B. UN RÉGIME DÉROGATOIRE À GÉOMÉTRIE VARIABLE
La lecture des projets de schéma atteste du bien-fondé de la prise en compte de la densité démographique pour atténuer la brutalité du relèvement du seuil intercommunal. Il est cependant très regrettable qu'elle soit différemment appliquée selon les départements.
1. La justesse des paramètres
Un rapide « tour de France » des projets préfectoraux tend à prouver la pertinence du régime dérogatoire prévu par l'article 33 de la loi NOTRe.
Le fondement des différentes dérogations permet qu'en bénéficie une proportion plus ou moins importante des groupements de nombreux départements. À titre d'exemple, on peut citer :
- l'Aisne, 5 dérogations dont respectivement 2 et 3 au titre des « densité peu dense » du périmètre 13 ( * ) (a) et très peu dense 14 ( * ) (b) (pour un total de 12 CC en-dessous du seuil de 15 000 habitants) ;
- la Meurthe-et-Moselle (17 CC en-dessous de 15 000 habitants dont 1 de moins de 5 000 habitants), 5 dérogations « très peu dense » (b) ;
- la Meuse, 10 dérogations « peu dense » (a) pour un ensemble de 14 CC en-dessous du seuil mais 10 comptant moins de 5 000 habitants ; elles bénéficient en conséquence à 3 CC seulement.
La faiblesse démographique de certaines communautés a ainsi limité la pleine effectivité des dérogations liées à la densité des périmètres. Dans l'Indre, les 12 CC de moins de 15 000 habitants pouvaient bénéficier de la dérogation « peu dense » (a), mais 2 d'entre elles en-dessous de 5 000 habitants devront donc évoluer.
Dans l'Hérault, les intercommunalités bénéficient au total de 3 dérogations « montagne » mais les CC concernées sont en-dessous du seuil minimal de 5 000 habitants et les 2 CC qui comptent entre 5 000 et 15 000 habitants ne peuvent bénéficier d'aucune dérogation. En Haute-Garonne, si 10 des 16 communautés en-dessous du seuil de droit commun pourraient virtuellement bénéficier de dérogations, 4 d'entre elles devront élargir leur périmètre pour atteindre le seuil de 5 000 habitants.
Certains départements bénéficient largement du régime dérogatoire - même si certaines exceptions se recoupent - comme l'Ardèche (7 « peu dense » ; 4 « très peu dense » ; 8 « montagne ; 2 « pause fusion 2012 ») ; la Creuse (11 « peu dense » qui se recoupent avec 10 « très peu dense » et 3 « montagne » ; 1 « pause fusion 2012 »). Si la Lozère bénéficie pour l'ensemble de son territoire de la dérogation montagne et donc du seuil minimal ramené à 5 000 habitants, 19 de ses 23 CC peuplées de moins de 15 000 habitants, devront évoluer pour atteindre une population de 5 000 habitants.
L'exemple du Doubs ( article L. 5210-1-1-III 1° a) à d) du code général des collectivités territoriales ) La densité démographique de ce département - 101,4 habitants/km 2 - est inférieure à la moyenne nationale. Seule la dérogation bénéficiant aux fusions récentes (d) ne trouve pas à s'employer. Pour le reste : - 18 communautés de communes présentent une densité inférieure à 50 % de la densité nationale (a). Le seuil adapté en conséquence dans le Doubs s'établit à 14 710 habitants et s'applique à 5 communautés ; - 8 communautés de communes ont une densité inférieure à 30 % de la densité nationale (b). À l'exception de l'une d'entre elles, elles comptent moins de 5 000 habitants. Leur population devra atteindre ce plancher ; - 14 communautés de communes sont incluses en totalité ou pour moitié au moins en zone de montagne (c) dont 5 ont une population inférieure à 5 000 habitants. Ces dernières devront évoluer pour respecter ce seuil. En revanche, 7 communautés de communes qui ne bénéficient d'aucune dérogation, devront atteindre le seuil minimal de 15 000 habitants. Au total, en raison du cumul de dérogations qui bénéficient à 12 communautés, le périmètre de 19 CC doit évoluer : 7 CC pour atteindre le seuil minimal de 5 000 habitants, 5 le seuil adapté et 7 le seuil de droit commun. Cette application différenciée confirme la nécessité du régime dérogatoire. Source : proposition de schéma départemental de coopération intercommunale du Doubs, présenté aux membres de la CDCI le 14 octobre 2015. |
2. Une application aléatoire
Les dérogations prévues par la loi auraient donc dû dans de nombreux cas restreindre le champ de la révision des schémas.
C'est effectivement le cas dans certains départements où le projet préfectoral se limite à proposer la modification des seuls EPCI contraints à l'élargissement de leur périmètre, voire en les fusionnant par la nécessité des rationalisations ou des caractéristiques locales, à d'autres intercommunalités respectant les seuils.
Cette démarche conforme à l'esprit de la loi NOTRe est suivie en Haute-Garonne avec 15 suppressions d'EPCI à fiscalité propre pour un total de 16 CC en-dessous des seuils et 1 ne bénéficiant d'aucune dérogation. Le Morbihan s'inscrit également dans ce cadre avec un nombre de suppressions égal à celui des périmètres devant nécessairement évoluer. Il en est de même en Charente-Maritime où la seule intercommunalité peuplée de moins de 15 000 habitants ne bénéficie d'aucune dérogation.
Dans la Drôme, cependant, le projet de schéma présente 7 suppressions de communautés dont 2 bénéficiaires de dérogations.
Mais, dans différents départements, la lecture des projets préfectoraux indique qu'ils se sont affranchis des prescriptions de la loi pour ne retenir qu'un seul objectif quantitatif, celui de réduire drastiquement le nombre des intercommunalités de la circonscription. L'AdCF le soulignait lors de son audition par vos rapporteurs, certains préfets affichent la volonté d'aller au-delà du dispositif voté par le Parlement.
C'est le cas emblématique de la Manche dont la carte, aujourd'hui constituée de 27 communautés (dont 18 de moins de 15 000 habitants 15 ( * ) ), serait demain, selon le projet préfectoral, réduite à 5 EPCI à fiscalité propre. Les Pyrénées-Atlantiques, dans un cadre différent, s'inscrivent dans cet exercice radical : un territoire aujourd'hui composé de 3 CA et 27 CC dont une ayant son siège dans le département voisin des Hautes-Pyrénées, qui pourrait, demain, se réduire à 8 EPCI à fiscalité propre, soit une réduction de près des trois quarts de l'effectif actuel. Le schéma des Alpes de Haute-Provence évoluerait d'une vingtaine d'intercommunalités (1 CA et 19 CC aujourd'hui) à un total de 8 demain dont 2 CA et 6 CC.
Certains projets sont conçus expressément pour prévoir des intercommunalités fortes selon les préfets qui les proposent. Cette notion revêt cependant des sens différents suivant les départements. Elle peut s'entendre de la viabilité économique de la communauté, de sa taille relative dans son environnement... Ainsi le préfet de l'Allier a choisi de proposer de ne maintenir aucun des 21 EPCI à fiscalité propre existants dans son périmètre pour « conférer à ces regroupements à venir une envergure suffisante pour se développer dans (le) nouvel espace régional » 16 ( * ) . Pourtant, application faite des dérogations, seuls 4 CC devaient nécessairement évoluer.
Pour vos rapporteurs, les périmètres ainsi proposés non seulement ne respectent pas l'esprit de la loi qui s'est attachée à permettre l'ajustement de la taille minimale des EPCI à fiscalité propre à la réalité des territoires, mais ils contournent également la lettre du nouvel article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales : celui-ci prévoit dorénavant que dès lors qu'un établissement ou un projet de périmètre remplit les conditions qu'il fixe pour bénéficier d'une dérogation, le seuil applicable à l'intercommunalité, sans pouvoir être inférieur à 5 000 habitants, est adapté.
Les évolutions annoncées, si elles se concrétisent, appelleront nécessairement un examen de la gouvernance des nouveaux établissements.
Par ailleurs, on constate que certains des nouveaux périmètres résultent de la réunion de trois, quatre, cinq... EPCI : c'est le cas notamment dans l'Aveyron ou en Charente. Il convient à ce titre de mentionner le projet de communauté d'agglomération Pays basque qui fusionnerait les dix EPCI à fiscalité propre implantés sur ce territoire ainsi que celui regroupant, dans le Cotentin, onze communautés de communes et la commune nouvelle de Cherbourg-en-Cotentin. Ces fusions devront se réaliser dans un calendrier très contraint puisque la loi du 7 août 2015 ne laisse que neuf mois à la mise en oeuvre des schémas révisés : les nouvelles intercommunalités seront mises en place au 1 er janvier 2017. Il restera ensuite à ajuster le contour des compétences du nouvel établissement, à unifier les taux d'imposition, à réorganiser les services, à apprécier les conséquences de la fusion sur la péréquation interne au périmètre..., toutes opérations qui s'avèreront d'autant plus complexes que le nombre d'EPCI réunis sera important.
* 13 Cf. article L. 5210-1-1 du code général des collectivités territoriales : densité du périmètre inférieure à la moitié de la densité moyenne nationale dans un département dont la densité est inférieure à la densité moyenne nationale.
* 14 Densité du périmètre inférieure à 30 % de la densité moyenne nationale (soit 31,02 hab/km²).
* 15 Auxquelles il faut ajouter la communauté urbaine de Cherbourg transformée en commune nouvelle au 1 er janvier 2016 et devenue de ce fait commune isolée.
* 16 Cf. projet de SDCI de l'Allier.