III. LA CONSTITUTION DES NOUVELLES RÉGIONS
Le déplacement de votre mission en Bourgogne-Franche-Comté a permis à vos rapporteurs d'apprécier le regroupement de deux régions aux caractéristiques socio-économiques proches, et dont la fusion a fait l'objet d'un portage politique fort et d'une organisation administrative originale.
La mise en place des nouvelles régions L'article L. 4111-1 du code général des collectivités territoriales, modifié par l'article 1 er de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, fixe la liste des régions métropolitaines, entrée en vigueur le 1 er janvier 2016, passant ainsi de 21 à 13 24 ( * ) : 1. les périmètres des régions Bretagne, Centre, Île-de-France, Pays-de-la-Loire et Provence-Alpes-Côte-d'Azur n'ont pas été modifiés. En revanche, la dénomination de la région Centre est devenue Centre-Val-de-Loire ; 2. les autres régions ont été fusionnées : - Alsace, Champagne-Ardenne et Lorraine ; - Aquitaine, Limousin et Poitou-Charentes ; - Auvergne et Rhône-Alpes ; - Bourgogne et Franche-Comté ; - Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées ; - Nord-Pas-de-Calais et Picardie ; - Basse-Normandie et Haute-Normandie. Les élections régionales des 6 et 13 décembre 2015 ont été organisées dans le périmètre des nouvelles régions, mises en place le 1 er janvier 2016. Les conseils régionaux des nouvelles régions ont organisé leur première réunion le 4 janvier 2016. Le nom des nouvelles régions Pendant une période transitoire, les régions fusionnées portent un nom provisoire constitué de la juxtaposition dans l'ordre alphabétique des noms des régions regroupées, à l'exception de la région issue de la fusion de la Basse-Normandie et de la Haute-Normandie, dénommée « Normandie » de par la loi. Le nom définitif des nouvelles régions sera décidé après avis des conseils régionaux des nouvelles régions rendus au plus tard le 1 er juillet 2016 et fera l'objet de décrets en Conseil d'État pris au plus tard le 1 er octobre 2016. La fixation du chef-lieu des nouvelles régions Quant à la détermination des chefs-lieux des nouvelles régions et l'implantation du conseil régional, un chef-lieu provisoire a été fixé par une série de décrets du 31 juillet 2015, à savoir : - Bordeaux pour l'Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes ; - Lyon pour l'Auvergne-Rhône-Alpes ; - Dijon pour la Bourgogne-Franche-Comté ; - Toulouse pour le Languedoc-Roussillon-Midi-Pyrénées ; - Rouen pour la Normandie ; - Lille pour le Nord-Pas-de-Calais-Picardie. En revanche, pour la région Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine, la loi a fixé à Strasbourg son chef-lieu définitif. Pour les autres régions fusionnées, le chef-lieu définitif sera fixé par décret en Conseil d'État pris avant le 1 er octobre 2016 après avis du conseil régional. Chaque conseil régional des régions fusionnées devra adopter, avant le 1 er juillet 2016, une résolution unique dans laquelle il se prononcera sur : - le nom et le chef-lieu définitif de la région ; - l'emplacement de l'hôtel de la Région ; - les règles de détermination des lieux de réunion des différentes instances ; - le programme de gestion des implantations immobilières de la région. En revanche, cette résolution unique ne pourra prévoir « qu'une même unité urbaine regroupe le chef-lieu proposé, l'hôtel de la Région et le lieu de la majorité des réunions du Conseil régional que si elle est adoptée à la majorité des trois cinquièmes des membres du Conseil régional ». |
A. UN EXEMPLE DE FUSION RÉUSSIE : LA BOURGOGNE-FRANCHE-COMTÉ
1. Une affectio societatis ancienne
La fusion des anciennes régions de Bourgogne et de Franche-Comté s'est accomplie sans heurt, en raison d'une affectio societatis ancienne, liée à une histoire souvent commune. Prévalait en outre une longue habitude de travail commun, comme l'ont illustré, par exemple, les nombreux projets des jeunes agriculteurs des deux anciennes régions.
Le rapprochement des deux régions était également souhaité par les milieux économiques, qui privilégiaient une démarche de coopération au détriment d'une logique compétitive. Par ailleurs, la fusion est censée favoriser les milieux industriels, en attirant sur un territoire plus large de nombreuses entreprises, profitant ainsi du dynamisme économique de Dijon.
2. Un portage politique fort, une organisation administrative originale
Outre un soubassement sociologique et une attente forte des milieux économiques, la fusion des deux régions a également bénéficié d'une volonté politique affirmée des deux anciens présidents de conseils régionaux. Avant l'adoption définitive de la loi n° 2015-29 du 16 janvier 2015 précitée, les élus régionaux ont défini un calendrier de fusion reposant sur une organisation administrative originale.
Les modalités de fusion des deux régions ont été définies par les directeurs généraux des services des anciens conseils régionaux de Bourgogne et de Franche-Comté. Leur méthode a consisté en un dédoublement fonctionnel, c'est-à-dire une répartition des missions entre eux tout en exerçant leur autorité sur l'ensemble des agents des deux collectivités. Ainsi, l'un avait en charge la « fusion » des politiques publiques des deux régions tandis que l'autre s'occupait des questions de ressources humaines, de l'organisation du dialogue social, de l'organisation et du fonctionnement de la nouvelle collectivité régionale, notamment en engageant une réflexion sur la territorialisation des services du futur conseil régional et, enfin, de la préparation du budget 2016, le premier budget de la nouvelle région. Cette répartition des tâches a été mise en place dès juin 2014.
Cette gestion administrative originale s'est accompagnée d'une gouvernance politique spécifique, avec la mise en place d'un bureau exécutif, réunissant des élus des deux conseils régionaux, chargé de suivre l'avancement de la fusion. L'objectif de cette organisation était de permettre la mise en place opérationnelle de la nouvelle région dès le 4 janvier 2016.
L'ancien directeur général des services de la région Bourgogne a néanmoins regretté l'absence de pilotage centralisé de la fusion de la part des services de l'État. Face aux nombreuses questions pratiques et juridiques que posait cette nouvelle organisation, il a relevé le manque d'implication de la direction générale des collectivités locales et de la direction générale des finances publiques. De même, le secrétariat général à la modernisation de l'État n'a pas été en mesure d'anticiper les demandes des services des deux régions.
Les difficultés étaient de deux ordres : l'harmonisation des politiques publiques, d'une part, et la construction d'un nouveau pacte social avec les agents, d'autre part, dans un contexte de baisse des dotations de l'État. S'agissant des politiques publiques, une période transitoire a été définie afin de parvenir à leur harmonisation sur l'ensemble du nouveau périmètre régional. Afin d'affirmer l'identité de la nouvelle région, les élus régionaux ont estimé que les politiques régionales ne pouvaient être la simple somme des politiques auparavant appliquées dans les deux anciennes régions mais que de nouvelles modalités devaient être définies afin de s'appliquer sur l'ensemble du périmètre régional.
3. Les premiers enseignements d'une fusion réussie
En préambule, les régions fusionnées pourraient être désavantagées face aux régions dont le périmètre demeure inchangé. En effet, les nouveaux conseils régionaux doivent construire un plan de mandat, acte fondateur du nouveau conseil régional pour la durée du mandat, dans un contexte de baisse des dotations budgétaires de l'État et d'exercice de nouvelles compétences (notamment en matière de transports et d'économie). Les régions fusionnées ne bénéficient d'aucun avantage financier sur celles qui n'ont pas fusionné, lequel aurait pu se justifier en raison des contraintes auxquelles elles sont confrontées.
a) L'importance de la dimension « ressources humaines »
Les questions liées aux agents des régions fusionnées devront être réglées prioritairement car c'est la condition sine qua non du succès de ces nouvelles régions.
Vos rapporteurs ont constaté l'inquiétude des agents quant à leur avenir au sein de la nouvelle région. En effet, les représentants des organisations syndicales du conseil régional, rencontrés à Dijon, ont estimé que les questions liées au personnel n'avaient pas suffisamment été prises en compte au sein de la nouvelle organisation régionale, comme en témoignent, selon eux, le gel des avancements de grade ou la coexistence de régimes indemnitaires différents. Une autre crainte est liée à la mobilité des agents au sein du périmètre régional élargi et à l'éloignement de leur hiérarchie. Enfin, vos rapporteurs ont relevé une demande forte du maintien des droits acquis par les agents dans leur ancienne collectivité territoriale. Ce maintien est toutefois prévu par la loi.
En revanche, il n'y a pas, au moins pour certaines organisations syndicales, d'hostilité a priori au regroupement des deux anciennes régions.
Pour répondre aux appréhensions légitimes des agents et garantir le succès de la fusion des régions, il apparaît indispensable pour les nouveaux exécutifs régionaux de définir rapidement un pacte social avec leurs agents pour régler les questions de personnels, en particulier d'harmonisation des régimes indemnitaires et de temps de travail et de rassurer les agents du maintien des droits acquis, conformément à la loi. Cette question doit représenter la priorité des élus des régions fusionnées afin que les nouvelles collectivités régionales puissent s'atteler rapidement à leurs compétences. On précisera, pour mémoire, que la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République prévoit un délai de deux ans pour harmoniser les différentes politiques de ressources humaines dans les nouvelles régions.
C'est pourquoi le choix des directeurs généraux des services des régions fusionnées revêt une importance majeure : la résolution des enjeux liés aux ressources humaines conditionnera la capacité des nouvelles régions à exercer rapidement les nouvelles compétences que la loi leur attribue. Une expérience en matière de ressources humaines pour les directeurs généraux des services peut être un gain pour faire aboutir, dans un climat serein, le pacte social des nouvelles régions.
b) La nécessaire réflexion sur la proximité et la territorialisation de l'action publique régionale
À l'initiative du Sénat, a été introduite la faculté de délégation de compétences entre collectivités territoriales (désormais codifiée aux articles L. 1111-8 et L. 1111-8-1 du code général des collectivités territoriales). Par ailleurs, l'article L. 4251-8 du même code prévoit que la région peut conclure une convention avec un ou plusieurs EPCI à fiscalité propre, un pôle d'équilibre territorial et rural ou une collectivité à statut particulier pour permettre la mise en oeuvre du schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET). Ces conventions visent à permettre la déclinaison des objectifs et dispositions de ce schéma au niveau territorial. L'article L. 4251-18 du même code prévoit la même faculté pour la mise en oeuvre du schéma régional de développement économique, d'innovation et d'internationalisation (SRDEII). |
L'extension des périmètres régionaux doit nécessairement s'accompagner d'une réflexion sur l'organisation des services régionaux offrant aux habitants et aux territoires une région à « visage humain », afin de répondre aux critiques permanentes dont elles font l'objet en matière de déficit de proximité. Une organisation centralisée ne permettrait pas aux nouveaux exécutifs d'atteindre efficacement les objectifs qu'ils assignent aux politiques régionales.
Ainsi, chaque nouvelle région devra définir le maillage territorial qu'elle entend privilégier pour répondre à cette problématique, sur la base soit des départements, soit des bassins d'emplois ou encore des pays.
Cette « territorialisation » de l'action publique régionale est d'autant plus importante que les nouvelles régions présentent une hétérogénéité territoriale plus importante qu'auparavant. Il convient donc de prendre en compte les spécificités de chaque territoire, au travers de politiques régionales adaptées.
Plus concrètement, la territorialisation des politiques régionales pourraient s'opérer par la conclusion de conventions avec les collectivités territoriales infrarégionales ou leurs groupements, sur la base de projets territoriaux et d'une administration régionale de projet. Une telle territorialisation des politiques régionales reposera nécessairement sur la base d'un dialogue territorial, avec les autres échelons locaux, ce qui nécessitera une connaissance fine des besoins des territoires préalablement définis.
Ainsi, aux yeux de vos rapporteurs, la territorialisation de l'action publique régionale apparaît comme une condition sine qua non du succès des politiques et des projets des nouvelles régions.
c) Vers une typologie des régions ?
Les personnes entendues par vos rapporteurs ont souligné la spécificité de la fusion des anciennes régions Bourgogne et Franche-Comté, en raison du portage politique fort dont elle a bénéficié et de la relative équivalence en matière économique et sociologique des deux anciennes régions, à l'origine d'une affectio societatis ancienne et forte.
Les premiers éléments recueillis par vos rapporteurs permettent de définir une première typologie des régions, qui méritera d'être affinée, selon trois catégories :
- les régions dont le périmètre n'a pas évolué dans le cadre de la loi précitée du 16 janvier 2015 ;
- les régions nouvelles issues de la fusion d'anciennes régions proches sur les plans économique, social et culturel, ce qui pourrait favoriser d'éventuelles confrontations en termes de leadership entre des territoires appartenant auparavant à des régions différentes ;
- les régions nouvelles issues de la fusion d'une région puissante économiquement avec une ou des régions plus faibles, la fusion pouvant alors s'apparenter à une absorption des secondes par la première.
Les prochains travaux de vos rapporteurs permettront de confirmer ou non cette typologie.
* 24 Sans compter la Corse, qui deviendra une collectivité unique à statut particulier le 1 er janvier 2018 et les cinq départements d'outre-mer parmi lesquels la Guyane et la Martinique sont devenues des collectivités uniques à statut particulier le 1 er janvier 2016.