CHAPITRE II - LA CRISE MIGRATOIRE

L'ANNÉE 2015

335 millions de ressortissants de pays tiers franchissent, chaque année, les frontières extérieures de l'Union européenne.

Le séjour irrégulier sur le territoire de l'Union s'explique soit par le maintien sur ledit territoire de ressortissants de pays tiers au-delà de la durée de séjour autorisée, soit par le franchissement illégal des frontières.

En l'absence d'un dispositif technique de type « Frontières intelligentes » (« Smart Borders ») enregistrant l'entrée et la sortie de chaque ressortissant d'un pays tiers dans l'espace Schengen, il est difficile d'établir des statistiques sur les populations qui se maintiennent irrégulièrement dans l'Union.

En revanche, l'Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures des États membres de l'Union européenne (Frontex) procède à des détections de franchissements irréguliers. 50 % de ceux-ci ont été détectés en 2012 et en 2013 aux frontières entre la Grèce et la Turquie ou entre la Bulgarie et la Turquie. En 2014, il a été détecté 280 000 franchissements irréguliers des frontières extérieures, soit un triplement par rapport à 2013, la Méditerranée centrale constituant la principale voie d'accès.

Fin 2015, le HCR estimait à 1,8 million le nombre de franchissements irréguliers des frontières de l'Union européenne pour 2015 (soit au moins 10 fois plus que le nombre de franchissements irréguliers détectés en 2012 et 2013 !) dont 853 650 (contre 34 442 en 2014) par la Grèce et 153 842 (contre 170 100 en 2014) par l'Italie.

On note que sur les deux premiers mois de l'année 2016, la Grèce aurait enregistré presque autant d'arrivées (125 819) que l'Italie sur toute l'année 2015 (153 842).

Les données statistiques dont nous disposons proviennent d'Eurostat et de Frontex, au plan européen, de l'Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) au plan français, de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) et du Haut comité aux réfugiés (HCR) au plan international, sans oublier l'OCDE.

On a aussi assisté, sur l'année 2015, à une véritable explosion de la demande d'asile dans l'Union européenne (données Eurostat) : 1,2 million de personnes (dont 442 000 pour l'Allemagne, 174 000 pour la Hongrie, 156 000 pour la Suède, 85 000 pour l'Autriche, 83 200 pour l'Italie et 70 600 pour la France) auraient effectué une telle démarche, soit une progression de plus 35 % par rapport à l'année 2014 qui avait déjà enregistré le chiffre record de 626 000 demandes.

LE DÉBUT DE L'ANNÉE 2016

Selon les chiffres communiqués par le HCR, on a enregistré, du 1 er janvier au 3 mars 2016, 125 819 arrivées par la Grèce et 9 086, seulement, par l'Italie.

Selon l'agence Frontex, qui a publié, le 28 janvier dernier, de nouvelles statistiques, le pourcentage de personnes se déclarant syriennes aurait « considérablement baissé au cours des derniers mois » , en passant de 56 % des migrants arrivant en Grèce sur toute l'année 2015 à 39 % en décembre. Leur proportion, au regard de la détection mensuelle réalisée par Frontex, était de 43 % sur l'ensemble des migrants en novembre et de 51 % en octobre. L'agence européenne en conclut que les techniques d'enregistrement des migrants s'améliorent et font augmenter le nombre de cas détectés dans lesquels des personnes se déclarant syriennes ne le sont pas en réalité.

Au mois de décembre 2015, le pourcentage de personnes d'origine irakienne parmi les migrants (25 %) aurait représenté plus du double de ce qu'il représentait au mois d'octobre (11 %) et en novembre (12 %). S'agissant des Afghans, ils auraient représenté, au mois de décembre, entre un quart et un tiers du total des migrants détectés à la frontière grecque.

Un ancien Haut commissaire des Nations unies pour les réfugiés a récemment relevé que la dégradation de la situation des réfugiés syriens dans les camps de la région (Turquie, Liban, Jordanie) reste la principale cause de l'afflux des réfugiés vers l'Union européenne depuis quelques mois ; plus généralement, il a souligné que 80 % des personnes réfugiées ou déplacées dans le monde le sont à cause de conflits armés. Depuis quelques années, la situation s'aggrave : 11 000 personnes déplacées du fait d'un conflit en 2010 ; 14 000 en 2011 ; 23 000 en 2012 ; 32 000 en 2013 et 42 500 en 2014.

C'est la multiplication de nouveaux conflits ainsi que la difficulté croissante, elle aussi, du règlement des conflits anciens qui ne permettent pas de trouver rapidement des solutions avec, notamment, la réinstallation des réfugiés dans leur pays d'origine. Au plus, les conflits sont de plus en plus interconnectés (Syrie, Palestine, Afghanistan, Libye, Sahel, Nigéria...) tandis que se globalisent aussi le terrorisme et les différents trafics souvent connexes.

Une nouvelle donnée migratoire doit être prise en considération en 2016.

En 2015, 70 % des migrants arrivant en Grèce par la Turquie étaient des hommes isolés. Au cours des deux premiers mois de l'année 2016, 60 % des arrivants étaient des femmes et des enfants.

À l'évidence, les candidats à la migration ont redouté la fermeture totale de la route des Balkans du fait des décisions unilatérales des États (en particulier la Macédoine dans le cas présent) qui « bloquent » leurs frontières. On assiste actuellement à une tentative désespérée, et sans doute accélérée par rapport aux projets initiaux des réfugiés déjà présents sur le sol européen, de faire venir femmes et enfants. Les réseaux de passeur sont évidemment très sollicités et les « tarifs » explosent.

Le 8 mars dernier, à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes, le Parlement européen a adopté un rapport dit « HONEYBALL » qui rappelle qu'aujourd'hui, les femmes et les enfants représentent un tiers des demandeurs d'asile et relève qu'à la date du 15 janvier 2016, ils constituaient 55 % des personnes arrivant en Grèce pour demander l'asile selon les chiffres du HCR, contre 27 % constatés en juin 2015. Par ailleurs, 20 % des femmes conduisaient seules leur famille depuis la Syrie, c'est à dire sans protection.

Le rapport dénonce les conditions de vie déplorable des femmes dans les centres d'accueil, où dortoirs, sanitaires et douches sont mixtes, ainsi que les nombreuses violences allant du harcèlement au viol dont elles sont victimes tant dans leur pays d'origine, que dans les pays de transit et de destination. Il ne détaille pas moins de 66 propositions divisées en plusieurs thématiques : la nécessaire prise en compte du genre dans la détermination du statut de réfugié ; la reconnaissance des besoins spécifiques des femmes dans les procédures d'asile, ainsi que dans les centres d'accueil et de rétention ; la résolution des problèmes de traite, de trafic et de violence sexuelle et enfin la mise en place de politiques d'inclusion et d'intégration sociales.

La Commission européenne a présenté le même jour une proposition tendant à l'adhésion de l'Union européenne à la convention d'Istanbul du Conseil de l'Europe. Celle-ci constituerait, à ce jour, la convention la plus étendue en ce qui concerne la lutte contre la violence à l'égard des femmes et la violence domestique. Cette convention comprend un volet destiné à la protection spécifique des migrantes, demandeuses d'asile et réfugiées, en leur accordant des droits spécifiques, comme l'obtention d'un titre de séjour lorsqu'elles sont victimes de violences conjugales et que leur statut dépend de celui de leur mari.

QUELQUES PAYS EUROPÉENS FACE À LA CRISE MIGRATOIRE

Après près d'un million en 2015, plus de 50 000 réfugiés seraient arrivés en Allemagne dans la première quinzaine de janvier 2016, soit plus de 3 750 par jour en moyenne. À ce rythme, l'Allemagne pourrait accueillir encore 1,2 million de personnes d'ici la fin de l'année 2016, soit davantage qu'en 2015.

Le Bundestag a mis en place, le 14 janvier, un système d'enregistrement des réfugiés commun à tous les Länder qui pourraient ainsi délivrer un document d'identité valable pour l'ensemble du territoire fédéral et enregistrant toutes les données permettant une identification sans ambiguïté, en particulier les empreintes digitales.

La Hongrie est un des pays qui a été le plus affecté par la crise migratoire en 2015. De janvier à juillet de cette année, 100 000 entrées illégales (certains ont évoqué 200 000) ont été enregistrées par Frontex.

La Hongrie aurait même été le pays qui aurait accueilli - même provisoirement (car le pays est plutôt un pays « de transit ») - le plus grand nombre de réfugiés par habitant sur son territoire.

Au mois d'août 2015, le pays érige un mur de séparation à sa frontière avec la Serbie. Une loi est votée au mois de septembre pour punir le franchissement irrégulier de cette barrière d'une peine d'emprisonnement pouvant atteindre trois ans. Au mois de septembre 2015, la Hongrie érige une autre barrière à la frontière entre la Croatie et la Hongrie. Au mois de février 2016, le gouvernement hongrois annonce sa décision d'organiser un référendum sur la possibilité pour l'Union européenne d'imposer l'installation d'étrangers en Hongrie.

Plus de 600 000 immigrants ont transité sur le territoire autrichien depuis septembre 2015, d'abord depuis la frontière orientale puis (après l'achèvement de la clôture hongroise) depuis la frontière méridionale. Pays de transit, l'Autriche est devenue un pays de destination avec plus de 90 000 demandes d'asile en 2015 (contre quelque 28 000 en 2014 et 17 500 en 2013). L `afflux de réfugiés est apparu acceptable aussi longtemps que les flux entrants étaient synchronisés avec les flux sortants. La décision allemande de durcir sa politique d'accueil a conduit les autorités autrichiennes à rétablir provisoirement, à compter du 16 septembre 2015, des contrôles à ses frontières ainsi qu'à ériger, en décembre, une clôture à la frontière avec la Slovénie.

Le nombre de migrants entrant, tous les jours, en Autriche et quittant le territoire en direction de l'Allemagne depuis le début de l'année 2016 est resté élevé : entre 2 500 et 3 000 personnes (contre des pics de plus de 10 000 entrées par jour au mois d'octobre 2015), soit 24 000 personnes depuis le 1 er janvier.

Le 20 janvier, le Chancelier autrichien a annoncé qu'il comptait plafonner les seuils de demandes d'asile déposées chaque année, soit 37 500 pour l'année 2016. L'Autriche a souhaité limiter à 1,5 % de sa population totale (8,5 millions d'habitants) le nombre de personnes bénéficiant de sa protection dans les trois prochaines années. Le 17 février, elle a fixé des quotas d'entrées sur son territoire (80 demandeurs par jour, 3 200 personnes en transit).

Près de 410 000 migrants sont entrés en Slovénie depuis la mi-octobre 2015, dont plus de 30 700 depuis le 1 er janvier 2016. Après avoir atteint entre 2 000 et 3 000 aux premiers jours de janvier, le nombre d'arrivées s'établirait actuellement autour de 1 000.

À la mi-janvier, seuls quelque 150 migrants auraient introduit une demande d'asile en Slovénie.

Un responsable slovène a récemment indiqué que la Slovénie pouvait, selon lui, accueillir un maximum de 1 000 demandeurs d'asile.

Depuis septembre 2015, plus de 580 000 adhérents seraient passés par la Croatie . Pendant deux mois, on a recensé une moyenne de 6 300 arrivées quotidiennes puis un fort ralentissement (autour de 2 400 arrivées par jour) autour de la période du sommet Union européenne-Turquie (fin novembre-début décembre 2015). Le rythme des arrivées a ensuite repris à hauteur de 3 800 entrées quotidiennes avant de descendre environ à 1 000 entrées par jour en moyenne début janvier.

On note que la Croatie a obtenu le remboursement par le budget européen des dépenses qu'elle a engagées en matière d'hébergement, d'alimentation et de prise en charge médicale des migrants. Elle a aussi bénéficié, notamment au titre du mécanisme européen de protection civile, d'une aide financière et d'un équipement de la part de nombreux États membres.

À la suite de la fermeture par la Hongrie de sa frontière avec la Croatie, le gouvernement croate a fait le choix d'un enregistrement « souple » des migrants.

La Serbie aura aussi été en 2015 un pays de transit pour des dizaines de milliers de réfugiés. La crise migratoire a été à l`automne 2015 l'occasion de sérieuses « frictions » avec la Hongrie `au sujet de la « barrière hongroise ») et avec la Croatie avec laquelle les frontières ont été fermées pendant quelques semaines.

Largement épargnée par la crise migratoire, la Pologne a annoncé au mois de janvier qu'elle était prête à accueillir 400 réfugiés en 2016 sur son territoire, dans le cadre du plan de relocalisation de l'Union européenne. Ce pays a enregistré 12 211 demandes d'asile en 2015 émanant essentiellement de Russie (7 900) et d'Ukraine (2 300), les demandeurs en provenance d'Afrique ou du Moyen-Orient n'étant que 362.

Officiellement, la Pologne affiche sa volonté de se conformer aux décisions européennes sur la relocalisation tout en manifestant un certain scepticisme sur leur degré de réalisme.

Avec 21 500 personnes accueillies en 2015 et 25 000 attendues en 2016, le Danemark souligne qu'il compte parmi les 10 pays accueillant le plus de réfugiés par habitant. Le pays a annoncé au mois de septembre 2015 qu'il ne participerait pas à la politique des quotas. Au mois de décembre, un projet de loi a été déposé visant à saisir les effets personnels des demandeurs d'asile afin de couvrir en partie leurs frais d'accueil et à rendre plus strictes les conditions du regroupement familial.

Après un record historique de 10 000 entrées la première semaine du mois de novembre 2015, la Suède a constaté une réduction des demandes d'asile en fin d'année avec une moyenne de 1 500 à 2 000 entrées par semaine. Cette baisse est en partie consécutive à la mise en place de contrôles d'identité à la frontière au départ des trains, bus et ferries à compter du 4 janvier 2016 . Au cours de la première semaine de janvier, le nombre de demandes d'asiles s'élevait à un peu moins de 1 100. Au total, sur l'année 2015, la Suède aura accueilli plus de 80 000 demandeurs d'asile.

En 2015 puis en 2016, la situation de la Grèce, à son corps défendant, est devenue tout à fait stratégique. D'après les statistiques de l'OIM, ce pays n'a enregistré, en 2014, que 77 000 nouveaux entrants sur son territoire (170 100 migrants ayant gagné l'Italie par voie maritime.)

En 2015, réorientation complète des flux : la Grèce aurait assuré le premier accueil de plus de 80 % (près de 857 000) du gros million de migrants entrés sur le territoire de l'Union par la mer.

Comme l'a relevé la délégation de la commission des lois du Sénat qui s'est rendue sur place au mois de février, 58,4 % des arrivées en Grèce (soit un peu plus de 500 000 personnes) ont débarqué, en 2015, sur l'île de Lesbos (48 % du total des arrivées en Europe).

La pression s'est encore accrue au début de l'année 2016. Pour le seul mois de janvier, l'OIM a ainsi dénombré quelque 58 500 arrivées en Europe (sur 67 200 au total) via la Grèce. Au mois de janvier 2015, on n'avait comptabilisé que 5 000 arrivées.

En 2015, les nouveaux arrivants à Lesbos ont été principalement des Syriens (48,1 %), des Afghans (33,3 %) et des Irakiens (10,3 %), mais aussi des Pakistanais (quatrième nationalité représentée avec 2,1 %) et des Marocains (un peu plus de 5 000 personnes débarquées à Lesbos en 2015) qui ont représenté la sixième nationalité des arrivants.

La question de la frontière gréco-macédonienne a joué un rôle important dans l'évolution de la situation. 1 million de migrants se serait retrouvés bloqués en Grèce en 2014 du fait de la fermeture de la frontière de la Grèce avec l'Ancienne République yougoslave de Macédoine.

La décision de réouverture de cette frontière, prise par le nouveau gouvernement grec au mois d'avril 2015, a permis à la Grèce de retrouver sa fonction de pays de transit pour des migrants dont la quasi-totalité (seules quelque 13 200 demandes d'asile ont été enregistrées en Grèce en 2015) a emprunté la « route des Balkans » pour rejoindre des destinations désirées telles que l'Allemagne ou la Suède.

Mais la décision prise par la Macédoine le 21 novembre dernier de réintroduire un contrôle strict de sa frontière avec la Grèce et de procéder à un enregistrement commun des migrants « filtrés » avec la Serbie, la Croatie, la Slovénie et l'Autriche puis le 7 mars dernier de « fermer la route des Balkans » ont changé la donne.

Redevenue un cul-de-sac, la Grèce doit bénéficier en urgence d'aides européennes pour enrayer le développement d'une grave crise humanitaire. À la mi-mars, environ 15 000 réfugiés étaient entassés, dans des conditions déplorables, à la frontière gréco-macédonienne et notamment à Idoméni, tandis que de 3 à 4 000 arrivées quotidiennes étaient toujours constatées sur les îles de la mer Égée (contre 15 000 arrivées quotidiennes au mois de décembre 2015 !)

LA RÉACTION EUROPÉENNE

Les propositions de la Commission européenne du 15 décembre 2015 en matière de protection des frontières extérieures vont dans le bon sens avec l'instauration de vérifications systématiques obligatoires pour les citoyens européens aux frontières extérieures terrestres, maritimes et aériennes de l'Union européenne. La nécessité de vérifier les identifiants biométriques dans les passeports des citoyens européens est soulignée. La création d'un corps européen de gardes-frontières et de gardes-côtes dédié à la protection des frontières extérieures doit être saluée. Il en est de même du projet d'envoyer des agents de liaison dans les pays tiers voisins ainsi que de mettre en place un Bureau européen des retours.

Le Sommet de La Valette des 11 et 12 novembre 2015 sur les migrations, a prévu la création d'un fonds fiduciaire d'aide à l'Afrique qui devrait, à terme, être porté à 3,6 milliards d'euros. Un plan d'action vise notamment :

- à s'attaquer aux causes profondes de la migration irrégulière et des déplacements forcés de populations ;

- à intensifier la coopération concernant les migrations et la mobilité légale ;

- à renforcer la protection des migrants et des demandeurs d'asile ;

- à prévenir la migration irrégulière, le trafic de migrants et la traite des êtres humains et lutter contre ces phénomènes ;

- coopérer plus étroitement pour améliorer la coopération en matière de retour, de réadmission et de réintégration.

Sur la question de la réadmission des migrants illégaux , on note que, dans le cadre de la coopération UE-ACP, l'article 13 de l'accord de Cotonou prévoit un dialogue approfondi sur les questions de migrations entre les États UE et ACP, un traitement équitable des ressortissants des pays tiers résidant légalement sur le territoire, la lutte contre les causes profondes des migrations, la lutte contre l'immigration illégale, la réadmission des migrants illégaux, ainsi que la possibilité d'accords bilatéraux sur les réadmissions.

La Commission européenne vient de présenter trois propositions de décisions relatives aux accords de partenariat économique (APE) entre les États partenaires de la communauté d'Afrique de l'Est, d'une part, et l'Union européenne et ses États membres, d'autre part. Ces accords ne comportent aucune disposition du type de celles qui viennent d'être évoquées.

La question pourrait se poser de savoir s'il ne serait pas opportun d'introduire des clauses de cette nature dans les accords de partenariat économique.

Il est certain, aussi, qu'il faut renforcer l'aide aux pays de la région qui hébergent près de 3 millions de réfugiés en provenance de Syrie ou d'Irak : la Turquie, la Jordanie et le Liban sont principalement concernés. On sait que l'Union européenne a promis 3 milliards d'euros à la Turquie lors de l'accord conclu le 21 novembre 2015 avec ce pays ; certaines voix s'élèvent pour faire en sorte que l'aide européenne parvienne bien aux réfugiés « hébergés ». En Turquie, un tiers seulement des Syriens vivent dans des camps de réfugiés contrôlés par le HCR.

Les processus européens sont lents tant pour les prises de décision que pour leur mise en oeuvre, étant observé, au surplus, que la sécurité intérieure reste à bien des égards une « chasse gardée » des États.

Mais les processus de décisions européens si nécessaires par « temps calme » sont-ils adaptés aux situations d'urgence ? En cas d'inadaptation avérée, ce sont bien sûr les États qui reprennent la main, hélas souvent dans le désordre, pour tenter de maîtriser la situation, et c'est tout l'édifice qui est menacé de dislocation.

La plupart des initiatives européennes (la coopération avec les pays tiers concernés), ne produiront leurs effets que dans la durée.

L'urgence, c'est peut-être aujourd'hui le rétablissement de la confiance entre les États membres.

L'Union européenne doit parvenir à mettre en place à ses frontières extérieures des « capacités d'accueil » pour les 1 500, 2 000, parfois 5 000 personnes qui arrivent tous les jours afin de les héberger, les nourrir, les soigner et scolariser leurs enfants pendant tout en assurant les opérations d'enregistrement , d'identification et de contrôle nécessaires.

Les plans de relocalisation proposés par la Commission européenne ne seront acceptés que si tous les États membres ont la certitude que l'Union contrôle effectivement ses frontières extérieures.

Les deux mécanismes de « relocalisation » adoptés par le Conseil le 14 septembre (40 000 personnes au départ de l'Italie et de la Grèce), et le 22 septembre 2015 (120 000 personnes supplémentaires au départ de l'Italie, de la Grèce et de la Hongrie - qui a refusé le bénéfice du dispositif - soit un total de 160 000 personnes à relocaliser) ne portent donc que sur 10 à 15 % de l'ensemble des réfugiés arrivés dans l'Union en 2015. On rappellera qu'il s'agit de deux mécanismes exceptionnels et temporaires qui, en dérogation aux accords de Dublin, relocalisent 160 000 réfugiés afin qu'ils puissent faire enregistrer une demande de protection internationale dans l'État dans lequel ils ont été « relocalisés ».

On relèvera que la clé de répartition retenue par la Commission (le PIB à hauteur de 40 %, la population à hauteur de 40 %, le taux de chômage à hauteur de 10 %, ainsi que l'effort en matière d'asile des cinq dernières années à hauteur de 10 %) n'a pas été validée par les décisions du Conseil. La France, pour sa part, s'est engagée à accueillir un total d'un peu plus de 30 000 personnes, soit 6752 au départ de l'Italie, 12 962 au départ de la Grèce, auquel s'ajouteraient environ 10 000 personnes au nom de la « réserve hongroise ».

Les décisions du Conseil ont aussi prévu que tout État membre confronté à une situation d'afflux massif de réfugiés fragilisant son dispositif d'accueil pourra demander à bénéficier du mécanisme de relocalisation. La Suède a utilisé cette possibilité et, le 15 décembre dernier, a été exonérée de de ses obligations en matière de relocalisation pendant un an.

Le 9 septembre 2015, la Commission a présenté une proposition renforçant les dispositions relatives aux « pays d'origine sûrs » afin d'accélérer le traitement de certaines demandes d'asile et de limiter le flux des demandeurs originaires des Balkans.

La liste de « pays sûrs » proposée comprenait l'Albanie, la Bosnie-Herzégovine, la Macédoine, le Kosovo, le Monténégro, la Serbie et la Turquie. Soulignons que les États membres ont également la possibilité de dresser des listes nationales de pays d'origine sûrs.

C'est ainsi qu'au mois de janvier 2016, l'Allemagne, suivie par l'Autriche, a décidé de placer l'Algérie, le Maroc et la Tunisie sur leurs listes nationales de « pays sûrs ».

LA SITUATION ACTUELLE

Après la mise en place, le 18 février, par la Macédoine, l'Autriche, la Croatie, la Serbie et la Slovénie d'un enregistrement commun des migrants, puis la décision, le 8 mars, de « fermer la route des Balkans », environ de 3 à 4 000 réfugiés continuaient à arriver quotidiennement en Grèce.

Au total, ce serait actuellement quelque 50 000 migrants qui seraient « abrités » en Grèce (chiffres fournis par l'ambassade de Grèce).

Le mardi 8 mars 2016, les membres de la commission des affaires européennes et de la commission des lois du Sénat ont entendu M. Fabrice Leggeri, directeur exécutif de Frontex. Celui-ci a souligné la valeur ajoutée opérationnelle des opérations de l'OTAN en mer Égée, dès lors qu'en l'état actuel du droit, Frontex ne peut déployer ses opérations maritimes (13 bateaux, pour le moment, dans les eaux grecques) que dans les eaux territoriales des États membres de l'Union européenne alors que les navires de l'OTAN peuvent, eux, se déployer dans les eaux territoriales turques.

Un « common outstanding » entre Frontex et le commandement maritime de l'OTAN permet de coordonner les positions des navires et l'échange d'informations. L'objectif est de conduire des opérations communes gréco-turques permettant de signaler aux gardes-côtes turcs les bateaux de migrants détectés aux fins de réadmission sur le territoire turc.

Outre ces opérations maritimes, Frontex compte aussi sur la réactivation de l'accord existant gréco-turc pour la réadmission des migrants en situation irrégulière.

Le directeur exécutif de Frontex a aussi estimé à 236 000 le nombre des franchissements irréguliers vers l'Union européenne depuis le début de l'année, dont 121 000 par la mer à destination de la Grèce.

Par rapport à l'été 2015, il a constaté que les flux actuels concernaient moins les Syriens (35 à 40 % au lieu de 80 %) et que l'on recensait, au cours des dernières semaines, davantage de migrants irréguliers à caractère « économique » en provenance du Maghreb et de l'Afrique sub-saharienne. Il a aussi relevé une progression sensible, depuis le début de l'année, des arrivées de par la Méditerranée centrale, migrants originaires d'Afrique subsaharienne et d'Afrique de l'Ouest.

M. Leggeri a encore mis en garde contre le contournement de la route « bloquée » des Balkans, notamment par l'Albanie vers la mer Adriatique.

Il a regretté l'absence d'une politique d'asile suffisamment unifiée au niveau européen qui permettrait une prise en charge plus satisfaisante des vrais demandeurs d'asile avant de plaider pour une gestion plus intégrée des frontières extérieures de l'Union, les récentes propositions de la Commission en décembre 2015, allant, bien sûr, dans le bon sens. Il a encore exprimé le souhait que Frontex puisse avoir accès au système d'information Schengen (SIS), ce que la législation européenne actuelle lui interdit.

Le Conseil européen des 17 et 18 mars 2016 a entériné les principes retenus par le préaccord Union européenne-Turquie conclu le 7 mars. À partir du dimanche 20 mars, tous les nouveaux migrants irréguliers arrivant en Grèce pourront être refoulés en Turquie.

Conformément au droit international, lesdits migrants auront la possibilité de présenter une demande d'asile en Grèce. La Grèce s'engage, toutefois, à reconnaître explicitement la Turquie comme un pays tiers sûr ce qui pourrait permettre les refoulements.

Par ailleurs, le mécanisme « un Syrien contre un Syrien » prévoit que, pour chaque Syrien renvoyé en Turquie, un autre Syrien, actuellement abrité dans les camps de réfugiés en Turquie, pourra venir présenter une demande d'asile en Europe dans le cadre d'un « corridor humanitaire ». L'échange devrait concerner 72 000 personnes. Il s'agit, selon les termes des conclusions du Conseil, d'un dispositif « temporaire et extraordinaire » visant à « casser le modèle économique des migrants » et « en finir avec la souffrance humaine ».

On connaît les autres conditions posées par la Turquie : un versement supplémentaire de 3 milliards d'euros en faveur des réfugiés installés en Turquie, une accélération du processus d'adhésion à l'Union européenne, ainsi qu'une libéralisation du régime des visas pour les Turcs d'ici à la fin juin (à condition toutefois - la partie européenne a insisté sur ce point - que la Turquie respecte l'ensemble des 72 critères fixés par la Commission).

L'Union européenne s'est engagée à apporter à la Grèce un renfort de quelque 4 000 personnes dont des traducteurs, experts en droit d'asile, avocats, policiers et spécialistes de la sécurité, etc. (coût pour l'Union européenne : entre 280 et 300 millions d'euros).

Mais ne nous y trompons pas. La mise en oeuvre opérationnelle de ce plan suscite beaucoup de scepticisme. La Turquie s'est déclarée prête à accueillir les migrants à compter du 4 avril. Il va falloir multiplier le nombre des hotspots dans les îles grecques, renforcer considérablement leurs moyens en hommes et en matériel, organiser une vraie coopération entre policiers grecs et policiers turcs, ce qui est loin d'être évident.

Sur le plan juridique, il faut s'attendre aussi à la multiplication des recours.

L'accord entre l'Union européenne et la Turquie, dispositif temporaire et extraordinaire, ne remet nullement en cause la stratégie à plus long terme préconisée par la proposition de résolution européenne.

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