B. RÉGULER LES FLUX : GÉRER LA RESSOURCE

Une deuxième série d'actions relève d'une démarche de bonne gestion des ressources aquatiques naturelles pour en tirer les bénéfices dans les moments où elles peuvent venir à manquer.

1. L'aménagement des berges et des tracés, une idée prometteuse ?

L'effacement des seuils nuisant à la continuité écologique des rivières, outre qu'il entraîne un coût certain pour la collectivité qui justifierait une évaluation préalable des bénéfices attendus, ne représente qu'une partie de l'objectif de restauration de la qualité physique des cours d'eau. D'autres aspects entrent en ligne de compte : le tracé, les berges, le lit, l'état des sédiments du fond ; tout ce que les spécialistes appellent « hydromorphologie ».

Les ripisylves, espaces boisés entourant les cours d'eau, sont un trait d'union entre l'eau et la terre, des zones de transition écologique indispensables tant à la biodiversité qu'à la lutte contre les crues.

Or, depuis bien longtemps, le profil des rivières a été bouleversé par l'action humaine, avec des conséquences extrêmement néfastes pour les écosystèmes.

L'entretien des haies et des fossés a disparu et, avec lui, la filtration des eaux de ruissellement avant qu'elles n'arrivent à la rivière. Dans ce domaine, des mesures, pas forcément très coûteuses, devraient être généralisées, comme la mise en herbe, de chaque côté des cours d'eau sur une distance de cinq à dix mètres, plutôt que de laisser les cultures aller jusqu'à la berge de la rivière. Cette mesure simple est déjà appliquée dans les espaces couverts par des contrats de rivière.

La reconstitution des haies et des ripisylves renforce l'infiltration de l'eau de pluie vers les nappes phréatiques et constitue une mesure douce et efficace propre à améliorer les réserves pour l'avenir.

2. Un procédé courant : le soutien d'étiage

L'étiage d'une rivière correspond à son niveau le plus bas, normalement en période sèche. L'opération de soutien d'étiage à partir des barrages consiste à ajouter au débit naturel devenu trop faible de la rivière un débit supplémentaire obtenu en déstockant l'eau depuis sa retenue 141 ( * ) .

Cet apport supplémentaire a pour objectif de régulariser les débits au cours de l'année et d'améliorer la qualité environnementale à l'aval du barrage en maintenant le bon fonctionnement des écosystèmes aquatiques. Il permet la gestion de la ressource à l'échelle du bassin de la rivière. En effet, l'eau additionnelle ainsi restituée peut ensuite être utilisée en aval au moyen de prélèvements dans la rivière destinés à l'irrigation, à l'alimentation des réseaux d'eau potable ou autres, ainsi qu'au maintien de son bon état écologique.

Par exemple, les barrages de Naussac et Villerest permettent de régulariser les débits de la Loire, généralement de juin à septembre. De la même manière, la Garonne ou la Seine font régulièrement l'objet de lâchers d'eau pour soutien d'étiage, dont le citoyen ignore même l'existence. Et le coût.

3. La constitution de réserves : une mesure de bon sens
a) De quoi s'agit-il ?

Lorsque l'on se penche sur les effets du réchauffement climatique sur la répartition des précipitations et la hausse des températures et que l'on constate que les zones et périodes de pluie vont probablement s'en trouver modifiées, le réflexe de bon sens le plus spontané est de se dire : ne serait-il pas logique et pertinent de conserver en réserve les eaux lorsqu'elles sont abondantes, plutôt que de les laisser retourner à la mer, afin d'en disposer au moment où l'on en manquera ? Bref, stocker l'hiver les surplus de précipitations dont on trouverait facilement l'usage l'été.

L'intérêt de cette mesure n'est toutefois pas partagée par tous : aux yeux des associations environnementales, tout stockage de l'eau diminue sa qualité et ne peut représenter la politique d'adaptation de l'agriculture au changement climatique 142 ( * ) . Il n'est pas inexact que le bon état écologique puisse s'en trouver affecté dès lors qu'une eau stagnante, moins oxygénée et souvent plus chaude, développe des micro-organismes susceptibles de nuire à sa qualité initiale. Pour autant, stocker l'eau éviterait de gaspiller une ressource rare et contingentée.

b) Typologie des retenues

Les retenues peuvent être classées selon qu'elles sont collectives ou individuelles.

• Les retenues d'eau à gestion collective se situent la plupart du temps en amont des cours d'eau et souvent en montagne. Par l'effet de barrage ou digue, elles captent d'importants volumes d'eau et sont gérées collectivement pour répondre aux besoins multiples du bassin versant.

• Les retenues collinaires sont souvent à caractère individuel et recueillent les eaux de ruissellement, y compris de drainage. Elles sont remplies en hiver, en période d'abondance, pour être utilisées pour l'irrigation en période d'été. Elles sont la plupart du temps artificiellement créées.

• Les retenues de substitution sont créées artificiellement, hors des cours d'eau, et donc déconnectées de l'hydrologie naturelle. Ces plans d'eau se remplissent en hiver, par ruissellement ou par pompage, en nappe ou en rivière, en période d'abondance. Elles sont dites « de substitution » car elles remplacent des capacités d'irrigation qui seraient, sans elles, puisées dans les cours d'eau, en période estivale.

Quelle que soit leur nature et selon leur capacité, les réserves peuvent assurer de nombreuses fonctions : irrigation pour l'agriculture ; maintien du débit d'étiage ; prévention des inondations ; réponse aux besoins des ménages et de l'industrie ; besoins de l'énergie hydraulique et nucléaire pour les grosses réserves.

Elles contribuent à une importante sécurisation des productions et au maintien des exploitations familiales par la diversité des productions, et donc à l'aménagement du territoire.

c) Une réglementation en vigueur restrictive

Dorénavant, seuls les projets de retenues d'eau de substitution qui s'inscriront dans le cadre d'un projet de territoire pourront être éligibles à une aide de l'agence de l'eau. Tel est le principal enseignement à tirer de l'instruction mise en ligne par le ministère de l'écologie le 11 juin 2015.

Celle-ci définit précisément les conditions de levée du moratoire sur le financement des stockages d'eau par les agences de l'eau, décidé en 2012, en conditionnant néanmoins leur intégration dans des projets territoriaux « prenant en compte l'ensemble des usages de l'eau, la qualité de l'eau, et diversifiant les outils permettant de rétablir l'équilibre quantitatif ».

En tout état de cause, la participation financière des agences de l'eau sera limitée aux ouvrages « qui traduisent une diminution de la pression sur la ressource en eau et une résorption des déficits quantitatifs des territoires ». En outre, celles-ci n'interviendront « que sur la substitution de prélèvements à l'étiage par des prélèvements hors étiage, et non sur de la création de volumes supplémentaires ».

Récemment, le CGAAER s'est prononcé sur le sujet : « Le développement de l'offre en eau, essentiellement par la création de retenues d'eau : il s'agit de créer des retenues de substitution qui permettront de stocker de l'eau d'hiver pour l'utiliser en période d'irrigation, en substitution aux prélèvements estivaux effectués dans le milieu. Pour mettre en oeuvre ces projets, une approche territoriale structurée est à diligenter avec tous les acteurs locaux et sous la maîtrise d'ouvrage des collectivités territoriales. L'intervention forte de la puissance publique et le financement des agences sont légitimes sous l'angle économique et social, comme sous l'angle environnemental 143 ( * ) . »

Le CGAAER recommande ainsi que l'État organise les moyens de financement nécessaires, au sein des programmes des agences de l'eau et de l'Europe, pour atteindre de 70 % à 80 % de concours publics pour les retenues de substitution.

d) Un paradoxe qui n'est qu'apparent : arroser les villes et les campagnes

Toujours dans l'objectif de mieux gérer la ressource, il est peut-être temps de songer à modifier nos réflexes . Actuellement, lorsque l'eau vient à manquer, l'habitude est de prendre des arrêtés de rationnement, d'interdire dans les zones touchées tel ou tel usage de l'eau. Or, au cours de pics de chaleur comme ceux que la France a connus en 2003, les observations ont montré que l'arrosage des espaces verts en ville et l'irrigation des cultures en milieu rural ont favorisé, localement, la baisse des températures et limité par conséquent les besoins en eau.

En constituant des réserves de proximité alimentées, entre autres, par la récupération des eaux pluviales, on pourrait mobiliser ces stocks pour arroser parcs et jardins en milieu urbain, champs en milieu rural, et favoriser ainsi l'évapotranspiration, et donc la baisse des températures. Grâce aux images satellites, on sait qu'il fait plus frais dans un verger ou un champ de maïs irrigué que dans le chaume voisin.

Gérer ainsi les pics de chaleur pourrait être une manière intelligente et collaborative de (ré)concilier les intérêts de la ville et ceux de la campagne 144 ( * ) .

Deux questions :

Puisque la ressource ne se crée pas mais qu'elle se gère, ne faudrait-il pas autoriser la création de réserves de substitution, gérées collectivement, qui pourraient soulager la pression sur le débit des fleuves ?

Quid du stockage de l'eau de pluie abondante en hiver et au printemps, pour l'utiliser en été quand elle manque ?

4. Et les grands ouvrages structurants ?

Si certains pays expriment moins d'inquiétudes que le nôtre face au changement climatique, c'est parce qu'ils comptent sur ces ouvrages structurants auxquels la France a plus de mal à se résoudre. Les événements dramatiques survenus lors de l'occupation par la Zad 145 ( * ) du site retenu pour le barrage de Sivens, envisagé sur un affluent du Tarn, ont conduit, par arrêté préfectoral du 4 décembre 2015, à l'abandon d'un projet développé durant plus de vingt-cinq ans et dont l'ampleur était, somme toute, assez réduite 146 ( * ) .

L'exemple de Charlas

Le barrage de Charlas, ville proche de Saint-Gaudens, est un projet de grand barrage structurant évoqué depuis les années quatre-vingt, qui envisageait l'édification d'une digue de 60 mètres de haut sur 1,3 kilomètre de long. Il n'a jamais été réalisé. Destiné à alimenter en eau la Garonne et les rivières du Gers, il prévoyait de noyer 625 hectares de bonnes terres cultivées sur cinq communes dans le sud de la Haute-Garonne, sous une masse d'eau de 110 millions de mètres cubes.

Ce volume peut paraître important mais il reste modéré quand on sait qu'ailleurs dans le monde il se construit des retenues dépassant le milliard de mètres cubes.

Situé sur un site desservant les deux bassins versants de la Garonne et de ses affluents en Gascogne, ce projet de barrage avait une double ambition : la sécurisation de l'alimentation en eau des populations, des villes situées sur la Garonne, des agriculteurs et des industriels ; la prévention de situations de sécheresse dans une région qui les subit souvent et dont les réservoirs d'eau sont très insuffisants.

Ce projet ne s'est jamais concrétisé. Des scénarios alternatifs sont actuellement à l'étude pour envisager de construire, non plus une grande retenue unique, mais plusieurs petits barrages.

Soulignons de nouveau que le grand Sud-Ouest ne se trouve pas dans la même situation que la zone méditerranéenne , qui bénéficie à la fois des réserves des glaciers alpins d'altitude et de la présence de nombreux barrages alimentés par des précipitations fortes et la fonte des neiges. La région pyrénéenne n'a plus de glaciers d'altitude, on y observe des précipitations moindres et peu de grands ouvrages. Il n'est donc pas étonnant que se manifeste avec le plus d'acuité, dans ce périmètre, l'effet des conflits d'usages.


* 141 Source : Comité français des barrages et réservoirs.

* 142 Auditions de France nature environnement, le 6 octobre 2015, et du Bureau européen de l'environnement (BEE), le 10 février 2016, dans le cadre du déplacement à Bruxelles.

* 143 Synthèse Eau et Agriculture, Tome 1 : Aspects quantitatifs - Rapport n° 14061 - Juin 2015.

* 144 Les contraintes et opportunités du changement climatique : Comment gérer la question des canicules de manière durable en associant ville et campagne ? - Jean-François Berthoumieu, Patrick Debert, Elodie Patelli (ACMG) ; Camille Jonchères (Université Bordeaux II) ; Helena Moreira, Ronaldo Gabriel, Edna Cabecinha, Ana Alencoão (University of Trás-os-Montes and Alto Douro, Vila Real, Portugal).

* 145 Pour « zone à défendre », néologisme militant utilisé pour désigner une forme de squat à vocation politique, la plupart du temps à l'air libre et destiné à s'opposer à un projet d'aménagement dans des espaces à dimension environnementale ou agricole.

* 146 La capacité prévue dans le projet de Sivens était de 1,5 million de mètres cubes, soit presque mille fois moins que le volume du réservoir de Serre-Ponçon, qui atteint près de 1,3 milliard de mètres cubes.

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