D. AUDITION DE M. FRÉDÉRIC GRIVOT, VICE-PRÉSIDENT CHARGÉ DE L'INDUSTRIE DE LA CONFÉDÉRATION GÉNÉRALE DES PETITES ET MOYENNES ENTREPRISES
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Nous vous remercions de votre participation qui va nous permettre d'entendre la voix de la CGPME concernant la commande publique.
Nous sommes une mission dite « commune d'information », qui rassemble des représentants de différentes commissions du Sénat, et qui n'est pas une commission d'enquête. Nous intervenons notamment dans le cadre de la préparation du travail législatif de transposition des directives par voie d'ordonnance, avec la possibilité d'amendement qui existe dans ce domaine. Nous cherchons également à asseoir le rôle économique de la commande publique. Nous sommes attentifs à ce que la commande publique puisse être mise au service de l'économie française et en particulier au service des PME.
M. Martial Bourquin , rapporteur . - Je suis très heureux que vous ayez répondu à notre invitation. Il nous semble que la commande publique représente un marché très important pour nos entreprises et notamment pour nos PME. Le poids de ces dernières dans l'économie est conséquent et il peut s'accroître dans la commande publique. Nous vous avons déjà adressé un questionnaire et nous aimerions vous poser quelques questions.
Jugez-vous la place des PME dans la commande publique satisfaisante aujourd'hui ? Vous allez certainement me répondre qu'elle n'est pas suffisante, même si elle est déjà importante si l'on compare la situation de la France et celle d'autres pays européens. Je fais la différence entre les PME titulaires d'un marché et les PME sous-traitantes, car les questions de délai de paiement et d'exécution qui interviennent dans ce deuxième cas sont de véritables questions de fond. Quelle est votre analyse des directives « marchés publics » et « concessions », ainsi que des projets d'ordonnance et des textes réglementaires en cours de rédaction qui visent à les transposer ? Ces textes vont-ils dans le bon sens pour les PME ? Quelle est votre position concernant les marchés globaux, l'extension du champ de la procédure négociée, les règles relatives aux offres anormalement basses, l'allotissement ? Comment analysez-vous le recours de plus en plus fréquent aux travailleurs détachés dans la chaîne de la sous-traitance de la commande publique ? Les moyens juridiques et le contrôle des pouvoirs publics sont-ils suffisants pour faire face aux abus du travail détaché ?
M. Frédéric Grivot, vice-président chargé de l'Industrie de la CGPME . - Merci de recevoir la CGPME, qui est très impliquée en matière de marchés publics, puisqu'elle a travaillé dès l'origine à la mise en place de la labellisation de la relation inter-entreprises, puis de la modélisation des marchés publics. Nous avons été sollicités à de nombreuses reprises par différents ministères pour faire partie de commissions et de groupes de travail sur les marchés publics. Enfin, j'ai le plaisir d'être administrateur de l'UGAP, ce qui me permet de faire la part des choses entre la position hostile à la massification des achats d'une partie des adhérents de la CGPME et la nécessité de favoriser une politique d'achat en conformité avec les attentes du budget.
Pour répondre à la toute première question, le marché public est indubitablement un levier de croissance pour les PME. Cela étant, si le pourcentage de marchés publics confiés aux PME est très important, la part revenant aux PME ne représente que 38 à 40 % de la valeur totale de ces marchés.
Comment assurer une présence renforcée des PME sur les marchés publics ? Il faut commencer par lever un certain nombre de craintes. Nos chefs d'entreprises redoutent avant tout la complexité des procédures, le manque de visibilité sur les marchés publics, et les délais de paiement trop longs. Ces remarques méritent d'être pesées pour appréhender les difficultés réelles.
Sur la complexité des marchés publics, on peut constater que des dispositions ont été mises en place et doivent entrer en vigueur. Ainsi, le programme « Dites-le-nous une fois » devrait permettre une réponse simplifiée des PME à un certain nombre de marchés, pour lesquels le numéro de SIREN suffira. Concernant la communication autour des marchés publics, un travail considérable a été accompli par le Médiateur national des marchés publics pour porter à la connaissance des chefs d'entreprise l'existence des marchés publics et de leurs bienfaits. Cet accès à l'information passe par un certain nombre de sites qui sont aujourd'hui trop nombreux pour que l'on puisse parler d'une simplification. La CGPME s'est associée avec la presse quotidienne régionale (PQR) pour la mise en place du site « Place des marchés » qui permet à nos entreprises de connaître 90 % des marchés lancés sur le territoire national. Sur ce site, l'ensemble des entreprises ont accès à une information triée selon leurs attentes. Un chef d'entreprise adhérant à cette plateforme gratuite peut être informé chaque matin de la commande publique qui le concerne.
Par ailleurs, le Médiateur a mis en place un réseau des ambassadeurs de l'achat public, auquel nous sommes particulièrement attachés, car il permet aux chefs d'entreprise de disposer d'un contact pour évoquer les difficultés qu'ils peuvent rencontrer en matière d'appels d'offres. Il existe aujourd'hui une interface nominative. Faut-il encore que le chef d'entreprise consulte les sites, qu'il s'agisse de celui du Médiateur ou de la CGPME. Mais le travail est fait, qui permet de passer du niveau national au niveau territorial, ce qui nous semble être une avancée tout à fait positive.
Enfin, il nous paraît nécessaire qu'un certain nombre de fédérations professionnelles aillent de l'avant concernant l'information des chefs d'entreprise, en amont comme en aval de la commande publique. Je vais citer un exemple de ce qu'il faut absolument éviter à l'avenir dans le cadre de la connaissance des marchés publics. Il a été décidé récemment d'équiper 500 établissements scolaires en matériel informatique. L'ensemble des entreprises d'un territoire ont été conviées à une manifestation pour présenter leur matériel en vue de la demande publique. Quelle n'a pas été leur surprise d'entendre un représentant de l'Éducation nationale affirmer lors de cette réunion que le temps politique n'était pas le temps économique, et qu'il avait été décidé de passer directement par l'UGAP pour ce marché. C'est le type de travers qu'il convient d'éviter par les temps qui courent. En effet, nous effectuons un travail intensif auprès de nos chefs d'entreprise pour qu'ils aillent démarcher en amont de la commande publique. En tant qu'administrateur de l'UGAP, j'ai demandé des explications à l'administrateur représentant de l'Éducation nationale sur l'incident que je viens d'évoquer. Celui-ci m'a répondu de façon tout à fait constructive, précisant qu'il existait une urgence absolue d'équiper certains établissements dès la fin de 2015, mais que pour 2016 et 2017, une procédure d'appel d'offres serait bel et bien lancée. Dans le cadre d'un tel marché, la compétition doit jouer tout son rôle, sachant que la fourniture du matériel et celle des services accompagnant ces matériels sont deux aspects totalement différents. Je suis le premier à soutenir la politique d'achat au sein de l'UGAP, mais je ne manque jamais de demander qu'on ne néglige pas la notion de service qui accompagne les achats de matériels.
J'en viens à la problématique des marchés publics et des concessions. Nous avons, à ce sujet, obtenu hier une réponse de la part de M. Emmanuel Macron, qui a indiqué qu'il allait apporter un certain nombre de modifications dans les prochaines semaines dans le cadre d'ordonnances qui seront suivies de décrets. La CGPME manifeste toujours un avis favorable en cas d'évolutions positives, tout en restant vigilante quant au délai de leur mise en oeuvre. Il s'écoule en effet parfois un certain temps entre le vote de la loi et l'application d'un décret, temps durant lequel l'euphorie que l'on peut éprouver au départ se mue assez souvent en déception. M. Macron a parlé de la généralisation de l'obligation d'allotissement, idée que nous portons depuis des années au sein de la CGPME, car nous voulons rompre avec la pratique qui consiste à confier la totalité des lots à une entreprise qui fait ensuite appel à la sous-traitance en imposant une minoration des tarifs de 40 %. Si l'allotissement devient la règle, nous ne pouvons que la soutenir.
Vous nous avez interrogés sur la problématique de l'insertion et des dispositions environnementales. Nous sommes favorables au fait d'envisager ces problématiques dans les réponses aux appels d'offres, en particulier dans le cadre de concessions longues. Un certain nombre d'entreprises ont accompli des efforts dans le domaine environnemental, dans certains cas parce qu'ils leur ont été imposés par la réglementation. Toutefois, la prise en compte de ces aspects n'est pas toujours valorisée à sa juste mesure au moment des appels d'offres. Nous savons qu'aujourd'hui, il ne peut s'agir d'un critère rédhibitoire en matière de réponse et nous ne le souhaitons pas. Nous souhaiterions en revanche une meilleure prise en considération de ce type d'efforts.
M. Daniel Raoul . - L'article 53 du code des marchés publics permet de fixer des critères environnementaux dans les appels d'offres.
M. Frédéric Grivot . - En effet, mais le choix continue trop souvent de se porter sur l'offre la moins chère.
M. Daniel Raoul . - En matière d'insertion, nous avions fixé dans certains de nos appels d'offres un minimum, mais chaque entreprise était libre de faire mieux. Ce n'était pas un critère discriminatoire du moment que le minimum exigé était respecté. Ce volet permettait aux entreprises de procéder à des pré-recrutements.
M. Frédéric Grivot . - C'est bien noté. Dans la même logique qui est celle des directives, nous sommes tout à fait favorables à la dématérialisation, à condition qu'elle soit mise en place selon un tempo particulier. Aujourd'hui, seuls 1 % des marchés sont totalement dématérialisés et l'objectif est d'atteindre 100 % d'ici 2018. Je respecte cet objectif et je le soutiendrai, mais il faudra s'assurer que les entreprises soient capables de suivre, à la fois en termes d'investissement et de la formation, nonobstant un aspect absolument fondamental, celui de la sécurité des échanges de données, qui n'est pas toujours assurée. Sur ce plan, des réflexions complémentaires seront nécessaires.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Ne pensez-vous pas que le réseau consulaire devrait jouer un rôle moteur dans le développement de la dématérialisation ? Je suis assez surpris d'entendre les critiques qui sont adressées au monde public, à qui l'on reproche de ne pas être assez attentif aux PME, et de constater que les outils à disposition du monde économique que sont les chambres de commerce ne se sont pas saisis de cette question pour accompagner les entreprises dans ce domaine.
M. Frédéric Grivot . - Je partage votre point de vue et j'y ajoute des fédérations professionnelles, qui devraient être beaucoup plus vigilantes quant aux évolutions de leurs propres adhérents en matière de technique informatique. Ce travail doit être porté par l'ensemble des acteurs que vous citez. Dans le cas de la facture électronique, nous éprouvons les pires difficultés aujourd'hui en raison de l'absence de consensus sur le format utilisé pour les pièces dématérialisées. Il va bien falloir qu'une ligne directrice soit définie en termes de format et de niveau de sécurisation pour que l'ensemble des acteurs, chambres consulaires, fédérations professionnelles ou organisations patronales, puissent se tourner vers leurs adhérents et les encourager à évoluer.
J'en viens à votre propos selon lequel les entreprises ne doivent pas tout attendre des pouvoirs publics. Au titre de la CGPME, nous constatons qu'un grand nombre des remarques que nous avons faites ces dernières années concernant la commande publique ont été prises en compte. Bien évidemment, nous serons toujours là pour en demander davantage, mais la prise en compte par les pouvoirs publics des PME et des difficultés qu'elles rencontrent vis-à-vis de la commande publique est une réalité. C'est notamment le cas pour les problèmes d'offres anormalement basses, de travailleurs détachés, de sous-traitance et de délais de paiement. Parmi ces quatre domaines, il en est certains pour lesquels nous avons des positions fermes et revendicatives, et d'autres pour lesquels nous sommes satisfaits des améliorations que nous constatons chaque jour.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Il est important de dépasser les idées toutes faites qui sont parfois agaçantes quand les chefs d'entreprise ressassent les mêmes propos qu'il y a dix ans sur les délais de paiement ou la complexité des procédures. Il faut savoir reconnaître que la situation a fortement évolué et qu'il est temps d'en venir à des relations de confiance, car tout le monde a accompli des efforts pour parvenir aux progrès constatés.
M. Frédéric Grivot . - Concernant les délais de paiement entre entreprises, on entend tous les jours dire que 92 % des grands groupes ne les respectent pas, ce qui m'est insupportable sachant que plus d'un millier d'entreprises ont signé la charte des bonnes pratiques de la Médiation inter-entreprises, et 26 groupes ont obtenu le label. Le fait de ne pas respecter les délais de paiement devrait être rédhibitoire pour ces entreprises qui devraient perdre leur label.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Vos troupes font-elles encore état de défaillance du monde public en matière de délais de paiement ?
M. Frédéric Grivot . - De la part de l'État, très rarement. En revanche, de la part des collectivités et des établissements publics, les cas de non-respect sont nombreux. Ils concernent notamment les hôpitaux, un certain nombre de mairies et certains établissements dont les délais sont relativement longs. Mais au niveau de l'État, l'amélioration est sensible.
Au sujet des offres anormalement basses, je pourrais citer le cas d'une entreprise confrontée à cette problématique ces jours-ci et qui ne parvient pas à obtenir d'explication sur la réponse défavorable qui lui a été adressée alors qu'elle fournissait la municipalité depuis 20 ans. Elle a fini par apprendre qu'une entreprise a proposé un tarif 45 % inférieur au sien. Il me semble important de sensibiliser les acheteurs à la nécessité, face à un tel écart, d'examiner en détail l'offre qu'ils ont reçue. Je conçois qu'un appel d'offres puisse vous échapper à 5 % près. A 10 %, on peut commencer à se poser des questions, et à 20 % d'écart voire davantage, il y a manifestement un problème qui est lié, dans un cas sur deux, à la sous-traitance.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Nous avons le sentiment que la question de l'offre anormalement basse renvoie à une problématique de culture de la commande publique de la part de nos acheteurs. Nous avons renoncé, comme la Commission européenne, à toute logique quantifiée permettant de qualifier une offre anormalement basse à l'aide d'une formule mathématique. En effet, tenter d'objectiver ex ante une offre anormalement basse peut amener à passer à côté de certaines situations ou à voir un problème là où il n'y en a pas. La solution de la directive, qui consiste à permettre à l'acheteur de demander des explications sur sa base de coûts à l'entreprise, nous paraît adaptée. Mais la procédure permettant de rejeter l'offre anormalement basse reste un outil difficile à utiliser par les collectivités, qui s'exposent aux risques de recours, et qui doivent se décider en quelques minutes à la lecture des documents. Le fait de permettre aux collectivités, dans le cadre des commissions d'attribution, de prendre contact avec l'entreprise pour qu'elle justifie la situation, permet d'éviter le « tout ou rien » qui consiste soit à écarter soit à retenir l'offre la plus basse. Sous réserve qu'il y ait un changement culturel parmi les acheteurs publics et qu'ils soient capables d'utiliser la notion d'offre anormalement basse à bon escient, le cadre législatif et réglementaire issu des dernières directives nous paraît avoir atteint un niveau satisfaisant.
M. Frédéric Grivot . - Nous pouvons l'admettre, mais il est certain que la formation des acheteurs en la matière reste à améliorer. Dans le cadre de la création de sa cellule innovation, l'UGAP a dû recruter des acheteurs possédant des compétences spécifiques à certains secteurs d'activités tels que le secteur médical. Dans un certain nombre de cas, dans des structures de taille réduite, l'acheteur peut être amené à lancer une consultation en fonction de critères qui n'ont pas évolué depuis l'appel d'offres précédent. J'associe à notre demande de formation des acheteurs publics celle de certains responsables financiers, pour lesquels on gère le besoin en fonds de roulement en ne payant pas ses fournisseurs, alors qu'il existe aujourd'hui d'autres sources de financement. Les acheteurs qui ont 25 ou 30 ans d'ancienneté sont souvent figés devant le risque de recours. Il faut que leur formation évolue afin de leur permettre de travailler en amont des appels d'offres, de s'intéresser aux innovations que peuvent présenter les entreprises, afin d'ouvrir plus largement les appels d'offres aux PME.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Quels sont vos suggestions et les points qui vous paraissent poser problème concernant la transposition des différentes directives ?
M. Frédéric Grivot . - D'une façon générale, la CGPME souhaite que les règles du jeu ne soient pas durcies. En effet, tout surenchérissement par rapport aux directives pénalise nos PME. On cite souvent les stratégies utilisées par nos amis allemands pour évincer les entreprises étrangères sur leurs appels d'offres publics. Il nous semblerait judicieux de nous inspirer de ces pratiques, afin que ce soient les fabricants français qui bénéficient, dans un certain nombre de cas, des prérogatives de commandes.
Dans le domaine du bâtiment, vous ne pouvez pas soumissionner à un appel d'offres en Allemagne si votre produit n'est pas agréé par les compagnies d'assurance allemandes, ce qui suppose qu'il ait passé des tests auprès de sociétés de certification allemandes. Pour une entreprise française, cette disposition représente un handicap majeur. Elle permet d'évincer les entreprises étrangères des appels d'offres. Elle existe également dans le domaine de l'automobile. Nous pensons que, de temps en temps, il est préférable de ne pas surenchérir en transcrivant les directives, et que nous devrions être capables, dans un certain nombre de cas, de protéger nos entreprises de l'agressivité des concurrents étrangers au titre des appels d'offres.
En ce qui concerne la problématique de la sous-traitance, nous souhaitons une révision du contrat de sous-traitance en France. La cascade qui existe actuellement est à l'origine des difficultés de délais de paiement d'un grand nombre de PME. Aujourd'hui, lorsqu'un appel d'offres est sous-traité, le sous-traitant de rang 1 bénéficie d'un paiement direct de la part du donneur d'ordre. L'intervenant de rang 2 ne bénéficie plus de l'exigence de paiement et la situation est pire lorsque vous intervenez en rang 5, 6 ou 7, les délais ne sont plus du tout respectés. Nous en avons discuté avec M. Fabrice Brégier, président-directeur général d'Airbus, qui s'assure que les entreprises de rang 2 et rang 3 bénéficient de la même considération en matière de délai de paiement et de pénalités que les intervenants de rang 1. Nous souhaitons qu'une telle démarche puisse aboutir dans de nombreux autres secteurs d'activité, mais nous nous heurtons à une écoute insuffisante de la part de l'un des principaux d'entre eux, celui du bâtiment. Nous sommes persuadés qu'une large part des problèmes de délais de paiement provient de la sous-traitance. Aujourd'hui, en matière industrielle, l'activité se répartit entre 50 % de sous-traitance et 50 % de B to C. Sur les 50 % de sous-traitance, les problèmes débutent pour les entreprises de rang 2 et au-delà. Un fournisseur de boulons pour la SNCF agissant en tant que sous-traitant se voit imposer aujourd'hui 120 jours de délai de paiement. S'il pouvait fournir les boulons directement à la SCNF, il bénéficierait du délai moyen avec cette entreprise qui est de 45 jours. Nous soulignons ce type de dérapages depuis des années au sein de la CGPME, mais la solution passe par une remise en cause du contrat de sous-traitance.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Il conviendrait à tout le moins que les modalités d'agrément intègrent également l'analyse des délais de paiement. Vous cherchez, en matière de délais de paiement, l'équivalent de l'action directe dont dispose le sous-traitant vis-à-vis du donneur d'ordres. Cette proposition me semble intéressante.
M. Frédéric Grivot . - Elle permettrait d'apporter indirectement une réponse au problème.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Vous demandez en quelque sorte la révision de la loi du 31 décembre 1975 relative à la sous-traitance.
M. Frédéric Grivot . - Lorsque vous vous adressez à n'importe quel grand groupe signataire de la charte et labellisé, il vous affirme qu'il paie ses fournisseurs normalement. Pourtant, il y a quelques jours, la plusieurs sociétés ont été condamnées dans le cadre du chantier de l'EPR de Flamanville, notamment pour prêt illicite de main-d'oeuvre.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Vous attendez du donneur d'ordre public qu'il se soucie, comme le droit l'y oblige, de l'agrément du sous-traitant qu'il découvre sur le chantier, ainsi que des conditions sociales d'intervention, obligation qui va nous être faite à l'avenir avec le nouveau dispositif sur les salariés détachés. Vous y rajoutez vous-même la nécessité de se soucier des délais de paiement des sous-traitants à partir du rang 2.
M. Frédéric Grivot . - Sur les travailleurs détachés, nous savons qu'un certain nombre de commissions de travail sont en place. Pour la CGPME, il s'agit d'un point d'orgue, car nous les voyons arriver dans tous les secteurs d'activité. S'il est probable que nous parvenions à terme à réguler le recours aux travailleurs détachés, il existe un autre type de travail qui sera beaucoup plus difficile à encadrer, alors qu'il commence à toucher un grand nombre de secteurs, y compris dans l'industrie et les services, c'est « l'ubérisation ». En effet, de plus en plus de chefs d'entreprise ont tendance à faire en sorte que certains métiers soient exercés par non plus des autoentrepreneurs, mais des individus acceptant d'intervenir dans des conditions qui ne respectent pas toujours l'ensemble des réglementations sociales ou fiscales. Il s'agit d'un sujet vis-à-vis duquel il conviendra de se montrer vigilant dans les années à venir.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Le terme « d'ubérisation » de l'économie ne devient-il pas une forme de poncif actuellement ?
M. Frédéric Grivot . - On constate que l'on demande de plus en plus aujourd'hui aux travailleurs d'exercer leur métier de façon individuelle. Une société de transport peut tout à fait, demain, intervenir en faisant appel à une multitude de chauffeurs individuels comme la société américaine dont s'inspire ce terme. Ces métiers peuvent évoluer de façon tout à fait défavorable. Un rapport américain estime que la recrudescence du travail individuel peut conduire à une réduction du nombre de chauffeurs salariés aux Etats-Unis de 4 à 2 millions dans les prochaines années. Dans l'informatique, si certaines entreprises qui répondent aux appels d'offres ont pignon sur rue, d'autres n'ont qu'un titre et font appel à une multitude d'intervenants extérieurs, drainent leur travail sans en connaître les modalités et se contentent de le revendre sous forme d'une prestation privée ou publique. Il en a été de même au niveau des prothésistes dentaires il y a quelques années.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Vous êtes en train de déplacer le débat, en indiquant que l'on parvient à des solutions équilibrées satisfaisantes en ce qui concerne la commande publique, le problème devenant celui de la sous-traitance en France, qu'elle soit publique ou privée.
M. Frédéric Grivot . - On peut s'interroger sur le risque de dérapage à ce niveau, sachant que la sous-traitance publique peut être plus facilement contrôlable que la sous-traitance privée.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Avez-vous un dernier message à nous transmettre ?
M. Frédéric Grivot . - J'aimerais évoquer le problème du paiement des intérêts moratoires, pour lequel nous souhaitons que l'automaticité devienne la règle, trop peu d'entrepreneurs osent aujourd'hui réclamer des intérêts moratoires.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - En théorie, le payeur doit calculer automatiquement ces intérêts.
M. Frédéric Grivot . - Certains payeurs sont exemplaires en la matière, mais nous avons des difficultés avec certains autres.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - L'État est assez exemplaire en la matière, en effet.
M. Frédéric Grivot . - Nous constatons à l'heure actuelle une forte amélioration de nos relations dans le cadre de la commande publique.
M. Philippe Bonnecarrère , président . - Merci de votre disponibilité, de votre attention, et de votre volonté de transmettre vos messages.