II. EXAMEN DU RAPPORT

Réunie le mercredi 25 novembre 2015, la commission a procédé à l'examen du rapport du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire.

M. Hervé Maurey , président. - L'ordre du jour appelle l'examen du rapport du groupe de travail sur l'aménagement numérique du territoire.

Je devais présenter ce rapport avec Patrick Chaize. Nous en sommes en effet les co-rapporteurs. Toutefois, Patrick Chaize étant absent à la suite d'un deuil dans sa famille, je le présenterai seul.

Je remercie les membres du groupe de travail, qui comprend Mmes Bouchart, Didier, Billon, MM. Chaize, Camani également vice-président - Roux, de Nicolaÿ, Bignon, Longeot et Pointereau, pour leur participation à nos travaux.

Le groupe de travail a été mis en place en mars 2015 afin de faire un point d'étape sur la feuille de route du Gouvernement sur le numérique de février 2013 et sur le plan « France très haut débit ».

Nous avons procédé à une bonne vingtaine d'auditions et nous sommes déplacés dans la Manche. Nous avons dressé un constat et formulé des propositions.

L'objectif du Gouvernement est que la totalité de la population française soit couverte en très haut débit en 2022, et que 80 % de cette population le soit par la fibre optique de bout en bout (FttH).

Le Gouvernement a également fixé pour objectif intermédiaire un taux de couverture de la population de 50 % à l'horizon 2017.

Autre objectif : toute la population doit être couverte en haut débit de qualité en 2017, à un niveau de 3 mégabits par seconde, qui constitue le minimum pour bénéficier de connexions correctes, sans pour autant accéder à la télévision.

Je vous rappelle que le déploiement repose d'une part sur une zone d'initiative privée - choix du Gouvernement Fillon, confirmé par l'actuel Gouvernement - qui représente 53 % de la population et seulement 10 % du territoire, d'autre part sur une zone d'initiative publique (RIP) regroupant 47 % de la population et 90 % du territoire.

Le coût global de ce chantier est estimé par le Gouvernement à 20 milliards d'euros, dont 6 milliards d'euros pour la partie privée et 14 milliards d'euros pour le déploiement public, pour lequel l'État a prévu d'apporter 3,3 milliards d'euros.

Aujourd'hui, on observe que le déploiement progresse. 44 % des logements sont éligibles au très haut débit - ce qui ne veut pas dire qu'ils sont connectés.

C'est une situation en trompe-l'oeil pour deux raisons. En premier lieu, le Gouvernement a considéré que le très haut débit commençait à partir de connexions de 30 mégabits par seconde, alors que, jusqu'à présent, on considérait plutôt que le très haut débit débutait à 100 mégabits par seconde. Il est certain que si l'on baisse le seuil, les résultats sont différents.

Par ailleurs, la plupart de ces connexions se font aujourd'hui sur une technologie autre que la fibre, grâce à la rénovation du réseau en cuivre d'Orange, ou la modernisation du réseau câblé, avec l'alliance SFR-Numéricable.

En matière de fibre optique, seuls 11,3 % de la population sont éligibles. En 2012, et même avant, sous le Gouvernement Fillon, on considérait que très haut débit et fibre étaient synonymes. Dans les faits, les choses ont évolué.

Aujourd'hui, seuls 12,5 % des logements sont abonnés au très haut débit, quelle que soit la technologie. On observe en outre que le déploiement du très haut débit se fait essentiellement en zones très denses, dans les villes, là où les opérateurs peuvent trouver une certaine profitabilité.

On peut penser que l'objectif de 50 % de la population en 2017 a des chances d'être atteint, mais on est en revanche plus inquiet et plus dubitatif - pour rester modéré dans mes propos - sur le fait de tenir l'objectif de 100 % en 2022. Même si l'on parvient à 50 % en 2017, le reste se situera dans les zones rurales et périurbaines. Or, on sait que ce sera beaucoup plus difficile et plus coûteux.

Comme sous la précédente majorité, l'État se contente d'apporter son financement dans des conditions qui ne sont pas aussi satisfaisantes qu'on le prétend. On affiche que 3,3 milliards d'euros ont été inscrits au budget. Pour l'instant, il s'agit de 900 millions de crédits, et les dossiers s'amoncellent au Fonds national pour la société numérique (FSN).

Le document que j'ai en main a été rendu public par l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (AVICCA), sur lequel est indiqué que soixante-seize projets ont été déposés, pour un investissement total de 11 milliards d'euros. Or, à ce jour, l'État a décaissé 18 millions d'euros !

Il est donc parfois agaçant d'entendre le Gouvernement faire de l'autosatisfaction, alors que si peu de dossiers ont obtenu des financements.

Par ailleurs, l'État n'accompagne pas comme on le souhaiterait les porteurs de projets, des réseaux d'initiatives publiques (RIP). En particulier, il ne leur apporte aucune aide à la décision en matière de choix technologiques. Or, ceux-ci sont souvent très complexes, et peuvent conduire les collectivités à ne pas faire forcément les bons arbitrages.

Quant aux opérateurs, on est à peu près dans la même situation qu'il y a quelques années, ceux-ci étant peu ou pas contrôlés par l'État. Même lorsqu'ils ont déclaré des intentions de déploiement, rien ne garantit qu'ils le fassent. Or le seul fait qu'ils envisagent de déployer dans certaines zones empêche les RIP de le faire. Cette sorte de préemption ne lie pas les opérateurs privés, mais bloque la puissance publique.

Enfin - et c'est un vrai scandale - les RIP sont obligés de déployer des réseaux qui coûtent très cher, où les opérateurs ne viennent pas.

Face à cela, les RIP sont confrontés à des choix complexes, à des investissements importants, qu'ils doivent assumer compte tenu de la forte baisse des dotations, et à des financements à venir, longs et incertains.

Pour l'instant, je rappelle que seulement 900 millions d'euros sont inscrits par rapport aux 3 milliards d'euros qui ont été promis. Or, le FSN ne court que jusqu'en 2020.

Enfin, les RIP sont aussi confrontés à des attentes très fortes des élus locaux et des citoyens.

La question du haut débit n'est donc pas réglée ; aujourd'hui, plus d'un Français sur dix ne dispose pas d'un débit supérieur à 3 mégabits par seconde. Dans la feuille de route du Gouvernement, il était prévu que cette couverture serait assurée en 2017, comme le Sénat l'avait d'ailleurs voté dans une proposition de loi en 2012. Force est de constater que les choses ont peu évolué.

Quant à la couverture en téléphonie mobile, les chiffres officiels, qui sont selon moi très en deçà de la réalité, signalent plusieurs centaines de communes privées de 2G et encore plus de 3G, les opérateurs n'ayant pas tenu leurs engagements. Pour ce qui est du déploiement de la 4G, il exclut près de 70 % du territoire.

Je me réjouis que le Gouvernement, dans la loi Macron, ait ouvert à nouveau le dossier - mais j'y reviendrai dans les propositions. Il faut vraiment que ce qui est inscrit dans la loi Macron puisse être mis en oeuvre. Je n'insiste pas plus à ce stade.

Il est vrai que, par rapport au réseau fixe, la qualité varie d'un à cent. Certains bénéficient déjà de 100 mégabits par seconde, alors que d'autres n'ont même pas 1 mégabit par seconde. Pour ce qui est de la téléphonie mobile, certains territoires et certains citoyens n'ont même aucune connexion quand d'autres bénéficient aujourd'hui de la 4G + et demain de la 5G.

Face à ce constat, nous avons souhaité faire des propositions qui, sans remettre en cause tout ce qui a été décidé, ce qui serait contre-productif, améliorent le dispositif et fassent en sorte que les engagements soient respectés afin d'éviter de nouvelles désillusions, comme le souligne le titre de ce rapport. Rien n'est pire, en matière d'action publique, que d'annoncer des choses et de ne pas tenir les promesses. L'objectif est donc de tenir vraiment les engagements qui ont été pris par les uns et les autres - État, opérateurs, collectivités.

Nous souhaitons tout d'abord que le Parlement soit davantage associé aux choix structurants en matière de couverture numérique. Toutes les décisions qui ont été prises par les gouvernements successifs ces dernières années concernant le déploiement du très haut débit l'ont été sans que le Parlement soit associé. Pire, la loi Pintat, votée en 2009, est restée inappliquée, le Gouvernement n'ayant pas pris les décrets d'application concernant la mise en place du Fonds d'aménagement numérique des territoires.

L'engagement de créer une agence publique dédiée au pilotage et composée de l'État, des collectivités et des opérateurs, comme cela avait été annoncé par l'actuel Gouvernement, n'a pas été non plus respecté, l'Agence du numérique étant une structure purement administrative rattachée à Bercy.

Nous avons orienté nos propositions autour de cinq axes.

Le premier a trait au respect des engagements pris par les opérateurs qui, aujourd'hui, ne les lient en rien. Nous demandons en conséquence que, dès 2016, on écrive aux opérateurs pour demander s'ils confirment ou non leurs engagements. Si c'est le cas, nous demandons une véritable contractualisation, avec un échéancier, des pénalités et des sanctions en cas de non-respect.

M. Jean-Jacques Filleul . - La loi Macron prévoit des pénalités !

M. Hervé Maurey , président. - Non, la loi Macron ne prévoit rien en matière de très haut débit fixe, mais uniquement en matière de téléphonie mobile.

La seconde proposition de cet axe consiste à veiller au principe de complétude dans les zones moins denses, et de renforcer le suivi de l'État et du régulateur sur cette couverture, afin d'éviter toute hétérogénéité et tout mitage.

Deuxième axe : renforcer le soutien aux collectivités territoriales et à leurs délégataires. Nous demandons que soit pérennisé et renforcé le subventionnement de l'État par la mise en place du Fonds d'aménagement numérique des territoires créé par la loi de 2009. J'avais été nommé parlementaire en mission en 2010. Nous avions fait des propositions pour alimenter ce fonds.

La création d'une contribution de solidarité numérique a été plusieurs fois proposée dans les débats budgétaires, aussi bien par la droite que par la gauche, avant qu'on ne nous oppose l'article 40.

Cinquième proposition : permettre de fédérer les RIP en matière de commercialisation. S'ils pouvaient se regrouper avec les opérateurs publics, ils seraient alors plus forts. Aujourd'hui, un opérateur peut se désintéresser d'un département, mais ce sera beaucoup plus difficile d'adopter la même attitude vis-à-vis d'une région et, a fortiori , d'une grande région.

Nous proposons également de garantir aux collectivités la possibilité d'adapter la commercialisation et la tarification afin de rendre les réseaux attractifs. Dans la loi Macron, on a approuvé des lignes directrices adoptées par l'ARCEP qui cadrent la commercialisation. Nous souhaitons que ces lignes ne soient pas trop rigides, dans l'intérêt des RIP : pourquoi pas, sur une période de démarrage du réseau, ne pas recourir à des tarifs attractifs ?

La dernière proposition en ce domaine ne plaira pas aux opérateurs - mais je ne pense pas que l'on soit là pour leur faire plaisir. Il faut faire en sorte que les opérateurs utilisent les réseaux déployés par les collectivités, dès lors que leur qualité technique aura été certifiée. L'argument des opérateurs est actuellement de dire que le réseau est de mauvaise qualité technique. Ce n'est pas compliqué d'avoir un organisme indépendant certifiant le réseau, pour demander ensuite aux opérateurs de l'utiliser !

Troisième axe : rendre l'environnement technologique et technique plus favorable au déploiement de la fibre. Il faut d'abord que l'on réaffirme que l'objectif final reste la fibre ; on sait très bien que c'est elle qui permettra le plus de débit. Je ne suis pas opposé à une montée en débit qui permette, dans un premier temps, d'apporter des solutions aux territoires, mais on sait que ces solutions, qui sont aujourd'hui satisfaisantes, ne le seront pas demain. Il faut donc rappeler - et le Gouvernement est sur cette position - que la montée en débit n'est qu'une étape et qu'il convient de vérifier dans le financement que c'est bien le cas, sauf situation technologiquement ou financièrement déraisonnable, voire dans laquelle il est impossible de recourir au FttH.

La proposition suivante consiste à sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre. Il s'agit de problèmes juridiques que l'on connaît bien, notamment en matière de droit européen. Il faut essayer de s'occuper de ces choses-là très en amont. Aujourd'hui, le financement de la montée en débit est en effet largement bloqué par un recours devant les institutions européennes. Ce sont des questions qu'il conviendrait de traiter en amont, avant l'achèvement de certains déploiements.

La proposition suivante a pour but de faciliter l'accès des collectivités territoriales aux infrastructures existantes. Aujourd'hui, l'État demande que les RIP, en matière de collecte, utilisent les réseaux existants et n'en créent pas de nouveaux. Il est très compliqué pour les collectivités qui déploient leur réseau d'avoir accès au réseau d'Orange. Soit ils n'ont pas d'information, soit ils n'ont aucune garantie sur la tarification qui leur sera appliquée, et qui n'est pas réglementée.

Il convient donc de faciliter l'accès technique, ainsi que l'information sur la tarification présente et surtout future.

Nous proposons également de basculer la zone cuivre sur la fibre optique. Tout le monde est d'accord pour estimer qu'il ne peut y avoir, à terme, un réseau cuivre et un réseau fibre.

Nous partageons, Patrick Chaize et moi, la même position et estimons que les propositions du rapport Champsaur sont très modestes. Nous pensons qu'il conviendrait de mener l'expérimentation en zone rurale. L'expérimentation qui a été menée jusqu'à présent l'a été à Palaiseau, qui ne constitue pas vraiment une zone rurale.

Cette expérimentation permettrait de dégager d'autres problématiques et de mettre en place un dispositif plus volontariste, qui ne laisse pas la main à l'opérateur historique. Celui-ci bénéficiant de la rente cuivre, l'idée ne nous paraît en effet pas la meilleure qui soit.

Quatrième axe : je crois qu'il faut que nous allions rapidement vers le haut débit, qui a été promis par le Gouvernement, et qu'on peut y contribuer, notamment avec le dispositif de financement mis à disposition des RIP. Peut-être pourrait-on inciter à apporter en priorité un minimum de débit aux zones qui n'en ont pas du tout.

Autre proposition : accélérer le raccordement des sites stratégiques pour les territoires par un meilleur subventionnement.

J'en viens au cinquième et dernier axe qui traite de la téléphonie mobile.

La première proposition a déjà été formulée dans cette maison et a même été votée dans le cadre de la proposition de loi du Sénat ; elle consiste à modifier les critères et les mesures de la couverture qui, aujourd'hui, ne correspondent plus aux usages, et à réduire le délai de couverture de la population en 4G, fixé en 2027. La 4G peut également apporter des solutions en matière d'accès fixe. Il faut donc l'accélérer.

Dernière proposition en matière de téléphone mobile : il faut vraiment, je le dis sans aucun esprit polémique, faire en sorte que ce qui est dans la loi Macron puisse s'appliquer, sans quoi nous allons encore avoir de grandes déceptions. Or, j'ai déjà des inquiétudes quand je vois, dans le département dont je suis élu, la manière dont on recense les communes qui ont des problèmes de couverture.

Dans mon département, le secrétaire général pour les affaires régionales (SGAR) a sorti une liste sans consulter personne ; il arrive à sept sites qui n'ont pas de 2G, alors que le département en comptabilise cent et en dénombre deux fois plus en ce qui concerne la 3 G.

La vérité est peut-être entre les deux, mais si on se contente de dire qu'on a fait un recensement exhaustif et que ce n'est pas la réalité, on créera encore des frustrations.

Il faut réaliser ce recensement et être capable de mettre une vraie pression sur les opérateurs. Emmanuel Macron a l'air d'accord et j'espère qu'il le fera.

Dernière proposition : aborder, dans une approche intégrée, la question des réseaux fixes et mobiles. On sait que la 4G est faite pour la téléphonie mobile, mais cela peut aussi apporter une solution à l'Internet fixe.

On a souvent, dans nos collectivités, une structure qui s'occupe de l'Internet fixe tandis qu'une autre traite de la téléphonie mobile. Il faut que tous travaillent en bonne cohérence.

En conclusion, notre rapport n'est pas un rapport à charge. Il correspond à la réalité. Nous avons opté pour une approche pragmatique en examinant l'état de la couverture numérique sans oeillères. Pierre Camani, qui participait à la réunion conclusive du groupe de travail, s'est reconnu dans beaucoup de choses que nous avons dites.

Beaucoup de dispositions figuraient déjà dans la proposition de loi que le Sénat, et notamment l'opposition socialiste et communiste de l'époque, a votée.

Nous sommes tous d'accord pour dire que le numérique est un élément essentiel pour l'aménagement du territoire. Il faut qu'il soit considéré comme une priorité et tout faire pour que ce qui a été promis par le Gouvernement soit réalisé ; dans le cas contraire, non seulement nous assisterons à de nouvelles désillusions, mais ceci ne facilitera pas le développement de nos territoires ruraux, au contraire.

M. Pierre Camani . - Merci pour cette présentation. C'est un travail très intéressant qui a été réalisé, et nous pouvons nous retrouver sur la plupart des propositions.

Je ne suis toutefois pas d'accord avec le constat, point sur lequel nous avons déjà échangé avec le président.

On peut considérer que la bouteille est à moitié vide ou à moitié pleine. Moi, je la vois plutôt à moitié pleine.

Dans le plan très haut débit, contrairement à ce qu'a dit le président, une agence a été créée pour soutenir les collectivités qui investissent. Un référentiel national se met en place pour éviter tous ces problèmes techniques. Le très haut débit est une technologie extrêmement complexe, mais essentielle. C'est pour moi un enjeu majeur en termes d'aménagement du territoire.

Les territoires ne peuvent vivre que s'ils sont bien irrigués par les routes, par le ferroviaire et par le très haut débit. Celui-ci risque même de passer devant les autres infrastructures. Dans certains territoires ruraux éloignés des grandes infrastructures de communication, disposer du très haut débit permet le développement et l'accueil d'entreprises travaillant dans le secteur des nouvelles technologies.

S'agissant des crédits, le Gouvernement a mis en place, dans le cadre du plan très haut débit, un modèle de financement. Certes, ces crédits ne sont pas consommés car nous connaissons quelques retards dans l'instruction des dossiers.

Quatre-vingts dossiers sont déposés et instruits. Dans notre pays - ce n'est pas nouveau - les choses mettent malheureusement toujours bien plus de temps à avancer que ce que l'on souhaiterait. Un problème avec la Commission européenne concernant le financement de la montée en débit sur cuivre a freiné ces dossiers. Selon Bercy, avec qui j'en ai discuté il y a peu, les autorisations sont accordées. On ne peut comparer les 3 milliards d'euros d'engagements de l'État aux 18 millions d'euros décaissés. Vous savez bien que les collectivités n'attendent pas que les crédits soient décaissés pour investir.

La position de l'Union européenne doit donc nous rassurer, certains plans de déploiement reposant sur la montée en débit sur cuivre. Il faut y rester attentif et disposer de solutions rapides.

Le choix du mix technologique est un choix de bon sens. Il s'agit d'un double choix associant le déploiement décentralisé et le mix technologique car, même si l'objectif reste la fibre dans chaque foyer, c'est quasiment impossible dans un délai tenable.

Il est donc important que les citoyens disposent du haut débit et que les entreprises puissent compter sur le très haut débit. Il faut arriver à offrir le haut débit très rapidement aux territoires, même les plus reculés, de manière à pouvoir déployer la fibre optique plus sereinement.

Dans mon département, on a à la fois la malchance et la chance de bénéficier d'un réseau WiMAX. C'était une malchance hier, c'est devenu une chance aujourd'hui, car on va pouvoir faire de la montée en débit hertzienne en bas débit, et offrir 6 mégabits par seconde, 10 mégabits par seconde et 20 mégabits par seconde pour un coût très modique, en utilisant les infrastructures existantes. Cela va nous permettre de déployer la fibre optique plus posément, le plan national étant un plan à dix ans, tout comme les plans départementaux.

L'État organise et structure. L'objectif de la ministre est de faire en sorte que tous les départements aient déposé un dossier cette année. Dès lors, on peut penser que les choses vont se faire.

Quant aux propositions, je suis globalement assez d'accord sur le respect des engagements pris par les opérateurs. Il faudra que le Gouvernement et nous-mêmes soyons plus précis sur ce point, et que l'on y associe davantage les départements.

Veiller au principe de complétude dans les territoires est important par rapport aux opérateurs. Nous sommes nombreux à partager l'idée d'un soutien aux collectivités, d'une mise en place d'une contribution de solidarité numérique et d'une taxe sur l'abonnement, même si elle a été rejetée hier soir en séance, après que Patrick Chaize a proposé un amendement instituant une taxe de 75 centimes sur les abonnements pour permettre de financer le déploiement du très haut débit.

Il est vrai que le contexte ne s'y prête pas trop mais, sur le fond, il faut avoir une véritable réflexion. Le financement de l'électrification, dans notre pays, a reposé sur une taxe, et cela a très bien fonctionné. À terme, il faudra trouver une solution de ce type, d'autant qu'il s'agit d'un service dont le coût diminue de manière extraordinaire depuis des années.

Ajouter une taxe à un service onéreux est toujours compliqué, mais dans ce cas, la concurrence faisant baisser le prix des abonnements, on pourrait avoir un débat.

Il est très important que les opérateurs utilisent les réseaux des collectivités. Il faut arriver à l'imposer, mais il convient également que les collectivités puissent utiliser les réseaux des opérateurs. Dans mon département - ce qui contredit la position du président - on a réduit la taille des réseaux de collecte à la demande de l'agence de très haut débit, un réseau de collecte Orange existant et l'État ne subventionnant pas les endroits où il en existe déjà un. Le problème vient du fait qu'Orange ne met pas celui-ci facilement à disposition.

M. Hervé Maurey , président. - Je n'ai pas dit le contraire !

M. Pierre Camani . - Il faut donc encadrer cet aspect des choses, sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre. Il va falloir que nous soyons très précis. Beaucoup de collectivités les financent, tout en n'étant pas propriétaires. C'est un investissement qui est perdu pour une part.

Sécuriser les opérations de montée en débit sur cuivre signifie pouvoir utiliser ce dernier pour aller à terme vers le FttH, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Quant à la téléphonie mobile, je vous remercie d'avoir salué les mesures prises dans la loi Macron. Il faudra veiller à ce qu'elles s'appliquent, mais c'est une belle avancée !

Mme Évelyne Didier . - On est ici typiquement dans une politique d'aménagement du territoire, et qui dit aménagement du territoire, notion définie il y a bien longtemps, dit le même service pour tous ou, en tout cas, l'accès au même service pour tous sur tout le territoire.

Cela nécessite obligatoirement des objectifs nationaux, afin qu'il y ait égalité des citoyens.

Cela signifie également un réseau. On a déjà évoqué le réseau EDF, le réseau ferroviaire ; aujourd'hui, le réseau est nécessaire pour amener ce débit un peu partout.

Les objectifs nationaux n'empêchent pas une mise en oeuvre locale. On est pour ou on est contre, mais notre pays est maintenant géré dans le cadre de la décentralisation. Toute la question est de trouver le bon niveau. En tout état de cause, réseau veut dire maillage, et un maillage suffisamment fin pour irriguer l'ensemble du territoire.

Imaginez votre réseau sanguin, censé irriguer tout votre corps, auquel on aurait retiré peu à peu les capillaires ! C'est exactement ce qui risque d'arriver. C'est une comparaison qu'il faut avoir à l'esprit.

Maillage et réseaux vont, quoi qu'il en soit, avec service public et intérêt général. Si on n'est pas capable de lier toutes ces notions à celle d'aménagement du territoire, on n'a pas vraiment compris ce que cela signifie.

Aujourd'hui, nous sommes davantage dans la délégation de service public, où l'on a fixé également des objectifs aux opérateurs privés. Toutefois, ceux-ci ne jouent pas le jeu. On l'a vu avec SFR-Numéricable, qui avait pris des engagements et signé un conventionnement, et qui n'a pas honoré cette convention. Qu'est-ce que cela veut dire ? On ne peut pas appuyer une politique de service public sur des opérateurs malhonnêtes ou qui, lorsqu'ils changent de propriétaire, changent d'avis !

Il faut arriver à garantir le conventionnement au-delà du changement de propriétaire ou d'actionnaires. Dans le cas contraire, on ne peut confier une mission de service public à des opérateurs privés : ils auront toujours des intérêts supérieurs qui ne sont pas les nôtres. Un des défis sera donc celui-là.

Vous connaissez mon point de vue : je souhaiterais que l'on revienne au service public et à l'opérateur public mais, si ce n'est pas la volonté de la majorité, on doit s'interroger, en tant que parlementaire et défenseur de l'intérêt général, sur notre capacité à imposer des missions de service public aux opérateurs.

Cela me semble être l'enjeu, et je souhaiterais, si c'est possible, que ce soit intégré davantage dans le rapport, si les rapporteurs en sont d'accord. Nous sommes là pour défendre l'intérêt général, il ne faut jamais l'oublier.

M. Gérard Miquel . - Je me réjouis des dernières évolutions qui nous permettent aujourd'hui d'avoir une vision plus nationale et une meilleure coordination. L'exemple qu'a donné Pierre Camani est intéressant. Nous n'avons pas toujours maîtrisé les évolutions technologiques, qui ont été très rapides. Nous avons créé des réseaux dans nos collectivités. On y mettait de la fibre. Orange en avait un à côté, mais on ne pouvait pas l'utiliser. C'était redondant. Orange nous a longtemps expliqué que ce n'était pas la peine de réaliser ces réseaux, qu'ils le faisaient eux-mêmes très bien. En fait, Orange désirait conserver une situation de monopole.

Aujourd'hui, les choses sont mises à plat et on dispose d'un cadre. Les dossiers remontent ; ils vont être instruits le plus rapidement possible je l'espère, et tous les départements de France, dans quelque temps, verront leurs dossiers bien ficelés.

Il ne faut toutefois pas oublier qu'il existe un lien fort entre haut débit, très haut débit et téléphonie mobile, certains territoires n'étant toujours pas couverts, surtout dans des configurations accidentées, comme dans certains départements de France. On doit donc à présent travailler sur ce point de façon plus efficace.

Certes, il faudra des moyens, mais on a au moins un cadre qui nous permet d'avancer dans cette direction. Vous l'avez fort bien dit : la mise en place du très haut débit est nécessaire dans une politique d'aménagement du territoire bien comprise. C'est le défi devant lequel nous sommes placés : les territoires qui en seraient exclus seraient en perdition.

On doit oeuvrer tous ensemble dans cette direction, afin de desservir nos territoires dans leur totalité.

Mme Annick Billon . - Je pense qu'il ne faut pas manquer le développement numérique, nécessaire au développement économique des territoires, comme peuvent l'être les réseaux routier ou ferroviaire.

Les nouvelles technologies avancent très vite, et les élus n'ont pas tous le même degré de connaissance par rapport à ce sujet. Les techniciens sont des opérateurs privés qui placent leurs produits.

On est donc confronté à des difficultés. Les opérateurs privés engagent les collectivités à enfouir des fourreaux dès que des voies publiques sont refaites, et finissent par réaliser une installation aérienne. On n'a pas assez de communication institutionnelle dans ce domaine. Je ne suis personnellement pas ingénieure et on aurait besoin de disposer de bonnes informations, qui ne viennent pas uniquement des opérateurs privés.

M. Hervé Maurey , président. - En bon spécialiste du sujet, Pierre Camani a dit beaucoup de choses. Je le remercie pour le soutien qu'il apporte globalement aux propositions émises par le groupe de travail.

Pour ce qui est du constat, j'essaie d'être, comme toujours, le plus objectif possible. Sur ce sujet, mes positions n'ont jamais changé. Je n'ai pas prétendu que ce qu'avait fait le gouvernement Fillon en la matière était très bien, pas plus que je ne dis que ce qui est fait aujourd'hui est très bien - ni même très mal.

Vous disiez que le déploiement du très haut débit était essentiellement dû au rôle de l'État ; pour l'instant, ce n'est pas le cas : les chiffres montrent en effet que les 13 millions de prises à très haut débit relèvent aujourd'hui à 79 % de l'initiative privée. C'est d'ailleurs logique, les projets des RIP étant plus longs à parvenir à maturité.

S'agissant de l'instruction des dossiers, je veux bien que l'on dise que c'est toujours un peu long en France, mais certains dossiers traînent depuis plus de deux ans !

M. Pierre Camani . - Ce n'est pas nouveau !

M. Hervé Maurey , président. - Je ne dis pas que c'est nouveau, mais c'est un fait, et des délais aussi longs sont assez rares.

Vous dites que les départements n'attendent pas pour engager le déploiement mais, en attendant, ce sont eux qui assurent la trésorerie - et ce ne sont pas de petites sommes. Je ne vais pas revenir sur les difficultés des collectivités locales, mais ce n'est pas évident s'agissant d'investissements de cette nature.

Vous avez par ailleurs évoqué le WiMAX. Cela démontre bien la difficulté pour les collectivités de faire les bons choix technologiques.

Je ne jette la pierre à personne, mais cela me permet de souligner que, quels que soient les gouvernements, l'État n'apporte malheureusement pas d'aide à la décision pour que les collectivités sachent quelles sont les bonnes technologies.

Vous n'êtes pas satisfait du WiMAX, mais vous êtes convaincu que ce sera mieux pour l'avenir. Certains départements disent l'inverse et n'en veulent pas pour le très haut débit !

Qui a raison sur le fond ? Cela montre bien la difficulté de savoir, lorsqu'on doit faire un mix technologique, jusqu'où placer le curseur. Quelles technologies alternatives mettre en oeuvre ? J'aimerais qu'une structure d'État puisse apporter une expertise.

Concernant la contribution de solidarité numérique, il faudra y venir, d'autant qu'il existe en France des abonnements bien plus faibles qu'ailleurs. Cela pourrait donc être supportable.

L'objectif de la montée en débit, dès lors qu'elle est financée par la puissance publique, pose question, l'argent public venant financer un réseau privé, ce qui est contraire à toutes les règles de droit. Pour Orange, c'est dérogatoire du droit commun.

Le minimum est que l'on puisse réutiliser une partie de la fibre qu'on apporte pour la montée en débit dans le déploiement du très haut débit par fibre. On espère des taux de 70 %.

S'agissant du travail de M. Macron, je salue bien volontiers celui-ci ; je l'ai fait dans l'hémicycle et je peux le refaire tout de suite, mais force est de constater qu'il a repris des choses que nous demandons depuis très longtemps. Celles-ci figuraient dans la proposition de loi que le Sénat a votée en février 2012, et qui a été rejetée par l'Assemblée nationale en octobre 2012, à la demande du Gouvernement. M. Macron ne faisait certes pas partie du gouvernement à l'époque, mais il s'agissait de la même majorité.

Mme Didier a estimé que les objectifs que l'on fixe aux opérateurs privés ne sont pas tenus. On ne leur en fixe même pas : ils font ce qu'ils veulent ! Le conventionnement n'est même pas général. En cas de convention, les engagements qui ne sont pas tenus devraient être sanctionnés, mais ce n'est pas le cas.

Vous aimeriez que l'on impose des missions de service public aux opérateurs : c'est ce que je demande depuis toujours. J'ai encore dit hier soir, lors de la défense d'un amendement sur la majoration de la taxe Copé, que je préférerais qu'on arrête de taxer les opérateurs et qu'on leur fixe des obligations. Je suis donc tout à fait en phase avec vous. Il est d'ailleurs précisé dans le rapport que la somme des intérêts commerciaux des opérateurs ne fait pas l'intérêt général.

Je partage, comme toujours, l'avis de M. Miquel.

Mme Billon évoque enfin des sujets très compliqués. Très souvent, même quand on croit connaître la question, on ne sait pas quoi faire. Quelle est aujourd'hui la bonne technologie pour compléter le déploiement de la fibre ? Même quand vous êtes aux responsabilités, il n'est pas évident de répondre. La preuve : toutes les collectivités n'opèrent pas les mêmes choix.

Quand on s'adresse à des publics un peu moins avertis, à commencer par nos maires, c'est très compliqué. Ils mélangent tout, entre fixe, mobile, réseau Orange, réseau RIP. Ils sont perdus, et il faut essayer, à nos niveaux, de faire de la pédagogie.

Voilà ce que je crois pouvoir répondre aux différentes interventions.

Il faut à présent que vous autorisiez la publication du rapport. Tout le monde est-il d'accord ? Il en est donc ainsi décidé.

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