B. AUDITION DE MME VIRGINIE BEAUMEUNIER, RAPPORTEURE GÉNÉRALE DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE ET M. DAVID VIROS, CHEF DU SERVICE DU PRÉSIDENT DE L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

M. Éric Doligé, président . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Vos responsabilités dans le cadre de l'Autorité de la concurrence nous intéressent particulièrement. Vous avez reçu un certain nombre de questions de notre part qui ont dû vous permettre de préparer vos réponses. Notre rapporteur va lancer le débat pour vous permettre de nous apporter des éclairages sur un sujet majeur pour nous. Nous considérons en effet que la commande publique joue un rôle considérable au niveau national dans le fonctionnement de l'activité de nos entreprises, et plus particulièrement de nos PME. Nous aimerions faire en sorte que la part des PME dans les marchés publics continue de progresser.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Quelques questions simples vont nous permettre de lancer cette audition. Quel rôle joue l'Autorité de la concurrence dans l'égalité d'accès à la commande publique et comment se répartissent les rôles entre l'Autorité, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) et le juge administratif ? Pensez-vous que les conditions de mise en concurrence sont aujourd'hui suffisamment garanties par les procédures, les pratiques et les contrôles ? Quels sont les secteurs, pratiques et procédures à risque du point de vue anticoncurrentiel ? Quels outils et moyens faudrait-il développer pour mieux prévenir ou poursuivre les atteintes à la concurrence dans le domaine des marchés publics ? Avez-vous chiffré, ou au moins approché le coût des pratiques anticoncurrentielles dans le domaine de la commande publique ? Doit-on optimiser le degré de concurrence dans le domaine des marchés publics ou considérez-vous qu'il est suffisant ? Les directives « marchés » et « concessions » de février 2014 et les textes en cours d'adoption pour les transposer vont-ils influer sur votre action en matière de marchés publics ? Ces textes sont-ils de nature à mieux garantir la concurrence ou comportent-ils des dispositions qui pourraient favoriser l'émergence de nouvelles pratiques anticoncurrentielles ?

Mme Virginie Beaumeunier, rapporteure générale de l'Autorité de la concurrence . - Merci de nous avoir invités. Nous allons nous efforcer de répondre à vos questions sur ce sujet important pour notre économie et nos entreprises. Le bon fonctionnement de la concurrence est aussi une garantie du bon usage des deniers publics.

Quelques mots avant tout pour vous rappeler le rôle de l'Autorité de la concurrence. Nous avons trois compétences, dont deux périphériques à notre sujet :

- le contrôle des concentrations, même s'il a un impact indirect sur la concurrence, y compris sur les marchés publics ; nous pourrons citer un exemple pour lequel nous avons essayé de favoriser la concurrence sur certaines parties de la commande publique ;

- les avis rendus à la demande des pouvoirs publics (gouvernements, commissions parlementaires...), d'organisation, de fédérations professionnelles, d'associations de consommateurs, ou encore à notre propre initiative.

Nous ne nous sommes pas prononcés depuis longtemps sur des marchés publics, n'ayant pas été saisis en ce sens récemment.

Notre dernière activité - historique - est celle du contrôle des pratiques anticoncurrentielles et de leur sanction. Dans le domaine de la commande publique, du temps de l'ancien Conseil de la concurrence, ce domaine donnait lieu à une forte activité et à de nombreuses sanctions, dont certaines retentissantes, comme ce fut le cas pour la construction des lignes TGV ou les marchés des lycées d'Ile-de-France. De nombreuses affaires concernaient le secteur du BTP. Depuis la création de l'Autorité de la concurrence, nous traitons moins d'affaires liées à ce secteur. On peut y voir la conséquence des sanctions importantes prononcées durant les années 1990 et 2000, qui ont contribué à améliorer les comportements des entreprises. Une vision plus pessimiste consiste à considérer que les entreprises se sont adaptées à nos contrôles et prennent aujourd'hui plus de précautions. Parmi les décisions de sanction adoptées entre 2011 et 2014, 13 % concernaient la commande publique.

J'en viens à l'interaction avec la DGCCRF. Celle-ci est présente sur l'ensemble du territoire à travers les Directions départementales de protection des populations, au niveau régional avec les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (DIRECCTE), ainsi qu'au niveau central. L'Autorité et la DGCCRF travaillent de concert. La DGCCRF, à travers les services déconcentrés, peut détecter des pratiques anticoncurrentielles et, si elle estime qu'une enquête est justifiée, doit nous transmettre les indices en sa possession, afin que nous décidions si nous préemptons l'enquête ou si nous la laissons l'effectuer. Nous-mêmes procédons à une analyse de ces indices et intervenons notamment s'il s'agit de pratiques de portée nationale ou supralocale, en fonction des secteurs concernés, ou bien s'il s'agit de pratiques nouvelles nécessitant une évolution de la jurisprudence. Nous nous intéressons également aux secteurs qui n'ont pas encore été investigués. Nous pouvons en outre nous saisir des cas qui nécessitent une sanction exemplaire. Nous avons ainsi effectué une enquête sur des marchés publics à Saint-Pierre-et-Miquelon, compte tenu de l'importance de la commande publique pour les collectivités d'outre-mer.

La DGCCRF était autrefois obligatoirement convoquée dans les commissions d'appel d'offres. Depuis le début des années 2000, cette convocation est devenue facultative, si bien qu'elle a modifié ses modes d'intervention. Elle s'efforce de nouer des contacts avec les acheteurs publics et de faire remonter des indices de pratiques anticoncurrentielles. Nous constatons que les indices qui nous remontent concernent très souvent des pratiques de portée locale. Il peut notamment s'agir d'ententes entre taxis et ambulanciers pour le transport des malades. La DGCCRF dispose d'un outil de répression des pratiques anticoncurrentielles locales, la transaction. Nous la laissons généralement réaliser son enquête et traiter le cas par le biais d'une transaction. Celle-ci consiste à présenter les faits aux entreprises concernées et à proposer le paiement d'une somme pour clore l'affaire. Avant de proposer une transaction, la DGCCRF nous informe et nous transmet son rapport d'enquête. En tant que rapporteure, je suis en mesure de proposer au collège de l'Autorité de la concurrence de se saisir d'office de l'affaire. Si nous considérons que la portée de l'affaire n'est que locale, nous laissons la DGCCRF traiter le cas par le biais de la transaction. De nombreuses affaires relatives à la commande publique sont aujourd'hui traitées directement par la DGCCRF plutôt que par l'Autorité.

Pour autant, nous examinons un certain nombre d'affaires de portée significative. Nous avons eu à traiter une affaire relative à des travaux d'électrification rurale en 2011 concernant des syndicats intercommunaux et des filiales d'EDF. Elle a donné lieu à une sanction de plus de 5 millions d'euros. Nous avons également traité une affaire d'enrobés bitumineux dans le cadre de travaux publics en 2013, ainsi que deux affaires importantes dans le secteur de la rénovation de monuments historiques et dans le secteur de la signalisation routière. Je vous communiquerai par écrit le montant des sanctions prises dans les deux cas.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - S'agissait-il d'un non-respect des procédures ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Dans le cas des monuments historiques, il s'agissait d'une entente entre entreprises visant à faire monter les prix. Nous avons ainsi pu mesurer que l'entente aboutissait à un surcoût de l'ordre de 20 %, ce qui témoigne de l'effet délétère de telles pratiques. La réfection des monuments historiques est coûteuse pour l'Etat et les collectivités, et le surcoût peut entraîner une réduction des marchés futurs. Dans ce cas, le montant total de la sanction - devenue définitive après pourvoi en cassation - a atteint 9,8 millions d'euros pour l'ensemble des entreprises concernées. Dans le domaine de la signalisation routière, nous pouvons estimer le surcoût à partir des baisses de prix, de l'ordre de 10 à 20 %, intervenues à la suite de sanctions à l'encontre de pratiques anticoncurrentielles qui ont duré 10 ans.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - De tels problèmes de gestion de la commande publique ont-ils tendance à s'aggraver ? Comment percevez-vous la transposition des directives de février 2014, avec un allotissement généralisé ou la prochaine mise en place du document unique de marché européen (DUME) ?

Mme Virginie Beaumeunier . - L'allotissement peut avoir des effets négatifs et d'autres bénéfiques. Il va probablement permettre à de nouvelles entreprises, notamment des PME, de pénétrer le marché et va donc contribuer à stimuler la concurrence. Les PME ont besoin d'être reconnues par les acheteurs publics et accompliront des efforts particuliers pour obtenir des références. De plus, il permet de disposer d'un plus grand nombre d'offres et de les comparer. Le fait d'obtenir des références permettra aux nouveaux entrants de concourir ensuite sur d'autres marchés publics. Le problème des PME est qu'elles manquent souvent de références, si bien que l'acheteur public doute de leur capacité à répondre à ses besoins.

L'inconvénient de l'allotissement est qu'il va complexifier les procédures de l'acheteur public, et il faudra vérifier que les mesures de simplification prévues par ailleurs sont efficaces.

Il existe une manière de répondre à une commande publique pour les PME qui est le groupement. En tant qu'Autorité de la concurrence, nous avons une vision partagée du groupement. Par principe, il peut favoriser la concurrence en permettant aux PME de répondre à des appels d'offres importants. Mais nous avons aussi été confrontés à des groupements qui n'avaient pas lieu d'être, rassemblant plusieurs entreprises de taille conséquente pour assécher la concurrence alors qu'elles pouvaient répondre individuellement. Ce travers ne concerne pas vraiment les PME. Compte tenu de la tendance actuelle à la massification des achats, l'allotissement peut être un frein aux économies.

En somme, l'allotissement présente un intérêt dès lors qu'il n'est pas artificiel, sans quoi il contribue à faire perdre à l'acheteur public les gains d'efficacité qu'il peut attendre de la massification.

M. Éric Doligé, président . - Dans le cadre de l'affaire concernant la signalisation routière, vous estimez le surprix à 10 à 20 %, la situation ayant duré pendant 10 ans. Le gain supplémentaire pour les entreprises complices a donc vraisemblablement correspondu à une année de chiffre d'affaires. La sanction qui est prise tient-elle compte de l'impact qu'elle peut avoir sur la viabilité de l'entreprise si celle-ci est en situation de fragilité ? Cette affaire était-elle d'ordre national ou local ?

En ce qui concerne les pénalités, nous avons entendu parler de la sanction prise vis-à-vis des producteurs de yaourt. L'Etat inflige des pénalités qui représentent pour lui des sommes assez substantielles, alors que ceux qui sont pénalisés sont soit les collectivités, soit les consommateurs. Ne pourrait-on pas, dans certains cas, faire bénéficier les collectivités des ressources que représentent les pénalités infligées - à juste titre - aux entreprises fautives ?

Je vois quelque chose de choquant à ce que l'État récupère ce qu'ont payé en trop les contribuables ou la collectivité.

Mme Virginie Beaumeunier . - Tel est le principe d'une sanction administrative. La DGCCRF et l'Autorité de la concurrence ont suggéré aux collectivités concernées d'engager des actions en réparation. Une collectivité de Normandie a intenté une telle action.

M. Éric Doligé, président . - Certaines collectivités ont pu obtenir des réparations à la suite d'actions de ce type dans le cas des emprunts toxiques.

Mme Virginie Beaumeunier . - Il existe des précédents de collectivités locales obtenant devant le juge administratif une réparation de la part des entreprises. J'imagine que la collectivité peut avoir, dans certains cas, une relative réticence à engager une action contre une entreprise, mais il semble logique que le contribuable local récupère une partie de l'indu. Il est vrai que le montant des sanctions de l'Autorité de la concurrence peut être important. Il a été plus d'un milliard d'euros l'année dernière.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Suite à une décision de l'Autorité de la concurrence, les consommateurs peuvent mener une action de groupe. C'est plus compliqué pour les collectivités.

Mme Virginie Beaumeunier . - Elles peuvent mener une action en réparation individuelle classique.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Vous indiquez que la commande publique représente environ 13 % des sanctions. Faut-il y voir le signe que la commande publique ne fonctionne pas si mal que cela ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Ces statistiques sont difficiles à évaluer. Nous avons moins d'affaires à traiter que par le passé dans le domaine du BTP, et l'on peut y voir une amélioration liée à l'effet dissuasif des sanctions. Dans certains secteurs, nous continuons à constater des défaillances, à l'image du transport scolaire en milieu rural, par exemple.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Avec la mutation que représentent les directives de 2014, et notamment le DUME ou le sourcing , doit-on s'attendre à une recrudescence des pratiques anticoncurrentielles ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Pas nécessairement. Les ententes que nous constatons dans le cadre de marchés publics consistent pour les entreprises à échanger des informations et à se mettre d'accord sur la manière de répondre en amont des appels d'offres. En introduisant davantage de négociation, on peut permettre à l'acheteur public de casser ces ententes. Je ne pense pas que le sourcing favorise les pratiques anticoncurrentielles. Cette mesure me semble positive. Il est très difficile pour une collectivité de connaître l'état d'un marché sur lequel elle n'intervient que rarement et d'écrire un cahier des charges adapté. Professionnaliser les acheteurs publics, leur permettre de se renseigner en amont sur le marché et de contacter pour cela les entreprises me paraît être une bonne chose. Il faut évidemment veiller à ce que les acheteurs publics qui pratiquent le sourcing restent vigilants et ne transmettent aucune information sensible dont pourraient tirer profit les entreprises. Les mesures qui sont ouvertes par les nouvelles directives peuvent selon moi favoriser la concurrence moyennant certaines précautions dans leur mise en oeuvre.

M. Éric Doligé, président . - Les transports scolaires sont aujourd'hui généralement assurés par des entreprises nationales, dans le cadre de délégations de service public (DSP) au niveau local. Avec la loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, ce sont les régions qui récupèreront cette compétence, avec une possibilité de délégation au département. De tels marchés vont passer du jour au lendemain d'une taille de 20 millions d'euros à une taille de 200 millions d'euros. Comment l'acheteur confronté à de tels marchés va-t-il gérer le risque de regroupement des transporteurs face à lui et la réduction du nombre de ses interlocuteurs ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Certaines collectivités accomplissent un véritable effort d'allotissement pour stimuler la concurrence. Globalement, les marchés de transport scolaire sont généralement allotis par zone géographique et ce sont souvent les mêmes transporteurs qui répondent en fonction de leur zone d'implantation, ce qui limite la concurrence. Un certain nombre de collectivités ont cherché à stimuler la concurrence par un allotissement différent, ce qui n'empêchait pas des PME de candidater. Il est vrai que le montant global de tels marchés sera beaucoup plus important à l'échelle régionale, mais il me semble important de conserver cette possibilité d'allotissement. En matière de transport scolaire, une certaine souplesse est nécessaire et il faut pouvoir s'appuyer sur une entreprise de proximité pour pallier les défaillances éventuelles. En dehors de quelques grands opérateurs nationaux comme Keolis ou Transdev, ce sont souvent des PME qui répondent au sein de groupements qui disposent d'antennes locales constituées d'entreprises indépendantes.

Le problème qui se pose est celui de la concentration des entreprises et du rachat par les grands groupes des PME locales. Nous avons étudié le sujet au moment du rapprochement entre Veolia et Transdev. Il est arrivé que nos interdisions à la nouvelle entité ainsi créée de racheter des concurrents pendant une période de 10 ans. Nous avons également pu obtenir un engagement innovant par lequel la nouvelle entité créée devait contribuer à un fonds d'animation de la concurrence qui permettait d'indemniser des entreprises de taille réduite acceptant de candidater pour une DSP. Ce fonds permettait également de financer une prestation d'assistance à maîtrise d'ouvrage pour les collectivités de taille plus réduite, pour les aider à bâtir un cahier des charges stimulant au mieux la concurrence. Il existe toujours et est ouvert à toute collectivité.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Avez-vous chiffré le coût des pratiques anticoncurrentielles dans le domaine de la commande publique ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Nous estimons le surprix lié à l'existence d'un cartel à 15 à 20 %. Il était de 20 % dans le cas des monuments historiques, de 10 à 20 % pour la signalisation routière. Il s'agit davantage de constatations empiriques que de statistiques.

M. Éric Doligé, président . - Quid du montant des sanctions dans le cas de l'affaire sur la signalisation routière ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Le montant total de la sanction a atteint 52 millions d'euros, et l'amende la plus élevée a été de 18,5 millions d'euros.

Je reviens à votre question sur la mise en difficulté éventuelle des entreprises sanctionnées. Le pouvoir de sanction est une compétence relevant du collège plus que des services d'instruction, mais lorsque nous transmettons un dossier au collège, nous effectuons un travail préalable d'analyse des déterminants de la sanction. Il existe une procédure par laquelle les entreprises peuvent nous faire connaître leurs éventuelles difficultés financières ou conjoncturelles. Le collège demande des données précises (chiffre d'affaires, résultat) et examine les alertes éventuelles des commissaires aux comptes avant de déterminer une sanction adaptée. Pour le calcul de la sanction, le collège prend en compte le chiffre d'affaires et apprécie les performances, soit sur la dernière année, soit en les lissant sur l'ensemble de la période. Il peut ainsi prendre en compte la situation précaire des entreprises et décider de réductions de sanction importantes par rapport à ce qu'elles encouraient. Il faut néanmoins que les sanctions conservent un effet dissuasif. Il est enfin possible de négocier avec le Trésor public un étalement du paiement.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Les grands groupes craignent davantage la mauvaise publicité qui leur est faite que la sanction financière. Dans le cas d'une PME, la sanction peut donner lieu à un déséquilibre. Il était d'ailleurs question de sanctions représentant un pourcentage de leur chiffre d'affaires.

Mme Virginie Beaumeunier . - L'assiette de la sanction est calculée sur les « ventes affectées », c'est-à-dire le chiffre d'affaires réalisé sur le périmètre de l'infraction, affecté d'un coefficient dépendant de la gravité de l'infraction et du dommage à l'économie, sachant qu'il existe un plafond - qui n'est jamais atteint - de 10 % du chiffre d'affaires de l'ensemble de l'entité ou du groupe.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Existe-t-il des cas d'entreprises s'étant retrouvées en grande difficulté suite à une sanction ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Certaines l'allèguent, mais je ne pense pas que nos sanctions aient abouti à la faillite d'entreprises. Il nous arrive de faire face à des entreprises en redressement et leur situation est toujours prise en compte. Il est arrivé que la réduction de sanction atteigne 90 %. En outre, nous ne prononçons pas de sanction si l'entreprise est en liquidation judiciaire.

M. Éric Doligé, président . - Vous avez mentionné le cas d'une entreprise qui s'est vue infliger une amende de 18,5 millions d'euros à la suite d'une entente dans le secteur de la signalisation. Je suppose qu'elle avait dû réaliser un bénéfice important au cours des années précédentes.

Mme Virginie Beaumeunier . - Les entreprises passent des provisions lorsqu'elles font l'objet d'une instruction, car nos affaires s'étendent sur plusieurs années. Des étalements de paiement sont également accordés par le service de recouvrement du Trésor public, comme je l'ai précisé antérieurement.

M. David Viros, chef du service du Président de l'Autorité de la concurrence . - La sanction étant calculée sur le chiffre d'affaires réalisé sur le marché affecté, il arrive que cela puisse impacter plus lourdement les entreprises mono-activité. Dans ce cas, nous sommes susceptibles d'appliquer une décote de la sanction.

Mme Virginie Beaumeunier . - En effet, si l'effet dissuasif pour un grand groupe nécessite parfois de majorer la sanction, pour une entreprise mono-activité, la sanction peut être réduite dans d'importantes proportions. La mono-activité est avérée lorsque plus de 60 % du chiffre d'affaires est réalisé sur une seule activité.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Vous avez indiqué que la commande publique ne représentait que 13 % de vos sanctions.

Mme Virginie Beaumeunier . - Tel était le cas en 2014. Ce pourcentage a été plus élevé dans les années 1990 et au début des années 2000. Je m'efforce aujourd'hui de relancer l'activité dans ce secteur. Le législateur nous a donné la possibilité d'agir sur commission rogatoire d'un juge. Nous avons deux commissions rogatoires en cours dans le secteur de la commande publique. Les juges d'instruction qui interviennent sur des dossiers de favoritisme ou de prise illégale d'intérêts peuvent découvrir des situations d'ententes. En cas de pratiques anticoncurrentielles, nous sommes en mesure d'ouvrir une procédure à partir des éléments recueillis dans le cadre de l'instruction, laquelle peut déboucher sur une sanction administrative.

Nous sommes également en contact avec la Cour des comptes, qui peut nous transmettre des indices de comportements d'entreprises suspects par le biais des Chambres régionales, ce qui nous permet de diversifier nos sources d'information.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Comment jugez-vous une entreprise qui emploie de nombreux salariés détachés et qui soumet une offre anormalement basse ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Nous ne sommes pas conduits à intervenir pour des faits relevant du droit du travail.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Mais ce type de situation fausse la concurrence !

Mme Virginie Beaumeunier . - Il s'agit en l'occurrence de concurrence déloyale, contre laquelle les outils juridiques ne nous permettent pas de lutter. Mais il est vrai que ce type de concurrence n'est pas saine et aboutit à une mauvaise qualité des prestations et des travaux. Nous analysons le comportement des entreprises, pas celui de l'acheteur public. Nous manquons d'outils juridiques pour lutter contre ce type de pratiques. L'Autorité de la concurrence promeut la concurrence, laquelle ne se résume pas seulement au moins-disant tarifaire et se fonde aussi sur la qualité de service, l'innovation, etc . L'acheteur public doit toujours déterminer s'il va s'y retrouver sur le long terme. Un prix très bas suivi par de nombreux avenants échappant à la mise en concurrence et grevant le coût d'achat initial n'est favorable ni à la concurrence ni à l'acheteur public.

M. Daniel Raoul . - Si je comprends bien, vous n'êtes pas affectés du TOC, trouble obsessionnel de la concurrence, qui naît des directives européennes et qui ne conduit pas nécessairement au meilleur achat en privilégiant le moins-disant.

Mme Virginie Beaumeunier . - Le mieux-disant n'est pas nécessairement contraire à la concurrence, qui se joue aussi sur l'innovation.

M. Daniel Raoul . - Les acheteurs publics n'utilisent pas suffisamment l'article 53 du code des marchés publics, qui permet de fixer des critères permettant de retenir le mieux-disant au-delà du seul prix.

Concernant les ententes, il s'agit d'un phénomène que nous avons du mal à démontrer au niveau local, notamment pour les marchés de voirie, même lorsqu'ils ne font aucun doute à nos yeux. Comment prouver l'existence de telles ententes ?

Mme Virginie Beaumeunier . - Il faut faire remonter les indices et les comportements douteux à la DGCCRF. Nous devons disposer d'indices pour réaliser une enquête et effectuer une perquisition, ce qui suppose de convaincre un juge. Dans le domaine des marchés publics, si nous parvenons à recouper suffisamment d'informations, nous pouvons obtenir des ordonnances. Le problème est que certaines entreprises déjà condamnées sont habituées à nos modes opératoires. D'où l'intérêt des commissions rogatoires qui permettent aux services de police d'intervenir avec leurs moyens plus importants que les nôtres.

M. Éric Doligé, président . - Les règles de marché françaises sont probablement plus compliquées dans certains domaines que les règles européennes. Est-ce que cette situation favorise ou défavorise les entreprises françaises sur les marchés français ou sur les marchés européens hors de France ?

Mme Virginie Beaumeunier . - De manière générale, nous avons parfois tendance, en France, à sur-transposer les directives européennes. Le fait d'ajouter une couche de normes supplémentaire aux normes européennes peut s'avérer défavorable à la concurrence, notamment lorsque cela prive les PME de l'accès à certains marchés, comme celui du bâtiment. Nous allons prochainement publier un avis sur le sujet.

En matière de marchés publics, les acheteurs ont, pendant longtemps, été des juristes dont le métier consistait à vérifier le respect de toutes les procédures. Aujourd'hui, il faut des acheteurs publics professionnalisés, connaissant les marchés et sachant négocier. Nos réglementations plus contraignantes que les exigences européennes ne sont pas véritablement un frein pour nos entreprises sur le marché français, toutes les entreprises étant logées à la même enseigne. Toutefois, les entreprises françaises ont besoin de références et plus leur accès aux marchés en France est facilité, plus elles ont de chance d'en obtenir à l'étranger. En outre, le surcroît de procédures suppose un coût administratif qui peut défavoriser les entreprises françaises.

Dans le cas des marchés publics, il faut ne pas perdre de vue l'objectif poursuivi. S'il s'agit d'acheter au meilleur rapport qualité-prix, la concurrence est un moyen d'y parvenir. Il faut en outre garantir que la collectivité et le contribuable ne soient pas lésés. Il faut parvenir au bon dosage des outils pour atteindre ces deux objectifs. Le mieux peut être l'ennemi du bien dans certains domaines. Un excès de réglementation ne permet pas nécessairement d'atteindre ces objectifs et peut pénaliser à la fois l'acheteur public et les entreprises. L'introduction de la négociation peut permettre de casser certaines ententes. On peut y voir le risque pour l'acheteur public d'être plus facilement soumis à la corruption ou à la prise illégale d'intérêts, mais il existe d'autres outils pour s'en prémunir. Une plus forte réglementation ne permet pas forcément d'atteindre les objectifs poursuivis.

M. Éric Doligé, président . - Merci de nous avoir éclairés.

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