C. SOUTENIR LA MOBILISATION DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES
Les collectivités territoriales se sont massivement mobilisées pour élaborer des projets de réseaux d'initiative publique ambitieux et coûteux, malgré un contexte économique et budgétaire particulièrement difficile. Les collectivités sont également exposées à de réelles difficultés pour définir leurs projets. Le désengagement général de l'État se traduit par un déficit d'expertise technique, juridique et financière, qui risque d'aboutir à de mauvais choix pour certains de ces réseaux de nouvelle génération.
Afin de garantir la cohérence et la pérennité de ces efforts, un renforcement du soutien de l'État apparaît nécessaire , en matière de financement, d'expertise et d'aide à la commercialisation des réseaux.
1. Des réseaux d'initiative publique ambitieux mais hétérogènes
a) Une mobilisation massive des collectivités territoriales
Dans le cadre du PFTHD, les collectivités territoriales se sont engagées dans des projets de RIP ambitieux . Les élus locaux ont tenu compte de la demande croissante des citoyens dans les territoires ruraux, afin de faire de l'aménagement numérique une priorité dans les prochaines années. Ces efforts sont d'autant plus remarquables qu'ils sont menés dans un contexte de baisse des dotations et d'augmentation des charges, particulièrement pour les conseils départementaux, confrontés dans le même temps à une hausse des dépenses sociales. Les collectivités chargées d'assurer l'aménagement numérique du territoire doivent gérer simultanément des situations budgétaires très contraintes.
LA SITUATION FINANCIÈRE DES DÉPARTEMENTS EN 2015 La participation des collectivités territoriales à la mise en oeuvre du plan d'économies de 50 milliards d'euros à l'horizon de 2017 s'élève à 11 milliards d'euros d'économies sur trois ans , soit 22 % de l'effort total en dépenses sur le programme triennal. Le projet de loi de finances initiale pour 2016 fixe à 3,6 milliards d'euros l'économie que devront réaliser les collectivités territoriales, essentiellement par une réduction de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Les départements doivent assumer 32 % de cette réduction. Cette mesure s'ajoute à celles adoptées lors de l'examen des précédentes lois de finances , notamment le gel en valeur des concours financiers de l'État aux collectivités territoriales en 2013 et la baisse de 1,5 milliards d'euros des dotations aux collectivités territoriales en 2014, et de 3,5 milliards d'euros en 2015. Parallèlement, les collectivités doivent assumer des dépenses croissantes. Les départements, au coeur des projets de RIP, connaissent une hausse constante de dépenses sociales , en particulier des trois allocations individuelles de solidarité : revenu de solidarité active (RSA), allocation personnalisée d'autonomie (APA) et prestation de compensation du handicap (PCH). En 2015, le reste à charge qu'il leur incombe de financer pour l'ensemble des aides sociales s'élève à 8,12 milliards d'euros, dont près de 50 % pour le seul RSA (4,05 milliards d'euros). D'ici la fin de l'exercice budgétaire 2015, l'Assemblée des départements de France (ADF) estime que 10 départements risquent de se retrouver en cessation de paiement , et que 40 départements seraient dans cette situation en 2016. Des mesures d'urgence doivent être mises en oeuvre afin d'éviter de telles difficultés. Cette situation fragilise durablement la capacité d'investissement des départements , qui constituent les principaux acteurs du déploiement des réseaux d'initiative publique, avec la contribution des autres niveaux de collectivités territoriales. Comme rappelé par la Cour des comptes dans son rapport de 2015 sur les finances publiques locales, les dépenses des collectivités représentent 58 % de l'investissement public. Dans un contexte budgétaire difficile, l'investissement local a baissé de 9,6 % en 2014 . Cette baisse devrait se poursuivre entre 2015 et 2017 avec la réduction des dotations. Alors que le coût du déploiement du très haut débit représente pour certains départements plusieurs années entières de dépenses d'investissement, la pression croissante sur les budgets locaux risque de compromettre l'équilibre des projets de RIP. Le manque de perspectives sur la commercialisation des premières prises remet également en question l'équation financière du très haut débit dans de nombreux territoires. Ces difficultés financières risquent de remettre en cause les ambitions des collectivités , contraintes de privilégier des solutions de court terme, comme la montée en débit sur cuivre, au détriment d'investissements pérennes dans la fibre optique. |
Au deuxième trimestre 2015, 74 dossiers de RIP ont été déposés auprès de la Mission très haut débit, couvrant 87 départements . Les principaux arbitrages relatifs à la répartition des contributions des différentes collectivités territoriales à chaque projet de RIP sont globalement arrêtés. Les investissements prévus sont élevés. Après un montant limité à 123 millions d'euros en 2014, l'investissement dans les réseaux d'initiative publique devrait atteindre 560 millions en 2015 puis dépasser les 950 millions en 2016. À partir de 2016, le volume des investissements publics devrait dépasser celui des investissements privés. D'ici 2020, 10 milliards d'euros doivent être investis, d'après les projets de RIP déposés.
INVESTISSEMENTS EFFECTIFS DANS LES RÉSEAUX DE FIBRE OPTIQUE (FTTH)
Source : Mission très haut débit, rapport annuel 2014
La contribution des RIP à la couverture de la population en très haut débit devrait donc s'accroître dans les prochaines années , essentiellement par des opérations de montée en débit en 2015 et 2016, puis par la construction de prises FttH à partir de 2017. La Mission très haut débit anticipe un rythme annuel d'1 million de prises FttH construites après 2016.
À ce jour, on recense quatorze départements n'ayant pas encore déposé de dossier de demande de subvention auprès du FSN pour le déploiement d'un RIP très haut débit . Trois de ces départements n'ont pas vocation à faire l'objet d'un nouveau déploiement d'initiative publique : à Paris, le déploiement est pris en charge en totalité par les opérateurs privés ; dans les Hauts-de-Seine, un RIP très haut débit a été précocement mis en place sous la forme d'un SIEG ; en Seine Saint-Denis, le territoire est réparti entre zone très dense et zone moins dense privée. Compte tenu de la complexité de la procédure d'instruction et de délais incompressibles dans le lancement des travaux, il est nécessaire d'achever rapidement l'élaboration et le dépôt des derniers projets de RIP. La couverture totale du territoire national par des projets de RIP ne signifie pas une hausse rapide de la couverture en FttH. En témoigne le décalage entre les cartes d'élaboration des RIP et de couverture du territoire en FttH.
La mobilisation des collectivités territoriales va permettre d'accroître la couverture dans une partie significative de la zone d'initiative publique au cours des prochaines années. Toutefois, de nombreux risques pèsent sur la soutenabilité de tels projets : manque de visibilité sur le soutien de l'État, complexité et longueur du traitement des demandes de subvention, mise en conformité technique, incertitudes sur la commercialisation des réseaux... Sur la question du très haut débit, les collectivités demeurent isolées, face à des choix complexes à effectuer .
b) Une diversité de montages juridiques
Le portage et les montages juridiques choisis pour la réalisation des projets de RIP sont divers . Compte tenu de l' avancement variable des projets , certaines collectivités territoriales ont déjà identifié un montage juridique pour l'exploitation de leur RIP, tandis que la maîtrise d'ouvrage est encore susceptible d'être modifiée pour d'autres projets.
Les structures retenues afin d'assurer la maîtrise d'ouvrage des projets de RIP convergent relativement . La création d'un syndicat mixte ouvert reste la solution la plus fréquente et concerne près de 40 % des projets. Permettant d'associer la région, le département ainsi que les intercommunalités, le syndicat mixte crée une culture commune sur le très haut débit, sujet nouveau et complexe. Un syndicat mixte permet également de mieux identifier les ressources dédiées. La maîtrise d'ouvrage par le conseil départemental , échelle de base des RIP de deuxième génération, est également fréquente, pour 27 % des projets. Dans cette seconde configuration, le portage par le conseil départemental peut être une situation transitoire, dans l'attente de la création d'un syndicat mixte ouvert. Malgré les synergies possibles, le recours à un syndicat d'énergie s'avère une solution plus ponctuelle que prévu, certains ayant des compétences et une expertise particulièrement étendues (électricité, gaz, chaleur, production d'énergie renouvelable, communications électroniques) tandis que d'autres syndicats concentrent leur activité sur les réseaux d'électricité. Dans deux projets, le conseil régional est le porteur du projet.
Source : CEREMA, 2015
La construction des réseaux fait majoritairement appel à des marchés de travaux (plus de 50 % des projets) , solution privilégiée dans la perspective d'un affermage* pour l'exploitation ultérieure du RIP. Présentant souvent des clauses dites de stop and go, ces contrats ont pour avantage de s'adapter à l'évolution du réseau, en termes d'exploitation et de commercialisation. Un tel dispositif a été privilégié dans un contexte d'incertitude forte sur la rentabilité à venir des RIP. Associé à une exploitation en affermage, cette solution garantit la maîtrise publique du projet, tout en conservant la charge du risque. La délégation de service public concessive*, bien que préférée par les opérateurs d'envergure nationale dans leur négociation avec les collectivités, reste une solution moins répandue (15 %). Plus marginalement, des contrats de partenariat public-privé ou des contrats de conception-réalisation sont choisis. Certains modèles de délégations de service public dites « affermo-concessives » visent à mobiliser les deux solutions, en adaptant le dispositif selon les plaques concernées tout en prévoyant une exploitation unique.
Source : CEREMA, 2015
L'exploitation technique et commerciale des réseaux, lorsqu'elle est déjà déterminée, privilégie l'affermage, en cohérence avec la préférence accordée au marché de travaux pour la réalisation des infrastructures. La concession est la seconde option parmi les solutions aujourd'hui mises en oeuvre. Certaines collectivités envisagent de constituer des sociétés publiques locales (SPL), afin de mettre en place une exploitation à l'échelle supra-départementale. La régie pure ou intéressée* est retenue par quelques collectivités pour conserver la maîtrise de l'exploitation.
Source : CEREMA, 2015
Il est difficile en 2015 d'identifier le montage juridique le plus efficace, compte tenu du manque de retours d'expérience sur les RIP de deuxième génération . L'existence de plusieurs solutions à disposition des collectivités territoriales permet d'adapter le modèle selon les besoins et les préférences des parties prenantes. Vos rapporteurs soulignent toutefois la complexité du choix de montage juridique pour les collectivités territoriales , compte tenu de l'incertitude sur la viabilité économique des projets de réseau, et donc sur les risques. Cette décision aura pourtant des conséquences importantes sur le long terme, tant sur la répartition des risques que sur le partage des bénéfices.
Certaines collectivités ont attiré l'attention de vos rapporteurs sur l'inadaptation du régime de l'affermage aux réseaux de communications électroniques. La durée de 15 ans, serait inappropriée, dès lors qu'un réseau nécessite environ 5 ans pour être construit et qu'il ne reste alors que 10 ans d'exploitation véritable pour le bénéficiaire du contrat. Le terme de l'affermage risque d'intervenir lorsque le réseau sera mature en termes de commercialisation. Par ailleurs, les règles d'amortissement ne sont pas adaptées à la temporalité des réseaux. L'application réglementaire de la règle d'équilibre des budgets locaux impose aux collectivités territoriales de recevoir des redevances dès le début du contrat, afin de garantir un amortissement linéaire des investissements. Dans le cas d'un RIP, le fermier va donc être contraint de verser des redevances d'exploitation élevées par rapport à la rentabilité limitée du réseau sur les premières années. Un ajustement au niveau réglementaire serait souhaitable afin d'adapter ces règles au déploiement du très haut débit.
Proposition : modifier le cadre règlementaire du régime de l'affermage afin de l'adapter aux spécificités des réseaux de nouvelle génération. |
c) Des ambitions technologiques hétérogènes
Les projets de RIP déposés jusqu'à présent révèlent une grande diversité de choix technologiques. La composition du mix technologique prévu varie significativement entre chaque projet, en fonction de l'importance politique accordée au très haut débit, des ressources budgétaires à disposition de chaque collectivité, de la géographie du territoire ou encore des infrastructures existantes en matière de communications électroniques.
À la fin du deuxième trimestre 2015, sur la base des 74 dossiers déposés auprès de la Mission très haut débit, les projets de RIP prévoient en phase 1 (à l'horizon 2020) la construction de 7,3 millions de prises très haut débit , ainsi réparties :
- 6,3 millions par le FttH ;
- 800 000 par la montée en débit sur cuivre ;
- 200 000 par les réseaux hertziens (satellite, WiMAX, LTE).
En s'appuyant sur une base légèrement antérieure, de 65 projets déposés, l'étude précitée du CEREMA souligne les variations du mix technologique . Près de 80 % des RIP analysés comportent ainsi une composante de montée en débit dans le cadre d'une souscription à l'offre « Point de raccordement mutualisé » ( PRM ) proposée par Orange aux collectivités. L'offre PRM réduit la distance entre l'utilisateur final et le dernier équipement actif* sur le réseau cuivre afin d'augmenter le débit disponible ( II.D ). Toutefois, seuls les projets de moins de 20 000 prises FttH, et deux projets hors de cette catégorie, prévoient davantage de prises en montée en débit que de prises FttH.
Source : CEREMA, 2015
La priorité accordée au FttH varie fortement selon les projets de RIP déposés au FSN . Un seul département vise une couverture totale. Si les collectivités territoriales prévoient davantage de couverture FttH qu'anticipé par la Mission très haut débit, « l'ambition FttH » reste hétérogène. La priorisation du FttH se heurte en effet à la réalité du coût des déploiements en zone rurale , qui risque d'accroître le recours à des technologies moins pérennes, faute de soutien suffisant de l'État, et compte tenu des incertitudes sur la commercialisation des réseaux.
PLACE DU FTTH DANS LES PROJETS DE RIP DÉPOSÉS AU FSN
Source : CEREMA, 2015
La part restante de l'effort à fournir à l'issue de la première phase de déploiement varie fortement selon les projets de RIP. Seul un tiers des départements aura dépassé la couverture de 50 % de la zone d'initiative publique en FttH en 2020 . En valeur absolu, les efforts nécessaires resteront très élevés : pour un département, le nombre de prises à construire après 2020 dépassera 400 000, et sera supérieur à 100 000 prises pour 24 départements.
ETAT DES DÉPLOIEMENTS EN 2020
Source : CEREMA, 2015
Face à la diversité des offres technologiques, et à leurs caractéristiques respectives, l'identification du mix technologique optimal par chaque collectivité territoriale porteuse d'un RIP reste très délicate . La pression politique au niveau local est parfois forte, amenant ainsi les élus à privilégier des solutions de court terme. Certaines parties prenantes considèrent, au vu de la faiblesse des débits aujourd'hui disponibles sur leur territoire, qu'il n'est pas nécessaire à ce jour de viser des débits supérieurs à 100 Mbit/s. Le haut débit et le faible très haut débit seront toutefois vite dépassés. Les réseaux de nouvelle génération ne sont pas construits pour aujourd'hui, ni pour demain, mais pour après-demain. Il est donc essentiel de maintenir une ambition technologique élevée .
Si le recours aux différentes technologies doit être adapté au territoire, vos rapporteurs soulignent que l'enjeu du très haut débit est de viser un déploiement massif du FttH . Le renforcement du soutien financier de l'État sécuriserait les projets et les initiatives des collectivités, en leur permettant de viser un mix technologique plus pérenne.
Afin de ne pas créer à leur tour de nouvelles déceptions , les collectivités territoriales doivent toutefois viser des objectifs qu'elles pourront tenir , en termes de technologies et de couverture. Les ambitions doivent être en adéquation avec les ressources disponibles et les différentes contraintes. À ce titre, l'État doit leur apporter les moyens suffisants pour atteindre ces objectifs. La communication locale sur le déploiement du très haut débit doit également être adaptée, dès lors que l'accès pour l'ensemble des logements ne sera sans doute pas atteint en 2022.
2. Un financement à renforcer au service de l'égalité des territoires
a) Une évaluation incertaine du besoin total en financement
Dans le cadre du PFTHD, le coût d'une couverture intégrale du territoire en très haut débit est évalué à 20 milliards d'euros , dont 6 à 7 milliards d'euros pour la zone d'initiative privée (hors raccordement final) et 14 milliards d'euros pour la zone d'initiative publique . Le financement de la couverture de la zone d'initiative privée repose intégralement sur les fonds propres des opérateurs privés. Le financement des réseaux d'initiative publique, tel qu'envisagé par le PFTHD élaboré en 2013, se décompose ainsi :
- une première moitié doit s'appuyer sur les subventions de l'État , prévues à hauteur de 3,3 milliards d'euros, l' apport des différents niveaux de collectivités territoriales , les prêts accordés par la Caisse des dépôts , de longue maturité (jusqu'à 40 ans) et à taux faible (taux du livret A + 1 %) en mobilisant l'épargne réglementée, et par la Banque européenne d'investissement avec un consortium de banques privées, ainsi que les subventions des fonds européens (FEDER et FEADER).
- une seconde moitié doit reposer sur les cofinancements apportés par les opérateurs privés et les recettes d'exploitation .
Plusieurs facteurs compromettent l'adéquation du financement prévu par le PFTHD aux objectifs annoncés : une sous-estimation globale des coûts de déploiement, en particulier pour la partie la plus capillaire des réseaux ; un risque d'extension de la zone d'initiative publique à une partie de la zone AMII suite aux défaillances de l'initiative privée ; et surtout des risques croissants quant à la commercialisation des RIP. Le manque de visibilité sur les aides apportées par l'Etat après 2020 fragilise également les ambitions des collectivités.
Les auditions menées par le groupe de travail confirment ces incertitudes pour beaucoup de parties prenantes. Vos rapporteurs notent également que la Mission très haut débit a indiqué au groupe de travail que les collectivités territoriales se sont engagées davantage que prévu vers le FttH . Ce constat en termes de mix technologique global n'est pas sans conséquence sur le financement du très haut débit. Pour être préservée malgré la baisse des dotations, cette dynamique nécessite une actualisation du coût total du très haut débit, et du besoin en subvention des collectivités.
Vos rapporteurs notent ainsi que le dimensionnement financier du PFTHD, particulièrement pour la zone d'initiative publique, reste sujet à caution . Il est fort possible que l'évaluation de 14 milliards d'euros en 2013 pour la zone d'initiative soit en deçà du coût réel des déploiements agrégés. Comme le notait votre co-rapporteur dans l'étude précitée remise au Premier ministre en octobre 2010, une évaluation précise se heurte à l'élasticité élevée des investissements nécessaires par rapport aux hypothèses de coûts et de recettes retenues dans les modèles . L'évaluation initiale a été réalisée sur la base d'un modèle théorique, fondée sur les coûts moyens de déploiement en partant de la connaissance des réseaux de cuivre et des infrastructures d'accueil existantes. Elle ne s'appuie pas sur une agrégation d'études de piquetage réalisées par les collectivités territoriales 38 ( * ) . De nombreux facteurs sont susceptibles d'entraîner des variations par rapport à cette estimation théorique initiale : dispersion de l'habitat, relief accidenté, disponibilité variable des infrastructures existantes, divergences avec le tracé du réseau de cuivre, droits d'accès imprévus.
En tout état de cause, le total de 20 milliards d'euros, et le sous-ensemble de 14 milliards d'euros en zone d'initiative publique, correspondent à une estimation conservatrice .
Une étude menée en 2010 pour la DATAR évaluait le coût de la couverture en FttH des quarante derniers pourcents de logements à 22 milliards d'euros. L'agrégation des projets de déploiement en zone d'initiative publique connus fin 2014 représentaient un volume total d'investissement de 34,8 milliards d'euros à l'horizon 2040 pour une couverture en FttH de 70 %.
Les variations de coût pour le raccordement final peuvent également avoir été sous-estimées. Encore récemment, la consultation de l'ARCEP sur les enjeux de complétude suggère les variations probables du coût de raccordement final et la difficulté que pose sa répartition entre les différents acteurs économiques 39 ( * ) . Le coût réel de la partie la plus capillaire des RIP reste difficile à agréger . C'est en effet un segment dont le coût augmente de façon exponentielle avec la baisse de la densité de l'habitat. Le raccordement final pourrait représenter plus d'un tiers du coût total de la boucle locale optique . Dans certains territoires caractérisés par un habitat isolé, la distance du raccordement final peut atteindre plusieurs dizaines de mètres. Si la différence de coût est répercutée sur l'opérateur de services ou l'utilisateur final, la commercialisation des RIP risque d'être compromise. Comme le souligne le rapport remis par la mission dirigée par Paul Champsaur sur l'extinction du cuivre, le financement du raccordement final est un volet qui devrait être plus finement évalué.
Une évaluation actualisée du coût du raccordement final apparaît d'autant plus importante que la couverture de la population est constatée à partir de l'éligibilité, et non du raccordement effectif. Dans la zone conventionnée, certains engagements se limitent à permettre aux logements d'être « raccordables sur demande ».
Comme pour de nombreux projets d'infrastructures, le risque que les coûts aient été minimisés initialement, afin de mobiliser les parties prenantes, est particulièrement prégnant pour le très haut débit fixe.
Il s'agit donc d'afficher le vrai prix des ambitions fixées par le Gouvernement.
b) Une gouvernance perfectible pour le plan France très haut débit
Afin de définir les modalités de mise en oeuvre de la couverture intégrale du territoire en très haut débit, le Gouvernement a mis en place le 9 novembre 2012 une Mission très haut débit . Cette structure s'est vue confier le pilotage du plan France très haut débit à partir de l'approbation du premier cahier des charges, par un arrêté du Premier ministre du 29 avril 2013. La Mission assure également l'instruction des dossiers, le dialogue avec les collectivités territoriales, l'harmonisation des référentiels techniques et les échanges avec les autres administrations.
Vos rapporteurs tiennent à saluer le travail effectué par la Mission très haut débit, et la qualité du dialogue établi avec les collectivités territoriales . Le fonctionnement du PFTHD repose essentiellement sur l'action de la Mission. Malgré de très faibles moyens budgétaires et humains, la Mission a permis un lancement rapide du plan.
Au troisième trimestre 2015, on recense 76 dossiers de demande de subvention déposés auprès du FSN . L'État a attribué un engagement financier à 43 dossiers, pour un total de 1,491 milliards d'euros, et 5 dossiers ont une décision définitive de financement pour un montant de 148 millions d'euros. Les décaissements effectifs restent très faibles . À l'heure du présent rapport, 18 millions d'euros ont été décaissés pour un nombre limité de RIP (Auvergne, Oise, Calvados).
PROJETS DE RIP DÉPOSÉS POUR UNE DEMANDE DE SUBVENTION DU FSN
Source : AVICCA, novembre 2015
Les collectivités territoriales doivent avancer l'intégralité des financements, soit par leurs fonds propres, soit par un recours à l'endettement. En effet, les subventions de l'État ne sont décaissées qu'au fur et à mesure de l'achèvement des réseaux, plaque par plaque, comme le précise le cahier des charges des demandes de subvention : « La subvention de l'État sera versée en plusieurs versements, étalés sur plusieurs années dans la limite de la durée prévue par le présent cahier des charges, au rythme de la construction du réseau et après justification que les réseaux financés ont effectivement été construits conformément aux spécifications techniques » 40 ( * ) . Par ailleurs, le cofinancement privé reste limité, et les recettes d'exploitation des réseaux sont conditionnées à leur commercialisation auprès des opérateurs de services .
AIDES DE L'ÉTAT
Source : AVICCA, novembre 2015
Une multitude d'administrations interviennent au cours de ce processus : Mission très haut débit, Direction générale des entreprises, Commissariat général à l'investissement, Direction générale du budget, Commissariat général à l'égalité des territoires, Direction générale des collectivités locales, Direction générale à l'outre-mer.... La complexité et la longueur de la procédure d'examen des demandes de subvention ont été soulignées par de nombreuses parties prenantes.
L'instruction en phase 1 dure parfois à elle seule près d'un an. Lors de cette même phase, une fois l'instruction close et le comité d'engagement réuni, une durée jugée anormalement longue par les personnes auditionnées précède la décision du Premier ministre, pouvant atteindre six mois, sans que le dossier n'ait été modifié entretemps ou que de nouveaux éléments n'aient été demandés. Cette étape est pourtant nécessaire à l'attribution des marchés de travaux. Au total, la phase 1 peut atteindre deux ans pour certains dossiers.
L'instruction en phase 2 est susceptible de poser prochainement de nouvelles difficultés en termes de traitement, compte tenu du nombre de dossiers. Vos rapporteurs soulignent que la fin de la phase 2 ne signifie pas le versement des financements. Une convention doit ensuite être négociée et élaborée entre les parties prenantes pour préciser les engagements de chacun. Enfin, la convention doit être exécutée, par le versement progressif des aides, au fil de la réalisation des prises.
CAHIER DES CHARGES DES DOSSIERS DE DEMANDE DE SUBVENTION PROCÉDURE D'EXAMEN DES DEMANDES DE SUBVENTION « 2. Modalités de mise en oeuvre Les dossiers sont formellement déposés auprès de la Caisse des dépôts et instruits par la Mission Très Haut Débit. Ils font l'objet d'un examen par un comité d'experts issus des administrations compétentes, notamment la Direction générale des entreprises (DGE), le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), la Direction générale des collectivités locales (DGCL), la Direction générale des Outre-Mer (DGOM) dans le cas des projets ultramarins, le Centre d'études et d'expertise sur les risques, l'environnement, la mobilité et l'aménagement (CEREMA) et du Commissariat général à l'investissement (CGI). Après avis du « comité de concertation France Très Haut Débit » (ci-après « le comité de concertation ») et avis du Préfet de région, le « comité d'engagement subventions. - avances remboursables » (ci-après « le comité d'engagement ») peut adopter une proposition d'attribution d'aide soumise à l'approbation du Premier ministre. Le processus d'attribution des financements, placé sous l'autorité du comité d'engagement, s'effectue en deux phases successives : un accord préalable de principe et une décision de financement. 2.1.1 Phase 1 : Accord préalable de principe Préalablement au lancement de la procédure de sélection de prestataires privés en charge de la réalisation de travaux d'infrastructures et de réseaux et de leur exploitation ou, le cas échéant, préalablement au lancement des marchés publics de travaux et de services, le porteur de projet sollicite l'accord préalable de principe de l'État quant à l'éligibilité de son projet à un soutien de l'État. (...) Sur la base de l'instruction par la Mission Très Haut Débit, l'examen par le comité d'experts et après avis du comité de concertation et du Préfet de région, le comité d'engagement propose à l'approbation du Premier ministre, sur avis du Commissaire général à l'investissement, un projet d'accord préalable de principe portant sur le soutien de l'État au projet présenté et un plafond de soutien ou informe le porteur de projet des raisons du rejet de sa demande. Le comité d'engagement peut proposer des modifications à apporter à la demande pour qu'elle puisse faire l'objet d'un soutien de l'État, le cas échéant. 2.1.2 Phase 2 : Décision de financement Sur la base de l'accord préalable de principe obtenu et lorsqu'elle dispose de l'ensemble des éléments constitutifs d'un dossier complet au sens du § 3.7, le porteur de projet transmet formellement à la Caisse des dépôts un dossier comprenant les pièces complémentaires nécessaires pour constituer un dossier complet et, le cas échéant, une mise à jour des pièces fournies lors de la soumission du dossier en phase 1 lorsque des modifications sont intervenues. Ce dossier est transmis par la Caisse des dépôts à la Mission Très Haut Débit qui l'instruit et le soumet à l'examen du comité d'experts. |
Au vu de l'accord préalable de principe rendu par l'État en phase 1, de l'instruction réalisée par la Mission Très Haut Débit et de l'examen du dossier de phase 2 par le comité d'experts, le comité d'engagement « subventions. - avances remboursables » propose à l'approbation du Premier ministre, sur avis du Commissaire général à l'investissement, un projet de décision de financement du projet, indiquant le montant du financement et les conditions d'attribution du financement. » |
Source : Mission très haut débit, rapport annuel 2014
A l'heure où ce rapport est finalisé, les incertitudes persistantes sur la compatibilité avec le droit européen du soutien public à la montée en débit sur le réseau d'Orange ( II.D ) ont un effet bloquant sur l'ensemble de la procédure, retardant encore davantage le lancement des travaux pour les RIP concernés.
La procédure doit être simplifiée et sa durée doit être réduite . Une accélération de l'instruction nécessite un renforcement des moyens en personnel dédiés à la Mission très haut débit. Vos rapporteurs s'étonnent du très faible nombre d'emplois mobilisés spécifiquement au niveau central pour le pilotage d'une infrastructure cruciale pour le siècle à venir. La Mission regroupe 18 équivalents temps plein (ETP) en 2015. Une augmentation des moyens affectés au pilotage du PFTHD permettrait d'accélérer l'instruction des dossiers, tout en renforçant les capacités d'intervention de la Mission très haut débit sur d'autres sujets importants : négociation budgétaire, dialogue avec les opérateurs, suivi des déploiements privés, études et prospective... Additionnée à la grande technicité de ce sujet, l'ampleur des projets justifie pleinement de mobiliser des moyens accrus pour le pilotage du plan.
Vos rapporteurs notent toutefois que la gouvernance du PFTHD révèle une internalisation générale du dispositif par les administrations centrales , avec une très faible association du Parlement . Après le maintien pendant plus de deux ans de la Mission très haut débit dans un positionnement indéterminé, une structure a été créée sous la forme d'un service à compétence nationale (SCN) dénommé « Agence du numérique » et rattaché à la direction générale des entreprises (DGE) 41 ( * ) . Cette structure regroupe la Mission très haut débit, la Mission « French Tech » ainsi que la Délégation aux usages de l'internet (DUI).
L'objectif déclaré de ce regroupement est d'améliorer la coordination entre les réseaux et les usages. Si la nomination du directeur de la Mission très haut débit à la direction de l'Agence du numérique est favorable à la préservation des objectifs d'aménagement du territoire dans le nouvel ensemble, plusieurs organismes auditionnés ont exprimé des inquiétudes quant au risque d'une priorisation de la maîtrise budgétaire , au détriment de la qualité des relations avec les collectivités territoriales . Le positionnement de la structure auprès de la DGE est également susceptible d'accroître le poids des grands acteurs du marché sur l'évolution du plan France très haut débit. Le Parlement n'a nullement été associé à la définition de cette structure et de ses compétences, en 2013 ou en 2015.
Vos rapporteurs notent que le projet de création d'un établissement public national, avec une gouvernance partagée entre État et collectivités territoriales, a été abandonné sans aucune opportunité d'en débattre . Le choix d'un SCN a été essentiellement motivé pour des raisons de contraintes budgétaires sur le nombre d'ETP disponibles. Dans sa contribution à la mission dirigée par Paul Champsaur sur l'extinction du cuivre, le syndicat Manche numérique précisait pourtant : « La création d'un établissement a été de nombreuses fois proposée, le président de la République avait annoncé la création le 20 février 2013, mais ce projet reste virtuel. La France ne tirera pas les fruits de la révolution numérique sans une gouvernance partagée entre l'État, les collectivités locales et les entreprises concernées, c'est l'une des conditions principales de la réussite. »
Tout comme le PFTHD, la nouvelle structure chargée de leur mise en oeuvre n'a pas d'existence au niveau législatif, compromettant la capacité d'action du Parlement sur l'ensemble du dispositif, et la transparence du processus de décision pour les collectivités territoriales .
Proposition : associer systématiquement le Parlement aux choix structurants de la couverture numérique des territoires et créer un établissement public dédié au pilotage du très haut débit, doté de moyens renforcés et d'une gouvernance partagée entre État, collectivités territoriales et opérateurs. |
c) Un subventionnement à sécuriser et à amplifier au nom de l'égalité des territoires
Les subventions de l'État pour les projets de RIP s'appuient sur plusieurs dispositifs budgétaires. Le Fonds national pour la société numérique (FSN), créé en 2011 par convention avec la Caisse des dépôts a été alimenté à hauteur de 900 millions d'euros, dans la cadre du programme « investissements d'avenir ». Les porteurs de RIP déposent leurs demandes de subvention auprès du FSN, dont l'obtention est conditionnée au respect des prescriptions fixées dans le cahier des charges de l'appel à projets . Le subventionnement de l'État porte sur plusieurs postes de dépenses dans les projets de RIP .
CAHIER DES CHARGES DES DOSSIERS DE DEMANDE DE SUBVENTION « 1.5 COÛTS ÉLIGIBLES » « [...] Le porteur de projet devra fournir une décomposition précise et étayée du besoin de financement en subvention initiale en distinguant au minimum : - la composante « collecte fibre optique NRA/NRO », pour les investissements réalisés en amont des noeuds de réseaux de boucle locale cuivre (NRA) et de la boucle locale optique mutualisée (NRO) ; - la composante « collecte transitoire fibre optique - FttN », pour les investissements dans le réseau de fibre optique permettant la modernisation des réseaux filaires existants qui pourront être notamment réutilisés ultérieurement comme des segments de transport optique du futur réseau de boucle locale optique mutualisée ; - la composante « raccordement des points hauts des zones blanches des réseaux mobiles » , pour les investissements réalisés en amont des points hauts de la téléphonie mobile dans le cadre du guichet « couverture mobile » en l'absence d'un tel réseau en fibre optique ; - la composante « boucle locale optique mutualisée » pour les investissements de déploiement du réseau de boucle locale optique mutualisée (desserte et raccordements) ; - la composante « transport anticipé de la future boucle locale optique mutualisée » pour les investissements de déploiement anticipé de potentiels segments de transport optique (du NRO au SRO) de la future boucle locale optique mutualisée, à partir desquels peuvent être réalisés des raccordements spécifiques des sites prioritaires et qui s'inscrivent dans d'une architecture de la future boucle locale optique mutualisée ; - la composante « raccordement spécifique des sites prioritaires » pour les raccordements en fibre optique spécifiques en point-à-point (sans brassage entre l'équipement d'activation et la prise terminale) des sites prioritaires ; - la composante « inclusion numérique » ; - la composante « études » . La subvention sera attribuée au terme d'une analyse du projet, composante par composante, suite à une analyse poste de coût par poste de coût. » |
En matière de péréquation, le passage du PNTHD au PFTHD a permis une ventilation plus étendue des subventions aux collectivités territoriales : les taux de subventions à la prise ont été relevés de 20 à 25 % pour l'ensemble des projets. Les aides sont modulées en fonction d'un taux de ruralité, qui mesure la part relative de la population vivant dans une commune n'appartenant à aucune unité urbaine, et d'un taux de dispersion de l'habitat. Les projets ultramarins bénéficient également d'une modulation spécifique. La prise en charge du besoin de subvention publique doit s'établir en moyenne à 50 %, et peut aller jusqu'à 62 % dans un territoire très rural, ou descendre à 33 % en cas de faible dispersion de l'habitat et d'urbanisation relativement élevée.
Il faut toutefois noter que le subventionnement de l'État pour chaque poste de coût est limité par le retranchement au coût considéré d'une somme forfaitaire , pouvant « raisonnablement être mise à la charge de l'opérateur et/ou de l'usager final », ainsi que d'un plafonnement en valeur absolue de subvention par prise, défavorable aux zones rurales . Pour la composante « boucle locale optique mutualisée », la somme forfaitaire est ainsi évaluée à 400 euros, et le plafond des subventions est fixé à 150 euros par prise construite. Cette aide est à comparer au coût total des prises dans les territoires ruraux, dont le coût moyen selon la Mission très haut débit est de 1 100 euros, mais qui excède régulièrement 2 000 euros.
À ce jour, il n'est pas possible de vérifier si la répartition des subventions correspondra effectivement aux coefficients prévus, ni dans quelle mesure la ventilation des subventions reflètera fidèlement les différences de coût des déploiements. Vos rapporteurs notent toutefois que les limites apportées au subventionnement - somme forfaitaire et plafonnement - sont susceptibles d'être remises en cause par les difficultés de commercialisation des réseaux, et les variations imprévues des coûts dans les zones les moins denses.
TAUX D'AIDE MAXIMUM EN FONCTION DES CRITÈRES DE
RURALITÉ
ET DE DISPERSION
Source : Autorité de la concurrence
Le financement apporté par l'État doit être pérennisé et renforcé . Dans le budget 2016, aucune ouverture de crédits de paiement n'est prévue, compte tenu de la disponibilité des crédits du FSN, et du décalage d'un à deux ans entre l'accord préalable de principe de l'État et l'accord final de financement. Afin de garantir le versement effectif des aides de l'État, les ressources budgétaires engagées devront être transformées en crédits de paiement en temps utile.
Le manque de visibilité au-delà de 2020 pose des difficultés pour les projets d'investissement des collectivités .
À l'exception du raccordement final, qui pourra faire l'objet d'un financement sur un délai de cinq années supplémentaires, la phase de subventionnement des RIP porte sur les cinq prochaines années. Le recours à l'abondement ponctuel d'un programme par des crédits budgétaires nuit à la visibilité du financement disponible au-delà de l'horizon 2020 , et ne permet pas de mettre en place une gouvernance spécifique à la gestion des ressources concernées. À de rares exceptions près, comme en région Bretagne, les projets des collectivités en phase 1 sont ciblés sur les zones les plus aisées à couvrir en complément de la zone d'initiative privée. En tout état de cause la phase post -FSN nécessitera des ressources importantes compte tenu du chantier restant pour les collectivités territoriales.
Vos rapporteurs regrettent à ce titre que les recettes dégagées par la vente prochaine d'autorisations d'utilisation de fréquences dans la bande 700 Mhz ne soit pas fléchées pour financer le déploiement du très haut débit fixe , alors même qu'une telle affectation serait cohérente avec la priorité déclarée du Gouvernement en faveur du numérique dans les territoires ruraux.
La loi du 17 décembre 2009 relative à la lutte contre la fracture numérique visant à lutter contre la fracture numérique a créé un vecteur de financement spécifique : le Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT) . Doté d'une existence au niveau législatif, et d'une gouvernance ouverte, le FANT a vocation à financer les déploiements de RIP prévus dans le cadre des SDTAN. En 2010, en tant que parlementaire en mission, votre co-rapporteur avait proposé au Gouvernement plusieurs solutions afin d'alimenter le fonds : taxe sur la boucle locale cuivre, taxe sur les produits électroniques grand public (téléviseurs, consoles de jeux), contribution de solidarité numérique 42 ( * ) . Depuis 2011, la vocation du FANT est de prendre le relai du FSN, véhicule temporaire créé par voie conventionnelle, afin de proposer un fonds de financement pérenne du très haut débit jusqu'à son achèvement, dont la gouvernance serait partagée avec l'ensemble des acteurs concernés, notamment les collectivités.
ARTICLE 24 DE LA LOI N° 2009-1572 DU 17 DÉCEMBRE 2009 RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LA FRACTURE NUMÉRIQUE FONDS D'AMÉNAGEMENT NUMÉRIQUE DES TERRITOIRES
« I.
Le fonds d'aménagement
numérique des territoires a pour objet de contribuer au financement de
certains travaux de réalisation des infrastructures et réseaux
envisagés par les schémas directeurs territoriaux
d'aménagement numérique
mentionnés à
l'article L. 1425-2 du code général des collectivités
territoriales.
|
Le fonds d'aménagement numérique des territoires peut attribuer, sur demande, des aides aux maîtres d'ouvrage des travaux de réalisation des infrastructures et réseaux envisagés par les schémas directeurs territoriaux d'aménagement numérique lorsque les maîtres d'ouvrage établissent, suivant des critères précisés par décret, que le seul effort, y compris mutualisé, des opérateurs déclarés en application du I du même article L. 33-1 ne suffira pas à déployer un réseau d'infrastructures de communications électroniques à très haut débit.
Les aides doivent permettre à l'ensemble de la
population de la zone concernée par le projet d'accéder, à
un tarif raisonnable, aux communications électroniques en très
haut débit
. Elles sont attribuées par
arrêté conjoint du ministre chargé de l'aménagement
du territoire et du ministre chargé des communications
électroniques pris après avis du comité national de
gestion du fonds, en tenant compte de la péréquation des
coûts et des recettes des maîtres d'ouvrage
bénéficiant des aides sur le périmètre de chacun
des schémas directeurs concernés.
|
Vos rapporteurs considèrent que le refus du Gouvernement de prendre les décisions réglementaires et budgétaires nécessaires au fonctionnement au FANT constitue un véritable déni de la loi et du Parlement . La création du programme 343 par la loi de finances initiale pour 2015, doté de 1,412 milliards d'euros en autorisations d'engagement en relai du FSN, en témoigne. Cette persistance dans le refus d'appliquer la loi se fait au prix de la transparence et de la pérennité du financement du très haut débit. Notre collègue Philippe Leroy, rapporteur pour avis sur les crédits consacrés aux communications électroniques dans la loi de finances initiale pour 2015, notait : « la « mauvaise volonté » de l'État à mettre en oeuvre la« loi Pintat » du 17 décembre 2009, dont l'une des dispositions prévoyait la création d'un Fonds d'aménagement numérique du territoire (FANT), laisse perplexe. Il y avait là une mécanique de financement simple, lisible et approuvée par le Parlement, qui aurait permis de mieux flécher les crédits affectés au très haut débit . »
Dans l'esprit du fonds d'amortissement des charges d'électrification (FACÉ) mis en place pour soutenir l'électrification rurale, une contribution de solidarité numérique forfaitaire sur les abonnements internet, fixe et mobile, apparaît comme une solution permettant tout à la fois d'alimenter le FANT par des ressources importantes et pérennes, et d'assurer une péréquation entre zones urbaines et zones rurales . Compte tenu de la difficulté d'évaluer et d'imposer la quantité de données, une solution forfaitaire serait privilégiée, à la différence du FACÉ fondé sur le volume d'électricité distribuée.
LE FACÉ ET LA PÉRÉQUATION DES COÛTS DES RÉSEAUX ÉLECTRIQUES Le FACÉ a été créé en 1936 à l'initiative de la FNCCR (Fédération nationale des collectivités concédantes et régies) et a pour vocation de verser des subventions aux collectivités maîtres d'ouvrage des travaux d'électrification rurale . Il a facilité la diffusion de réseaux électriques dans les zones rurales en permettant aux collectivités concédantes d'alléger leurs charges d'emprunts contractés pour l'édification des réseaux et de financer un certain nombre de travaux destinés à améliorer les réseaux électriques. Ce fonds est alimenté par une contribution annuelle des gestionnaires de réseaux publics de distribution en fonction des kilowattheures distribués en basse tension avec un taux cinq fois plus fort pour les communes urbaines que pour les communes rurales (ainsi en 2015, chaque distributeur a versé une contribution égale à 0,18 centime d'euro par kWh dans les communes urbaines et 0,04 centime d'euro dans les communes rurales) ; le montant de cette contribution est fixé chaque année par arrêté conjoint des ministres chargés du budget et de l'énergie. Le FACE permet de collecter une somme annuelle de l'ordre de 370 millions d'euros pour un chiffre d'affaires du secteur supérieur à 30 milliards d'euros. Le taux d'aide du FACE est de 80 % du montant TTC des travaux aidés qui doivent correspondre à l'un des programmes du FACE. Source : Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey |
Abonder un fonds dédié à l'aménagement numérique du territoire par une ressource fondée sur les abonnements internet, et si nécessaire les équipements qui bénéficient le plus du très haut débit (téléviseurs et consoles de jeu), permettrait de créer un mécanisme de financement cohérent . Votre co-rapporteur estimait en 2010 qu'une taxe forfaitaire de quelques dizaines de centimes d'euros par mois permettrait de récolter plusieurs centaines de millions d'euros par an. Le coût pour le consommateur resterait très limité car dans l'hypothèse la moins favorable, la mise en place de cette contribution entraînerait une augmentation du coût de l'abonnement de l'ordre de 2 %.
Ce dispositif aurait le mérite de mettre en place un système clair pour le citoyen. Une telle contribution de solidarité numérique figurerait explicitement sur les factures, à l'instar de l'éco-participation, pour assurer l'information des utilisateurs.
Vos rapporteurs regrettent que les flux du secteur des communications électroniques vers d'autres domaines ne cessent de se multiplier (recettes de l'attribution des licences de la bande de fréquences 700 MHz vers la défense, taxe sur le chiffre d'affaires des opérateurs vers l'audiovisuel), et considèrent que mettre en place un financement interne au secteur permettrait d'éviter les flux tournés vers l'extérieur, qui appauvrissent les communications électroniques. En accélérant l'accès aux utilisateurs sur le marché de détail, ce soutien à l'aménagement numérique du territoire augmenterait le potentiel de commercialisation pour les opérateurs de services. Le financement du très haut débit serait également pérennisé en disposant d'une ressource durable et cohérente, évitant de recourir à des abondements budgétaires ponctuels et incertains .
Le dispositif du FANT ainsi abondé garde toute sa pertinence, et doit être mis en oeuvre, conformément au vote du Parlement. Cette analyse est partagée par nos collègues Jacques Chiron et Bernard Lalande, rapporteurs spéciaux sur la mission « économie » du budget 2015 : « Vos rapporteurs spéciaux appellent donc à réfléchir à la création d'un dispositif de « péréquation numérique », qui pourrait par exemple prendre la forme d'une contribution prélevée sur les abonnements à Internet des particuliers et entreprises des bénéficiant de la couverture en « zone dense », et dont le produit serait affecté au financement des réseaux d'initiative publique dans les zones moins rentables. Ainsi ce dispositif permettrait-il d'accélérer la couverture du territoire en très haut débit par la mise en oeuvre de la solidarité nationale. ». Cette pérennisation du financement permettrait de libérer les initiatives des collectivités territoriales, en dissipant de réelles inquiétudes sur l'après-2020 . Grâce à cette nouvelle ressource, le plafonnement des subventions apportées aux projets de RIP pourrait être relevé, afin d'accroître le soutien apporté par l'Etat aux collectivités territoriales et de mieux couvrir les variations de coût dans les territoires. Ce dispositif permettrait une péréquation durable entre les territoires, afin de lutter effectivement contre la fracture numérique.
Proposition : pérenniser et renforcer le subventionnement de l'État par la mise en place d'un fonds alimenté par une contribution de solidarité numérique, assise sur les abonnements haut débit et très haut débit, pour assurer une véritable péréquation entre zones urbaines et zones rurales. |
Les collectivités les plus rurales sont les moins bien dotées en infrastructures par l'initiative privée. Alors même que ces collectivités sont les plus dépourvues en ressources financières, elles sont les plus sollicitées en matière de déploiement, compte tenu des coûts exponentiels de déploiement sur leur territoire . Les ambitions hétérogènes des projets de RIP à l'horizon 2020 reflètent en partie ces différences de coûts et de moyens. On ne saurait exiger d'un département rural, confronté à de nombreuses difficultés par ailleurs, de viser une couverture en très haut débit ambitieuse, sans lui apporter les aides suffisantes. Un renforcement du subventionnement apporté par l'État est nécessaire, compte tenu de la réduction accrue d'année en année des dotations budgétaires . Sans un soutien accru, les inégalités en termes d'accès au numérique risquent de s'accroître.
La problématique du financement est liée à la commercialisation des réseaux. Si une tarification homogène devait s'imposer sur le marché de gros, ce sont les collectivités territoriales et leurs délégataires qui assumeraient de fait les différences de coût, l'alignement tarifaire étant fondé sur les prix constatés dans la zone d'initiative privée .
La péréquation sur le cuivre pesait sur un seul acteur, France Télécom, dont l'activité sur l'ensemble du territoire, à la fois sur le marché de gros et sur le marché de détail, lui permettait de compenser les pertes en zone peu dense par des revenus en zone dense. À la différence du cuivre, les opérateurs du réseau FttH sont multiples et les collectivités n'ont pas accès aux zones rentables. Les collectivités ne peuvent donc pas avoir recours à une péréquation horizontale sur leurs réseaux, pour équilibrer les coûts . Une tarification homogène va imposer aux collectivités territoriales, particulièrement les plus sollicitées en matière de déploiements publics, de subir les différences de coût.
Il reviendra donc à l'État de tirer les conséquences de cette tarification homogène dans son soutien financier aux collectivités territoriales, en renforçant la péréquation verticale par le subventionnement.
d) Des financements complémentaires à mobiliser
Le financement des réseaux d'initiative publique fait également appel à l'emprunt . L'accès au prêt bancaire repose sur des prêts de longue maturité (jusqu'à 40 ans) à taux faible (taux du livret A + 1 %) accordés par la Caisse des dépôts et consignations en mobilisant l'épargne réglementée, et sur des prêts distribués par la Banque européenne d'investissement (BEI) avec un consortium de banques privées françaises. Au 31 août 2015, un volume de prêts d'un montant de 355 millions d'euros a été mobilisé au titre de l'épargne réglementée, dont 299 millions ont d'ores et déjà été engagés. Vos rapporteurs n'ont pas été alertés sur une difficulté d'accès aux prêts bancaires pour les collectivités territoriales, malgré les charges financières engendrées. À ce jour, le volet emprunt semble fonctionner correctement. Toutefois, le remboursement des intérêts nécessite des recettes d'exploitation, qui risquent d'être perçues tardivement compte tenu des risques sur la commercialisation des RIP. Afin de limiter la charge pour les finances publiques, une diversification des sources de financement est nécessaire .
Dans le cadre des fonds européens (FEDER et FEADER), une enveloppe de 556 millions d'euros a été obtenue afin de financer le déploiement du très haut débit. Ce financement doit être effectivement mobilisé par les régions, autorités de gestion, dans le cadre de leurs programmes opérationnels, afin de soutenir les projets de RIP dans les territoires les plus fragiles.
Vos rapporteurs considèrent par ailleurs que l'initiative publique ne doit pas se résumer à l'investissement public. Additionnellement au cofinancement par les opérateurs privés - à ce jour limité - d'autres sources de financement privé doivent être mobilisées. Certains acteurs, comme les fonds d'infrastructures, sont intéressés par le rendement à long terme des RIP. Des solutions de financement innovantes doivent être conçues afin d'étendre les ressources à disposition des collectivités territoriales et de leurs délégataires. En juillet 2014, la France a été le premier pays européen à mettre en place une obligation de projet ( project bond) pour le financement d'un réseau très haut débit. La Banque européenne d'investissement (BEI) a ainsi apporté une garantie partielle à des obligations émises par Axione, opérateur de RIP, pour améliorer l'attractivité des titres sur les marchés.
La conception des RIP et leur ouverture aux financements privés devraient s'appuyer sur l'expertise de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que sur une prise de participation dans certains projets . La Caisse des dépôts a investi 145 millions d'euros dans les RIP de première génération. En septembre 2015, le groupe a mis en place avec Tutor, opérateur de réseaux, une société commune conçue comme plateforme d'investissement dédiée au déploiement du très haut débit en France via les RIP. Lors de son audition par votre commission le 11 mars 2015, le directeur général du groupe Caisse des dépôts, Pierre-René Lemas, a confirmé l'importance de la transition numérique des territoires pour le groupe, partenaire de longue date des collectivités.
En apportant son expertise aux porteurs des RIP, la Caisse des dépôts pourra structurer des projets financièrement attractifs et permettre aux collectivités territoriales qui le souhaitent de solliciter des investisseurs sur les marchés financiers. La Caisse des dépôts doit pouvoir jouer un rôle d'interface afin d'accompagner les collectivités dans cet accès aux investisseurs privés. La participation financière du groupe à certains projets permettra d'envoyer un signal aux investisseurs, en jouant d'un effet de levier pour attirer les financements privés. La Caisse des dépôts envisage ainsi d'investir 250 millions d'euros dans une trentaine de RIP très haut débit d'ici fin 2017. La participation des investisseurs privés doit permettre de sécuriser le financement du très haut débit, tout en préservant la maîtrise d'ouvrage publique des projets. L'objectif est de minimiser le besoin en fonds publics.
Proposition : diversifier les sources de financement pour les réseaux d'initiative publique, en s'appuyant notamment sur l'expertise financière de la Caisse des dépôts pour la conception des plans d'affaires et sur des prises de participation afin de mobiliser les investissements privés par effet de levier. |
3. La commercialisation des réseaux : grande inconnue des collectivités territoriales
La raison d'être des réseaux très haut débit mis en place par les collectivités territoriales est de permettre aux citoyens de disposer d'un accès au numérique dans de bonnes conditions. Pour cela, les réseaux doivent être utilisés par les opérateurs commerciaux, qui proposent des offres de service aux utilisateurs finals sur le marché de détail. L'utilisation des RIP par les opérateurs de services génère des revenus pour le porteur du RIP et son délégataire, sur le marché de gros. En application de l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, les collectivités ne peuvent que très subsidiairement proposer des services de communications électroniques, en cas de carence constatée de l'offre privée sur le marché de détail. Les collectivités territoriales ne sont donc pas en mesure de générer une animation concurrentielle immédiate, susceptible d'alimenter la commercialisation sur le marché de gros.
La commercialisation des réseaux sur le marché de gros repose sur plusieurs offres : un cofinancement ab initio ou a posteriori associé à des droits d'usage pérennes 43 ( * ) , une location de lignes passives ou une offre de lignes activées. Si le cofinancement est l'offre qui nécessite les capacités financières les plus importantes, lors de l'achat de « tranches » du réseau, c'est également la moins coûteuse sur le long terme. Les opérateurs commerciaux d'envergure nationale sont les plus susceptibles de participer au cofinancement, tandis que les opérateurs locaux sont plus à même de faire appel à la location de lignes passives ou aux offres activées.
Bouygues Telecom et Free n'investissent pas massivement dans les RIP et leurs ressources devraient être concentrées dans les zones denses d'initiative privée à moyen terme. Les communications récentes d'Orange et Numericable-SFR suggèrent que les deux principaux acteurs du FttH hors des zones d'initiative privée ne viendront pas sur l'ensemble des RIP, et qu'ils privilégieront fortement les réseaux qu'ils construisent et exploitent dans le cadre de délégations de service public concessives. Tout en annonçant 600 millions d'euros d'investissement pour les RIP dans les prochaines années, le président directeur-général d'Orange précisait ainsi en juillet 2015 que l'opérateur « ne pourra pas être partout ». En tout état de cause, la stratégie déclarée des principaux opérateurs indique qu'ils ne participeront pas significativement aux RIP tant que la concurrence sur les territoires rentables de la zone d'initiative privée n'aura pas été épuisée .
Si les opérateurs locaux sont susceptibles de prendre dans certains cas une fraction des prises, en cofinancement ou en location, leurs capacités financières semblent trop faibles pour menacer les parts de marché des grands opérateurs - dont Orange, particulièrement implanté en zone rurale - et stimuler ainsi l'investissement de ces derniers dans les RIP. Par ailleurs, la difficulté pour les opérateurs locaux de proposer des offres de télévision limite leur capacité à prendre des parts de marché aux grands opérateurs. Hypothétiquement, le mouvement pourrait venir de nouveaux entrants sur le marché des communications électroniques, notamment certaines grandes entreprises de l'audiovisuel ou des plateformes internet.
En 2015, les porteurs de RIP sont donc confrontés à l'absence d'intérêt des grands opérateurs, qui pourrait se maintenir plusieurs années. La majorité des organismes auditionnés ont exprimé de très vives inquiétudes sur ce positionnement des opérateurs à moyen terme, qui pèse sur la viabilité des réseaux et la soutenabilité de la mobilisation locale. Malgré les efforts importants en termes d'investissement, de tarification et d'harmonisation technique selon l'évolution des référentiels, les collectivités n'ont pas l'assurance d'une commercialisation rapide de leurs réseaux. Cette situation pourrait devenir critique si les grands opérateurs privés persistaient dans leur attentisme et leur stratégie très sélective à l'égard des RIP auxquels ils participent .
Au total, ce sont plus de 7 millions de prises qui vont être déployées dans les RIP à l'horizon 2020. Malgré le recours fréquent à des clauses de stop and go pour la réalisation des travaux , les projets de déploiement des collectivités territoriales sont susceptibles d'être très fortement perturbés si cette situation se prolonge. Les collectivités territoriales ont besoin de recettes pour rembourser la charge financière liée à certains emprunts. L'absence prolongée des opérateurs risque de fragiliser l'équation financière de la zone d'initiative publique : la moitié du besoin de financement devant provenir du cofinancement et des recettes d'exploitation . Dans le cadre du subventionnement accordé par l'État, un montant forfaitaire de 400 euros par prise est soustrait du coût éligible, dans l'hypothèse d'un cofinancement à cette hauteur par les opérateurs. À ce jour, les RIP n'ont pas fait l'objet d'une telle participation privée.
Par construction, la rentabilité des RIP est plus incertaine que les réseaux construits en zone d'initiative privée car la summa divisio des zones a réservé aux collectivités les plaques les moins rentables, la zone d'initiative publique étant définie négativement par rapport aux zones rentables. Cette situation est largement le fait des gouvernements successifs, par leurs choix de répartition des responsabilités. Il importe donc que l'État soutienne les collectivités territoriales, le cas échéant par des ressources supplémentaires en cas de commercialisation plus faible que prévue, et qu'il joue son rôle dans l'accélération de l'arrivée des opérateurs. Seul l'État constitue un arbitre suffisamment puissant pour peser dans la négociation avec les opérateurs privés.
Vos rapporteurs estiment qu'il serait inacceptable que des réseaux financés sur fonds publics face à l'absence de déploiements privés restent inutilisés faute de volonté des mêmes opérateurs privés pour commercialiser leurs services.
Les conditions de commercialisation doivent également être améliorée, afin d'accroître l'attractivité des RIP . De toute évidence, un décalage existe aujourd'hui entre les projets de RIP départementaux et les ordres de grandeur visés par les opérateurs privés. La différence d'échelle est considérable, entre des RIP qui prévoient parfois entre 50 000 et 100 000 prises en phase 1, et des opérateurs d'envergure nationale qui gèrent plusieurs dizaines de millions de prises. Les grands opérateurs sont des acteurs de masse, dont les décisions obéissent à des processus d'industrialisation pour bénéficier d'économies d'échelle.
Parfois source d'incompréhension pour les élus locaux, cet écart doit être surmonté par des solutions pragmatiques. La prime accordée aux projets d'échelle supra-départementale dans le cadre des subventions du FSN est une première incitation à déployer des RIP de plus grande taille. Fin 2014, la Mission très haut débit recensait 8 démarches pluri-départementales de construction ou de commercialisation commune, concernant 21 départements, notamment en Alsace, en Auvergne et en Bretagne. Plusieurs porteurs de RIP envisagent de commercialiser leurs réseaux à une échelle supra-départementale, principalement par des sociétés publiques locales : Aquitaine, Bourgogne, Franche-Comté, Centre... Une telle structure permet de constituer un point unique d'exploitation et de commercialisation des réseaux , et d' améliorer le pouvoir de négociation des collectivités territoriales avec les opérateurs privés, sans priver les porteurs de RIP de leur maîtrise d'ouvrage.
L'agrégation des RIP lors de leur commercialisation sera nécessaire pour de nombreux départements, afin d'atteindre une taille critique compatible avec une commercialisation en masse . Cette « reconcentration » de la commercialisation pourrait être mise en oeuvre à l'échelle des nouvelles régions issues de la réforme territoriale en cours. Le regroupement des RIP permettrait également de procéder à une certaine péréquation horizontale dans l'exploitation et la commercialisation, en lissant les différences de coût sur l'ensemble du territoire concerné.
À ce jour, cette perspective se heurte à l'impossibilité de constituer un syndicat mixte de syndicats mixtes. Cette faculté devrait donc être créée par voie législative. Le fonctionnement de ces structures devra être compatible avec le droit de la concurrence, dès lors que la commercialisation agrégée des RIP s'apparente à la mise en place d'une centrale de vente .
Proposition : permettre de fédérer les réseaux d'initiative publique lors de leur commercialisation, en prévoyant par voie législative la possibilité de créer un syndicat de syndicats, afin de rééquilibrer le rapport de force entre collectivités territoriales et opérateurs privés. |
La tarification des réseaux est un autre enjeu important pour la commercialisation des RIP . Les lignes directrices de l'Union européenne 2013/C 25/01 pour l'application des règles relatives aux aides d'État dans le cadre du déploiement rapide des réseaux de communication à haut débit prévoient un rapprochement des tarifs sur le marché de gros entre les réseaux financés par la seule initiative privée et les réseaux soutenus par des aides publiques. Quelle que soit la zone concernée, les prix de gros doivent être orientés vers les coûts. Si la subvention publique vise à ramener le tarif du réseau aidé à un niveau comparable avec celui d'un réseau établi par la seule initiative privée, une différence de fond subsiste qui semble incompatible avec une identité stricte en termes de tarification.
LIGNES DIRECTRICES DE L'UNION EUROPÉENNE 2013/C 25/01 POUR L'APPLICATION DES RÈGLES RELATIVES AUX AIDES D'ÉTAT DANS LE CADRE DU DÉPLOIEMENT RAPIDE DES RÉSEAUX DE COMMUNICATION À HAUT DÉBIT « (78) Toute aide d'État en faveur du déploiement du haut débit devrait respecter l'ensemble des principes de compatibilité énoncés dans la section 2.5 ci-dessus, notamment l'objectif d'intérêt commun, l'existence d'une défaillance du marché, l'adéquation et l'effet d'incitation de la mesure. En ce qui concerne la limitation des distorsions de concurrence, outre la démonstration de la manière dont un palier est franchi dans tous les cas (que la zone soit blanche, grise ou noire (90)), les conditions suivantes doivent être réunies pour démontrer la proportionnalité de la mesure. Une évaluation approfondie (91) sera le plus souvent nécessaire en cas de défaut de n'importe laquelle de ces conditions, défaut qui entraînera une conclusion potentiellement négative quant à la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur. [...] |
h) Tarification de l'accès en gros : l'analyse comparative constitue un instrument important pour s'assurer que la subvention accordée servira à reproduire les conditions qui prévalent sur d'autres marchés du haut débit compétitifs . Le tarif de l'accès en gros devrait être fondé sur les principes de tarification établis par le RN et sur des critères de référence et devrait tenir compte de l'aide perçue par l'opérateur de réseau. Pour le critère de référence, le tarif de gros officiel moyen qui est appliqué dans d'autres zones comparables, plus compétitives , du pays ou de l'Union sera retenu ou, à défaut d'un tarif officiel, les tarifs déjà fixés ou approuvés par le RN pour les marchés et services concernés. En l'absence, pour certains produits d'accès en gros, de tarif officiel ou réglementé auquel se référer, la tarification devrait respecter les principes de l'orientation vers les coûts selon la méthodologie mise en place conformément au cadre réglementaire sectoriel. Compte tenu de la complexité de l'analyse comparative des prix de l'accès en gros, les États membres sont encouragés à confier au RN , en le dotant des effectifs nécessaires, la mission de conseiller les autorités chargées de l'octroi de l'aide sur ces questions . Une description détaillée du projet d'aide devrait être envoyée au RN au moins deux mois avant la notification pour permettre à ce dernier de disposer d'un délai raisonnable pour donner son avis. Lorsque le RN est doté d'une telle compétence, l'autorité chargée de l'octroi de l'aide devrait lui demander conseil pour fixer les tarifs et les modalités de l'accès en gros. Le dossier d'appel d'offres devrait clairement mentionner les critères d'analyse comparative. » |
Cette homogénéisation est défendue par le Gouvernement et par l'ARCEP afin de préserver les collectivités territoriales d'une dynamique baissière dans leurs négociations avec les opérateurs privés . Selon le régulateur, face à des difficultés budgétaires, et en l'absence d'activités sur le marché de détail, la dépendance des collectivités territoriales aux opérateurs pourrait les conduire à proposer des tarifs sous-évalués en vue de commercialiser leurs réseaux. Les grands opérateurs pourraient profiter de cette situation en stimulant une concurrence entre les RIP afin d'obtenir des offres plus intéressantes.
Un article additionnel relatif à la tarification des RIP a été inséré par voie d'amendement gouvernemental au cours de l'examen au Parlement du projet de loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques 44 ( * ) . Ces dispositions prévoient que les collectivités territoriales et leurs groupements permettent l'accès des opérateurs de communications électroniques aux réseaux d'initiative publique, dans des conditions tarifaires qui prennent en compte l'apport d'aides publiques de manière à reproduire les conditions économiques d'accès aux réseaux établis dans d'autres zones du territoire en l'absence de telles aides. L'ARCEP s'est ainsi vue confier l'élaboration de lignes directrices sur ces conditions de tarification. Les collectivités territoriales devront communiquer à l'ARCEP les conditions tarifaires d'accès à leurs réseaux au moins deux mois avant leur entrée en vigueur.
PÉRIMÈTRE DU MODÈLE ÉTUDIÉ PAR L'ARCEP
Source : ARCEP
La tarification de l'accès au marché de gros pour les RIP est une problématique complexe du point de vue économique, qui interagit avec une action future sur le tarif de gros du cuivre dans la perspective d'une migration vers la fibre. La diversité des RIP et l'impératif d'apporter le très haut débit à l'ensemble des citoyens à moyen terme justifient toutefois d'accorder des marges de manoeuvre aux collectivités et à leurs délégataires.
En l'absence d'étude d'impact et d'informations précises du Gouvernement lors de l'introduction dans la loi de ces dispositions, vos rapporteurs avaient exprimé de grandes inquiétudes sur le dispositif proposé, regrettant à cet égard qu'une mesure à la fois technique et d'une importance considérable pour les RIP ait été insérée en cours d'examen à l'Assemblée nationale. Cette disposition confie un pouvoir d'appréciation considérable à l'autorité de régulation. La valeur juridique équivoque de ces lignes directrices ne permet pas d'appréhender tout son impact sur les projets des collectivités, a fortiori si le subventionnement de l'État devait être conditionné au respect de ces « recommandations ». Le dispositif mis en place apparaît très contraignant pour les collectivités territoriales, obligées de transmettre a priori leurs projets de tarification et de les rectifier, selon les observations du régulateur.
Il est essentiel de permettre aux collectivités territoriales de disposer de la tarification comme outil d'attractivité, tout en encadrant cette faculté . Les lignes directrices de l'ARCEP doivent avant tout proposer un signal-prix clair à l'ensemble des parties prenantes afin que chacun dispose d'une référence lors des négociations . Cet encadrement ne doit pas aboutir à geler le développement des RIP dans les prochaines années , par alignement sur la zone d'initiative privée, ce qui aurait pour conséquence de pérenniser les parts de marché de certains opérateurs privés dans les zones rurales.
Lors des consultations organisées par l'ARCEP en 2014 sur les modèles de tarification, plusieurs contributions ont souligné l'intérêt d'offres temporaires, afin de lancer la commercialisation et de déclencher une dynamique vertueuse entre opérateurs privés . Le recours à des « tarifs promotionnels » au début de la commercialisation, associé à une augmentation des prix par la suite permettrait de lisser sur le long terme les différences de tarifs, tout en facilitant le démarrage commercial des réseaux.
ADAPTATION DE LA TARIFICATION
AU COURS DE LA
COMMERCIALISATION
Source : ARCEP , consultation publique ouverte du 6 octobre 2015 au 6 novembre 2015
Le régulateur a mis en consultation publique un projet de lignes directrices du 6 octobre 2015 au 6 novembre 2015. Dans ce document, l'ARCEP propose une tarification en trois étapes : dans un premier temps, la tarification de l'accès aux réseaux pourrait faire l'objet de remises afin de faciliter le lancement des RIP, puis la montée en charge de la commercialisation s'accompagnerait d'un ajustement intermédiaire des tarifs, pour enfin atteindre une tarification homogène avec celle pratiquée en zone d'initiative privée. La consultation publique doit permettre d'ajuster ce modèle pour garantir la prise en compte des contraintes spécifiques aux réseaux portés par les collectivités territoriales et leurs délégataires. Vos rapporteurs ont par ailleurs été alertés sur l'inadaptation de certains tarifs pour les collectivités territoriales, en particulier le niveau élevé du prix-plancher pour les offres activées. Cette surestimation de l'offre activée risque de ralentir le démarrage de la commercialisation et d'exclure les opérateurs de proximité et les opérateurs du marché entreprises.
Entre respect strict du droit de la concurrence et adaptation aux spécificités des réseaux d'initiative publique, de réelles marges de manoeuvre sont nécessaires. Une tarification homogène, définie au niveau national, risque de conduire à un gel durable de l'utilisation des réseaux d'initiative publique par les collectivités territoriales. Vos rapporteurs estiment ainsi que les collectivités territoriales devraient pouvoir disposer d'une réelle possibilité d'adapter la tarification aux spécificités de leurs réseaux , au-delà de simples offres « promotionnelles » lors de la commercialisation des premières prises.
Proposition : Garantir aux collectivités territoriales la possibilité d'adapter la commercialisation et la tarification aux spécificités des réseaux d'initiative publique afin d'améliorer l'attractivité des réseaux. |
Plus globalement, il est essentiel de rééquilibrer le rapport de force entre collectivités territoriales et opérateurs privés lors de la commercialisation . La transformation des structures chargées de la commercialisation et le recours à une tarification attractive pourraient ne pas suffire pour assurer l'arrivée des opérateurs de services. D'autres actions pourraient être nécessaires, comme une intervention tarifaire sur le réseau de cuivre concurrent, afin d'améliorer les perspectives des réseaux FttH ( II.D ).
Plusieurs parties prenantes aux RIP s'interrogent également sur d'éventuelles manoeuvres dilatoires favorables aux grands opérateurs . En effet, plus la commercialisation des RIP sera tardive, plus les collectivités territoriales seront en difficulté financière et mieux les opérateurs commerciaux seront placés pour obtenir un accès aux réseaux dans des conditions avantageuses. Le temps joue contre les collectivités territoriales, et fragilise leurs capacités de négociation. À terme, les grands opérateurs privés pourraient préempter dans plusieurs années des RIP exsangues, en captant l'essentiel de la valeur ajoutée produite par des infrastructures financées par des fonds publics. L'opérateur historique est en capacité de prolonger cette attente, en alimentant, par ses activités de FAI une incertitude sur la commercialisation des RIP FttH, pour promouvoir auprès des collectivités territoriales l'offre PRM de montée en débit sur son réseau de cuivre.
En matière de commercialisation des RIP très haut débit, comme sur d'autres sujets de l'aménagement numérique du territoire (déploiements dans la zone conventionnée, couverture mobile du territoire), les auditions menées par le groupe de travail ont donné l'impression très nette à vos rapporteurs que les collectivités territoriales sont pour la plupart d'entre elles « otages » de la stratégie des grands opérateurs privés . Les opérateurs de RIP n'étant pas des opérateurs verticalement intégrés, ils ne fournissent pas de services de communications électroniques. En l'absence d'opérateurs commerciaux, les opérateurs de RIP n'ont donc pas de recettes.
Vos rapporteurs considèrent qu'en cas d'absence prolongée de commercialisation, malgré de nouveaux efforts en termes d'attractivité, des dispositifs plus volontaristes devraient être envisagés. Si une amélioration objective de l'attractivité économique des RIP ne permettait pas une commercialisation loyale, une négociation directe entre l'État et les opérateurs privés serait impérative pour protéger nos territoires et garantir l'utilisation de réseaux déployés sur fonds publics . La certification de la qualité technique des RIP ( II.D ) doit être un levier à mobiliser lors de ces échanges.
* 38 Une étude de piquetage est une pré-étude technique et économique pour l'établissement d'un réseau en fibre optique sur un territoire.
* 39 Consultation publique sur le projet de recommandation de l'Autorité sur la mise en oeuvre de l'obligation de complétude des déploiements des réseaux en fibre optique jusqu'à l'abonné en dehors des zones très denses.
* 40 Point 2.6 « Mise en oeuvre des financements » du cahier des charges des demandes de subvention
* 41 Décret n° 2015-113 du 3 février 2015 portant création d'un service à compétence nationale dénommé « Agence du numérique ».
* 42 Rapport au Premier ministre remis le 26 octobre 2010 - « Réussir le déploiement du Très Haut Débit : une nécessité pour la France » - Hervé Maurey.
* 43 Indefeasible rights of use (IRU)
* 44 Article 126 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.