des brevets, en termes de recherche et de formation, un effort à faire de la part de la puissance publique, sur le long terme. Or il est d'autant plus difficile de se projeter dans le long terme que l'on éprouve des difficultés à se positionner en raison de la survenue d'événements, comme la baisse du coût des matières premières, que l'on ne peut anticiper.
Je ne développerai pas les enjeux de coopération internationale, sur lesquels les différentes interventions nous ont apporté des informations très complètes.
Il s'agissait ici, ainsi que nous l'avons d'ailleurs précisé aux divers interlocuteurs que nous avons pu rencontrer dans les pays étrangers dans lesquels nous sommes rendus, de mener une réflexion sur la possibilité d'une nouvelle politique minière.
Nous avons considéré que votre expertise en la matière était majeure, ce que vos interventions ont brillamment démontré. Je crois qu'il faut conserver notre savoir-faire dans le domaine minier et les formations correspondantes, dans un contexte de disparition des mines en France.
Merci encore à chacune et chacun d'entre vous d'avoir consacré beaucoup de votre temps à cette audition et d'avoir apporté vos contributions à notre réflexion, présente et à venir.
M. Patrick Hetzel, député, rapporteur. Je tiens à mon tour à vous remercier pour votre coopération.
Nous travaillons depuis presque deux ans sur cette problématique. Lorsque nous avons démarré notre réflexion sur les terres rares, nous avions conscience de la dimension géopolitique et géostratégique du sujet. Nous étions toutefois encore loin du compte et avons constaté, chemin faisant, qu'elle était plus importante encore que nous n'avions pu l'imaginer. Cela nous a d'ailleurs conduits à ne pas nous limiter à la problématique des terres rares et à élargir le sujet à celle des matières stratégiques et critiques. Nous avons pu noter, tant à travers nos déplacements que lors de diverses rencontres, que tous les pays, notamment occidentaux, n'étaient pas logés à la même enseigne. Cela nous a permis d'identifier un certain nombre de bonnes pratiques. Il serait évidemment réducteur de vouloir se limiter à quelques-unes d'entre elles, mais nous avons par exemple pu constater que plusieurs pays scandinaves possédaient encore une vraie culture minière et étaient très fiers de la revendiquer. Cela ne signifie pas que tout y soit simple, dans la mesure notamment où la thématique environnementale y est très présente, mais il y existe une réelle capacité à concilier les problématiques environnementales, économiques et industrielles. Ceci constitue un aspect que nous aurons à coeur de promouvoir dans notre rapport.
Le dossier que nous allons rendre comportera une partie consacrée au diagnostic, qui mettra en perspective certaines bonnes pratiques. Nous avions initialement envisagé un déplacement en Chine, avant d'opter finalement pour le Japon. Je dois dire que nous n'avons pas à le regretter. Cela nous permet d'affirmer non seulement que le Japon reste un acteur important, mais surtout de souligner qu'en raison de sa vulnérabilité quant à la partie amont, ce pays a investi de matière très significative dans les domaines de la recherche, de l'innovation et de la technologie. Une réflexion très intéressante est ainsi menée au Japon sur la question de savoir comment être incontournable dans la création d'une chaîne de valeur. Je pense que cet aspect mérite une attention toute particulière. La France a eu l'habitude de mettre en place des politiques industrielles. Même si nous ne sommes plus à l'époque des plans, la question de la politique industrielle se pose. Il apparaît ainsi qu'à force de ne pas choisir, certains non choix s'imposent. Or c'est précisément ce que l'on souhaite éviter.
Une partie de notre rapport sera, très modestement, consacrée à la formulation de recommandations, à destination notamment du gouvernement. Certains points pourront relever du législateur, mais non la totalité. Nous ne sommes pas, en effet, dans une obsession de la législation. Nous sommes également favorables à tout ce qui est susceptible d'échapper à la législation. Ces recommandations porteront notamment sur les programmations en matière de recherche et de formation, auxquelles les pouvoirs publics peuvent largement contribuer.
Merci encore de votre participation. Je puis vous assurer que nous nous efforcerons de reprendre au maximum vos propositions, car je pense que ce secteur le mérite et que nous travaillerons ainsi, modestement mais sérieusement, pour le futur de notre pays. Les enjeux autour des ressources minérales sont en effet majeurs et stratégiques. Ne passons pas à côté.