D. AUDITION DE MM. ALAIN PIQUET, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION DES MARCHÉS, SÉVERIN ABBATUCCI, DIRECTEUR DES AFFAIRES JURIDIQUES, MME PATRICIA GRELIER-WICKOFF, CHEF DE SERVICE À LA DIRECTION JURIDIQUE ET FISCALE ET M. BENOÎT VANSTAVEL, DIRECTEUR DES RELATIONS INSTITUTIONNELLES DE LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DU BÂTIMENT

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous mesurons les enjeux de la commande publique pour la Fédération française du bâtiment. Notre mission d'information vise à se demander comment il est possible de faire plus simple, moins cher, plus souple et à s'assurer qu'il n'y aura pas de sur-transposition des directives européennes. L'autre préoccupation de notre rapporteur est la suivante. Toutes les hypothèses ont-elles été explorées pour aider les PME ? Qu'en est-il enfin de la montée en puissance des travailleurs détachés que nous constatons ces dernières années dans l'exécution des marchés publics ?

Nous attendons donc de votre fédération que vous nous disiez ce qui permettrait, selon vous, de mieux faire fonctionner la commande publique, dans un contexte difficile marqué par un investissement public qui marque le pas dans les collectivités. Nous sommes à la recherche de bonne pratiques et nous inscrivons dans une démarche très concrète.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Merci d'avoir répondu à notre invitation. Comment ressentez-vous la diminution de la commande publique ? Notre mission porte notamment sur la commande publique et les PME. Les deux directives européennes avec l'allotissement généralisé et la simplification devraient permettre un meilleur accès des PME à la commande publique. Pour vous, quelles sont les bonnes pratiques pour y parvenir ? Quelles sont également les mauvaises pratiques ? Enfin, le recours aux travailleurs détachés est vécu comme un traumatisme par les entreprises du bâtiment. Certes, les contrôles sont plus fréquents et une carte va être mise en place. Toutefois, je ressens le phénomène comme une forme de délocalisation du secteur du bâtiment. Quel est votre avis sur ces questions ?

M. Alain Piquet, Président de la commission des marchés à la Fédération française du bâtiment . - Merci, Messieurs les sénateurs. Pour apprécier l'impact du contexte économique, rappelons ces quelques chiffres : la commande publique représente 20 % de notre activité qui s'élève à 124 milliards d'euros de chiffre d'affaires par an. Elle fait travailler 220 000 salariés pour un total de 1 100 000 personnes. La commande privée ne suppléant pas à la commande publique, l'impact du ralentissement de l'investissement est important.

En 2014, la commande publique sur le volet collectivités locales-investissement a baissé de 7 % et même de 10,8 % si l'on ajoute le volet entretien-maintenance. En 2015, nous anticipons une baisse de 5 % de l'investissement. L'année dernière, le bâtiment a perdu 30 000 salariés et, globalement, depuis le début de la crise, 100 000 personnes.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Nous partageons cet avis.

M. Alain Piquet . - Nous avons aujourd'hui le sentiment que le législateur s'est saisi de la question. Une chaîne de causalité existe en effet entre l'offre anormalement basse (OAB) par rapport aux coûts de production et les travailleurs détachés. Or le projet d'ordonnance « marchés » prend en compte l'OAB à deux niveaux, celui du marché proprement dit dans l'article 51 et surtout dans le contrat du sous-traitant dans l'article 60. Pour nous, il est primordial que vous stipuliez que le maître d'ouvrage a l'obligation de détecter et de rejeter l'OAB à ces deux niveaux. C'est une excellente initiative.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - L'Europe a renoncé à définir l'OAB par une formule mathématique. Cette rédaction vous convient-elle ?

M. Alain Piquet . - Le pourcentage ne peut pas être fixé indépendamment du contexte économique et géographique. Sur ce volet, il est important que la maîtrise d'ouvrage demande à l'entreprise en quoi ce prix est anormalement bas à partir du détail des éléments. La pratique voulait qu'elle se contente de la conformité de l'offre.

Quant aux travailleurs détachés, nous constatons une réelle prise de conscience de cet enjeu aujourd'hui grâce à la loi Savary et aux décrets qui ne sont pourtant applicables que depuis le 1 er avril de cette année. Nous tenons à la carte d'identification professionnelle et à l'obligation d'analyse des OAB, mais, à côté de ce volet législatif, il est indispensable de veiller à son application via un contrôle avec l'appui des douanes.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - M. Bourquin se pose régulièrement la question de la pénalisation du maître d'ouvrage qui est envisagée par le Premier ministre. Cette responsabilisation est-elle une bonne idée ? Est-ce la seule bonne idée ? Quel est votre sentiment sur ce point ?

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Nous savons qu'il est massivement fait appel aux travailleurs détachés aux troisième et quatrième niveaux de sous-traitance. Il est donc prévu de mettre aussi en cause la responsabilité du maître d'ouvrage sur le nombre de travailleurs détachés déterminant une offre anormalement basse.

M. Séverin Abbatucci, directeur des affaires juridiques et fiscales à la Fédération française du bâtiment . - Nous pensons que le maître d'ouvrage a une responsabilité indirecte car il profite du caractère anormalement bas des offres faites par les sous-traitants. Il fait figure de « receleur » de la fraude aux règles sociales du détachement, selon l'expression de notre président, Jacques Chanut. La durée maximale du travail et le niveau de salaire définis par le cadre français ne sont pas respectés par certains employeurs étrangers. C'est pourquoi il faut remonter la responsabilité au niveau du maître d'ouvrage en bout de chaîne.

Pour prévenir les infractions, les entreprises étrangères devront fournir aux donneurs d'ordre une copie de la déclaration de détachement qu'elles devaient déjà remettre en théorie aux agents de contrôle. Quant au donneur d'ordre, il aura l'obligation de le signaler aux agents s'il ne l'obtient pas. Nous pensons que cette obligation aura un impact positif.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Selon vous, l'obligation pour les donneurs d'ordre d'obtenir copie de cette déclaration de détachement voire de saisir les autorités de contrôle dans le cas contraire suffirait pour garantir le dispositif, mais il serait excessif de responsabiliser au sens pénal le maître d'ouvrage dans un cadre déjà contraignant pour lui.

M. Alain Piquet . - Quand vous parlez de la maîtrise d'ouvrage, il est important de l'imaginer dans toutes ses composantes. La commande publique ne représente que 20 % de notre activité.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Le donneur d'ordre public va comprendre ces nouveaux outils, mais comment imaginez-vous la situation pour le maître d'ouvrage privé ?

M. Séverin Abbatucci . - À mon avis, nous aurons peu de cas de responsabilité pénale. Ne pas récupérer les documents que j'énumérais est constitutif d'une faute pour le donneur d'ordre. Il sera complice de l'infraction de l'entreprise étrangère s'il la laisse travailler sans avoir obtenu la preuve qu'elle est en règle. Il encourra des sanctions au plan civil et une condamnation au plan pénal. Aucun texte supplémentaire n'est nécessaire.

M. Rachel Mazuir . - 25 000 euros pour Bouygues sur le chantier de l'EPR de Flamanville.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Un procès s'est tenu il y a quelques jours au sujet de quarante personnes détachées qui n'étaient pas déclarées dans les règles. Ces sanctions font-elles peur à une grande entreprise ? La sanction ne devrait-elle pas être plus importante en pourcentage de chiffre d'affaires ?

M. Séverin Abbatucci . - La sanction pour défaut de déclaration du détachement est de 2 000 euros par salarié avec un plafond porté à 500 000 euros par la loi Macron. Elle est donc déjà très élevée.

M. Martial Bourquin, rapporteur . - Le faible niveau des sanctions à l'encontre de Bouygues s'explique par le fait que la loi Macron n'était pas encore en place.

M. Rachel Mazuir . - La responsabilisation du maître d'ouvrage vise davantage le privé que le public. Or les petites collectivités territoriales ne disposent pas des ressources nécessaires pour appliquer ces nouvelles dispositions.

M. Alain Piquet . - Dans les pratiques, l'allotissement est privilégié. S'il est bien géré, le risque juridique de la maîtrise d'ouvrage public est réduit, voire levé par des pratiques qui vous sont offertes. Des guides de bonnes pratiques ont été édités par le ministère des Finances et les faire descendre dans vos services permettrait de corriger des pratiques qui ont été perverties et expliquent la situation actuelle.

Les outils répressifs ne sont en place que depuis peu. Si les contrôles sont mis en oeuvre, je suis convaincu que la situation s'améliorera.

M. Séverin Abbatucci . - Je tiens à souligner que tous les éléments mis en place ne sont pas répressifs. Des mesures préventives vont également dans le bon sens. Ainsi, lors de la notification du marché, le maître d'ouvrage public doit vérifier à bien souscrire l'assurance décennale obligatoire pour respecter la concurrence. En outre, une mesure d'auto-liquidation de la TVA vise la sous-traitance qui, ne facturant plus la TVA, ne peut plus frauder.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Avez-vous des propositions au sujet des retenues de garantie, des cautions, de la relation avec les banquiers et des délais de paiement des administrations publiques ?

M. Alain Piquet . - Au-delà des garanties, les avances sur travaux constituent une action intéressante, notamment pour les PME. L'avance de trésorerie et l'allotissement sont en effet des questions importantes et nous avons remis en place des formulaires de garantie avec la Fédération française bancaire. Nous maîtrisons désormais ce sujet.

La question de la numérisation me semble aussi un sujet important aujourd'hui. Nous travaillons pour que les fournisseurs et les contributeurs au Marché Public Simplifié puissent entrer dans ce dispositif MPS qui est un très bel outil. Les collectivités locales devraient également s'emparer de cet outil qui est source d'économies.

Par ailleurs, l'obligation de dématérialisation, la maquette numérique et le plan de transition numérique du bâtiment se profilent. Il faut aider les PME à accéder à ces dispositifs de dématérialisation, notamment à travers la formation.

M. Philippe Bonnecarrère, président . - Vous avez évoqué l'essentiel. Merci à votre équipe.

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