II. LES IMPACTS SUR L'EAU SONT INÉLUCTABLES
A. IMPACT SUR LES QUANTITÉS
1. L'eau sur Terre est-elle disponible pour l'Homme ?
Tels sont les termes de la question posée 53 ( * ) à l'occasion de la conférence Changements climatiques, démographie et problèmes de l'eau au XXI e siècle , tenue dans le cadre des Grands séminaires de l'Observatoire Midi-Pyrénées.
La réponse est claire : « Non, elle est déjà utilisée par l'ensemble des écosystèmes continentaux, fluviaux, lacustres, marécageux, estuariens et côtiers de la planète, jusqu'à la dernière goutte. Ce n'est qu'aux dépens de ces écosystèmes que l'Homme peut augmenter la part qu'il utilise à ses fins. La question essentielle est de connaître la résilience de ces écosystèmes, le volume d'eau et le niveau de biodiversité dont la planète a besoin pour perdurer. »
2. Y a-t-il un risque de pénurie en France ?
a) Les données hydrographiques sont rassurantes
Apparemment, aucun risque de pénurie globale en eau n'est à redouter dans notre pays. La France dispose, en effet, d'une capacité de stockage en eau élevée, du fait de sa pluviométrie, de ses grandes montagnes, de son réseau hydrographique étendu et de ses importantes nappes souterraines.
• Le réseau hydrographique est constitué de 270 000 kilomètres de cours d'eau, de fleuves et de ruisseaux. Les bassins versants des quatre principaux fleuves français - Garonne, Loire, Rhône, Seine - drainent 63 % des eaux du territoire, le reste étant assuré par de nombreux bassins côtiers - Adour, Somme, Charente, Var - ou des affluents de fleuves de pays voisins comme le Rhin et l'Escaut.
À ces flux, il convient d'ajouter 11 milliards de mètres cubes, apportés par les cours d'eau provenant des pays voisins, soit un faible volume de dépendance de nos ressources (8 %) et de retrancher 18 milliards de mètres cubes s'écoulant de la France vers ces pays, principalement par le Rhône, le Rhin et la Meuse.
• Par ailleurs, le stock des nappes souterraines est estimé à 2 000 milliards de mètres cubes et celui des eaux de surface stagnantes - lacs naturels, grands barrages et étangs - à 108 milliards de mètres cubes.
• Chaque année, la métropole reçoit un volume de précipitations évalué à 501 milliards de mètres cubes 54 ( * ) : 60 % rejoignent l'atmosphère par évapotranspiration ; parmi les 40 % restantes, appelées « pluie efficace », 16 % alimentent les cours d'eau et 24 % s'infiltrent dans le sol pour reconstituer les réserves souterraines.
Au total, les ressources annuelles disponibles s'élèvent à 191 milliards de mètres cubes, ce qui équivaut à 3 262 mètres cubes par personne et par an. On estime les besoins du pays à 32 milliards de mètres cubes par an, soit 17 % des ressources disponibles.
b) Les observations inquiètent
Cela étant, on constate qu'environ un quart du territoire métropolitain est aujourd'hui inscrit en zones de répartition des eaux (ZRE), c'est-à-dire dans des sous-bassins hydrographiques où des systèmes d'aquifère sont caractérisés par une insuffisance chronique de la quantité d'eau mobilisable au regard des besoins à satisfaire 55 ( * ) . Ces ZRE se concentrent sur le grand ouest de la France et le bassin parisien .
Au cours des douze dernières années, le seuil de 50 % des départements français concernés par des arrêtés de restriction d'usage - arrosage, remplissage des piscines, nettoyage des véhicules,... - a été atteint en 2003, 2005, 2006 et 2011, même si le déclenchement du niveau d'alerte le plus élevé, dit « de crise », est resté exceptionnel.
La récurrence de ces épisodes de stress hydrique a obligé au renforcement de la sécurisation de l'alimentation des services d'eau potable.
3. Les régions les plus affectées ne sont pas celles que l'on croit
a) La zone méditerranéenne n'est pas la plus touchée
Contrairement aux idées reçues, le pourtour méditerranéen n'est pas la zone la plus exposée au risque de pénurie d'eau 56 ( * ) . Il reste préservé grâce aux réserves d'eau constituées dans les glaciers alpins, même si le décalage observé dans le temps sur les périodes de dégel peut provoquer des phénomènes de crues et d'inondations très brutaux comme on en a connus dans les années récentes.
Ancrées dans la tradition méditerranéenne, de grandes réserves ont de surcroît été constituées pour faire face aux périodes de sécheresse et approvisionner le monde rural et urbain.
b) Deux zones vulnérables
En revanche, l'étude prospective sur l'impact du changement climatique sur la ressource en eau, Explore 2070, indique que, quels que soient les choix socio-économiques, les tensions sur l'eau vont s'accentuer en France , avec :
- une diminution significative globale des débits moyens annuels à l'échelle du territoire, entre 10 % et 40 %, particulièrement prononcée sur les bassins Seine-Normandie et Adour-Garonne ;
- pour la grande majorité des cours d'eau, une accentuation générale des étiages 57 ( * ) encore plus prononcée ;
- des évolutions sur les crues décennales plus hétérogènes et globalement moins importantes.
En ce qui concerne l'hydrologie souterraine, il faut s'attendre à une baisse quasi générale de la piézométrie 58 ( * ) associée à une diminution de la recharge des nappes comprise entre 10 % et 25 %, avec globalement deux zones plus sévèrement touchées : le bassin versant de la Loire, avec une baisse de la recharge comprise entre 25 % et 30 % sur la moitié de sa superficie et surtout le sud-ouest de la France avec des baisses comprises entre 30 % et 50 %, voire davantage.
Une question : Deux données sont incontestables. La demande en eau augmente, notamment sous l'effet de la pression démographique : la population française s'accroît de 0,5 % chaque année. Pour le bassin de la Garonne, par exemple, l'Insee prévoit une augmentation d'un million d'habitants à l'horizon 2050, soit une hausse annuelle de 0,9 %, 30 000 habitants supplémentaires, dont la moitié pour la seule agglomération toulousaine. Le changement climatique raréfie la ressource : la pénurie survient précisément au moment où les besoins se font le plus sentir, c'est-à-dire en période estivale. Leur croisement illustre l'effet de ciseaux que subit la ressource en eau. Celle-ci doit être respectée comme une ressource rare : elle ne se crée pas, elle se gère. Saura-t-on gérer cet effet de ciseaux ? |
* 53 Par Ghislain de Marsily, professeur émérite à l'Université Pierre-et-Marie-Curie, membre de l'Académie des sciences - Audition du 2 juin 2015.
* 54 L'eau et les milieux aquatiques : Chiffres clés - Commissariat général au développement durable - Février 2016.
* 55 Audition de la fédération professionnelle des entreprises de l'eau du 2 juin 2015.
* 56 Audition de Pierre-Alain Roche, président du conseil d'administration de l'association scientifique et technique pour l'eau et l'environnement (Astee), du 24 novembre 2015.
* 57 Voir glossaire en annexe
* 58 Comprendre la profondeur de la surface des nappes.