VI. RÉUNION DU JEUDI 9 JUILLET 2015
A. AUDITION DE MME EMMANUÈLE PERRON, PRÉSIDENTE DE LA COMMISSION DES MARCHÉS ET MME MARIE EILLER, DIRECTRICE JURIDIQUE DE LA FÉDÉRATION NATIONALE DES TRAVAUX PUBLICS
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - Nous sommes heureux d'accueillir Madame Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics.
Notre réflexion sur les moyens d'améliorer la commande publique comporte plusieurs pistes. Ainsi, comment faire moins cher et plus simple ? Comment favoriser l'accès des PME à cette commande publique ? En effet, il importe d'assurer plus d'efficience dans le fonctionnement des marchés publics. Comment gérer le recours aux travailleurs détachés lorsqu'il pose problème dans l'exécution des marchés publics ?
La transposition des trois directives européennes de 2014 devra être achevée le 18 avril 2016. Dans un tel contexte, loin de vouloir réécrire le code des marchés publics ou d'examiner les ordonnances de transposition article par article, nous avons adopté une démarche que je qualifierai de « pratico-pratique » afin d'enrichir les recommandations que nous souhaiterions adresser au gouvernement. D'ailleurs, cette transposition laisse-t-elle apparaître des éléments de sur-transposition qui nous auraient échappé et sur lesquels vous souhaiteriez nous alerter ?
Nous sommes également à la recherche des bonnes pratiques et ce, au-delà de la théorie juridique de la commande publique. Nous ne sommes pas totalement focalisés sur la problématique des travaux publics, mais il nous semble que votre secteur est à la fois porteur de propositions et à même de constater des difficultés récurrentes. D'ailleurs, notre rapporteur attache une très grande importance à l'analyse de la situation des petites et moyennes entreprises (PME) et votre fédération est allée, nous semble-t-il, très en profondeur sur leurs problématiques.
Comment mieux utiliser la commande publique au service de l'économie française ? L'objectif également de notre rapporteur est d'examiner l'ensemble des marges qui permettraient d'alimenter la croissance. Telle est notre perspective.
M. Martial Bourquin, Rapporteur . - Je vous remercie, Madame la Présidente, d'avoir répondu à notre invitation. Vous avez reçu un questionnaire et je vais simplement revenir sur celui-ci.
En 2014, votre fédération craignait la plus forte baisse d'activité depuis trente ans pour l'année 2015. Pouvez-vous, par conséquent, nous présenter vos niveaux d'activité durant ces deux dernières années et nous préciser les sources de vos statistiques ? Dans l'hypothèse où cette baisse se soit confirmée, quelles en sont les causes ? Nous constatons en ce sens une diminution sensible de l'investissement local.
Votre fédération est par ailleurs très critique sur la généralisation des attestations sur l'honneur au stade de la présentation des candidatures dans le cadre de la procédure de marché public simplifié. Pouvez-vous expliciter votre position ?
Enfin, en ce qui concerne la transposition des directives européennes, vous vous inquiétez de la réservation des marchés aux entités publiques, dans le cadre des contrats « in house ». Pouvez-vous nous indiquer pourquoi ?
Faire de la procédure négociée celle de droit commun, à l'instar de ce qui devrait résulter de la transposition de la directive « marchés » du 26 février 2014, vous paraît-il être une bonne chose pour les entreprises et quelles en seraient les conséquences pour le secteur des travaux publics en général ?
J'aurai une dernière question relative à la place des petites et moyennes entreprises (PME) dans la commande publique : celle-ci vous paraît-elle suffisante ? Dans le cas contraire, comment assurer aux PME un meilleur accès vers ces marchés, en sachant que nous faisons la distinction entre une PME titulaire d'un marché public et celle qui agit en tant que sous-traitante d'une grande entreprise. Par ailleurs, l'allotissement généralisé, prévu par la directive, vous paraît-il bénéfique ? À ce sujet, certaines entités adjudicatrices soumises à l'ordonnance de 2005 nous ont déjà exprimé leurs craintes et nous aimerions également recueillir votre avis sur cette question.
Enfin, quelle est votre analyse du problème posé par les travailleurs détachés qui sont susceptibles de représenter un véritable danger pour nos PME, sachant que le nombre de travailleurs détachés augmente à mesure que s'étendent les niveaux de sous-traitance ?
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Je vous remercie de vos questions. Je vais d'abord brièvement me présenter. Je préside la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics (FNTP) depuis quinze ans. J'ai par ailleurs assuré la présidence de la commission de la commande publique au MEDEF pendant huit ans. Qu'y fais-je ? Tout sauf du droit, car je suis d'abord un entrepreneur depuis vingt-cinq ans. En effet, j'ai repris une PME familiale qui est devenue une entreprise de taille intermédiaire (ETI), laquelle a rejoint un grand groupe dont j'ai la vice-présidence, ce qui me donne une vision plus large des entreprises. La volonté de faire prévaloir l'aspect concret des choses me guide, depuis vingt-cinq ans, dans mes activités au sein de ces différentes instances représentatives des entreprises. C'est la raison pour laquelle je privilégie l'usage des exemples, afin d'expliquer ce que les entreprises vivent vraiment.
Il est ainsi important à mes yeux que ce qui est aujourd'hui écrit ou élaboré juridiquement soit utile aux activités des entreprises sur le terrain. Comme vous le constaterez dans les exemples que j'évoquerai devant vous, ce n'est malheureusement pas toujours le cas !
Je compte vous adresser par écrit une description plus étoffée de la situation des travaux publics aujourd'hui, mais il me faut malheureusement répondre affirmativement à la question adressée par Monsieur le Rapporteur au sujet de la baisse de l'activité. Ce que nous vous annoncions l'année dernière est malheureusement une réalité aujourd'hui. La Fédération nationale des travaux publics représente les intérêts économiques d'un secteur d'activité comprenant 8 000 entreprises - dont 90 % ont moins de 50 salariés - 260 000 salariés, environ 40 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France et 25 milliards à l'international, et ce, sans compter les 400 000 salariés de la filière dans son ensemble, y compris notamment les fabricants de matériaux, de machines et de véhicules ou encore les loueurs de matériel. Le BTP est ainsi un secteur clef pour la compétitivité économique nationale et l'attractivité des territoires. Cependant, dans la compétition mondiale pour attirer des investissements et créer des emplois, la France est en train de gâcher un de ses principaux atouts : la qualité de ses infrastructures. Selon le classement du Forum économique mondial, la France est passée du 4 ème rang mondial pour la qualité de ses infrastructures en 2008/2009 au 10 ème rang en 2014/2015. Le recul est général sur la période : la France passe du 1 er au 4 ème rang mondial pour la qualité des routes, du 2 ème au 6 ème rang pour ses infrastructures ferroviaires, du 5ème au 17 ème rang pour ses aéroports et du 10ème au 32 ème rang pour ses ports. D'ailleurs, je préside également le conseil d'administration du Port du Havre, ce qui permet d'avoir un autre regard sur la situation actuelle, qui est véritablement dramatique et qui traduit un véritable déclin sur ces cinq dernières années. Aujourd'hui, en France, c'est un pont qui ferme chaque jour par manque d'entretien, un litre d'eau potable sur 5 perdu en raison de canalisations dégradées, 97 minutes de coupure électrique par habitant en 2013, un million de minutes cumulées de retard de TGV en 2013, et plus d'un train sur 10 en retard.
Fin 2014, notre fédération craignait la plus forte baisse d'activité depuis 30 ans en 2015. Depuis le déclenchement de la crise en 2008, l'activité des travaux publics est fortement orientée à la baisse. En 2014, le secteur a encore perdu 4 % d'activité avec une décélération forte au second semestre. En 2015, nous nous attendions à un début d'année très difficile. Nous en avons désormais la confirmation avec de très fortes baisses sur les quatre premiers mois de l'année. Dans ce contexte et pour répondre à votre question, Monsieur le Rapporteur, nous maintenons notre prévision d'activité avec un nouveau recul 8 % sur l'ensemble de l'année 2015, soit effectivement la plus forte baisse d'activité depuis 30 ans.
Cette crise se traduit bien évidemment par des destructions d'emplois dans le BTP : si les données actuelles se confirment pour l'ensemble de l'année 2015, la perte s'élèvera à 15 000 salariés. Nous sommes dans un secteur d'activités techniques et avant qu'une société ne procède à des licenciements, il faut vraiment que sa situation soit sans retour. Pourquoi ? Car la formation d'un technicien prend plusieurs années et son départ s'avère irrémédiable, même lorsque l'activité reprend. C'est pourquoi les entreprises tendent à maintenir leurs effectifs en cas de baisse d'activité. L'évolution à la baisse des effectifs traduit ainsi l'extrême précarité des entreprises et ce, au-delà de la baisse du recours à l'intérim qui en fournit le premier signe.
Quelles en sont les causes ? Nous pressentions que l'investissement serait la variable d'ajustement des budgets publics, c'est désormais une certitude. Au niveau national, les reports successifs puis l'abandon définitif de l'écotaxe ont conduit à un sous-financement de l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF). Ceci a également eu des effets collatéraux sur la capacité à lancer les Contrats de Plan État-Région (CPER), qui ont été signés avec plus d'un an et demi de retard ! Cela a des répercussions en termes de retards de programmation et de lancement de nouveaux chantiers pour nos entreprises. En théorie, dans des chantiers de travaux publics, l'ouverture de nouveaux financements ne conduit pas, ipso facto, à celle de nouveaux travaux. Les retards constatés dans la signature des travaux, de l'ordre d'un an et demi voire au-delà, impliquent que les projets n'arrivent pas à maturité. Mais c'est surtout la baisse de l'investissement des collectivités locales qui a un impact sur l'activité. Or on observe une conjonction de circonstances extrêmement défavorables : le cycle électoral - on investit généralement moins en année d'élection municipale et en année post-électorale et, d'ailleurs la construction cyclique des tramways en témoigne -, la baisse des dotations de l'État aux collectivités locales qui a fortement contraint les budgets avec des conséquences immédiates et amplifiées sur l'investissement, ainsi que l'attentisme lié à la réforme territoriale. L'impact du cycle électoral actuel est d'autant plus fort que plusieurs cycles se croisent en fait et conduisent à l'arrêt pur et simple de nos activités. Il y a manifestement une forme dommageable d'attentisme avec la réforme territoriale. Selon les dernières données de l'INSEE, l'investissement des administrations publiques locales a chuté de 9,6 %, soit environ 4,8 milliards d'euros d'investissement public local en moins en 2014. Pour 2015, le consensus des analystes financiers, comme la Banque Postale, Arkea, ou encore Standard&Poor's, sur l'évolution de l'investissement public local, s'établit aux alentours d'une baisse de 7 %.
La situation n'a jamais été aussi difficile que durant ces deux années. En outre, à ce niveau d'activité, nous allons devoir rajouter la fin des grands travaux. En effet, il n'y a plus en France de grands travaux d'aménagement du territoire et nous n'avons plus de vision politique d'aménagement du territoire ! Aujourd'hui, aurions-nous un carnet de chèques en blanc, nous ne saurions plus comment procéder faute de grands projets : fin de la liaison Tours-Bordeaux, fin du contournement Nîmes-Montpellier, fin de la ligne à grande vitesse Bretagne, mais où sont les extensions d'autoroutes ? Le seul qui demeure est le canal Seine-Nord, outre le projet de liaison Lyon-Turin. Ces derniers projets ne sont nullement en mesure de remplir, à eux seuls, les carnets de commande de nos entreprises.
Ce n'est pas par manque de moyens qu'il faut se refuser à préparer l'avenir et à conduire l'aménagement du territoire. Concernant la transposition des directives du 26 février 2014, il nous importe que la France s'abstienne de toute «sur-transposition», comme nous en sommes coutumiers. Il semble que nous ayons été entendus sur ce point et ce, notamment par la direction des affaires juridiques du Ministère de l'économie avec laquelle nous avons travaillé en amont. Ce n'est donc plus un sujet à nos yeux.
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - Nous avons la même impression que vous et si nous avions un problème sur ce point, nous aurions manifesté notre désapprobation.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Sur la procédure concurrentielle avec négociation, qui va devenir la procédure de droit commun, il est impératif qu'elle ne se réduise pas à une négociation sur les prix, comme c'est le cas actuellement pour beaucoup de négociations. Pour l'attribution des marchés, il est essentiel de mettre effectivement en oeuvre l'attribution à l'offre présentant le meilleur « ratio qualité prix ». En effet, les directives posent de nouvelles exigences sociales et environnementales à respecter dans l'exécution des marchés. Ces nouvelles obligations ont un coût très important pour nos entreprises et doivent par conséquent se traduire dans les prix des marchés. Rappelons-nous ce qu'il est advenu avec l'introduction de la notion de « qualité » il y a une quinzaine d'années, notion qui a généré des coûts que les entreprises ont dû absorber, faute de pouvoir la répercuter dans les prix proposés.
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - A cet égard, si, demain, les pouvoirs adjudicateurs intégraient davantage de clauses sociales et environnementales dans leurs marchés, est-ce que cela serait une bonne idée pour les PME et les TPE ?
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Ce serait une bonne idée, à la condition qu'une telle démarche concerne des clauses d'exécution et une mauvaise, si celle-ci a trait à des clauses d'attribution mentionnées dans un appel d'offres.
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - C'est donc un élément qui doit figurer dans le cahier des clauses techniques particulières et non dans le règlement de la consultation ?
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Surtout pas dans la clause d'attribution parce que la PME locale ne dispose pas des moyens suffisants pour s'aligner sur de telles clauses, à l'inverse des majors de son secteur ! En revanche, dans la modalité d'exécution, la PME attributaire du marché sera capable de les mettre en oeuvre et pourra jouer son rôle d'intégrateur du territoire.
M. Martial Bourquin, Rapporteur . - Que pensez-vous, Madame la Présidente, du travail en partenariat avec les associations d'insertion ? Ce n'est pas le métier de la PME de faire de l'insertion, mais travailler avec les entreprises d'insertion me paraît de nature à beaucoup faciliter les choses.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Je partage votre point de vue. Mais il faut savoir qu'une telle démarche existe fréquemment dans le domaine des travaux publics puisque les clauses d'exécution peuvent avoir trait à l'insertion. Sur nos territoires, nous disposons d'ailleurs de référents. Ainsi, pour prendre un exemple concret, il peut arriver que l'une des clauses d'exécution contienne un quota de 10 % de la masse salariale destiné à l'insertion, mais que faire s'il est impossible d'atteindre un tel seuil sur le territoire national ? Pour se prémunir contre ce genre de difficultés, nous disposons ainsi de référents, qui sont souvent des associations. J'ai d'ailleurs fait travailler l'une d'elles lors d'un projet en Corse, et si de tels organismes ne parviennent pas à fournir des personnels, faute d'effectifs suffisants ou adaptés à la mission, au moins les entreprises ont-elles assumé leurs obligations. Et un tel dispositif fonctionne très bien en modalités d'exécution.
Pourquoi avoir remis en cause la consécration au niveau français des dispositifs de « in house » et de coopération entre pouvoirs adjudicateurs ? Il faut comprendre que dans un contexte d'activité très tendu, l'exclusion des opérateurs privés est considérée comme une « concurrence déloyale ». Certes, la transposition envisagée par le projet d'ordonnance est conforme à la directive 2014/24 du 26 février 2014. Mais nous considérons qu'elle est contraire aux principes fondamentaux d'ouverture des marchés et de libre concurrence. De plus, le seuil de contrôle en quasi régie fixé à 80 % et surtout la possibilité pour les entités publiques d'intervenir à hauteur 20 % de leur activité sur le marché concurrentiel seront très difficiles à contrôler dans la pratique. Comment connaître cette répartition si ce n'est a posteriori , soit une fois que les marchés auront été passés ? Et il n'y aura plus de contrôle !
S'agissant des marchés globaux, nous sommes en faveur de tous les marchés qui peuvent créer de l'activité. L'urgence pour notre pays est de préserver l'investissement, y compris l'entretien de nos infrastructures. Cette situation impose de considérer les différents modèles contractuels sans dogmatisme mais dans un souci d'efficacité. Dans ce contexte, nous soutenons l'extension des nouveaux marchés dits « globaux » qui engagent les entreprises sur des objectifs de performance ou d'innovation technique. Il existe en effet plusieurs types de marchés globaux qui concernent soit la conception et la réalisation, soit la performance et les marchés sectoriels. Il nous reste aujourd'hui à attendre les décrets avant de nous prononcer.
Les PME ont un problème de trésorerie. Je vais vous évoquer trois cas concrets. D'une part, je citerai la lettre du service des affaires juridiques d'une mairie, dans le cadre d'une consultation pour l'aménagement d'un carrefour giratoire. Ainsi celle-ci, en rappelant que la commune a la possibilité de négocier avec tous les candidats sélectionnés, enjoint à l'entreprise destinataire de sa correspondance de bien vouloir renoncer au paiement de l'avance forfaitaire. D'autre part, dans un autre appel d'offres, il est fait mention, à l'article relatif aux pénalités pour retard et aux primes d'avances, que « les pénalités journalières de retard, par dérogation à l'article 20.1 du CCAG-Travaux sont de 10 % du montant total du marché » et qu'en cas d'absence aux réunions de chantier, « les entreprises, dont la présence est requise, se verront appliquer une pénalité forfaitaire fixée à 150 euros par absence ». On applique ainsi des pénalités pour n'importe quoi et ce, en dehors de toute légalité possible ! Enfin, dans le cahier des clauses administratives particulières d'une ville, l'article relatif au rabais pour travaux en période d'activité restreinte dispose que « lorsque dans une période d'activité restreinte signalée, par écrit, par l'entreprise, la commune commandera des travaux pouvant débuter sous 15 jours, il sera appliqué au montant de ces travaux, outre le ou les rabais précédemment prévus, un rabais supplémentaire » en fonction des commandes passées et pouvant aller jusqu'à 10 % pour les commandes de plus de 70 000 euros hors taxe. Une telle mesure est une honte !
M. Martial Bourquin, Rapporteur . - De telles pratiques portent sur des marchés à bons de commande. Celles-ci sont-elles générales ou relèvent-elles d'actes minoritaires ? Est-ce l'exception qui confirme la règle ?
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Toutes ces correspondances datent de ce mois ! La difficulté c'est qu'aujourd'hui on assiste à la multiplication de telles procédures et je vous épargne le marchandage permanent qui entoure les passations de marchés !
M. Claude Kern . - Pour avoir précédemment passé un certain nombre de marchés, de telles pratiques me paraissent plus que discutables ! Nous connaissons en effet l'état de nos entreprises et celui de leurs carnets de commande. Ce que nous déplorons, en revanche, c'est la situation des entreprises qui pratiquent des prix inférieurs à ceux du marché, à l'instar des grands groupes qui sont prêts à écraser les petites entreprises pour obtenir des marchés en pratiquant des prix très bas !
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - L'offre anormalement basse est en effet un vrai problème. Je défends ainsi, en tant qu'entreprise privée, un assouplissement de la notion de délit de favoritisme. En effet, comment demander à une commune d'aller vers la mieux-disance, en laissant cette épée de Damoclès qu'est le délit de favoritisme ? J'attire par ailleurs votre attention sur les offres multicritères que j'ai pu examiner notamment dans l'exercice de mes fonctions de présidente de la commission d'appels d'offres du Port du Havre et qui posent de redoutables problèmes de notation. Il faut vraiment contrôler l'utilisation de ces textes !
M. Claude Kern . - Je peux vous dire que, dans l'offre multicritères, on passe aujourd'hui énormément de temps à monter la partie technique.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - C'est en effet très difficile et il faut absolument aider les personnes qui attribuent les marchés.
M. Didier Mandelli . - Pour revenir sur ce qu'évoquait mon collègue Claude Kern, on ne peut en effet cautionner ce genre de pratiques. En tant que maire d'une commune de 3 500 habitants et président d'une intercommunalité de 32 000 habitants, je n'ai jamais eu à connaître ce genre de pratiques. Évidemment, sur près de 40 000 collectivités territoriales, il peut arriver, çà et là, des épisodes analogues à ceux que vous nous décrivez. Ce n'est pas admissible pour les entreprises.
En revanche, je me souviens également que dans les années 2005-2010 durant lesquelles nous avions dans ma commune investi pour près de 10 millions d'euros d'équipements, nous avions des difficultés à trouver des entreprises qui répondaient à nos sollicitations et dont les prix n'étaient pas anormalement hauts.
Nous sommes dans un cercle baissier, en tant que collectivités, faute de lisibilité. Je partage certes votre souhait en matière de développement d'infrastructures et d'aménagement, mais comprenez également que les élus, pour certains, peuvent s'avérer perturbés par les évolutions des marchés et les pratiques de certaines entreprises qui font tout pour obtenir le marché. Oui pour la régulation et pour la moralisation de la commande publique, mais tout en se souvenant des périodes passées et ce, afin de trouver des équilibres pérennes.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - C'est en effet une démarche que nous avons entreprise avec la Direction des affaires juridiques du Ministère de l'économie et nous avons préconisé une formation à l'acte d'achat. Mais je souhaitais simplement vous dire, qu'aujourd'hui, la crise est d'une ampleur inégalée et qu'elle aura des conséquences terribles sur l'économie des territoires.
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - Vous avez prononcé, Madame la Présidente, le terme d'offre anormalement basse. Le texte qui est en cause est assez intéressant, me semble-t-il, car il renonce à définir cette notion par des critères mathématiques, mais il confère au pouvoir adjudicateur la faculté de mettre en demeure l'entreprise porteuse d'une offre anormalement basse de s'expliquer sur cette dernière. Est-ce selon vous le signe qu'on vient d'atteindre un point d'équilibre qui permet de mettre à l'écart l'offre anormalement basse, en l'objectivant et sans trop courir le risque d'infraction pénale du fait de la mise en demeure préalable ?
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Je viens en effet, en tant qu'acheteur public, de recourir à ce dispositif. Je crois qu'il s'agit là d'un véritable point d'équilibre. Je pense qu'il faut également faire confiance à la personne publique et à son bon sens au moment où elle prend sa décision. Et si l'expérience nous démontre que cette démarche n'est pas suffisante, alors on pourra revenir sur ce dispositif !
Je suis convaincue que cette question de la commande publique vous apparaît comme essentielle en tant que responsables de vos territoires respectifs. Mais que se passe-t-il lorsque des errements sont constatés ? Rien ! Comment peut-on contrôler de tels écarts, sachant que ceux-ci sont grandissants ?
M. Martial Bourquin, Rapporteur . - De tels errements s'avèrent stupéfiants et mes collègues ici présents peuvent en témoigner. S'ils constituaient des indicateurs de ce qui pourrait se généraliser, il faudrait que notre mission en prenne note car de tels comportements doivent absolument être évités.
M. Claude Kern . - Mais de tels errements proviennent parfois des maîtres d'oeuvre et ceux-ci doivent également respecter une certaine forme d'éthique.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Je suis tout à fait d'accord, d'autant que ces maîtres d'oeuvre ont pour mission d'obéir à leurs clients ! Ces exemples d'errements datent de ces trois dernières semaines et ils abondent !
Plusieurs mesures seraient de nature à améliorer la trésorerie des entreprises, à savoir : l'augmentation du montant de l'avance obligatoire accordée par l'acheteur public de 5 à 10 % du marché, le versement de l'avance pour les marchés d'un montant supérieur à 10 000 euros HT (contre 50 000 euros actuellement) et d'une durée supérieure à 1 mois (contre 2 mois actuellement), ainsi que la réduction du montant de la retenue de garantie exigée des candidats de 5 à 3 % et sa libération immédiate après l'expiration de délai de garantie, et non passé un délai de 30 jours.
En outre, pour favoriser effectivement la participation des PME aux marchés publics, il est indispensable de mettre fin immédiatement aux pratiques abusives des maîtres d'ouvrage qui profitent d'un contexte d'activité très tendu. Je vous adresserai par écrit les modalités techniques de la mise en oeuvre de telles mesures.
S'agissant des travailleurs détachés, je vais tout de même vous livrer mon opinion. Il faut naturellement combattre le recours aux travailleurs détachés. Pourquoi en est-on arrivé là et trouve-t-on des travailleurs détachés de l'Est européen dans des territoires en France où le chômage abonde ? C'est bel et bien un problème de compétitivité et on trouve sur le marché des entreprises des pays limitrophes. Il s'agit bien d'une véritable concurrence déloyale et, même à l'échelle de mon groupe, des voix se sont fait entendre pour que l'on emploie ce type de travailleurs. Les majors, tout comme les PME, y recourent !
M. Martial Bourquin, Rapporteur . - Que pensez-vous de la sanction des maîtres d'ouvrage ? Ceux-ci seraient, avec les entreprises, responsables si la légalité du chantier n'était pas respectée.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - C'est notre position.
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - Si l'on devait résumer, vous êtes plus sensible à la pénalisation des abus sociaux qu'à celle de la relation directe entre la collectivité publique et les entreprises. On a été obsédé par la transparence pendant vingt ans, mais il conviendrait désormais selon vous de reporter l'effort de la société vers des questions comme celle des travailleurs détachés.
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Absolument !
M. Rachel Mazuir . - S'agissant des PME, que j'ai pu côtoyer au quotidien dans mes fonctions passées de Président du Conseil général de l'Ain, les élus donneurs d'ordre sont à même de les défendre ! On peut discuter des avances car c'était auparavant le fournisseur qui prenait l'avance sur son compte avant que ce ne soit petit à petit l'entreprise, c'est-à-dire les travailleurs sur le chantier. Je suis par ailleurs tout à fait à l'aise pour aborder la question des délais de paiement, car mon département réglait à dix-neuf jours !
S'agissant des travailleurs détachés, il est vrai qu'il y a une couverture sociale qui est spécifique à la France. D'ailleurs, les grands groupes sont les plus à même d'y recourir, comme en fait foi la dernière condamnation de l'un d'eux en charge de la construction de l'EPR de la Manche. Mais du fait de la modicité de cette condamnation, à hauteur de 25 000 euros, par rapport aux montants représentés par un chantier de plusieurs milliards, on peut parier que cette décision de justice ne portera pas un terme au recours illégal à des travailleurs détachés par des groupes aussi importants. Et tant que nous n'aurons pas une couverture sociale unifiée à l'échelle de l'Europe, ce problème sera récurrent !
En outre, plus qu'un syndrome du mal français, l'arrêt des grands travaux est davantage à attribuer à une forme de mal européen, puisque leur lancement relève désormais de l'initiative européenne !
Mme Emmanuèle Perron, Présidente de la commission des marchés à la Fédération nationale des travaux publics . - Ma position personnelle est qu'il faut combattre ce détachement !
M. Philippe Bonnecarrère, Président . - Merci, Madame, pour votre intervention et vos réponses à nos questions.