N° 347
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016
Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 janvier 2016 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les demandes de réforme de l' Union européenne présentées par le Royaume - Uni ,
Par Mme Fabienne KELLER,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean Bizet, président ; MM. Michel Billout, Michel Delebarre, Jean-Paul Emorine, André Gattolin, Mme Fabienne Keller, MM Yves Pozzo di Borgo, André Reichardt, Jean-Claude Requier, Simon Sutour, Richard Yung, vice-présidents ; Mme Colette Mélot, M Louis Nègre, Mme Patricia Schillinger, secrétaires , MM. Pascal Allizard, Éric Bocquet, Philippe Bonnecarrère, Gérard César, René Danesi, Mme Nicole Duranton, M. Christophe-André Frassa, Mmes Joëlle Garriaud-Maylam, Pascale Gruny, MM. Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, MM. Claude Kern, Jean-Yves Leconte, François Marc, Didier Marie, Michel Mercier, Robert Navarro, Georges Patient, Michel Raison, Daniel Raoul, Alain Richard et Alain Vasselle . |
AVANT-PROPOS
Lors d'une mission de deux jours à Londres, les 18 et 19 janvier derniers, votre président et votre rapporteure ont pu mesurer l'état des forces en présence à quelques semaines maintenant du début de la campagne pour le référendum - s'il se tient le 23 ou le 30 juin, comme on nous l'a suggéré - sur le maintien ou la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne.
En outre, lors d'une séance de travail au Select Committee for European Affairs , votre président et votre rapporteure ont répondu aux questions concernant la position de la majorité de votre commission face aux quatre demandes de réforme présentées par le gouvernement britannique.
D'une manière générale, il ressort de l'ensemble des entretiens, autant à Londres qu'à Bruxelles, qu'une réelle bonne volonté existe de part et d'autre et qu'une solution est recherchée, mais que sa forme exacte n'est pas encore connue.
Le Royaume-Uni semble demander ni plus ni moins qu'un renforcement de son statut particulier, essentiellement parce qu'il souhaite recouvrer l'essentiel de sa souveraineté et que cela passe, selon lui, par le contrôle de ses frontières et de l'immigration - fut-elle intra-européenne - et l'autonomie de décision de son Parlement, source première de toute souveraineté.
On peut dire qu'il existe une certaine forme de divergence entre Londres et Bruxelles sur l'autonomie de décision qui doit être laissée aux États membres concernant ces questions essentielles.
Certes, les avis sont partagés même à Londres. Certains surmontent l'euroscepticisme, d'autres pas, mais tous s'accordent pour ne pas vouloir du projet politique européen, ce qui ne signifie pas un rejet de l'Europe en tant que telle, mais un rejet de toute création supranationale qualifiée d'utopique.
La ligne de partage entre ceux qui rejettent en bloc les règles de l'Union et ceux qui pensent s'en accommoder traversent presque tous les partis politiques, et en tout cas, toutes les institutions.
Les partisans du statu quo resteraient majoritaires cependant, et on nous assure que le référendum pourrait être gagné, car David Cameron est l'homme de la situation.
Pour notre part, nous avons étudié de près les demandes du Royaume-Uni. Nous sommes arrivés à la conclusion que ces demandes doivent être examinées dans un esprit de dialogue et de compromis. Toutefois, les réponses apportées à ces demandes ne sauraient porter atteinte à plusieurs principes fondateurs de la construction européenne. C'est un vrai changement des traités que sous-tendent ces réformes, et l'Union n'y est pas prête.
Cependant, la bonne volonté britannique et le réel désir de l'Union de conserver le Royaume-Uni en son sein conduisent à formuler l'espoir qu'un compromis puisse être trouvé à la satisfaction des deux parties.
UNION EUROPÉENNE/ROYAUME UNI : UNE RELATION TOUJOURS PLUS PARTICULIÈRE
LA REVUE DU PARTAGE DES COMPÉTENCES ENTRE L'UNION ET LE ROYAUME-UNI PRÉPARAIT UNE DEMANDE DE RÉFORME
La commission des affaires européennes suit avec attention l'évolution de la relation que le Royaume-Uni entretient avec l'Union européenne.
C'est pourquoi, lorsque le gouvernement britannique a décidé de passer en revue le partage des compétences, la Commission a analysé dans un rapport (n° 420 -2014-2015) les prises de position britanniques sur l'actuelle répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres.
Dans ce rapport, l'irréductible singularité britannique a été mise en exergue pour rappeler que l'adhésion à l'Union n'était pas pour les Britanniques une affaire de coeur mais de tête.
Le projet européen vu de Londres est un projet économique et non politique, et toute tentative d'utiliser la construction du marché unique pour avancer la construction politique d'une Europe fédérale est dénoncée par les Britanniques comme une manoeuvre à laquelle ils refusent de se prêter.
Le marché unique doit rester l'alpha et l'oméga du projet européen, lequel est essentiellement au service du désir d'entreprendre. Selon cette théorie britannique, l'Union européenne est naturellement l'arbitre qui s'assure que tous les acteurs économiques interviennent dans les mêmes conditions et avec une parfaite égalité de chances, dans le respect d'une concurrence loyale.
Cet audit du partage des compétences a été diligenté par le gouvernement britannique en vue de déterminer les domaines dans lesquels une réforme s'imposait. Il préparait, sans le dire ouvertement, la voie à un agenda de réforme, à une confirmation du statut particulier du Royaume-Uni au sein de l'Union et à un referendum sur l'appartenance de la Grande-Bretagne à l'Union européenne. En conséquence, le Premier ministre, dans son discours de Bloomberg du 23 janvier 2013, a annoncé la tenue d'un référendum avant 2017 sur la question du maintien ou non du Royaume dans l'Union.
D'une manière générale, l'opinion britannique a toujours pratiqué une certaine forme de détachement à l'égard de la construction européenne : elle considère pour l'heure que le pays est assez puissant pour contenir l'« hégémonie bruxelloise ». La Grande-Bretagne pense n'avoir jamais besoin de dépendre totalement de l'Union dans quelque domaine que ce soit. L'opinion britannique était restée toutefois eurosceptique avec modération jusqu'à l'émergence d'une contestation orchestrée par un nouveau parti politique (UKIP) et une partie de la presse à gros tirage.
Il en va différemment de l'euroscepticisme dans les partis politiques et dans les sphères dirigeantes, et il convient de reconnaître que le débat sur l'appartenance à l'Union fait rage depuis longtemps chez les Conservateurs et dans une frange importante du Labour . Ces deux partis sont divisés au contraire des Libéraux-Démocrates qui ont toujours été parfaitement europhiles. Quant à l'UKIP ( United Kingdom Independence Party ), il préconise depuis sa création une sortie de l'Union tandis que le SNP ( Scottish National Party ) dit vouloir rester dans l'Union.
Le Premier ministre David Cameron a donc choisi, pour calmer le jeu chez les Conservateurs , de promettre un référendum et un débat, s'il était réélu. Cette habile tactique devait lui permettre de passer brillamment le cap d'une réélection en 2015.
Au départ, cet exercice de revue des compétences a été conçu comme une mise au point à usage interne, non dénuée d'arrière-pensées politiques. Toutefois il apparaît maintenant, à la lecture des rapports, que ce travail particulièrement équilibré et objectif, qui a mis à contribution l'ensemble de la haute administration britannique, le Parlement et tous ceux qui ont bien voulu apporter leur témoignage grâce à un processus ouvert de consultations et d'auditions, débouche sur des conclusions grosso modo favorables à la répartition existante sans pour autant s'abstenir d'énumérer tous les domaines où cette répartition n'étant pas satisfaisante, il est nécessaire de la modifier, soit au profit de l'État britannique, soit au profit de l'Union.
Selon l'audit, les domaines où la réforme s'impose sont les suivants : pratique de la subsidiarité et de la proportionnalité, politique économique et monétaire, libre circulation des personnes, budget européen, politique de cohésion, PAC et fiscalité.
Dans cet audit, le gouvernement britannique envisageait un agenda de réforme de l'Union sur les quatre points suivants :
- l'approfondissement du Marché intérieur : l e Royaume-Uni souhaite l'approfondissement du marché intérieur, notamment dans la libre circulation des capitaux, les services, le numérique, l'énergie et les transports ;
- le rééquilibrage du partage des compétences entre l'Union et les États membres : l e Royaume-Uni déplore le décalage existant entre l'accélération de l'évolution des marchés et le manque de réactivité du processus législatif européen, proposant de répartir les compétences de manière à laisser plus de liberté aux États membres mieux placés pour réagir ;
- la non-discrimination entre États membres et États non membres de l'Eurozone : l e Royaume-Uni appelle de ses voeux qu'à l'avenir, les non membres de l'Eurozone soient associés aux décisions prises par l'Eurozone afin que le marché intérieur ne soit pas perturbé et que les intérêts des non membres ne soient pas lésés ;
- l'amélioration du processus législatif européen : s elon l'audit, l'amélioration du processus législatif européen afin de rendre le marché plus efficace, passe par un processus plus rapide, plus transparent et plus démocratique, et un renforcement du rôle des parlements nationaux.
A défaut de convaincre une majorité d'États membres de la nécessité de réformer l'Union, le Royaume-Uni annonçait qu'il s'accommoderait de dispositions particulières qui lui seraient propres et qui finiraient par dessiner les contours d'un statut spécial. Ce statut ferait suite à l'ensemble des opt-outs déjà exercés par le Royaume-Uni. Depuis le gouvernement britannique a légèrement fait évoluer ses demandes de réforme, comme on le verra plus bas.
Mais le scepticisme britannique à l'égard de l'Europe reste le même dès qu'on en fait un projet politique, car pour les Britanniques, l'Europe ne doit pas être un projet politique, et encore moins un projet géopolitique. Lorsqu'ils entrent dans l'Europe communautaire, ils ne souhaitent pas changer leur identité ni leur place dans le monde.
Aujourd'hui, le sujet de la réforme de l'Union européennes ou du moins de la modification de la relation existant entre le Royaume-Uni avec l'Union est plus que jamais d'actualité. En effet, le Premier ministre a enfin adressé au président du Conseil, M. Donald Tusk, le 9 novembre 2015 une lettre faisant état des réformes que le Royaume-Uni appelait de ses voeux et voulait voir se réaliser avant de confirmer son appartenance à l'Union.