B. UN DISPOSITIF PUBLIC COMPLEXE ARTICULÉ AUTOUR DE QUATRE ACTEURS

Le financement des collectivités territoriales et des établissements publics de santé par le nouveau dispositif public fait en réalité intervenir quatre acteurs différents : la SFIL proprement dite , la CAFFIL (sa filiale à 100 %) , La Banque postale (LBP) et, enfin, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) .

Ce dispositif, peu lisible à première vue, s'articule autour d'une société clef : la CAFFIL, précédemment Dexia Municipal Agency (DexMA) . En droit français, il s'agit d'une structure très spécifique, appelée « société de crédit foncier », dont l'objet est d'assurer le refinancement des prêts au secteur public local ou des prêts immobiliers .

Le refinancement

Dans une opération de crédit, la banque utilise ses ressources financières pour accorder un prêt et acquiert, en contrepartie, une créance sur l'emprunteur.

Le prêt va ainsi produire, au fil des mois, des flux de revenus pour la banque. Mais celle-ci a immobilisé une partie de ses ressources financières, qu'elle ne peut donc plus utiliser pour octroyer d'autres crédits.

Une opération de refinancement consiste à céder ce prêt (et les revenus qu'il produit) afin de disposer à nouveau de ressources financières et de pouvoir accorder d'autres prêts.

Par exemple, une banque détient une ressource financière de 100 : elle accorde à X un prêt de 100. Elle doit attendre que X ait remboursé son crédit avant de pouvoir prêter 100 à Y.

En revanche, dans le cadre d'un refinancement, elle va céder, pour un montant de 100, le prêt et la créance qu'elle détient sur X et elle disposera à nouveau d'une ressource financière pour prêter à Y. Pour X, l'opération est neutre : au lieu de rembourser la banque, il s'acquitte de sa dette auprès de la structure qui a racheté le prêt.

Le refinancement peut être organisé dans le cadre du même groupe bancaire entre deux filiales, la première rachetant les prêts accordés par la seconde.

Il peut aussi faire intervenir deux structures indépendantes l'une de l'autre. Dans ce cas, le refinancement a pour conséquence de faire sortir le prêt du bilan de la banque prêteuse (dite aussi « originatrice »), ce qui est également positif pour elle puisqu'elle ne porte plus le risque du prêt, notamment celui de ne pas être remboursé.

En tant que structure de refinancement, DexMA rachetait les prêts accordés aux collectivités territoriales - y compris les « emprunts toxiques » - par sa maison-mère, appelée aussi le « sponsor », Dexia Crédit Local 6 ( * ) . Pour ce faire, DexMA émettait des obligations foncières, qui sont dites « sécurisées » 7 ( * ) parce qu'elles présentent un niveau élevé de garanties pour les investisseurs ( cf. infra III). Par conséquent, DexMA, comme toutes les sociétés de crédit foncier, pouvait bénéficier de taux bas .

Pour une banque telle que Dexia Crédit Local, disposer d'une société de crédit foncier lui permettait alors d'être compétitive sur le marché des prêts au secteur public local. En effet, le taux d'intérêt du prêt proposé par Dexia Crédit Local est directement lié au taux auquel DexMA a pu émettre des obligations foncières. Plus celui-ci est bas et plus Dexia Crédit Local pourra proposer des taux faibles à ses clients.

En revanche, en tant que banque « sponsor » de DexMA, Dexia Crédit Local devait apporter à cette dernière une importante ligne de liquidité, de l'ordre de 13 milliards d'euros. Cette ligne de liquidité fait partie des garanties offertes aux investisseurs permettant d'assurer le remboursement des obligations foncières.

Dès lors, fin 2011, lorsque le groupe Dexia a été confronté d'abord à un problème de liquidité, il lui est apparu prioritaire de céder sa filiale DexMA. Cependant, pour un repreneur, le rachat d'une structure de refinancement n'a de sens que s'il a des crédits (de surcroit accordés au secteur public local) à faire refinancer. En outre, dans le cas de DexMA, aucun repreneur ne voulait être exposé au risque des « emprunts toxiques » inscrits à son bilan.

En conséquence, pour les pouvoirs publics, le redressement de Dexia passait à la fois par la cession de DexMA et par la création d'un nouveau pôle bancaire au service des collectivités territoriales - ce qui était d'autant plus urgent que l'assèchement du marché devenait criant.

Pour assurer le financement du secteur public local, La Banque postale et la Caisse des dépôts ont alors proposé, en s'appuyant sur le réseau territorial de la première, de créer une nouvelle banque des territoires. Cette co-entreprise, détenue à 65 % par LBP et à 35 % par la Caisse des dépôts, dénommée « La Banque postale Collectivités territoriales » assure aujourd'hui la commercialisation des prêts au secteur public local .

Il aurait alors été logique, dans un schéma traditionnel liant la banque sponsor et la structure de refinancement, que La Banque postale, assurant la distribution des prêts, soit également le repreneur de DexMA. Dans sa réponse au questionnaire de votre rapporteur, LBP a expliqué que DexMA « a "hérité" de risques issus du passé sur la liquidité, les prêts sensibles et les faibles marges (notamment). Il n'était pas possible pour LBP d'assumer ces risques qui dépassent largement sa capacité d'absorption. À titre d'exemple, le besoin de liquidité [...] était de près de 13 milliards d'euros, soit plus de deux fois les fonds propres de LBP ».

S'agissant de DexMA, la solution initialement imaginée par les pouvoirs publics, fin 2011, n'a pas été retenue. Elle consistait à l'adosser à la Caisse des dépôts, qui lui aurait apporté la liquidité nécessaire. La Caisse des dépôts avait néanmoins obtenu plusieurs garanties financières pour ne pas être exposée au risque des emprunts toxiques.

Ce schéma a été profondément remanié lors des discussions avec la Commission européenne, qui n'a pas accepté les garanties financières prévues au bénéfice de la Caisse des dépôts.

In fine , il est apparu que seul l' É tat français pouvait porter le risque lié aux emprunts toxiques .

Il a donc été décidé que DexMA - renommée « Caisse française de financement local » (CAFFIL) - serait détenue et gérée, non plus par la Caisse des dépôts, mais par un nouvel établissement créé à cette fin : la Société de financement local (SFIL), elle-même détenue à 75 % par l'État, à 20 % par la Caisse des dépôts et à 5 % par La Banque postale.

En revanche, comme prévu initialement, la Caisse des dépôts apporte à la CAFFIL une ligne de liquidité de 12,5 milliards d'euros (aujourd'hui utilisée pour moins de 10 milliards d'euros).

Le schéma capitalistique de la SFIL est le suivant :

L'organisation du financement du secteur public local est donc la suivante :

- LBP commercialise les prêts au travers de son important réseau territorial ;

- la CAFFIL lève des fonds sur les marchés financiers par l'émission d'obligations foncières ; elle peut ainsi refinancer les prêts accordés par LBP qui lui sont cédés 8 ( * ) ;

- la Caisse des dépôts fournit environ 10 milliards d'euros de liquidité à la CAFFIL (au titre des garanties offertes aux investisseurs qui ont souscrit des obligations foncières) ;

- enfin, la SFIL exerce une double mission de prestataire de services :


• elle gère la CAFFIL , qui ne dispose pas de personnel en propre ;


• elle prend en charge une grande partie des opérations dites de « back-office » au titre des prêts commercialisés par LBP (analyse du risque, comptabilité, gestion actif-passif, mise à disposition d'outils informatiques, etc.), bien évidemment en lien avec cette dernière.

Il convient d'y ajouter une mission spécifique liée à la désensibilisation des prêts structurés à risque hérités du portefeuille de Dexia et aujourd'hui portés par la CAFFIL.

Schéma opérationnel du financement du secteur public local par la SFIL

Source : SFIL, rapport financier 2014

Cette configuration originale résulte à la fois des exigences de la Commission européenne et des intérêts des différents acteurs en présence.

La SFIL n'a cependant pas été créée ab initio , outre la CAFFIL, elle a repris le personnel, les outils et les moyens de Dexia Crédit Local nécessaires au bon accomplissement de ses missions . Votre rapporteur souligne que l'embauche par la SFIL d'une partie des personnels de Dexia Crédit Local a permis de limiter le « coût social » du naufrage de Dexia. En outre, environ quarante salariés de Dexia Crédit Local ont été embauchés par La Banque postale.

Mais la SFIL n'est pas « l'héritière » de Dexia Crédit Local. Bien au contraire, la Commission européenne a soumis la SFIL à un calendrier exigeant de « séparation opérationnelle » ou de « désimbrication » des deux entités, en particulier s'agissant des outils informatiques, ce qui est plus coûteux 9 ( * ) .

Il faut enfin relever que la Commission européenne n'a pas autorisé la SFIL à commercialiser par elle-même des prêts, sauf si un nouveau prêt est nécessaire dans le cadre de la renégociation d'un emprunt sensible déjà détenu par un de ses clients.


* 6 Les deux établissements étaient très imbriqués puisque, conformément à la loi, les sociétés de crédit foncier n'ont pas de personnel. Ce sont seulement des structures d'émission d'obligations foncières, qui sont gérées par leur banque « sponsor ».

* 7 En anglais « covered bonds ».

* 8 On dit que les prêts de LBP sont « chargés » dans la CAFFIL.

* 9 Paragraphe 103 de la décision de la Commission européenne : « Tous les liens existants entre Dexia et DexMA seront éliminés dans un délai maximum de 6 mois à compter de la date de closing de l'opération DexMA, excepté pour les systèmes informatiques dont la désimbrication des liens se fera dans un délai de 24 à 30 mois à partir de la même date ».

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