Rapport d'information n° 714 (2014-2015) de MM. Jean-Pierre RAFFARIN , Henri de RAINCOURT , Mme Hélène CONWAY-MOURET , MM. André TRILLARD et Bernard CAZEAU , fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, déposé le 30 septembre 2015
Disponible au format PDF (778 Koctets)
-
SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA COMMISSION
-
INTRODUCTION
-
I. UNE TRANSFORMATION HISTORIQUE
-
II. UN MODÈLE QUI N'EST PAS SOUTENABLE, POUR
LA CHINE ELLE-MÊME
-
III. LA RÉORIENTATION VERS UNE CROISSANCE
PLUS QUALITATIVE ET PLUS INCLUSIVE
-
IV. QUELLES CONSÉQUENCES, QUELLES
OPPORTUNITÉS POUR LA FRANCE ?
-
I. UNE TRANSFORMATION HISTORIQUE
-
CONCLUSION DE M. JEAN-PIERRE
RAFFARIN,
PRÉSIDENT DE LA COMMISSION
-
EXAMEN EN COMMISSION
-
ANNEXE I - AUDITIONS
-
A. AUDITION DU PROFESSEUR FRANÇOIS GODEMENT
LE 11 FÉVRIER 2015
-
B. AUDITION DE M. JEAN-LUC DOMENACH LE 17
FÉVRIER 2015
-
C. AUDITION DE M. ALAIN MÉRIEUX,
PRÉSIDENT DE LA FONDATION MÉRIEUX, ET DE M. EMMANUEL LENAIN,
DIRECTEUR D'ASIE ET D'OCÉANIE AU MINISTÈRE DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL LE
27 MAI 2015
-
A. AUDITION DU PROFESSEUR FRANÇOIS GODEMENT
LE 11 FÉVRIER 2015
-
ANNEXE II - LISTE DES PERSONNES
AUDITIONNÉES
PAR LE GROUPE DE TRAVAIL
-
ANNEXE III - PROGRAMME DU DÉPLACEMENT EN
CHINE DE LA DÉLÉGATION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES
ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES DU
SÉNAT, DU 15 AU 23 SEPTEMBRE 2015
N° 714
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2014-2015
Enregistré à la Présidence du Sénat le 30 septembre 2015 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur la « nouvelle croissance » chinoise ,
Par MM. Jean-Pierre RAFFARIN, Henri de RAINCOURT, Mme Hélène CONWAY-MOURET, MM. André TRILLARD et Bernard CAZEAU,
Sénateurs.
(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Pierre Raffarin , président ; MM. Christian Cambon, Daniel Reiner, Jacques Gautier, Mmes Josette Durrieu, Michelle Demessine, MM. Xavier Pintat, Gilbert Roger, Robert Hue, Mmes Leila Aïchi, Nathalie Goulet , vice-présidents ; M. André Trillard, Mmes Hélène Conway-Mouret, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Alain Néri , secrétaires ; MM. Michel Billout, Jean-Marie Bockel, Michel Boutant, Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Pierre Charon, Robert del Picchia, Jean-Paul Emorine, Philippe Esnol, Hubert Falco, Bernard Fournier, Jean-Paul Fournier, Jacques Gillot, Mme Éliane Giraud, MM. Gaëtan Gorce, Alain Gournac, Mme Sylvie Goy-Chavent, MM. Jean-Pierre Grand, Jean-Noël Guérini, Claude Haut, Mme Gisèle Jourda, M. Alain Joyandet, Mme Christiane Kammermann, M. Antoine Karam, Mme Bariza Khiari, MM. Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Jeanny Lorgeoux, Claude Malhuret, Jean-Pierre Masseret, Rachel Mazuir, Christian Namy, Claude Nougein, Philippe Paul, Mme Marie-Françoise Perol-Dumont, MM. Cédric Perrin, Jean-Vincent Placé, Yves Pozzo di Borgo, Henri de Raincourt, Alex Türk, Raymond Vall . |
SYNTHÈSE DES TRAVAUX DE LA COMMISSIONAprès trente ans de croissance annuelle supérieure à deux chiffres, la Chine est devenue en 2014 la deuxième économie mondiale en volume, voire la première en prenant en compte la parité de pouvoir d'achat. Depuis son entrée dans l'OMC, cette croissance a été exponentielle . Toutefois, le modèle de développement, qui a si bien réussi, n'est pas soutenable à long terme : consommation excessive des ressources naturelles, conséquences environnementales néfastes, inégalités sociales et territoriales aiguës, vieillissement de la population et diminution de la population active,... Les autorités chinoises ont décidé, dès le XII e plan, de réorienter le modèle pour mettre en place une croissance plus qualitative , plus inclusive, plus durable, en privilégiant les services et la consommation plutôt que l'industrie à faible valeur ajoutée et les investissements. Cette réorientation présente des risques en termes de stabilité et ne sera pas sans douleur pour la population. Durant cette transition, les entreprises sont restructurées, l'emploi est affecté, le pouvoir d'achat augmente moins rapidement que dans les dernières années. C'est dans ce contexte que les autorités ont lancé une vaste campagne de lutte contre la corruption, pour signifier à la population que les efforts sont partagés. Cette politique a toutefois tendance à ralentir, voire stopper, les processus de décision. De même, les partenaires de la Chine doivent s'adapter à cette nouvelle situation, la réorientation de la croissance ayant pour corollaire une « sinisation » de l'économie et une projection vers l'international . Les entreprises internationales constatent en effet un regain de protectionnisme, sous des formes variées. Des champions nationaux émergent, par exemple dans le secteur des nouvelles technologies et d'internet. Les autorités ont mis en avant une stratégie de « nouvelle route de la soie », ou « une ceinture, une route », qui révèle une stratégie d'investissement dans des infrastructures à l'extérieur du pays. La Chine a suscité la création de plusieurs organismes de financement à la fois nationaux, comme le fonds pour la route de la soie, et multilatéraux, comme la banque des BRICS ou l'agence asiatique d'investissement et d'infrastructure. Enfin, l'internationalisation de la monnaie nationale est un objectif clairement affiché.
La France doit s'appuyer sur son expertise et sa valeur ajoutée pour accompagner les entreprises susceptibles d'acquérir des parts de marché en Chine. Elle doit concentrer son action sur des secteurs clés, identifiés comme des besoins. De ses auditions et de son déplacement en Chine, le groupe de travail de la commission retient un grand optimisme et une réelle confiance dans l'avenir. La France doit aller chercher les opportunités que crée la réorientation de la croissance chinoise. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La bourse de Shanghai a constitué la une des journaux du monde entier au mois d'août 2015 ; un journal français titrait : « Les Bourses mondiales clôturent en forte baisse après un « lundi noir » à Shanghai ». Au-delà des analyses conjoncturelles, cet événement a confirmé l'extrême imbrication de la Chine dans l'économie mondiale.
Avec une richesse nationale de près de 11 000 milliards de dollars représentant les deux tiers de celle des États-Unis, la Chine est déjà devenue la deuxième puissance économique du monde et tous les analystes s'accordent à dire qu'elle en deviendra la première dans peu d'années.
Quelle est exactement la situation en Chine aujourd'hui ? Quelles sont les conséquences pour la France des évolutions que ce pays connait ? Quelles sont les opportunités pour les entreprises françaises ?
Telles sont les questions que la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a souhaité se poser, à côté de ses autres sujets principaux d'études qui étaient relatifs à la Russie, à l'Iran ou aux conséquences du changement climatique.
Pour y répondre, elle a constitué au début de l'année 2015 un groupe de travail présidé par M. Henri de Raincourt et Mme Hélène Conway-Mouret et composé de MM. André Trillard et Bernard Cazeau. Ce groupe de travail a mené des auditions durant le printemps et a effectué un déplacement en Chine en septembre, auquel participait également M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission. Ce déplacement a permis, à Pékin, Guilin et Shanghai, de rencontrer de nombreux acteurs économiques chinois et français, dont le ministre des finances, le gouverneur de la banque centrale, les conseillers du commerce extérieur ou des entrepreneurs installés en Chine, parfois de longue date.
Ce rapport analyse les ressorts et les faiblesses de la spectaculaire émergence économique de la Chine et présente les conclusions - optimistes - des quatre sénateurs du groupe de travail sur les opportunités offertes aux entreprises françaises par la nouvelle croissance chinoise.
Il est suivi d'une conclusion du président de la commission.
I. UNE TRANSFORMATION HISTORIQUE
A. LA POLITIQUE INITIÉE PAR DENG XIAOPING
A la mort de Mao Zedong, la Chine était « un pays isolé, pauvre, rural » 1 ( * ) . Après une période de nouvelles instabilités, Deng Xiaoping, qui avait connu la Longue marche mais aussi subi les persécutions durant la Révolution culturelle, a introduit des réformes profondes qui ont rendu possible une extraordinaire transformation.
Le parti et ses dirigeants mettent en oeuvre une politique pragmatique, symbolisée par la phrase de Deng Xiaoping : « il n'est pas important de savoir si le chat est blanc ou noir, du moment qu'il attrape la souris ».
Les nouveaux dirigeants avaient été envoyés dans les campagnes durant la Révolution culturelle et ont d'abord mis en oeuvre des réformes agraires, notamment par la « décollectivisation ». Ils se sont également inspirés de la situation des voisins de la Chine au dynamisme économique déjà remarquable.
Les paysans, qui produisaient plus et s'enrichissaient, ont été autorisés à développer en parallèle d'autres activités. Ces réformes, qui misaient sur les décisions individuelles et, finalement, « les forces du marché », ont été étendues aux zones urbaines à partir de 1984.
Des zones économiques spéciales ont été établies, en s'appuyant sur des avantages fiscaux et une réglementation et une bureaucratie moins strictes. Des joint-ventures avec des sociétés étrangères ont été autorisées pour attirer des investissements et des technologies. Les efforts fournis dès la création de la République populaire en matière d'éducation permettaient aux entreprises de trouver des employés instruits. Le mouvement a été amorcé et s'est développé grâce aux investissements provenant de Chinois de l'étranger.
A la fin des années 90, les industries d'Etat commencent à être privatisées. Au cours de ces mêmes années, le quasi-servage qui liait les paysans à leur village a été supprimé et l'absence de permis autorisant de résider de façon permanente dans les zones urbaines devenait moins handicapante, tout en étant maintenue.
B. UNE CROISSANCE MACROÉCONOMIQUE EN TOUT POINT EXCEPTIONNELLE SUR UNE SI LONGUE PÉRIODE
1. Des résultats spectaculaires
Selon la Banque mondiale, la Chine a connu depuis la fin des années 1970 une croissance plus rapide que tout autre pays au cours de l'histoire.
Evolution du produit intérieur brut
en
milliards de dollars (prix courants)
D'après les chiffres de la Banque mondiale
Les exportations chinoises de marchandises représentaient 1,2 % des exportations mondiales en 1983, 12,1 % en 2013, tandis que celles des Etats-Unis passaient de 11,2 % à 8,6 % et celles des pays européens de 43,5 % à 36,3 %. Le Japon, qui a représenté jusqu'à 9,9 % des exportations de marchandises dans le monde en 1993, n'en représente plus que 3,9 % en 2013.
En ce qui concerne les marchandises , la Chine constitue le premier exportateur mondial depuis plusieurs années, loin devant les Etats-Unis, l'Allemagne et le Japon 2 ( * ) . La Chine reste cependant en 2013 deuxième importateur mondial de marchandises derrière les Etats-Unis et devant l'Allemagne, le Japon et la France. On peut relever que, si l'on considère l'Union européenne comme une zone unique, c'est l'Union européenne qui est la première exportatrice de marchandises dans le monde, légèrement devant la Chine ; pour les importations de marchandises, l'Union européenne se situe au deuxième rang derrière les Etats-Unis et devant la Chine.
La Chine est le premier fournisseur en marchandises des Etats-Unis en y représentant à elle seule 20 % des importations en 2013. La Chine représente 7,7 % des exportations de marchandises américaines.
Pour autant, la situation est sensiblement différente pour l'échange de services commerciaux : la Chine est cinquième exportateur mondial avec 4,4 % en 2013, derrière les Etats-Unis (14,3 %), le Royaume-Uni (6,3 %), l'Allemagne (6,2 %) et la France (5,1 %). L'Inde est au sixième rang, avec 3,2 % des échanges mondiaux. Les importations chinoises de services commerciaux sont en forte progression et la Chine se situe en 2013 au deuxième rang mondial derrière les Etats-Unis mais devant l'Allemagne, la France et le Royaume-Uni. Là aussi, on peut relever que l'Union européenne, considérée en tant que zone unique, occupe une place particulière, puisqu'elle occupe, de manière nette, le premier rang tant pour les exportations que pour les importations.
Au total, la Chine est devenue la deuxième puissance économique mondiale en volume, voire depuis 2014 la première si l'on prend en compte les parités de pouvoir d'achat.
Evolution du produit intérieur brut
en
parité de pouvoir d'achat (dollars courants)
D'après les chiffres de la Banque mondiale
On note une nette accélération de la croissance depuis 2004-2005, c'est-à-dire depuis l'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce (OMC), dont elle devenue membre le 11 décembre 2001.
Au-delà des chiffres bruts, le « rattrapage » de la Chine est marquant si l'on rapproche sa richesse nationale à celle des États-Unis : le PIB chinois représentait 7 % de celui des États-Unis en 1990, 12 % en 2000 et aujourd'hui 60 %. Selon la Banque mondiale, ce chiffre s'élèvera à 70 % en 2019, soit un gain de dix points en cinq ans.
Rapport entre les PIB chinois et américain (en milliards de dollars, prix courants)
1990 |
1995 |
2000 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
7% |
10% |
12% |
17% |
20% |
24% |
31% |
35% |
40% |
47% |
52% |
56% |
59% |
2. Un bémol : la fiabilité relative des statistiques en Chine
Le développement chinois constitue une réalité indéniable mesurée par de nombreux indicateurs ou facteurs et constatée par l'ensemble des acteurs mondiaux.
Pour autant, un débat persiste sur la fiabilité des statistiques en Chine, les objectifs de croissance fixés a priori par les autorités politiques étant rarement démentis par les chiffres publiés a posteriori . Longtemps, les cadres locaux étaient évalués sur les résultats économiques de leur province et se voyaient fixer des objectifs chiffrés.
Cette polémique est particulièrement vive en 2015 au moment où, de l'avis général, l'économie chinoise croît moins vite. Le Bureau national des statistiques a révisé en septembre 2015 le chiffre de la croissance chinoise pour 2014 à 7,3 % et estimé qu'elle s'élevait à environ 7 % durant le premier semestre 2015. Plusieurs économistes estiment qu'elle serait plutôt proche d'une fourchette comprise entre 4 % et 5 %.
Lors de son déplacement en Chine, le groupe de travail de la commission a rencontré les conseillers français du commerce extérieur français qui ont pu présenter de nombreux secteurs d'activité. L'activité en Chine est en réalité contrastée : elle est déprimée dans certains secteurs traditionnels ou touchés par la politique de lutte contre la corruption ; elle reste dynamique dans plusieurs autres.
Selon nombre d'analystes, il est toujours difficile de mesurer précisément l'activité durant une période de transition, d'autant que le rééquilibrage vers le secteur des services demande de modifier le système de collecte statistique.
II. UN MODÈLE QUI N'EST PAS SOUTENABLE, POUR LA CHINE ELLE-MÊME
A. D'IMPORTANTES INÉGALITÉS SOCIALES ET TERRITORIALES
Si la richesse nationale de la Chine a crû de manière exceptionnelle en volume, la traduction dans les statistiques « par habitant » ne s'est pas encore réalisée. Ainsi, le PIB par habitant, qui reste très éloigné des standards des pays développés, a lentement progressé pour atteindre environ 7 572 dollars en 2014 contre presque 54 678 aux Etats-Unis ou presque 45 384 en France. Selon la Banque mondiale, le PIB par habitant de la Chine ne représentera encore que 16 % de celui des Etats-Unis en 2019.
Evolution du produit intérieur brut (en dollars par habitant)
D'après les chiffres de la Banque mondiale
Les statistiques sont difficiles à établir mais de nombreuses études, réalisées notamment par des universités chinoises, mettent en avant une grande inégalité dans la répartition des richesses. Un pour cent des ménages les plus riches en Chine contrôleraient plus d'un tiers des richesses du pays, tandis que 25 % des ménages les plus pauvres en détiendraient seulement 1 %. Le coefficient de Gini, statistique fréquemment utilisée pour mesurer l'inégalité des revenus dans un pays, varie selon les sources mais divers experts estimaient, il y a quelques années, qu'il avait atteint un niveau inquiétant. Un journal chinois, le Global Times, estimait en 2013 que la société chinoise était devenue la plus inégalitaire du monde. 200 millions de Chinois vivent encore avec moins de 2 dollars par jour, 60 millions avec moins d'un dollar par jour.
Les disparités de revenus et de développement sont également importantes entre les zones urbaines et les zones rurales et entre la région côtière et les provinces de l'intérieur du pays.
Le « hukou », qui a fortement contribué au succès du développement de la Chine, participe de ces inégalités. Système d'enregistrement et de contrôle de la population instauré à l'époque maoïste, il crée une division durable entre les personnes et entre les villes et les campagnes. Les travailleurs migrants ont assuré aux entreprises urbaines une main-d'oeuvre à bas coût, car ils disposent de moins de droits, en particulier en matière de logement ou de protection sociale.
B. DES CONSÉQUENCES ENVIRONNEMENTALES DRAMATIQUES
L' industrialisation de la Chine et son urbanisation rapide, à une époque encore peu propice aux questions écologiques et dans un contexte de fort retard de développement, ont entraîné une dégradation généralisée de l'environnement. Ces phénomènes s'ajoutent à une habitude ancienne de déforestation et à une utilisation intensive des terres arables , en trop petit nombre pour pouvoir espérer nourrir l'ensemble de la population chinoise.
La Chine, qui extrait environ la moitié de la production mondiale, est, par exemple, fortement dépendante du charbon comme source d'énergie. Les émissions de CO 2 , des différents gaz à effet de serre et des particules fines ont beaucoup progressé en Chine, en particulier en raison du formidable accroissement de la circulation automobile.
Le pays connait des niveaux particulièrement élevés de pollution , que ce soit dans l'air , l'eau ou les sols . À Pékin, les habitants ont oublié que le ciel était naturellement bleu..., sauf quand un sommet international ou une commémoration particulièrement importante, comme celle de la fin de la Seconde guerre mondiale, entraine, à la demande des autorités, la fermeture des usines et des restrictions de circulation automobile. L'agriculture utilise massivement des pesticides et d'autres produits chimiques.
Les indices de qualité de l'air ou de l'eau font l'objet d'échanges entre les autorités, qui tentent de minimiser les alertes tout en affichant une certaine conscience des niveaux atteints, et des associations ou ONG qui se sont développées malgré les difficultés.
À la suite de plusieurs catastrophes dont les autorités n'ont pas pu contrôler - au moins dans un premier temps - la médiatisation (eaux polluées par des produits chimiques déversés dans des rivières, porcs morts par centaines dans la rivière Huangpu,...), l'opinion publique se mobilise aujourd'hui sur les questions environnementales.
Il en est de même en ce qui concerne la sécurité sanitaire après plusieurs scandales retentissants (contamination aux métaux lourds, mélamine dans du lait en poudre pour nourrissons, produits carnés frauduleux,...).
Il est certain, même si là aussi il est difficile d'obtenir des statistiques fiables, que les effets sur la santé de la dégradation de l'environnement sont et seront importants, en particulier en termes de morts prématurées ou d'augmentation prévisible du nombre de cancers.
C. UNE DÉMOGRAPHIE DEVENUE DÉFAVORABLE
La politique de contrôle des naissances mise en place il y a plus de trente ans produit des effets importants sur la démographie chinoise et a, d'ores et déjà, des conséquences sur la population active.
La part des enfants (moins de 15 ans) dans la population est ainsi passée de 34 % en 1950 à moins de 20 % aujourd'hui et celle des personnes âgées a beaucoup progressé. Les personnes âgées de 60 ans et plus représenteront près du tiers de la population en 2050. Pour les échelles démographiques habituelles, le vieillissement de la population s'annonce extrêmement rapide.
Répartition de la population par groupe
d'âge
1950 |
2000 |
2050 |
|
Moins de 15 ans |
34 % |
20 % |
15 % |
15-59 ans |
59 % |
70 % |
54 % |
60 ans et plus |
8 % |
10 % |
31 % |
Source : audition de Mme Isabelle Attané, démographe
Alors que le nombre d'adultes par personne économiquement dépendante (enfants et personnes âgées) s'élevait à 1,4 en 1950, il atteint un chiffre exceptionnel dans le monde en 2010, à savoir 2,1. Mais ce chiffre, sur lequel s'est construit la réussite de la Chine car il représente la part de la main-d'oeuvre effective dans la population totale, commence déjà à diminuer et aura chuté en 2050 pour n'atteindre que 1,1.
Le « bonus démographie » remarquable qu'aura connu la Chine est nettement supérieur à ce qu'a connu le Japon dans les années 1960-1980 et il l'est aujourd'hui par rapport aux autres pays émergents comme le Brésil ou l'Inde : dans ces trois pays, le rapport de dépendance (nombre d'actifs âgés de 15 à 59 ans par personne économiquement dépendante) n'a jamais ou ne devrait pas dépasser 1,9.
La Chine détient aujourd'hui un avantage considérable qui va se réduire sensiblement dans les prochaines années : 70 % de la population est d'âge actif (15-59 ans), contre 65 % au Brésil, 62 % en Inde, 60 % en Europe de l'Ouest ou en Amérique du Nord et 54 % au Japon.
Enfin, le déficit de femmes constitue une autre fragilité pour la Chine, qui est l'un des rares pays au monde à compter une majorité d'hommes (104,9 hommes pour 100 femmes en 2010). Comme pour l'Inde, ce surcroît d'hommes résulte de deux facteurs : la pratique croissante d'avortements sélectifs et une surmortalité féminine anormale due à des négligences de traitement dans la petite enfance.
Au-delà des seuls aspects démographiques, il est certain que les évolutions de la population ont et auront des conséquences sociologiques importantes, en particulier en termes d'organisation familiale, voire de comportement social, dans une société encore patriarcale et empreinte de confucianisme.
Les autorités politiques, conscientes du risque que « le pays devienne vieux avant d'être riche », ont pris un certain nombre de décisions pour réformer la politique de contrôle des naissances ou pour promouvoir l'égalité des sexes. La profonde inertie des règles de la démographie ne permettent pas de penser que ces mesures auront des effets rapides sur la population chinoise, notamment sur la population active.
D. LE RISQUE DE « TRAPPE DES PAYS À REVENUS INTERMÉDIAIRES »
1. Une richesse nationale basée sur les investissements, trop peu sur la consommation
Reflet du modèle économique de la Chine, la richesse nationale est assise sur les investissements et sur l'épargne, non sur la consommation.
Certes, depuis 2008, le poids de la consommation des ménages dans le PIB s'est stabilisé, alors qu'il diminuait tendanciellement depuis le début des années 2000, mais il reste à un niveau particulièrement faible (36 % en 2013). Dans la plupart des pays développés, sauf situations spécifiques comme le Luxembourg, le taux de consommation se situe au-dessus de 50 % du PIB. Selon la Banque mondiale, seuls de rares pays dans le monde connaissent une part de la consommation des ménages dans le PIB plus faible que la Chine ; il s'agit principalement de pays aux revenus pétroliers importants (Algérie, Arabie saoudite ou Koweït).
Dans le même temps, le poids des investissements reste déterminant, en particulier à la suite du plan de relance massif décidé dans le cadre de la crise mondiale de 2008-2009.
En 2014 |
Part de la consommation des ménages dans le PIB |
Part des investissements
|
Part de l'épargne
|
Chine |
36 % |
48 % |
49 % |
France |
56 % |
22 % |
21 % |
Allemagne |
55 % |
18 % |
24 % |
États-Unis |
69 % |
20 % |
17 % |
Source : chiffres de la Banque mondiale.
Il existe donc un risque à moyen terme pour la Chine de tomber dans la « trappe des pays à revenus intermédiaires », qui caractérise la situation d'économies qui, après une phase de croissance rapide, ne parviennent pas pour autant à rejoindre le groupe des économies avancées. Ces pays ne disposent ni des avantages comparatifs des pays à très bas salaires, ni de ceux des pays technologiquement avancés.
La forte propension à épargner des ménages chinois (33 % du revenu disponible pour les ménages urbains et 26 % pour les ménages ruraux en 2013) peut s'expliquer en grande partie par la relative faiblesse des dépenses sociales publiques en Chine.
2. Une protection sociale encore nettement insuffisante
Le système de protection sociale, qui comprend l'assurance vieillesse, l'assurance chômage, l'assurance santé, l'assurance contre les accidents du travail et l'assurance maternité, s'est rapidement développé en Chine depuis le milieu des années 2000.
Les dépenses sociales publiques, qui comprennent l'ensemble des ressources allouées par les pouvoirs publics aux secteurs des retraites, des aides sociales et de la santé ont atteint 9 % du PIB en Chine en 2012 selon l'OCDE, contre 6 % en 2007. Leur poids reste toutefois très en-deçà de leur poids moyen parmi les pays de l'OCDE (22 % du PIB en 2013).
Les taux de couverture de la population contre les risques santé et vieillesse ont progressé à un rythme rapide. Au total, en 2012, 99 % de la population chinoise bénéficiait d'une assurance santé de base (16 % en 2004) et 58 % d'une assurance vieillesse de base (17 % en 2004).
Toutefois, le système de protection sociale présente encore de nombreuses insuffisances. Il est fragmenté en plusieurs régimes disparates et sur le plan géographique. De ce fait, les droits sont difficilement transférables en pratique, malgré les dispositions juridiques existantes. En outre, les niveaux des cotisations et des prestations sont très variables
Le niveau de protection reste au final insuffisant. Les dépenses de santé pèsent encore fortement sur les budgets des ménages chinois : 10 % des dépenses de consommation pour la population rurale en 2012 et 6 % pour les ménages urbains. Ces taux sont plus élevés que ceux des principaux pays développés (à l'exception des États-Unis où le ratio est à près de 21 %), mais aussi que ceux d'autres pays émergents (3,6 % en Russie, 4,1 % en Inde). Cela s'explique notamment par le coût élevé des soins médicaux en Chine.
La situation des retraités ruraux, qui dépendent beaucoup des aides reçues par la famille, est particulièrement difficile. Selon la Banque mondiale, les pensions de retraite représentent moins de 10 % des revenus des ruraux de plus de 60 ans.
La situation des migrants reste également précaire. Faute de posséder un « hukou » urbain, les 166 millions d'ouvriers paysans migrants sont largement exclus des systèmes de protection sociale de leur lieu de résidence et très peu sont couverts par leur employeur contre le risque maladie ou le risque vieillesse.
Alors même qu'il reste insuffisant, le système de protection sociale doit être réformé pour assurer sa viabilité, en particulier en ce qui concerne l'âge de départ en retraite, aujourd'hui fixé en règle générale à 55 ans pour les femmes, voire 50 ans pour certaines catégories, et 60 ans pour les hommes. L'âge moyen de départ en retraite, 51,2 ans, est très précoce (dix ans de moins que la moyenne mondiale). Les autorités ont à plusieurs reprises indiqué qu'elles réfléchissaient à un allongement de l'âge légal de départ à la retraite en Chine.
Le système de protection sociale chinois, en cours de construction, est d'ores et déjà confronté au défi du vieillissement de la population. Tout en envisageant de repousser l'âge de départ à la retraite, les autorités ont décidé de mettre à contribution les entreprises d'État qui devront participer davantage à son financement.
III. LA RÉORIENTATION VERS UNE CROISSANCE PLUS QUALITATIVE ET PLUS INCLUSIVE
A. UN CHOIX ASSUMÉ
1. « China 2030 » : un rapport fondateur
En 2010, la Banque mondiale et le Development Research Center du Conseil d'Etat chinois, think tank économique directement rattaché à l'un des plus importants organes du pouvoir chinois, ont lancé des travaux pour évaluer le développement de la Chine et tracer des perspectives d'évolution sur le long terme. Ces travaux ont abouti à la publication, début 2013, d'un rapport qui a fait date : « Chine 2030 : construire une société moderne, harmonieuse et créative ».
Ce rapport est particulièrement intéressant, notamment du fait qu'un organe chinois de haut niveau en est corédacteur et cosignataire. Il rappelle que, du XVIème au début du XIXème siècle, la Chine était la plus grande économie du monde. En 1820, elle représentait un tiers de la richesse mondiale. Elle a connu un « déclin catastrophique » entre 1820 et 1950, puis « une ascension météorique » depuis 1978. La Chine devrait ainsi intégrer la catégorie des pays à hauts revenus, telle que définie par les organisations internationales, un peu avant 2030.
Dans ce contexte, le rapport pose deux questions. Est-ce que le taux de croissance de la Chine peut rester l'un des plus hauts du monde même s'il diminue ? Est-ce que le pays peut maintenir une croissance rapide entraînant peu de perturbations sur le monde, l'environnement et les structures de la société ? Les auteurs du rapport répondent « oui » à ces questions, « mais seulement si la Chine assure une transition entre les politiques qui l'ont si bien servie dans le passé vers d'autres qui abordent les défis si différents d'un futur lui-même si différent ».
Le second chapitre du rapport décrit une « nouvelle stratégie » pour réaliser la vision de la Chine en 2030, en se focalisant sur les choix-clés susceptibles de maintenir un développement économique et social rapide. Six « piliers » sont alors définis : consolider les fondations du marché ; mettre en valeur l'innovation ; promouvoir un développement vert ; assurer l'égalité et la protection sociale pour tous ; renforcer les finances publiques ; atteindre des relations mutuellement bénéfiques entre la Chine et le reste du monde.
Au-delà de son contenu, ce rapport révèle la manière de fonctionner du régime chinois, où la préoccupation stratégique du temps long est toujours présente et où les décisions sont d'abord préparées et muries à l'intérieur du système sans publicité.
2. Le 12e plan et l'arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants
Le 12 e plan quinquennal, approuvé en mars 2011 pour la période 2011-2015, confirme le souhait des autorités chinoises d'un rééquilibrage de la croissance par une hausse de la consommation intérieure permettant l'édification d'une société dite de « moyenne aisance ». Cette hausse de la consommation doit notamment être tirée par une hausse du pouvoir d'achat, avec une augmentation du revenu net, tant rural qu'urbain, de 7 % en moyenne annuelle, et une maîtrise de l'inflation, une réforme de la fiscalité ou encore la création de 45 millions d'emplois urbains.
La Chine est également confrontée à une moindre compétitivité du facteur travail , puisque les salaires ont fortement progressé durant les dix dernières années. Par exemple, ils ont augmenté d'environ 15 % par an dans la région de Shanghai, alors que l'inflation restait limitée autour de 4 % - 5 %. Pour autant, cette progression des salaires et des coûts pour les entreprises a été inégale selon les régions. De fait, la Chine est elle-même confrontée à des délocalisations , soit des régions côtières vers l'intérieur du pays, soit vers des pays à moindre coût salarial comme le Viêt-Nam, l'Indonésie, la Malaisie ou les Philippines.
Par ailleurs, le 12 e plan prévoit un développement des services visant à augmenter de 4 points leur part dans le PIB et intègre de manière sensible l'ensemble des thématiques environnementales (efficacité énergétique, émissions de gaz à effet de serre, développement des industries vertes,...).
À la fin de l'année 2012, une nouvelle équipe dirigeante arrive au pouvoir en Chine, le congrès du Parti communiste chinois élisant le comité central qui lui-même désigne le bureau politique (25 membres) dont émane le comité permanent du bureau politique. Xi Jinping devient secrétaire général et président de la commission militaire centrale du parti communiste, ainsi que Président de la République ; Li Keqiang devient Premier ministre.
En mai 2014, le Président Xi Jinping énonce le concept de « nouvelle normalité », pour qualifier l'évolution de la croissance chinoise, moins forte mais plus orientée vers la consommation intérieure et les services.
Les objectifs de croissance sont ainsi sensiblement inférieurs de ceux des années précédentes, autour de 7 % par an. Le prochain plan quinquennal qui sera annoncé à la fin de l'année 2015 pour la période 2016-2020 constituera un élément déterminant pour évaluer la stratégie des autorités pour les prochaines années, mais peu d'analystes attendent des évolutions importantes, tout du moins avant le renouvellement des instances dirigeantes en 2017.
B. UNE MISE EN oeUVRE VOLONTARISTE
1. Des réformes internes
Prenant acte de la diminution de la croissance potentielle, du vieillissement de la population, de la réduction de l'excédent de main-d'oeuvre agricole ou encore de la fin du modèle de production à faible coût sur lequel reposait l'avantage comparatif de la Chine et de la nécessité de la montée en gamme de l'économie, la « nouvelle normalité » entérine la transition de l'économie chinoise.
Les pouvoirs publics mettent ainsi l'accent sur le développement de l'innovation, de la recherche et des nouvelles technologies, sur une amélioration du fonctionnement du marché et de l'allocation des ressources et sur la promotion d'un mode de développement réduisant la pression sur les ressources environnementales
Ils entendent réduire les risques liés à un niveau d' endettement élevé, notamment des autorités locales qui se sont longtemps vu fixer des objectifs quantitatifs de croissance et qui ont souvent contourné l'interdiction qui leur était fait de s'endetter. Le développement du « shadow banking » et de véhicules spéciaux de financement par les entreprises et les autorités locales présente en effet des risques importants de solvabilité. La Chine connait en outre des bulles spéculatives, notamment boursières et immobilières.
19 des 29 principaux secteurs industriels chinois sont en situation de surcapacité . Dans l'industrie lourde notamment, les entreprises ont accumulé depuis plus de dix ans un niveau excessif de moyens de production par rapport à la demande, phénomène qui s'amplifie en raison de la crise mondiale. Dans l'acier, l'aluminium, le ciment, le verre ou la construction navale, le taux d'utilisation des capacités est compris entre 70 % et 75 %.
Le relèvement de certaines normes, notamment environnementales, permet d'ailleurs aux autorités de procéder à la restructuration de ces secteurs en surcapacité, en fermant des usines anciennes et déficitaires.
Différents axes de réformes ont ainsi été annoncés et mis en oeuvre : simplification des procédures administratives, ouverture des différents secteurs de l'économie aux capitaux privés, libéralisation des prix, efficacité et compétitivité des entreprises d'Etat, ouverture de secteur des services aux mécanismes du marché, création de nouvelles zones de libre-échange, amélioration de la qualité et de l'efficacité des investissements à l'étranger.
L'ensemble de ces réformes s'appuient sur des moyens d'actions des pouvoirs publics qui restent considérables . Les réserves de change sont proches de 4 000 milliards de dollars et continuent d'être alimentées par des excédents commerciaux toujours très importants malgré la moindre croissance. Plusieurs fonds souverains, comme le China Investment corporation ou le State administration of foreign exchange , disposent de capitaux considérables, supérieurs à 1 000 milliards de dollars. L'économie dépend encore largement d'entreprises publiques supervisées par la State-owned assets supervision and administration commission (SASAC). L'endettement global du pays atteint un niveau relativement élevé, mais le pouvoir central est peu endetté et les détenteurs de la dette sont principalement nationaux.
2. Une mutation du modèle qui se vérifie dans les chiffres du commerce mondial
De fait, le commerce extérieur chinois connait des mutations sensibles . Une étude du CEPII, publiée en mars 2015, révèle que, si la progression des échanges extérieurs chinois continue d'être plus rapide que celle du commerce mondial, la croissance a cessé d'être tirée par la demande extérieure et son orientation à l'exportation a fortement décliné. Ainsi, « le modèle « atelier du monde » parait désormais battu en brèche ».
L'indice de valeur des exportations de la Chine a connu une croissance très soutenue : elle atteint 887 en 2013 pour une base 100 en 2000. Ce mouvement est naturellement beaucoup plus marqué que dans les pays développés de plus longue date : les Etats-Unis, atteignent 202 à la même date, l'Allemagne 264 et la France 177. Il est plus accentué dans d'autres « BRIC » (le Brésil n'atteint que 439), mais il est proche de celui atteint par d'autres pays très dynamiques, comme le Viêt-Nam (915).
Ainsi, selon l'étude du CEPII, la Chine constitue de moins en moins, pour les entreprises étrangères, une plateforme d'assemblage et d'exportation et, de plus en plus, un marché intérieur à capter.
3. La « projection » des entreprises chinoises et de l'économie à l'international
En même temps qu'elle réorganise son économie à l'intérieur, la Chine cherche des relais de croissance à l'international.
Ainsi, en septembre 2013, le Président Xi Jinping a évoqué l'initiative de la « nouvelle route de la soie », qui s'apparente plus à un concept et à une stratégie qu'à une politique prédéfinie. Souvent appelée « One belt ; one road » (une ceinture ; une route), elle regroupe une route dite terrestre et une route dite maritime qui ont pour objectif de renforcer les connections du pays avec ses partenaires commerciaux, en Asie, en Afrique et jusqu'en Europe, en suscitant le développement d'un réseau d'infrastructures dans les domaines du transport, de l'énergie ou des communications.
Cette initiative s'appuie notamment sur la création d'un fonds de la route de la soie doté de 40 milliards de dollars chargé d'investir principalement dans les infrastructures, le développement des ressources, ainsi que dans la coopération industrielle et financière.
La Chine a également suscité, sur le plan multilatéral, la création d'autres organismes de financement d'infrastructures ou de développement.
Lors du Sommet qui s'est tenu à Oufa en Russie en juillet 2015, les « BRICS » (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) se sont ainsi mis d'accord pour ouvrir une banque de développement , la New development bank , chargée d'investir, dans un premier temps, dans ces pays pour des projets structurants. Dotée de 50 milliards de dollars de capital aujourd'hui, cette banque pourra également jouer un rôle en matière de stabilité monétaire pour ses pays membres. Le groupe de travail a rencontré, à Shanghai, le vice-président chinois de cette nouvelle institution en cours de constitution.
Évoquée pour la première fois par le Président Xi Jinping lors d'un déplacement en Indonésie en octobre 2013, la Banque asiatique d'infrastructure et d'investissement (AIIB selon son acronyme anglais) a vu le jour au printemps 2015, ce qui révèle la capacité de la Chine à aller très vite lorsqu'elle a pris une décision. Dotée d'un capital de 100 milliards de dollars et de 57 pays fondateurs , son rôle est de financer des projets de développement en Asie. La France est membre fondateur de l'AIIB depuis la signature des statuts de la banque le 29 juin. Cette banque, dont ne sont pas membres les États-Unis et la Japon, a des missions proches de celles de la Banque asiatique de développement (BAD), au sein de laquelle le Japon dispose d'un rôle prédominant.
La création de ces outils spécifiques, substantiellement dotés en capital, permet à la Chine de contourner les organismes de Bretton Woods (Banque mondiale et FMI), dans lesquels son poids est faible, en particulier en raison du blocage de la réforme des droits de vote par le Congrès américain. Ces organismes permettront à la Chine de développer son influence et d'orienter les décisions d'investissement et d'infrastructures dans les pays en développement ou émergents, même si elle est toujours très attentive à partager le pouvoir et à ne pas paraitre seule décisionnaire.
Plus largement, les autorités incitent les entreprises chinoises à investir à l'international, comme l'a clairement indiqué au groupe de travail le ministre des finances, M. Lou Jiwei, rencontré à Pékin lors du déplacement.
Cette « projection », pour reprendre une expression entendue par les membres du groupe de travail lors d'un entretien en Chine, s'appuie également sur la négociation et la conclusion d' accords commerciaux . La Chine a ainsi conclu des accords de libre-échange avec la Corée, le Chili et l'Australie. Dans le même temps, plusieurs pays riverains du Pacifique négocient un accord plus global dit « transpacifique », qui exclut la Chine ; un accord semble avoir été trouvé fin septembre 2015 en vue de cet accord.
4. L'internationalisation du Yuan
Les autorités chinoises ont clairement fixé un objectif d'internationalisation de leur monnaie, le Yuan ou Renminbi selon la terminologie officielle, même si peu d'informations circulent quant à la vitesse de réalisation et au point d'arrivée de la convertibilité. Il s'agit de rendre le Yuan utilisable à l'extérieur du pays pour réaliser des transactions financières et commerciales, en particulier pour les non-résidents en Chine mais aussi pour les entreprises chinoises.
Cette politique répond naturellement à un intérêt économique mais aussi politique en termes d'influence du pays sur la scène internationale.
Diverses mesures ont été adoptées ces dernières années : libéralisation progressive des taux d'intérêts, ouverture du compte de capital pour les entreprises, développement des marchés financiers domestiques, signature de contrats pour créer des chambres de compensation dans un certain nombre de pays,...
Alors que le débat sur le niveau du Yuan a longtemps été intense, notamment aux États-Unis, le FMI a annoncé au printemps 2015 qu'il estimait que la monnaie chinoise n'était plus sous-évaluée. À cette occasion, le FMI indiquait que cette sous-évaluation a été dans le passé un facteur majeur d'importants déséquilibres. Il appelait tout de même à la nécessité de continuer d'ajuster « le taux de change à l'évolution des fondamentaux ».
En août 2015, la Banque centrale de Chine, dont le groupe de travail a rencontré le Gouverneur lors de son déplacement à Pékin, a modifié les modalités de calcul de la parité centrale du yuan par rapport au dollar américain. Les autorités chinoises remplissaient ainsi deux objectifs : volonté de poursuivre la politique de flexibilisation du taux de change ; dépréciation du yuan, dans un contexte de ralentissement marqué des exportations et de persistance des pressions déflationnistes.
Conformément aux axes de réforme de la « nouvelle croissance » et de la « nouvelle normalité », la Banque central a notamment justifié sa décision par le souci de promouvoir un système de fixation des prix davantage guidé par le marché.
La décision de la Banque centrale s'inscrit ainsi dans la continuité des politiques de réforme, mais elle intervient aussi à un moment opportun (alertes sur la croissance chinoise et ralentissement de la production industrielle), tout en s'inscrivant dans la volonté de mieux intégrer les instances internationales. En effet, alors même que la Chine crée des organismes multilatéraux qui peuvent apparaitre comme concurrents de la Banque mondiale ou du FMI, elle cherche aussi à mieux intégrer ces organismes. Elle vise notamment à ce que le Yuan entre dans le panier de monnaies qui sert de base de calcul aux Droits de tirage spéciaux du FMI.
C. DES RISQUES DE TENSION : LE LIEN ENTRE L'ÉCONOMIQUE ET LE POLITIQUE
1. Une transition présente toujours des risques
Les phases de transition présentent toujours des risques d'instabilité, des tensions, des incertitudes. Il ne peut en être autrement en Chine aujourd'hui, d'autant que la plupart des Chinois vivant en 2015 ont toujours connu une croissance économique à deux chiffres et un accroissement de pouvoir d'achat substantiel.
En outre, les évolutions démographiques, en particulier la réduction du nombre d'enfants dans les familles, ne peuvent qu'entraîner des modifications sociologiques et dans les modes de vie.
Sur le plan social , les restructurations en cours, avec la réduction des surcapacités et le développement de secteurs économiques faisant appel à une main-d'oeuvre plus qualifiée, ont des effets en termes d'emploi. La réforme annoncée du « hukou » sera donc certainement menée avec précaution.
Parallèlement, on constate que les jeunes Chinois diplômés ont les plus grandes difficultés à trouver un emploi à la hauteur de leurs qualifications, ce qui crée également des tensions dans la société.
Sur le plan financier , la volonté de développer les marchés boursiers domestiques peut se révéler source de tensions si les Chinois qui y investissent ne sont pas accompagnés et encadrés. Les bourses se sont beaucoup développées mais souffrent d'une volatilité importante, d'autant que leur lien avec l'économie réelle est sensiblement plus faible qu'en Occident. Les média européens et américains ont beaucoup parlé, cet été, de la chute spectaculaire de la bourse de Shanghai, qui a perdu environ 40 % de sa valeur, alors même qu'elle avait gagné 150 % dans l'année précédente... Pour autant, des particuliers qui ont investi trop tard, en haut de cycle, ou sur des actions qui ont particulièrement baissé ont perdu de l'argent, alors même que les autorités avaient lancé des grandes campagnes pour inciter les Chinois à investir en bourse.
Le formidable développement des nouvelles technologies constitue également un enjeu sensible pour les autorités. Celles-ci ont réussi, en protégeant leur marché intérieur des compagnies étrangères, notamment américaines, à construire des champions nationaux de l'internet qui peuvent prendre appui sur les 600 millions d'internautes chinois. Selon l'étude d'un cabinet de conseil international, le poids du numérique dépasse 9 % du PIB en Chine contre 5 % en France ou en Allemagne.
Trois entreprises de taille mondiale se partagent principalement le marché : Alibaba, Baidu et Tencent. L'introduction d'Alibaba à la bourse de New-York, en septembre 2014, fut la plus importante introduction au monde et sa valorisation était alors estimée à près de 170 milliards de dollars.
Pour autant, de nouveaux acteurs apparaissent en permanence ; c'est le cas de Xiaomi pour les appareils de téléphone ou de l'application WeChat, très populaire et qui permet à la fois de poster des messages à un groupe d'amis, de « chatter » en ligne mais aussi d'effectuer des paiements, donc du commerce en ligne.
Ce dynamisme exceptionnel de l'internet et des réseaux sociaux coexiste avec une censure et un contrôle par les autorités, qui interviennent lorsqu'un sujet « sensible » devient trop présent dans l'activité d'internet. Cet équilibre entre dynamisme et contrôle de l'internet symbolise assez bien la situation en Chine.
2. L'émergence d'une opinion publique, sensible notamment aux questions environnementales
Il faut noter que l'opinion publique est dorénavant très active et sensible sur certains sujets, en particulier sociaux ou environnementaux. Ainsi, de nombreuses catastrophes sanitaires ont eu un écho retentissant malgré le contrôle exercé par les autorités : pollutions, contaminations, produits de consommation courante défectueux ou frauduleux,...
Dans le contexte de transition et de développement des nouvelles technologies, les autorités chinoises, en particulier depuis le renouvellement des dirigeants à la fin de 2012, ont déployé des discours d'accompagnement du changement. Le Président Xi Jinping évoque régulièrement le « rêve chinois » ; l'initiative de la nouvelle route de la soie entre aussi certainement dans cette logique. Il s'agit en particulier de replacer la Chine dans son histoire et de rappeler qu'elle a connu une parenthèse néfaste de deux siècles et qu'elle est de retour...
Les autorités peuvent s'appuyer sur un parti communiste, qui regroupe entre 80 et 90 millions d'adhérents et qui recrute encore largement pour se renouveler en permanence. Selon de nombreux témoignages, le parti est vécu comme un élément de la carrière d'un individu.
En outre, le Président Xi Jinping a lancé une grande campagne de lutte contre la corruption . Certains estiment que cette politique a permis aux nouveaux dirigeants d'écarter des opposants internes, mais il est certain qu'elle va bien au-delà. Face aux excès de la période précédente, où de très nombreux cadres ont pu s'enrichir à des degrés variés, cette campagne permet de donner des gages à la population en mettant en avant la « frugalité » des dirigeants.
Beaucoup estiment que cette politique devrait durer, au moins jusqu'au renouvellement des instances dirigeantes du parti en 2017, mais elle a également pour conséquence indirecte de ralentir les processus de décision, ce qui n'est pas positif dans un contexte de transition. D'ailleurs, le Premier ministre Li Keqiang a enjoint les cadres et responsables administratifs et économiques à ne pas retarder des prises de décision pour cette raison.
La Chine réussit à allier, depuis plus de trente ans, libéralisme économique et dirigisme politique, ce qui constituerait en Occident une dichotomie rédhibitoire. Il est certain que la transition en cours, marquée par une moindre croissance, ne peut qu'aviver les tensions. Toutefois, avant même une contestation de nature politique, il semble que le régime chinois ait plus à craindre, sans doute, en l'état actuel de l'opinion publique chinoise, une contestation liée aux conditions de travail ou de vie, en particulier en lien avec des questions environnementales ou de corruption, comme l'a montré l'explosion de Tianjin en juillet 2015.
En outre, réorienter une économie qui a pris une telle ampleur, un tel volume, alors même qu'elle fournit encore des résultats probants, prend nécessairement du temps. Il est vrai que la Chine sait particulièrement bien gérer ce facteur, elle dont « la civilisation fut autrefois la civilisation la plus avancée du monde, l'égale de celle de la Rome antique et bien plus grande que la civilisation de l'Europe médiévale » 3 ( * ) .
IV. QUELLES CONSÉQUENCES, QUELLES OPPORTUNITÉS POUR LA FRANCE ?
Alors que l'économie, et en particulier l'industrie française, ont particulièrement souffert, comme beaucoup d'économies occidentales, du modèle chinois fondé sur des exportations massives à bas coût, la réorientation vers une croissance plus qualitative et tournée vers la consommation et les services peut offrir des opportunités indéniables. Certes, cette transition entraîne aussi une croissance moins forte qu'auparavant pour la Chine, mais les « volumes » sont conséquents.
De par sa taille démographique et économique, la Chine se situe naturellement « hors catégorie » et ne peut donc de fait être considérée comme un concurrent au sens traditionnel du terme.
La France doit dépasser la notion de concurrence pour entrer dans une logique partenariale, exigeante mais forte.
A. DONNER LA PRIORITÉ AUX SECTEURS D'ACTIVITÉ « GAGNANT-GAGNANT » : VALEUR AJOUTÉE DE LA FRANCE ; BESOINS DE LA CHINE
En 2014, la part de marché française en Chine atteint 1,4 %, devant l'Italie et le Royaume-Uni mais derrière l'Allemagne (5,3 %). Les exportations se sont élevées à 16,2 milliards d'euros en 2014 et les importations à 42,5 milliards, soit un déficit commercial de 26,3 milliards d'euros pour la France.
Depuis plusieurs années, la France a réorganisé sa politique de soutien à l'export, en particulier par la réorganisation des acteurs administratifs et par le redéploiement du réseau diplomatique vers les pays émergents dont la Chine. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a organisé un colloque relatif à la diplomatie économique le 9 juillet 2015 4 ( * ) .
La Chine fait partie des pays concernés par les quatre « familles prioritaires » définies depuis 2012 pour mettre l'accent sur des secteurs économiques spécifiques :
- mieux se nourrir. La demande chinoise en produits agroalimentaires évolue : le développement économique entraîne un changement de régime alimentaire et la sécurité alimentaire devient une préoccupation essentielle de la population ;
- mieux se soigner. Dans le domaine de la santé , les besoins sont très importants, tant en termes d'organisation du système, par exemple dans la gestion et le fonctionnement des hôpitaux, que de produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux,...).
Les dépenses de santé sont passées de 156 milliards de dollars en 2006 à presque 700 milliards cette année, avec une population désormais couverte quasiment à 100 % par une assurance santé. Plusieurs segments sont fermés aux entreprises étrangères, comme les vaccins, mais certaines entreprises françaises, comme BioMérieux dont le groupe de travail a visité un centre de recherche et de production à Shanghai, sont très bien installées et sont particulièrement dynamiques ;
- mieux vivre en ville. La France dispose d'une offre d'excellence dans les domaines de la ville durable (eau-assainissement, déchets, construction, transports et énergie).
Or si la Chine est confrontée dans certaines zones à une bulle immobilière, elle a planifié la poursuite de l'urbanisation. Celle-ci atteint environ 50 %, chiffre qui peut différer sensiblement selon que l'on comptabilise les migrants ruraux ne disposant pas de « hukou » urbain, et elle devrait atteindre 60 % dans les cinq ou dix prochaines années. Cet objectif crée des besoins immenses en matière d'aménagement urbain, principalement dans les « petites » villes de quelques millions d'habitants... mais aussi dans les métropoles existantes pour améliorer la gestion des services publics locaux ;
- mieux communiquer. Dans l'industrie des nouvelles technologies et de la communication, la Chine connait un réel dynamisme, mais la France peut apporter, dans certains créneaux, de réels atouts, notamment en matière de sécurité numérique (cybersécurité, communications, identité) ou de la lutte contre la grande criminalité (sécurisation des billets de banque et des titres d'identité, technologies anti-contrefaçon,...). En outre, le groupe de travail a pu mesurer, en visitant les locaux de l'agence Fred et Farid à Shanghai, que des Français pouvaient réussir à développer une activité particulièrement dynamique, en l'espèce dans le secteur de la communication digitale .
Ainsi, le secteur de l'agroalimentaire, y compris l'importante question pour les Chinois de la sécurité alimentaire, le secteur de la santé, du médico-social et de la protection sociale en général ou encore le secteur de la gestion des services publics locaux ou de l'aménagement urbain durable constituent des opportunités où la France dispose d'expertise et d'entreprises dynamiques.
On peut aussi mentionner le développement, là aussi exponentiel, du tourisme : 100 millions de Chinois ont voyagé à l'étranger en 2014 et y ont dépensé 165 milliards de dollars.
B. UN PARTENARIAT BILATÉRAL GLOBAL, QUI PASSE PAR UNE MULTITUDE D'OUTILS
1. Une politique de délivrance de visas facilitée
Depuis janvier 2014, la France a mis en place une politique facilitée de délivrance des visas qui donne des résultats marquants. En 2014, le tourisme venu d'Asie a progressé de 16 % grâce à la procédure de délivrance de visas en 48 heures mise en place pour les touristes chinois. Le nombre de visas délivré aux Chinois a ainsi augmenté de 61 % en 2014 et l'activité se poursuit à un rythme très élevé en 2015 (+49 % de visas délivrés sur les sept premiers mois de l'année) par rapport à la même période de référence en 2014, ce qui représente 166 000 visas supplémentaires.
Le nombre de touristes chinois s'est élevé à 1,4 million en 2012, 1,7 million en 2013 et 2 millions en 2014. Le Gouvernement s'est fixé un objectif d'atteindre 5 millions d'ici 2020.
2. Des échanges d'expertise : l'exemple des actions de l'AFD
Présente en Chine depuis 2004, l'Agence française de développement (AFD) intervient en matière de développement durable et de lutte contre le changement climatique. Ses activités s'inscrivent dans le cadre des différents accords intergouvernementaux signés entre la France et la Chine en matière de lutte contre le réchauffement climatique (2007 et 2010), de développement urbain durable (2010 et 2013) et de protection de l'environnement (2013). L'action de l'AFD en Chine répond aux objectifs suivants :
- accompagner la transition du pays vers une économie sobre en carbone et respectueuse de l'environnement ;
- nourrir des partenariats en matière de promotion du développement durable, en soutenant des opérations pilotes, porteuses de changement, qui participent à l'amélioration des pratiques locales et à l'introduction de nouvelles technologies ;
- dialoguer avec la Chine « bailleur émergent » en matière de coopération internationale sur la méthodologie d'évaluation ex-post des projets de développement.
L'AFD a développé un portefeuille de 24 projets (dont 12 achevés) pour un montant brut d'engagements cumulés d'un peu moins de 1,2 milliards d'euros , dans les secteurs suivants : efficacité énergétique et énergies renouvelables ; développement urbain durable (eau et assainissement, chauffage urbain, etc.) ; protection de la biodiversité et des ressources naturelles (restauration de zones humides, forêt).
Depuis juin 2011, l'AFD intervient en Chine sous forme de prêts souverains aux conditions de marché sans mobilisation de coût-Etat . Par ailleurs, l'Agence recherche aujourd'hui à diversifier son offre financière en étudiant la faisabilité de financements non souverains (sans garantie de l'Etat chinois).
En dehors de ses activités de prêt, et dans une logique de soutien à l'expertise française en matière de développement urbain durable notamment, l'AFD assure le pilotage d'un fonds d'expertise et d'échanges techniques sur le sujet de la « Ville durable », focalisé principalement sur l'accompagnement de projets d'éco-quartiers franco-chinois à Wuhan dans un premier temps, puis Shenyang et Chengdu ultérieurement. En particulier, l'AFD finance la réalisation d'une étude pour la planification générale du futur éco-quartier franco-chinois au sein du district de Caidian à Wuhan 5 ( * ) .
D'autres projets sont en cours de finalisation par l'agence et ses partenaires, notamment un premier projet de production d'eau potable à Guilin qui représente un prêt de 25 millions d'euros. Deux voire trois autres projets sont programmés pour approbation d'ici la fin de l'année, parmi lesquels deux contribuent activement à la lutte contre les dérèglements climatiques : efficacité énergétique dans les services d'éclairage urbain, trigénération (production de chaleur, électricité et de froid) et protection de la biodiversité. Deux premiers financements non souverains ont par ailleurs été pré-identifiés à Shanghai dans le secteur de l'eau et de l'assainissement.
Enfin, à la veille de la COP 21, l'AFD participent à différentes activités de communication (exposition itinérante « 60 solutions contre le changement climatique », réalisation d'un film sur l'efficacité énergétique dans le chauffage urbain) et des séminaires techniques d'échange d'expériences, par exemple sur le thème de l'efficacité énergétique dans les réseaux de chauffage urbain et sur la ville durable.
Au total, les activités de l'AFD en Chine visent à offrir une plus grande visibilité à l'expertise et à l'offre française auprès des opérateurs et décideurs chinois, en ciblant plus particulièrement les domaines d'excellence en matière d'innovation, au travers de la démarche suivante :
- présence sur des secteurs ou niches dans lesquelles les entreprises françaises ont un avantage comparatif et qui présentent de fortes opportunités ;
- logique partenariale facilitant l'introduction des acteurs français auprès des décideurs et prescripteurs locaux ;
- renforcement de la visibilité de l'offre française par l'organisation d'évènements ou de rencontres régulières permettant de mettre en valeur les projets réalisés et de favoriser les échanges entre autorités chinoises et entreprises françaises ;
- dialogue et vigilance sur les procédures d'attribution de marchés pour assurer l'expression de l'offre française.
Cette approche s'est progressivement renforcée ces trois dernières années et s'est traduite par des premiers résultats, en particulier dans les secteurs de la ville durable et de l'aménagement des territoires en zones sensibles sur le plan environnemental. Certains de ces projets ont notamment constitué des références pour les entreprises françaises dans des secteurs sur lesquels elles n'étaient pas encore ou peu présentes en Chine et leur ont ainsi permis de remporter des marchés dans d'autres provinces.
3. L'acceptation des investissements chinois en France
Bien qu'en hausse depuis plusieurs années, les flux d'investissements chinois vers la France demeurent à un niveau modeste ; ils représentent, en stock, environ 0,9 % des investissements directs étrangers en France. Selon la Banque de France, le stock des investissements chinois directs est passé de 33 millions d'euros fin 2009 à 1,1 milliard d'euros à la fin de 2013.
En 2014, on recensait plus de 200 filiales d'entreprises chinoises (Hong Kong compris) établies en France, employant plus de 20 000 personnes. On peut noter que des grandes entreprises chinoises, comme ZTE, Huawei ou Lenovo, ont établi leur siège européen à Paris.
Après s'être longtemps concentrée sur le secteur des matières premières, la Chine s'est engagée dans une stratégie de diversification de ses investissements, orientée vers l'accès aux technologies innovantes, en particulier dans les domaines de l'information et de la communication et de l'industrie pharmaceutique, mais aussi vers des secteurs à la rentabilité plus longue comme l'immobilier ou l'hôtellerie.
Les investisseurs chinois démontrent un intérêt croissant pour la recherche et le développement, les investissements directs constituant un outil privilégié pour accéder aux technologies et au savoir-faire occidentaux.
La part des prises de participation financière modestes progresse significativement. Les sources de l'investissement chinois se diversifient et ne proviennent plus seulement des entreprises publiques mais aussi d'entrepreneurs privés et de petite taille.
En octobre 2014, les autorités chinoises ont réformé l'essentiel du régime d'autorisations préalables qui enserrait jusqu'alors les investissements chinois pour aboutir à un dispositif principalement déclaratif. Ces changements favorisent la progression des investissements chinois à l'étranger.
Plusieurs opérations importantes ont retenu l'actualité ces dernières années : la prise de participation de Dongfeng dans le groupe PSA, le rachat des parts de l'État dans l'aéroport de Toulouse-Blagnac ou l'offre publique d'achat menée par Fosun sur le Club Med.
Alors que la Chine a annoncé un programme très important d'investissements dans le monde pour les prochaines années et que certaines personnalités chinoises estiment que la France n'est pas un pays prioritaire pour investir en raison du contexte économique, la France a tout intérêt à accueillir favorablement ces projets, tout en restant naturellement vigilante sur les secteurs d'activité concernés.
Ces projets constituent une chance pour l'économie et l'emploi, d'autant que les investisseurs chinois déploient le plus souvent une stratégie de long terme, et non une stratégie financière ou de simple captation des technologies.
4. La coopération décentralisée
Plus de 64 collectivités territoriales françaises sont activement engagées en Chine avec 72 autorités locales chinoises partenaires dans 143 projets menés dans le cadre de la coopération décentralisée (échanges culturels, universitaires et économiques, développement régional durable et valorisation du patrimoine, jumelages ) et dans 39 projets dans le cadre d'autres actions extérieures (bureaux de représentation, soutien technique aux exportations, relais des pôles de compétitivité, programme de recherche...).
Les montants engagés par les collectivités ne sont pas nécessairement importants, mais ils suscitent ou accompagnent des projets d'entreprises. Ainsi, la coopération décentralisée avec la Chine s'est orientée vers des échanges économiques précis, par exemple dans le domaine des transports.
En outre, la coopération décentralisée franco-chinoise, comme celle qui existe avec de nombreux autres pays, permet des échanges humains et culturels qui constituent une richesse et un terreau au profit des relations bilatérales.
La coopération décentralisée est cependant confrontée aux questions de dispersion et d'évaluation et un réel effort de coordination et mutualisation entre acteurs français reste à réaliser.
Les très fortes disparités entre provinces chinoises et l'approche expérimentale prônée par les autorités centrales peuvent constituer des opportunités multiples pour les collectivités françaises. En outre, les provinces et les grandes villes disposent d'un degré d'autonomie leur permettant des expérimentations.
5. Des actions communes dans des pays tiers, notamment en Afrique
Depuis la reconnaissance par la France de la Chine populaire le 27 janvier 1964, la relation franco-chinoise, qualifiée de « partenariat global » dans le cadre de la déclaration conjointe du 16 mai 1997, a été élevée au niveau de « partenariat stratégique global » en 2004.
Lors de la visite en France du Premier ministre chinois, M. Li Keqiang, en juillet 2015, la France et la Chine ont publié une déclaration conjointe relative aux partenariats franco-chinois en marchés tiers. Alors que l'économie mondiale se trouve toujours dans une phase de réajustement profond après la crise financière internationale, la déclaration indique que les deux pays doivent « jouer ensemble un rôle actif pour assurer la stabilisation et la reprise de l'économie mondiale, favoriser le développement des différentes régions du monde et soutenir les pays en développement dans la mise en oeuvre du Programme de développement des Nations Unies pour l'après-2015 ».
La France et la Chine entendent ainsi encourager et soutenir les entreprises des deux pays dans leurs efforts pour engager ou renforcer des partenariats en marchés tiers.
Alors que la Chine a beaucoup investi ces dix dernières années les marchés africains, elle est dorénavant confrontée à un certain nombre de difficultés d'implantation durable. Sur le continent africain, mais aussi en Amérique latine, la France et la Chine peuvent conjuguer leurs atouts pour un bénéfice mutuel.
*
* *
« En Chine, tout est plus massif et plus rapide à la fois ». Cette remarque entendue par le groupe de travail lors de son déplacement confirme la nécessité pour la France de consolider son partenariat global avec la Chine. Ce partenariat doit toutefois s'insérer dans une logique européenne pour pouvoir peser convenablement.
La France et la Chine peuvent trouver, dans le cadre d'un dialogue exigeant et étroit, des bénéfices mutuels aux évolutions de l'économie mondiale et à la transition du modèle chinois vers une croissance plus qualitative et plus inclusive.
CONCLUSION
DE M. JEAN-PIERRE RAFFARIN,
PRÉSIDENT
DE LA COMMISSION
Chine-USA : la guerre de la croissance est déclarée
Attention aux apparences. Le récent voyage du Président Xi Jinping aux États Unis s'est bien passé.
Cela avait été ainsi décidé par les Chinois... il y a plusieurs mois. Commencer par Seattle avec la visite des usines puis l'achat de 300 Boeings, c'était afficher l'apaisement dès le départ. La presse chinoise, dont le China Daily , avait préparé l'opinion à ce succès. Puis, sa présence soutenue à New York, à l'assemblée générale de l'ONU, a permis au Président Xi de prendre de la hauteur par rapport au bilatéral sino-américain. Au total, l'événement a été maitrisé.
Longtemps, la Chine a cherché à retarder toute forme de rivalité pour pouvoir poursuivre en paix son propre développement, son émergence. Aujourd'hui, c'est plus difficile : on constate que la Chine a plus de mal à rester discrète en économie plutôt qu'en diplomatie. Il faut dire qu'en diplomatie cet automne, on pouvait rester en deuxième ligne, Poutine et les autres ayant réservé les premiers rangs. Cette stratégie chinoise du « potentiel de situation », c'est à dire de la non-agression, reste en théorie la bonne, mais elle est quelque peu dépassée par les événements. On l'a noté à propos des cyberattaques, le silence peut être une réponse à la mauvaise foi, mais pas à la défiance. La Chine est de plus en plus interpellée. Elle est entrée, nécessairement, dans le grand match mondial.
La dynamique de Pékin ne peut plus s'afficher comme locale ou régionale. C'est aussi vrai pour les parades militaires que pour les variations monétaires. La Chine a repris sa place aux premiers rangs des nations du monde. Sa présence saute aux yeux. La puissance chinoise est mondiale, globale, même si « l'ambition asiatique » reste prioritaire.
Cette nouvelle donne apparaît au moment où le monde est en crise, une crise mondiale de la croissance. Le pays qui apportera de la croissance aux autres sera le nouveau leader. Ainsi, avec les USA, la bataille du leadership de la croissance est bien engagée.
La question est, alors, celle de la « nouvelle croissance » chinoise, sujet qui n'appartient plus seulement à la Chine, cette question est mondiale. Tout le monde est corrélé à la croissance chinoise.
Comme la communauté internationale lui a « demandé », la Chine change son modèle de développement, trop massif, trop quantitatif, trop menaçant pour la planète, selon les experts occidentaux. La Chine, qui n'aime pas être accusée, n'apprécie pas d'apparaître comme « le mouton noir » de l'environnement. Ainsi, elle s'est mise à la recherche d'une « nouvelle normalité » mondialement compatible. Signalons pour sourire que l'Occident, il y a peu, avait peur de la croissance accélérée et maintenant il craint la croissance ralentie ! Dès le XII e plan, le projet de croissance qualitative et inclusive a été fixé par les autorités chinoises comme prioritaire. Le constat avait été fait, la situation bien comprise, le modèle de ses dernières années n'était plus viable : pollution, surcapacité industrielle, dettes des entreprises, bulle boursière et immobilière, conscience populaire des enjeux, le changement est donc engagé. À la chinoise, rapidement !
Ce changement sera douloureux pour les Chinois et nombre de leurs partenaires. Il arrive dans une période où le monde va mal. Les réformes sont sévères : les dépenses publiques ont déjà été massivement réduites, de 20 % ces deux dernières années. Les pressions sur les entreprises publiques comme privées sont lourdes. La Sasac, l'agence qui gère les participations de l'État, va bouleverser des dizaines de milliers d'entreprises pour de meilleures performances. Les vieilles usines sont fermées pour pouvoir en ouvrir de nouvelles. C'est le prix des objectifs du « double centenaire » et notamment celui du doublement du revenu moyen d'ici 2020. La lutte contre la corruption et la modernisation du parti sont les leviers par lesquels le pouvoir cherche à conserver un soutien populaire malgré l'impact sévère des réformes. En Chine, aussi, la confiance est un paramètre de la gouvernance.
Parallèlement aux efforts de rigueur, des initiatives sont prises pour soutenir la croissance. L'intense stimulation de l'innovation et de la recherche, le soutien à la consommation, la promotion des investissements à l'étranger, la sinisation de l'économie autour de champions et de leurs marques, le lancement de projets fédérateurs et mobilisateurs (« One belt, one road », banque des BRICS,...), le rayonnement de la culture chinoise... sont des forces que les Chinois vont déployer pour soutenir la croissance, enjeu vital pour la Chine.
Vitale, la croissance chinoise, elle l'est, car c'est donc le nouveau terrain de la compétition Chine - USA. Le match est maintenant lancé. La stratégie de discrétion de la Chine n'est plus possible. Xi Jinping est devenu un leader mondial dont les déclarations et les manifestations sont observées par tous et partout. Son visage est connu dans le monde entier. Quand Shanghai manque d'oxygène, les bourses du monde entier s'essoufflent. Le dollar n'est plus le maître unique, l'internationalisation de la monnaie chinoise s'accélère. La banque des BRICS ou celle des infrastructures asiatiques (AIIB), avec plus de 70 pays partenaires, sont devenues des outils financiers mondiaux concurrents de ceux que les Américains étaient les seuls jusqu'ici à piloter (Banque mondiale, FMI,..).
La Chine conteste aussi la suprématie américaine dans le digital avec ses champions qui n'ont mis que quelques années pour atteindre la taille mondiale. L'e-commerce représente déjà en Chine 16 % du « retail ». Les investissements militaires s'ils sont en retard vis-à-vis des USA en stocks, affichent en revanche des flux de croissance impressionnants.
Même en ce qui concerne les modèles de gouvernance, les Chinois ne sont pas effrayés par les comparaisons internationales en termes d'efficacité et de stabilité... La campagne électorale américaine ne les convainc pas vraiment !
La Chine entend ainsi devenir d'ici à 10 ans une puissance globale capable de jouer les règles traditionnelles du jeu international, mais aussi de se permettre les initiatives que s'autorisent les Américains et les grandes puissances.
Au final, le vrai match se joue sur la croissance. Avec une perspective de long terme de 5/6 %, selon la Banque mondiale, la Chine tente de placer la barre de croissance à un niveau inaccessible pour l'Amérique. Là est pour la Chine le principal ressort de son attractivité. Tant que sa croissance sera leader dans le monde, la Chine attirera les entrepreneurs, leurs technologies, leurs marques et leurs projets. La cohésion sociale du pays dépend aussi des niveaux quantitatifs et qualitatifs de sa croissance. L'enjeu interne comme externe explique les multiples et diverses rumeurs que la croissance chinoise inspire.
La compétition est engagée sur tous les continents. Avec un sens poussé de l'intérêt national, les jeunes Chinois sont bien décidés à profiter du superbe cadeau offert par Barack Obama, un visa de 10 ans, pour apprendre outre-atlantique et, tels des Ulysse, revenir puissants à la maison. Alvin Toffler avait vu juste quand il annonçait aux Américains il y a plus de 10 ans : « La Chine est en nous ». Elle se disperse mais elle reste elle-même.
Connecté au monde, le soft power chinois sera celui de la croissance, celui de l'intelligence ajoutée. C'est en effet le pays où ce paramètre relève le plus, encore, de la puissance publique. Le pilotage de la croissance est encore politique en Asie alors, qu'à l'Ouest, les gouvernements ne sont souvent que spectateurs des flux économiques. Les plus velléitaires chez nous sont les commentateurs... du marché, voire des cycles qu'ils attendent.
Aussi, cette « guerre » avec l'Amérique ne se limitera pas à la confrontation des pouvoirs, des moyens et des institutions, elle laissera une part d'incertitude au marché. Un arbitre capricieux, mais pacifique. Alors si le match est lancé, irrémédiablement, le jeu restera ouvert mais asymétrique.
Cette tension ouvre des perspectives opérationnelles pour la France et l'Europe, pour peu qu'elles soient fidèles à leur tradition d'indépendance. Engagée sans retour possible dans son match avec l'Amérique, la Chine se refusera à réduire son influence à la « Chinamerica ». Des partenariats seront ouverts, des opportunités émergeront. Avec la Chine, les partenaires trouveront leur destin autour des valeurs de fiabilité et de diversité. La montée en puissance de la Chine forcera le monde à mieux maîtriser les équilibres. Dans ce monde multipolaire en création, le destin de l'Europe est d'assumer son indépendance mais sa culture occidentale ne doit pas oublier qu'elle est « un cap » à l'ouest de l'Asie.
EXAMEN EN COMMISSION
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport lors de sa réunion du 30 septembre 2015, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin, président.
M. Henri de Raincourt . - Décidé il y a presque une année, le thème de la nouvelle croissance en Chine et de ses conséquences sur le monde et sur la France a prouvé sa pleine actualité cet été. Durant le mois d'août, l'évolution monétaire et boursière dans ce pays a été au centre de l'actualité ; certains parlent de crise, d'autres de soubresauts.
Hélène Conway-Mouret, André Trillard, Bernard Cazeau et moi-même avons mené une série d'auditions durant le printemps et effectué un déplacement en Chine courant septembre, accompagnés par notre Président, Jean-Pierre Raffarin, dont tout le monde mesure la très grande connaissance de la Chine. Ce déplacement nous a permis de mener des entretiens de très haut niveau à Pékin et à Shanghai, avec des autorités chinoises et de nombreux Français installés en Chine ; nous nous sommes également rendus en province, dans la ville de Guilin.
Nous n'avons pas la prétention de réaliser une thèse universitaire mais souhaitions nous poser quelques questions simples : où en est l'économie chinoise aujourd'hui ? Quelles sont ses perspectives d'évolution ? Quelles sont les opportunités pour la France ?
Tout d'abord, où en est l'économie chinoise aujourd'hui ?
Nous sommes tous conscients de la formidable croissance économique qu'a connue ce pays depuis presque quarante ans maintenant mais je pense que, finalement, nous sous-estimons collectivement le phénomène. Depuis la fin des années 1970 et les réformes engagées par Deng Xiaoping, la croissance a été supérieure à 10 % par an ! Selon la Banque mondiale, la Chine a ainsi connu une croissance plus rapide que tout autre pays au cours de l'histoire. Cette croissance a été exponentielle ces dix dernières années, ce qui correspond globalement à l'entrée de la Chine dans l'OMC : en 1990, le PIB chinois représentait 7 % de celui des Etats-Unis, il en atteignait 12 % en 2000 et en dépasse aujourd'hui les 60 %. La Banque mondiale estime même que si l'on corrige les distorsions liées à ce que les économistes appellent les parités de pouvoirs d'achat, l'économie chinoise a dépassé en 2014 celle des Etats-Unis. La Chine est donc d'ores et déjà la deuxième, voire la première, économie mondiale.
Pour autant, le modèle de développement qui a assuré cette réussite exceptionnelle repose sur un certain nombre de fragilités ou particularités qui le rendent non soutenable à long terme.
D'un strict point de vue économique, ce modèle est basé sur une puissante industrie exportatrice, de faible valeur ajoutée et s'appuyant sur une main-d'oeuvre nombreuse et à bas coût. Or le développement économique a nécessairement été accompagné d'une progression notable des salaires, ce qui a entraîné un gain sensible du pouvoir d'achat d'une part importante de la population : elle s'est élevée ces dernières années à environ 15 % par an dans la région de Shanghai, soit nettement plus que l'inflation. Ainsi, les régions traditionnelles de développement, sur la côte Est de la Chine, ne sont plus autant compétitives sur les produits qui ont fait leur force et on assiste à d'importantes délocalisations, soit vers l'intérieur du pays, soit vers des pays à plus bas coûts.
19 des 29 principaux secteurs industriels chinois sont considérés comme en surcapacité : dans l'acier, l'aluminium, le ciment, le verre ou la construction navale, le taux d'utilisation des capacités oscille entre 70 % et 75 %, ce qui est particulièrement faible. Cette situation a été amplifiée par le plan de relance massif décidé par les autorités pour contrecarrer les effets de la crise mondiale de 2008-2009.
Ce plan de relance massif a certes permis à la Chine de « passer » la période délicate d'une faible demande mondiale mais il a entraîné une augmentation importante de la dette des autorités locales. Soumises à des obligations de résultat en termes de croissance tout en ne disposant que de moyens très limités pour s'endetter, celles-ci ont développé des politiques de contournement qui font aujourd'hui peser un risque global identifié mais encore mal mesuré. Elles ont notamment créé des structures spécifiques de financement peu transparentes et ont eu recours à du « shadow banking » dont l'encadrement prudentiel est faible. Au total, l'endettement des agents non financiers est relativement élevé en Chine (230 % du PIB) mais il s'agit presque uniquement de prêteurs nationaux, non internationaux, ce qui diminue la sensibilité au risque.
Par ailleurs, les inégalités sociales et territoriales sont très importantes et, alors qu'en volume, le PIB chinois s'approche de celui des Etats-Unis, le PIB par habitant reste très éloigné des standards des pays développés. Il a lentement progressé pour atteindre environ 7 500 dollars en 2014 contre presque 55 000 aux Etats-Unis ou presque 46 000 en France, soit un écart qui reste très important.
Autre phénomène connu sur lequel nous ne nous étendrons pas : la consommation excessive des ressources naturelles. Pollution de l'air, des sols ou de l'eau, part majoritaire du charbon et des énergies fossiles dans la consommation d'énergie : durant toute cette période de croissance, la priorité n'était pas - on peut en comprendre les raisons - à la protection de l'environnement.
Dernier aspect important, la démographie. La politique de contrôle des naissances mise en place depuis plus d'une trentaine d'années a des effets déterminants. La population chinoise est presque arrivée à un palier, elle ne va plus croître dans les prochaines années et, surtout, elle commence à vieillir, phénomène qui va s'accentuer très sensiblement. Il y a environ cinq ans, la population âgée de plus de 60 ans représentait 10 % de la population totale ; ce chiffre aura doublé en 2025. La population active diminue d'ores et déjà et le rapport entre les actifs et les inactifs se dégrade irrémédiablement. Il subsiste certes un « réservoir » important de main-d'oeuvre rurale qui émigre en ville mais, d'une part, il diminue, d'autre part, ces populations ne sont plus prêtes à accepter tous les sacrifices.
D'ailleurs, deux éléments nous ont été mentionnés à plusieurs reprises en ce qui concerne la population active : le nombre de diplômés de l'enseignement supérieur a beaucoup augmenté mais ces jeunes ont de grandes difficultés à trouver un travail à la hauteur de leurs qualifications ; par ailleurs, le « turn-over » dans les entreprises est très élevé, celles-ci ayant les plus grandes peines du monde à fidéliser leurs employés.
Ainsi, de nombreux analystes se posent la question de savoir si la Chine ne va pas « vieillir avant de s'être enrichie ».
Les autorités chinoises sont pleinement conscientes de ces différentes difficultés et évolutions.
En 2013, la Banque mondiale et le Development Research Center , think tank très influent qui dépend directement du Conseil d'Etat chinois, équivalent de notre Gouvernement, et dont nous avons rencontré le président à Pékin, ont conjointement publié un rapport qui a fait date : « Chine 2030 : construire une société moderne, harmonieuse et créative ». Lancé dès 2010, ce travail conjoint de 500 pages tire les leçons de trente ans de croissance et évoque la méthode pour éviter ce que les économistes appellent la « trappe des pays à revenus intermédiaires », c'est-à-dire l'incapacité pour certains pays, après une phase de croissance rapide, à rejoindre le groupe des économies avancées.
Ce rapport « Chine 2030 » rappelle les décisions prises dans le cadre du 12 e plan quinquennal (2011-2015) pour éviter ce risque : « qualité » de la croissance ; réformes structurelles notamment en faveur de l'innovation et de l'efficacité économique ; inclusion sociale pour surmonter la division entre urbain et rural et l'écart dans la répartition des revenus.
Ces orientations ont été réaffirmées et amplifiées par les nouveaux dirigeants arrivés au pouvoir à la fin de 2013. En mai 2014, le Président Xi Jinping évoque, par exemple et pour la première fois, une phase de « nouvelle normalité » : prenant acte du vieillissement de la population, de la réduction de l'excédent de main-d'oeuvre agricole, de la diminution de la croissance potentielle ou encore de la fin du modèle de production à faible coût, cette nouvelle normalité vise une montée en gamme de l'économie avec l'accent mis sur les nouvelles technologies et l'innovation dans tous les secteurs. Nous avons aussi entendu plusieurs fois, lors de notre déplacement, la volonté de « donner un rôle décisif au marché », même si la déclinaison de ce principe est variable.
En mai 2015, les autorités ont annoncé un vaste plan « Made in China 2025 » qui engage la transition du « fabriqué en Chine » vers le « conçu en Chine », de la rapidité vers la qualité et des produits vers les marques. Priorité sera ainsi donnée aux hautes technologies, à la robotique, à l'ingénierie spatiale et à d'autres secteurs faisant appel aux technologies de pointe.
Alors que l'ancien modèle de croissance entraînait un niveau élevé des investissements dans le PIB au détriment de la consommation, ainsi qu'un taux d'épargne particulièrement important, la réorientation économique vise le développement de la consommation et des services.
L'importance du taux d'épargne des ménages (environ 40 % du revenu contre 16 % en France ou 10 % en Allemagne) est une caractéristique de l'économie chinoise. Elle résulte de plusieurs facteurs : auto-assurance face à l'avenir ou à un régime de protection sociale encore très insuffisant ; précaution en vue d'un achat immobilier. Le système de protection sociale s'est certes rapidement développé depuis le milieu des années 2000 mais il reste fragmenté, inégal selon les territoires et les populations et insuffisant en termes de couverture. La Chine est ainsi confrontée à la nécessité de renforcer son système de protection sociale pour réorienter l'épargne vers la consommation et faire face au vieillissement.
Dans ce contexte global, quelles sont les perspectives de l'économie chinoise ?
La réorientation d'une économie, en particulier lorsqu'elle atteint un volume aussi impressionnant et dans un contexte mondial déprimé, n'est pas chose facile ! Il est impossible de faire table rase du passé et toute évolution est nécessairement progressive.
Les autorités chinoises ont lancé une vaste réforme du financement de l'économie et du système financier : libéralisation quasi-intégrale des taux d'intérêt, dispositif de garantie des dépôts, connexion entre les bourses de Shanghai et de Hong Kong, etc. Elles ont notamment encouragé le développement de la bourse de Shanghai, en incitant par exemple les Chinois à y investir. Or cette bourse, qui est beaucoup moins connectée à l'économie réelle que ce que nous connaissons en Europe ou aux Etats-Unis, est encore mal régulée ; elle connaît une volatilité importante. Cet été, la presse internationale s'est ainsi fait l'écho de fortes baisses des indices qui ont chuté d'environ 40 %. Mais il faut savoir que la bourse de Shanghai avait augmenté de 150 % en un an ! Il est certain que nombre de petits porteurs ont vu leurs espoirs, et parfois leur capital, s'évaporer ainsi, mais l'impact réel de la baisse du mois d'août sur l'économie est faible.
On peut également citer le secteur de l'énergie. La Chine adopte, contrairement à ce qui s'était passé à Copenhague, une attitude positive dans le cadre des négociations de la COP21 et entend réorienter ses sources d'énergies (développement des énergies renouvelables ou du nucléaire), mais elle ne pourra pas se passer d'une part importante de centrales thermiques à charbon même si elle promeut la construction de centrales plus modernes respectant de meilleures normes de qualité. En outre, des problèmes de réseaux et d'aménagement global se posent d'ores et déjà ; la Chine a par exemple construit de très importants parcs d'énergie solaire mais a des difficultés à utiliser l'électricité produite en raison de problèmes de raccordements. Là aussi, les autorités font preuve d'un grand pragmatisme : l'accroissement des normes environnementales permet de fermer des centrales anciennes et de résorber des surcapacités existantes...
Sur le plan macro-économique, les autorités chinoises ont abaissé leurs objectifs de croissance pour le fixer autour de 7 %. Elle s'est élevée à 7,4 % en 2014. Certains analystes s'effraient de cette évolution mais, d'une part, il s'agit encore d'une des croissances les plus élevées au monde, d'autre part, soyons également conscients que l'assiette sur laquelle s'applique le taux de croissance est beaucoup plus large qu'auparavant : 7 % de création de richesse sur le PIB d'aujourd'hui représente un volume supérieur à 10 % sur le PIB d'il y a dix ans.
Au total, l'économie chinoise est particulièrement robuste. Nous devons notamment toujours tenir compte de « l'effet volume » lié aux dimensions de la Chine. Tout est « hors de proportion », au sens littéral du terme, par rapport à ce que nous pouvons connaître. La classe moyenne haute, qui consomme beaucoup, est à la taille de l'Allemagne tout entière !
Qui plus est, les réserves financières du pays sont extrêmement élevées : les réserves de change sont supérieures à 4 000 milliards de dollars et la balance commerciale reste largement excédentaire. En outre, les pouvoirs publics continuent de disposer de moyens d'action considérables sur l'économie, que ce soit en termes financiers ou en termes administratifs et humains. Ils mettent en oeuvre des plans quinquennaux qui définissent une stratégie de moyen et long terme qui s'applique effectivement à l'économie réelle.
Mme Hélène Conway-Mouret . - Il est évident que cette phase de transition symbolisée par une croissance moins dynamique entraîne des risques et des tensions, notamment sociales. Une large part de la population n'a connu que des années de croissance à deux chiffres, avec une amélioration rapide et constante de ses conditions de vie. Or la réduction des surcapacités, la réorganisation (synonyme en fait de privatisation) de nombre d'entreprises publiques, notamment celles contrôlées par les pouvoirs locaux, ou le développement des services au détriment des industries traditionnelles a un effet manifeste sur l'emploi.
Le pouvoir chinois exerçant encore un contrôle politique très puissant - ayons toujours en tête que le Parti communiste chinois regroupe entre 80 et 90 millions d'adhérents -, les tensions peuvent s'exprimer dans des revendications sociales (salaires, conditions de travail,...) mais surtout environnementales. La sensibilité de la population vis-à-vis des questions écologiques est un véritable défi pour les autorités aujourd'hui, comme l'ont montré les réactions à la suite de scandales sanitaires, de pics de pollution ou d'accidents industriels comme cet été dans le port de Tianjin près de Pékin.
On peut d'ailleurs souligner à ce stade l'ambivalence des évolutions récentes de la Chine. Ainsi, lorsque les autorités ordonnent la fermeture des usines près de Pékin lors de sommets internationaux ou de grands événements comme la grande parade qui a eu lieu le 3 septembre pour commémorer le 70 e anniversaire de la fin de la seconde guerre mondiale, les Pékinois se souviennent qu'il est possible de voir un ciel bleu... Ils ont d'ailleurs inventé l'expression « bleu APEC » car la fermeture des usines, qui a permis d'obtenir ce ciel bleu, a eu lieu pour la première fois lors d'un sommet APEC des pays du Pacifique. Une décision des autorités peut donc avoir un effet indirect de prise de conscience.
Le secteur immobilier est un autre exemple de complexité. Dopé par plusieurs plans massifs d'investissement, ce secteur connaît certes une bulle spéculative mais il conserve d'importants gisements de croissance dans de « plus petites » villes, celles qui ne font que 5 ou 10 millions d'habitants... D'autant que, même s'il s'est réduit, le réservoir de main-d'oeuvre rural reste important : au moins 200 millions de personnes sont susceptibles de rejoindre les villes dans les prochaines années. L'urbanisation atteint déjà environ 50 % et les autorités anticipent un taux de 60 % dans les cinq ans à venir, ce qui représente un certain nombre de logements et d'infrastructures à construire...
Autre exemple particulièrement intéressant : internet. En interdisant l'activité de plusieurs entreprises américaines dans le domaine du numérique, la Chine a réussi à constituer des champions nationaux qui peuvent s'appuyer sur un marché absolument gigantesque, plus de 600 millions d'internautes. Selon une étude internationale, le poids du numérique dépasse 9 % du PIB en Chine contre 5 % en France ou en Allemagne. Trois géants dominent le marché et se font concurrence : Alibaba, Baidu et Tencent. Surtout, les acteurs innovent en permanence, comme le montre le développement incroyable de l'application « WeChat » qui conjugue réseau social de type Facebook ou Twitter et commerce en ligne, puisqu'il inclut une capacité de paiement direct, et téléphonie gratuite. Et c'est là où nous touchons du doigt la grande complexité du monde chinois : d'un côté, internet et les réseaux sociaux sont très étroitement contrôlés par les autorités qui censurent lorsqu'une activité devient trop importante sur un sujet politique sensible ; d'un autre côté, le commerce numérique et l'utilisation des nouvelles technologies par la population sont bien plus avancés que dans nos pays.
Le risque de tensions liées aux évolutions économiques explique sans doute en partie la grande politique de lutte contre la corruption lancée par le Président chinois dès son arrivée au pouvoir. Certains estiment que cette politique volontariste a permis aux nouveaux dirigeants d'écarter des opposants internes ; il est certain qu'elle va bien au-delà. Face aux excès de la période précédente, elle permet de donner des gages à la population en mettant en avant la « frugalité » des dirigeants pour assurer l'acceptation d'une moindre augmentation de l'économie, donc des salaires et du niveau de vie.
Beaucoup estiment que cette politique devrait durer au moins jusqu'au renouvellement des instances dirigeantes du Parti en 2017, mais elle a également pour conséquence indirecte de ralentir les processus de décision, ce qui n'est pas positif dans un contexte de transition. Par ailleurs, cette politique pèse sur certains secteurs économiques, comme dans le luxe. Cependant, tout le luxe n'est pas touché, seul celui qui est trop ostentatoire, ce qui nécessite de repenser certains concepts de développement et de s'appuyer sur des marques ayant une image de qualité et de long terme.
Au-delà des réformes internes, les autorités chinoises ont décidé, pour reprendre une expression que nous avons entendue lors de notre déplacement, de projeter leur économie à l'international.
L'objectif d'internationalisation de la monnaie est clairement affiché et passe par de multiples mesures, notamment des accords de compensation signés avec plusieurs pays. Alors que le FMI considère depuis plusieurs mois que le yuan n'est plus sous-évalué par rapport aux principales monnaies internationales dont le dollar, la question de sa pleine convertibilité est posée. Les répercussions mondiales d'une petite dévaluation du yuan (environ 4 % en deux jours) ont montré, cet été, la réalité de l'internationalisation de l'économie chinoise et de sa monnaie.
Le Gouvernement encourage aussi les entreprises chinoises à participer à des projets d'infrastructure à l'étranger et à coopérer avec des entreprises étrangères hors de Chine. En 2014, les investissements directs chinois à l'étranger ont dépassé les 100 milliards de dollars ; en 2015, ils continuent de progresser pour atteindre 130-140 milliards et devraient ainsi, pour la première fois, être supérieurs au montant des investissements étrangers en Chine. Les investissements chinois se diversifient : outre les secteurs traditionnels de l'énergie et des exploitations minières ou agricoles, ils concernent désormais les services ou le tourisme.
La recherche de relais de croissance à l'étranger a été conceptualisée à partir de 2013 par le Président Xi Jinping au-travers de la politique de « nouvelle route de la soie ». Cette initiative, qui n'a pas de cadre juridique, politique ou géographique précis, se décline en une route « terrestre » allant de Chine en Europe par l'Asie centrale et en une route « maritime », qui constitue plutôt un chapelet d'initiatives dans des ports ou des infrastructures permettant de relier la Chine, l'Inde, l'Afrique et l'Europe. Ce projet aussi appelé « une ceinture, une route » participe à la fois d'une projection à l'international de la stratégie chinoise mais aussi d'un discours à visées intérieures relatif au « rêve chinois », thème souvent développé par le Président Xi Jinping.
Pour assurer la mise en oeuvre de ces différentes initiatives, les autorités chinoises ont suscité la création d'institutions financières dédiées. Il s'agit notamment :
- d'un fonds de la route de la soie doté de 40 milliards de dollars chargé d'investir principalement dans les infrastructures, le développement des ressources, ainsi que dans la coopération industrielle et financière ;
- d'une banque de développement fondée par les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud) et chargée d'investir, dans un premier temps, dans ces pays pour des projets structurants. Dotée de 50 milliards de dollars de capital aujourd'hui, cette banque pourra également jouer un rôle en matière de stabilité monétaire pour ses pays membres ;
- d'une banque asiatique d'infrastructure et d'investissement (AIIB selon son acronyme anglais), dotée d'un capital de 100 milliards de dollars et dont le rôle est de financer des projets de développement en Asie.
La création de ces outils spécifiques, substantiellement dotés en capital, permet à la Chine de contourner les organismes de Bretton Woods (banque mondiale et FMI) dans lesquels son poids est faible, en particulier en raison du blocage de la réforme des droits de vote par le Congrès américain. Cependant, la Chine cherche également à mieux intégrer ces organisations, par exemple en souhaitant que le yuan intègre le panier des droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI.
Enfin, on peut mentionner ici l'activisme de la Chine à négocier des accords commerciaux bilatéraux ou régionaux ; elle en a par exemple conclu avec le Chili et avec l'Australie, accords qui prévoient notamment des droits de douane nuls sur les vins, ce qui nuit à nos propres exportations. Et deux projets régionaux sont en concurrence, celui suscité par les Américains (le traité transpacifique) et celui promu par les Chinois au sein de l'ASEAN.
Quelles sont dans ce contexte les opportunités pour la France ?
Alors que la France a particulièrement souffert, comme beaucoup d'économies occidentales, du modèle chinois fondé sur des exportations massives à bas coût, la réorientation vers une croissance plus qualitative et tournée vers la consommation et les services peut offrir des opportunités indéniables. Certes l'économie chinoise ralentit mais les volumes sont conséquents et les conseillers du commerce extérieur que nous avons rencontrés nous ont bien montré que l'activité économique est très variable selon les secteurs et que leur activité est encore souvent très dynamique.
Depuis plusieurs années, la France a réorganisé sa politique de soutien à l'export ; nous en avons notamment parlé lors du colloque organisé par notre commission avant l'été relatif à la diplomatie économique. La Chine fait partie des pays concernés par les quatre « familles prioritaires » définies depuis 2012 pour mettre l'accent sur des secteurs économiques spécifiques : mieux se nourrir ; mieux se soigner ; mieux vivre en ville ; mieux communiquer.
Ainsi, le secteur de l'agroalimentaire, y compris l'importante question pour les Chinois de la sécurité alimentaire, le secteur de la santé, du médico-social et de la protection sociale en général ou encore le secteur de la gestion des services publics locaux ou de l'aménagement urbain durable constituent des opportunités où la France dispose d'expertise et d'entreprises dynamiques. On peut aussi mentionner le développement, là aussi exponentiel, du tourisme : 100 millions de Chinois ont voyagé à l'étranger en 2014 et y ont dépensé 165 milliards de dollars.
Dans le domaine de la santé, les besoins sont très importants, tant en termes d'organisation du système, par exemple dans la gestion et le fonctionnement des hôpitaux, que de produits de santé (médicaments, dispositifs médicaux,...). Les dépenses de santé sont passées de 156 milliards de dollars en 2006 à presque 700 milliards cette année, avec une population désormais couverte quasiment à 100 % par une assurance santé. Plusieurs segments sont fermés aux entreprises étrangères, comme les vaccins, mais certaines, nous avons par exemple visité BioMérieux à Shanghai, sont très bien installées et sont particulièrement dynamiques.
La France dispose également d'atouts en matière d'expertise, qui constitue souvent une première étape d'une implantation économique et qu'elle doit mieux valoriser.
C'est l'une des raisons d'être des actions de l'AFD en Chine. Nous nous sommes intéressés aux actions de l'agence en tant que rapporteurs de l'aide au développement et l'on constate qu'elle joue un rôle d'influence en faveur de la diplomatie économique. Elle est présente en Chine depuis 2004 et sa logique d'intervention est fondamentalement différente de ce qu'elle peut être dans les pays pauvres prioritaires et plus généralement en Afrique. L'AFD intervient uniquement sous forme de prêts accordés aux conditions de marché, sans coût pour l'Etat. Elle participe au financement d'un nombre limité et ciblé de projets : 24 ont été conclus depuis 10 ans, dont 12 sont terminés, pour un montant total d'engagements cumulés d'environ 1,2 milliard d'euros. Trois secteurs sont privilégiés : l'efficacité énergétique et les énergies renouvelables ; le développement urbain durable ; la protection de la biodiversité et des ressources naturelles. L'AFD, qui ne distribue pas de subvention en Chine ni ne bonifie les prêts qu'elle accorde, cherche à mettre en valeur l'offre française d'expertise et les savoir-faire, en particulier dans des secteurs économiques où les entreprises françaises sont bien positionnées et disposent d'une valeur ajoutée certaine.
Par ailleurs, mais cela peut avoir un lien avec l'AFD, la France et la Chine réfléchissent à la mise en place d'outils pour travailler ensemble dans des pays tiers, notamment en Afrique. C'était l'un des objets de la visite en Chine du Premier ministre au début de l'année. La Chine a beaucoup investi, en particulier dans les pays dotés de matières premières essentielles à son développement. Mais nous avons tous constaté en Afrique qu'après une phase de fort rapprochement, les liens sont finalement plus difficiles à stabiliser que prévu pour la Chine. La France peut naturellement aider et nos deux pays peuvent développer des intérêts réciproques ; nous devons cependant rester vigilants sur les modalités de mise en oeuvre d'une telle politique.
Autre point, nous avons vu que la Chine a prévu un programme d'investissements importants dans le monde, notamment par l'intermédiaire des entreprises chinoises publiques ou privées. Ces investissements doivent être vus comme des opportunités, non comme des menaces. Souvenons-nous des années 70-80 avec la grande peur que les investissements japonais ou coréens « n'avalent » l'économie française, ce qui ne s'est naturellement pas produit.
Les Chinois ciblent leurs investissements, veulent naturellement acquérir les techniques qui leur manquent, mais ils ont une réelle vision de long terme et développent plutôt une approche partenariale. Certes nous devons rester vigilants là aussi mais la meilleure réponse, celle qui est positive en tout cas, consiste à toujours avoir une technologie ou une expertise d'avance... et donc à innover ! Il nous faut également mieux accompagner ces investissements pour que l'opinion publique les comprenne et n'en soit pas effrayée, ce qui serait contre-productif pour notre économie.
M. Henri de Raincourt . - En conclusion, nous tirons de nos auditions et, surtout, de notre déplacement, un message d'optimisme et de confiance.
L'économie chinoise est dorénavant un élément clé de l'économie mondiale, dans laquelle elle est pleinement intégrée, comme on a pu le constater a contrario cet été ; son précédent modèle de développement n'était pas soutenable et les autorités ont pris des décisions depuis trois ou quatre ans pour résolument réorienter la croissance vers plus de qualité sociale et environnementale, vers les services, vers la consommation.
Le mouvement sera progressif, ne serait-ce que parce qu'il n'est pas imaginable de tourner le dos à quelque chose qui fonctionne encore. En outre, une telle phase de transition n'est pas exempte de crispations ou de raidissements, qu'ils soient politiques ou économiques.
Mais il s'agit, à notre sens, d'une chance pour la France si nous réussissons à adopter une démarche ciblée et cohérente et si nous entraînons l'Europe dans un dialogue global avec la Chine.
Après de nombreuses rencontres en Chine, ce sont vraiment les mots de confiance et d'optimisme dans ce pays qui ressortent. Beaucoup de nos compatriotes mettent cependant en avant les problèmes de qualité de l'air ou de l'alimentation, ainsi que les difficultés grandissantes face aux administrations ou aux réglementations dispersées et ressemblant parfois à du protectionnisme.
L'un de nos interlocuteurs travaillant dans l'économie numérique nous disait à Shanghai que la Chine est à la fois plus massive et plus véloce que les autres économies. C'est une réalité dont nous devons être conscients. Nous ne pouvons finalement pas être vraiment concurrents de la Chine qui, par bien des aspects, est « hors catégorie » ; nous devons être partenaires dans une démarche d'intérêts bien compris, en misant sur nos atouts.
M. Jean-Pierre Raffarin, président . - Ce rapport intervient à un moment particulièrement intéressant, puisque le Président Xi Jinping est aux Etats-Unis, notamment à New York pour la session annuelle des Nations unies.
La politique chinoise a toujours été une politique de discrétion. Le grand maréchal chinois est celui qui gagne les batailles sans avoir à les livrer... Mais ceci n'est plus possible aujourd'hui sur le plan économique au regard de l'importance qu'a prise ce pays dans l'économie mondiale. Nous assistons ainsi à l'émergence de la Chine, au nom de l'économie, ce qui révèle au fond un rapport de forces latent avec les Etats-Unis. Dans un contexte de morosité économique mondiale, la question est de savoir qui sera l'acteur de la croissance.
La Chine s'appuie notamment sur l'innovation qu'elle favorise constamment et sur son changement de modèle qu'elle met en oeuvre d'une manière inimaginable pour nous : les dépenses publiques ont été réduites de 20 % en deux ans ; 200 000 entreprises sont réorganisées... Elle a bien compris que son ancien modèle, massif et menaçant pour la planète, était à bout de souffle. Ce changement qui est exigeant pour l'opinion publique, les salariés, est accompagné de mesures de lutte contre la corruption et de modernisation du parti.
La Chine a la volonté de se projeter à l'extérieur, notamment en créant des outils multilatéraux qui ne soient pas dominés par les Etats-Unis ou en développant des actions communes dans des pays tiers, par exemple avec la France, que ce soit en Amérique latine ou en Afrique.
Ces évolutions posent naturellement des questions aux entreprises françaises mais offrent aussi des opportunités et des points d'appui particulièrement intéressants, si tant est que nous inscrivions nos actions dans ce contexte global et que nous développions une véritable réflexion sur nos relations avec la Chine au niveau européen.
M. Jeanny Lorgeoux . - Tous les empires à travers l'Histoire connaissent un cycle d'émergence, puis de déclin, voire de guerre. La croissance économique n'est-elle pour les Chinois que l'instrument maîtrisé de la construction d'un empire, ou bien cette croissance finira-t-elle par détruire de l'intérieur la dictature communiste ?
M. Daniel Reiner . - Les pays voisins manifestent une certaine inquiétude vis-à-vis de la puissance chinoise, notamment face à ses revendications sur des îles de la mer de Chine et à la montée en puissance de son industrie d'armement. La Chine fait-elle réellement preuve d'agressivité ?
M. Jean-Paul Emorine . - Les dirigeants chinois ont très bien compris l'économie de marché et ont le sens de la globalisation, comme on le voit lorsqu'ils investissent dans Peugeot ou couplent leurs achats d'Airbus à des transferts de technologie. Est-il toujours vrai que, chaque année en Chine, 10 millions de personnes atteignent le niveau de vie européen moyen ? Par ailleurs, alors que la France dispose de 28 millions d'hectares de terres agricoles pour 65 millions d'habitants, et les États-Unis 375 millions d'hectares pour 300 millions d'habitants, la Chine dispose de 140 millions d'hectares, soit l'équivalent de l'espace agricole européen, pour 1,3 milliard de personnes : c'est un lourd enjeu en termes d'approvisionnement et de sécurité alimentaires.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Il me semble que la relation de la Chine avec Taïwan est normalisée et apaisée. Cette question est-elle abordée dans votre rapport ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - L'inquiétude devant la puissance chinoise est réelle en Asie et en Afrique, d'autant que la Chine assume désormais sa place. La Chine n'avance plus masquée : le Président et le Premier ministre assument explicitement le fait qu'ils représentent la première ou deuxième puissance mondiale. Il y a cependant une volonté de partenariat qui peut permettre à la France de jouer un rôle, en particulier dans le domaine de l'énergie et des besoins alimentaires. La Chine vide ses campagnes pour soutenir son essor économique et doit de plus en plus aller chercher sa nourriture à l'extérieur du pays. Nous n'avons pas intégré la relation avec Taïwan dans le cadre de notre étude, qui avait une portée avant tout économique.
M. Henri de Raincourt . - Le constat qu'un pays d'1,3 milliard d'habitants est capable, en une décennie, de changer de système, ne peut que conduire à mesurer la puissance chinoise. Pour autant, l'entrée dans le capital de Peugeot, par exemple, n'a pas consisté en une prise de contrôle. De même, en Afrique, les Chinois se rendent bien compte qu'il ne suffit pas de construire un pont ou un hôpital pour susciter la confiance. Ils souhaitent d'ailleurs coopérer avec la France afin de bénéficier de nos liens traditionnels avec le continent africain. Or, la paix du monde de demain dépend davantage, selon moi, de la situation de l'Afrique que de la croissance chinoise. Il est vrai que les voisins de la Chine sont inquiets. Enfin, la question de la sécurité alimentaire nous semble en effet très importante.
Mme Nathalie Goulet . - Évoquez-vous dans ce rapport la question des difficultés rencontrées en matière d'obtention de visas ?
M. Henri de Raincourt . - Nous en avons parlé avec le Consul général de France à Shanghai et à l'occasion d'une réunion avec la chambre de commerce franco-chinoise.
Mme Hélène Conway-Mouret . - La France a fait de gros efforts dans ce domaine. Les entreprises françaises rencontrent aussi réciproquement des difficultés pour s'installer en Chine : en cette période de transition économique, il existe un réel protectionnisme visant à protéger les entreprises chinoises. En ce qui concerne la question de la nature de la puissance chinoise, il faut noter que le président chinois parle d'« émergence pacifique ».
M. Michel Boutant . - Qu'en est-il du problème du vieillissement de la population ? Comment comprendre par ailleurs l'expansion démographique rampante en Sibérie et en Asie centrale ? Ce mouvement n'est-il pas de nature à inquiéter certains pays ?
M. Henri de Raincourt . - Je ne pense pas qu'il y ait là une politique délibérée : il s'agit d'une émigration de travail, qui est une constante de l'histoire chinoise.
M. Cédric Perrin . - Dans nos travaux sur le climat, nous avons identifié un phénomène important : la fonte du pergélisol sibérien due au réchauffement climatique, qui rendra bientôt possible la mise en culture de terres jusqu'alors gelées en Sibérie. Il s'agit là d'un enjeu très important.
Mme Hélène Conway-Mouret . - En ce qui concerne la question démographique, il faut souligner que la prise de conscience du vieillissement du pays a provoqué un assouplissement sensible de la politique de l'enfant unique.
M. Jean-Pierre Raffarin . - M. Obama vient de décider de la création de visas de 10 ans à destination des jeunes Chinois. Il y a déjà une dizaine d'années, Alvin Toffler disait très lucidement: « Nous autres Américains devons avoir conscience que la Chine est en nous » . Aux États-Unis, les deux tiers des diplômés en sciences et techniques sont d'origine asiatique. Chacun connaît la force de la diaspora chinoise dans de nombreux pays, en France même. Par ailleurs, il ressort clairement de l'ouvrage récent de Xi Jinping que la Chine restera communiste. La Chine est dirigée par les 80 millions de membres du parti communiste, ce qui n'empêche pas des débats au sein même du Parti, dans une dynamique relativement ouverte. Ce pays d'1,3 milliard de personnes est très fortement attaché à son unité, valeur qui constitue une fin en soi pour les Chinois, alors qu'elle n'est qu'un moyen pour nous. Enfin, la montée de la puissance chinoise inquiète certes les pays voisins mais la Chine, à l'image de l'opposition créatrice entre le Ying et le Yang, entretient aussi des relations étroites avec les Japonais, les Coréens, les pays d'Asie du Sud-Est... Au total, la situation dans la région est certes très mouvante mais surtout riche d'opportunités diverses pour notre pays.
Mme Bariza Khiari . - La question des droits de l'homme a-t-elle été évoquée ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - Elle l'est systématiquement, notamment lors des visites officielles.
M. Jacques Legendre . - L'Union soviétique s'opposait à la Chine sur la question des « traités inégaux », celle-ci considérant que le partage de la Sibérie l'avait lésée. Cette question ainsi que celle de la Mongolie intérieure ont-elles été abordées pendant votre déplacement ?
M. Jean-Pierre Raffarin . - Nos entretiens étaient centrés sur la question de la croissance économique, objet de la mission de notre commission.
À l'issue de ce débat, la commission a autorisé la publication du présent rapport.
ANNEXE I - AUDITIONS
A. AUDITION DU PROFESSEUR FRANÇOIS GODEMENT LE 11 FÉVRIER 2015
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Professeur, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Notre commission a créé un groupe de travail consacré à la nouvelle croissance chinoise et à ses conséquences, notamment pour la France. Dans votre dernier ouvrage paru en 2012 et intitulé « Que veut la Chine ? », vous posez notamment une question qui est au coeur de nos travaux : « La croissance chinoise est prodigieuse, mais est-elle soutenable et sur quel modèle repose-t-elle ? ». Quelle réponse apportez-vous à cette question en 2015 ?
Professeur François Godement . - Je vous remercie, Monsieur le Président, d'autant que vous êtes un grand praticien de la Chine et qu'il est donc redoutable de s'exprimer devant vous.
Les circonstances de 2015 sont nettement différentes de celles de 2012, largement pour des raisons politiques puisqu'à l'époque, diverses factions luttaient pour le pouvoir. Aujourd'hui, le pouvoir chinois est celui qui est le mieux assis depuis une vingtaine d'années, si bien qu'il faut d'abord s'interroger sur ce que veut le chef et voir si cela est réaliste et applicable.
L'idée selon laquelle la Chine va passer d'une vieille à une nouvelle croissance me laisse au fond sceptique, car la Chine est une économie immense et sectorisée. Il ne peut donc y avoir de réponse simple et univoque, d'autant que, si les vieilles recettes continuent de fonctionner, on ne voit pas pourquoi elles seraient abandonnées... Après une quinzaine d'années de croissance ininterrompue, la Chine connaît à nouveau aujourd'hui des cycles économiques mais le ralentissement est tout de même à relativiser : 7,4 %, ou même 6 % comme certains le pensent, reste un niveau élevé.
Il me semble nécessaire de distinguer le cycle à très court terme, c'est-à-dire la conjoncture, et l'équilibre global à long terme. On parle d'un ralentissement de la croissance chinoise ; pourtant, en janvier dernier, l'excédent commercial chinois s'est élevé à 60 milliards de dollars sur un mois, soit plus que le déficit annuel en France. Le coup de froid mondial sur le pétrole et les matières premières a certes un effet sur les exportations, mais il entraîne aussi une chute des importations en Chine.
Nous sommes, il est vrai, dans une situation inédite : c'est presque la première fois que le niveau des réserves en devises comptabilisées en dollars baisse de manière absolue. Certains évoquent une crise des paiements ou une inversion profonde des tendances précédentes. Je n'y crois pas, et ce pour plusieurs raisons. La hausse du dollar entraîne mécaniquement une baisse de la comptabilisation des autres devises dans les réserves. En outre, les autorités ont décidé de mieux contrôler les flux de crédit à partir de l'étranger. Il y a aussi des flux spéculatifs qui entraînent des départs de réserves pour des opérations à l'étranger. Le yuan est accroché au dollar et, avec les mouvements actuels, on ne s'attend pas à ce que le yuan soit réévalué par rapport au dollar. Le yuan devrait même, d'une certaine façon, glisser un peu si les autorités veulent retrouver de la compétitivité. Ces sorties de capitaux sont-elles uniquement le fruit des grands opérateurs étatiques et existe-t-il aussi des mouvements privés ? Il est difficile de répondre à cette question car nous ne disposons pas de bonnes statistiques en Europe. Je vous livre toutefois un chiffre très intéressant en provenance des Etats-Unis : en 2014, dans 48 des 52 Etats américains, les premiers ou deuxièmes acheteurs d'immobilier étaient chinois. On le dit parfois pour le marché parisien sans qu'il y ait de statistique pertinente. Dans le mouvement de sortie des capitaux qui est à peu près inévitable, il existe une part émergée correspondant notamment aux investissements directs et une part immergée extrêmement importante. C'est totalement différent d'une crise des paiements, d'autant que les autorités ont elles-mêmes créé des passerelles entre les places financières de Shanghai et Hong Kong.
La dette ne va pas non plus, à mon sens, déstabiliser l'économie chinoise. Au niveau central, à 60 % du PIB, elle a toujours été contrôlée, dans une certaine forme d'austérité, au détriment des assurés sociaux et des dépenses de bien-être pour la population qui sont tout à fait insuffisantes aujourd'hui, même après l'adoption de nouvelles politiques. Les déficits des budgets locaux sont relativement importants car les collectivités territoriales ont été systématiquement mises en déficit par le transfert de leurs recettes vers l'échelon central. Une troisième source d'endettement est plus dangereuse et est probablement assez élevée, il s'agit des multiples véhicules d'investissement qui ont été créés, notamment par les autorités locales, pour contourner les règles de financement qui leur étaient imposées. Ces véhicules liés à des opérations immobilières et spéculatives restent peu transparents, mais les autorités ont montré en 2014 qu'elles étaient prêtes à faire des exemples en en laissant certains faire faillite. Au total, l'endettement représente au plus, selon les éléments que l'on intègre dans la statistique, environ 230 % du PIB, ce qui est élevé mais dont le risque doit être relativisé puisque les échanges de capitaux avec l'étranger sont encadrés et contrôlés. En outre, les capacités de l'Etat restent gigantesques, même si elles ne sont pas aussi élevées qu'en 1997-1998. Celui-ci pourrait encore mener une grande opération de création de liquidités s'il le voulait, et dispose du volant de réserve des devises.
En ce qui concerne la croissance à long terme, il existe plusieurs Chine, avec des écarts très importants : l'intérieur connaît des coûts salariaux beaucoup plus bas que sur la côte. L'urbanisation, si elle est galopante, reste en retard par rapport au PIB par habitant, puisqu'environ 53 % seulement de la population vit en ville. Il reste donc un important réservoir de productivité en provenance des zones rurales, ce qui posera toutefois d'effroyables problèmes d'aménagement urbain et d'environnement. La Chine conserve donc des marges de compétitivité. Les gigantesques investissements dans les secteurs routier, ferroviaire ou aéroportuaire, même s'ils génèrent souvent des pertes, qui sont toutefois assumées par les autorités, unifient le territoire. Le système économique, que je qualifierais de saint-simonien, contient donc bien un réservoir de croissance.
Certes, les courbes démographiques montrent un choc vers 2025-2030 en raison du vieillissement de la population, mais il reste une décennie avant qu'il ne se produise.
Au total, du fait aussi du contrôle politique et de l'intelligence du pilotage par les autorités, la vieille croissance a encore de beaux restes devant elle...
Qu'en est-il maintenant de Xi Jinping et de ses collaborateurs, notamment dans le domaine économique ? Ils ont clairement refusé le passage complet à l'économie de marché et à la démocratie politique. On peut d'ailleurs observer des ressemblances avec le régime de Vladimir Poutine en Russie. Xi Jinping et ses équipes sont tout de même des réformateurs. L'expérience de Xi Jinping est complexe ; elle provient à la fois de celle de son père avec l'ouverture des zones économiques spéciales sous Deng Xiaoping et de celle qu'il a eue entre 2002 et 2007 à la tête d'une très importante province, le Zhijiang, où abondent les entrepreneurs privés. Le Gouvernement actuel est à l'aise avec le modèle qu'il promeut : il a recentralisé et réaffirmé les priorités stratégiques ; il utilise sa maîtrise de l'économie et des finances pour des objectifs en lien avec l'étranger, par exemple l'acquisition de hautes technologies ou le placement d'une partie de la fortune chinoise à l'étranger. Sur ce dernier point, les Chinois ont, durant une quinzaine d'années, privilégié les marchés des pays en développement, choix qui se retourne contre eux aujourd'hui, et ils ont besoin d'aller sur des marchés plus mûrs, plus sûrs.
La grande réforme « libéralisante », préconisée par la Banque mondiale, n'a pas eu lieu ; il s'agit plutôt d'une réforme à petits pas, avec un système qui continue d'être sous contrôle, comme le montrent les enquêtes anti-corruption. Pour autant, le système privé, surtout à la périphérie de l'économie, a recommencé à se développer fortement depuis 2012. Le système bancaire qui était monopolistique et assis sur des marges élevées a été ouvert à des concurrents nouveaux sur internet qui proposent des taux d'intérêt sensiblement plus élevés ; ces quasi-banques ont conquis des parts de marché importantes. Il existe aussi une discussion en vue de privatiser certaines des 155 000 entreprises d'Etat mais là aussi, on voit la nature duale du système : il n'est pas question de privatiser les très grandes entreprises mais seulement d'ouvrir leur capital. La privatisation est envisagée pour celles, très nombreuses, contrôlées par les autorités locales. Les marges de compétitivité sont également importantes de ce côté-là.
La Chine a fait un choix capitaliste lorsqu'elle a décidé de privatiser le logement dans les années 1990. Il s'agit certes d'un droit d'usage plutôt que d'un transfert de propriété, mais ce droit est accordé pour cent ans, ce qui se rapproche de la propriété. L'épargne, qui était assise sur le logement, a beaucoup enflé. Les entreprises d'Etat ne redistribuent pas leurs profits. La part des revenus individuels dans le PIB est basse autour de 35 % mais, du fait de l'économie grise et de la méconnaissance des revenus paysans, cette part serait plus proche en réalité de 50 %.
La consommation est insuffisante : d'un côté du spectre, il y a encore beaucoup de personnes pauvres ; de l'autre côté, les personnes pouvant être considérées comme riches, c'est-à-dire qui ont des revenus comme peuvent en avoir les Français ou les Allemands, sont au nombre d'environ 80-90 millions et payent très peu d'impôts. Les classes moyennes au sens où nous l'entendons n'existent pas vraiment en Chine. La consommation est trop modeste car se loger ou se soigner coûte très cher, ce qui pose la question des transferts sociaux qui permettraient de diminuer l'épargne. Le système favorise donc l'épargne et décourage la consommation. Néanmoins, il faut être conscient que, si la part de la consommation dans le PIB diminue, c'est aussi parce que celui-ci progresse très vite... La consommation doit cependant changer de forme.
Des réformes ont bien été introduites mais du temps de Wen Jiabao et à doses homéopathiques. Des systèmes sociaux ont été mis en place avec par exemple la fixation d'un revenu minimum, des transferts et des prestations de retraite. Mais ils nécessitent une armature administrative nouvelle, sinon les prestations risquent de « disparaître » dans les échelons intermédiaires et de ne pas arriver aux destinataires normaux... Cela a donc beaucoup progressé dans les règles, pas assez dans les volumes. Le dumping social existe encore en Chine.
En ce qui concerne l'énergie et l'environnement, la Chine se situe des deux côtés du tableau : elle est le premier pollueur mais elle est aussi le premier promoteur des énergies alternatives. Il n'y a donc pas remplacement de l'ancienne croissance mais coexistence de deux croissances. La consommation de charbon a diminué pour la première fois en 2014 mais elle reste à un niveau très élevé. Les importations pétrolières restent les premières au monde. L'accord avec les Etats-Unis sur les questions climatiques ne prévoit un effort qu'à partir des années 2030, ce qui laisse une marge importante.
Le ralentissement économique est bienvenu à tout point de vue, car la Chine a été le principal facteur de pression à la hausse des prix des matières premières, tant en raison de la consommation que de la spéculation. D'un point de vue interne à la Chine, ce ralentissement est également bénéfique : la seule province du Hebei qui entoure Pékin, mais sans Pékin elle-même, produit autant d'acier que les Etats-Unis et l'Union européenne réunis... La Chine ne peut pas continuer la fuite en avant dans la même direction, tant pour des raisons environnementales qu'économiques. En voyant les indicateurs de PIB ou de production d'acier, de charbon ou même d'électricité diminuer, je ne suis pas pessimiste, je suis au contraire optimiste !
Je voudrais conclure en disant que, pour la première fois depuis 1998, le ralentissement économique est piloté. Les restructurations apportent nécessairement de la douleur mais sont aussi la condition pour éviter la fuite en avant financière, permettre de rebondir économiquement, effectuer les transferts de croissance et réorienter la percée économique chinoise à l'étranger. Pour autant, il existe aussi des incertitudes concernant la crise sociale, la lutte contre la corruption qui est difficile à appréhender ou la demande internationale qui ne peut pas être contrôlée.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Vous nous avez lancé une rafale d'idées et de propositions pour notre rapport. A ce stade, j'en retiens trois éléments particuliers : le paradoxe de deux croissances simultanées ; la coexistence de plusieurs Chine avec, dans un pays globalement pauvre, l'équivalent démographique d'une Allemagne qui a le niveau de vie européen ; un ralentissement économique qui peut rendre le contexte plus difficile pour nos entreprises et les échanges commerciaux mais susciter aussi des perspectives en termes d'investissements chinois en Europe.
M. Christian Cambon . - Nous avons tout intérêt à attirer des investissements étrangers. Le Président de la République s'y efforce. Deux attitudes sont possibles : celle du Royaume-Uni, qui affiche une forte volonté d'attirer les investissements chinois, y compris dans des secteurs sensibles ; et celle de la France, où le rachat par des investisseurs chinois de 49,9 % des parts de l'aéroport de Toulouse a suscité une forte émotion. Comment capter cette manne que constituent les investissements chinois ?
Une évolution démocratique est-elle possible en Chine ? La lutte contre la corruption ne sert-elle pas essentiellement à éloigner des adversaires ? Un pays peut-il se développer à une telle vitesse, permettre à ses ressortissants de voyager dans le monde, et rester néanmoins dans une forme de glacis politique ?
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Je vous précise que le chef du bureau « Chine » du Foreign Office britannique est présent dans la salle, à titre d'observateur. Nous souhaitons, en effet, pouvoir échanger nos analyses sur la Chine avec celles de nos partenaires.
M. Aymeri de Montesquiou . - Le monde musulman est aujourd'hui pris de convulsions. J'ai rencontré, en 2001, des talibans chinois ouïghours. La Chine mène-t-elle, dans le Xinjiang, une politique uniquement répressive, ou conduit-elle aussi une politique de développement économique, pour lutter contre le fondamentalisme musulman ?
M. Joël Guerriau . - La Chine construit des îles artificielles en mer de Chine, à partir de petits récifs. Depuis la convention de Montego Bay, les Etats côtiers obtiennent des droits économiques exclusifs jusqu'à 200 milles au moins. Même si le délai d'instruction des demandes soumises à la commission compétente de l'ONU est de vingt-cinq à trente ans, il convient de s'interroger sur cette politique chinoise, très anticipatrice. L'emplacement de ces îles est stratégique puisque cette zone pourrait abriter 13 % des réserves mondiales de gaz. Les demandes d'exploration adressées par la Chine à l'Autorité internationale des fonds marins sont en forte augmentation. C'est là que se jouera la croissance demain, non sans risques, notamment pour l'environnement.
Mme Nathalie Goulet . - Quels sont les effets de l'accord douanier signé en mai 2014 entre l'Union européenne et la Chine ?
Qu'en est-il de la spéculation sur les terres agricoles en Afrique et peut-être ailleurs ?
Quelle est la politique de la Chine à l'égard de l'islam ?
Professeur François Godement . - Je commencerai par répondre aux questions politiques. Le bilan de l'évolution vers la démocratie et l'Etat de droit est entièrement négatif depuis deux ans. C'est le point le plus sombre de la politique de Xi Jinping, qui a commencé son mandat en déclarant que la politique suivie par Mikhaïl Gorbatchev en 1989-1991 avait été une catastrophe. Actuellement, non seulement les dissidents subissent des persécutions, mais aussi leurs avocats, et même parfois les avocats de leurs avocats... Cette question devient préoccupante à tous les niveaux, car, à l'exception de quelques ténors directement liés à certains dirigeants, un grand silence s'est établi sur beaucoup de sujets. Le politique doit être séparé de l'économique, ce qui est problématique pour l'équilibre des politiques occidentales.
La situation au Xinjiang est également sombre. La Chine y a mené une politique que l'on peut qualifier d'assimilationniste, et une politique de développement économique. Ces politiques ont abouti à un développement séparé, à un choc entre communautés. La situation s'est aggravée depuis deux ans : une spirale répressive et une spirale de terrorisme qui se répondent. Bien qu'ils évoquent le lien avec le terrorisme international, les connaisseurs du sujet, en Chine, savent que ce problème a aussi une source autochtone.
Le grand inconvénient, pour nous, de l'Islam, est l'absence d'organisation unifiée des cultes qui permettrait de disposer d'un interlocuteur. Cet inconvénient est un avantage pour la Chine, puisqu'elle refuse tout interlocuteur indépendant, quelle que soit la religion. La Chine s'efforce d'encadrer l'activité des imams et celle d'associations religieuses musulmanes, parfois utilisées pour des échanges avec l'étranger. Cette politique peut être qualifiée de communautaire, mais elle ne doit pas être simplifiée.
S'agissant des questions économiques, nous ne disposons pas de chiffres fiables concernant les investissements chinois en Europe. Il convient de distinguer les investissements directement réalisés par des entités chinoises de ceux qui passent par l' offshore . Les deux tiers des flux de capitaux chinois transitent par des places offshore . La première destination officielle des investissements chinois en Europe est le Luxembourg. Les investissements chinois prennent aussi la forme de prises de participation sous les seuils déclaratifs. L'actionnariat chinois dans les entreprises du CAC 40, ou leurs équivalents étrangers, peut atteindre 4 ou 5 %. Cette progression n'est pas comptabilisée ni agrégée. Il faut y ajouter l'investissement immobilier qui est très important et peu visible.
Qui sont les partenaires chinois ? Les entreprises d'Etat, qui sont très subventionnées, ce qui crée des problèmes concurrentiels, réalisent, sous forme d'investissements directs, 65 à 75 % selon les sources des opérations comptabilisées.
S'agissant des placements et de la monnaie, je ne crois pas que la Chine fasse des choix particuliers. Sa stratégie est tous azimuts et essentiellement financière, plutôt que politique. Tant qu'on la laisse disposer d'une monnaie non complètement convertible mais devenant néanmoins monnaie de réserve, elle n'a aucune raison d'y renoncer. La Chine ne coopère pas complètement sur la question des places offshore , ou à condition que l'on accepte ses propres places, notamment Hong Kong. Elle peut avoir des intérêts parallèles à ceux des Américains ou des Européens en matière de contrôle. Un projet de loi sur les joint-ventures étrangères vient d'être publié en Chine. Il prévoit que les propriétaires physiques des sociétés « parapluie » offshore contrôlant des entreprises à capitaux mixtes devront se déclarer, s'ils veulent bénéficier du statut d'entreprise étrangère. On observe un mouvement vers davantage de contrôle, qui ne s'accompagne pas, au même degré, d'une coopération internationale accrue.
La vente de l'aéroport de Toulouse ne m'a pas choqué dans son principe. Au contraire, nous sommes en retard dans la mise en compétition du financement de nos infrastructures. Ce financement est insuffisant dans un certain nombre de domaines, alors que les taux d'intérêt sont bas. Le mouvement est général en Europe. Les pays de l'Est coopèrent avec la Chine dans le cadre des sommets « 16+1 ». Avec les pays de l'Union européenne, se pose la question du respect des règles des appels d'offres. Les Britanniques n'avancent pas toujours aussi vite qu'ils ne le clament, par exemple dans le domaine ferroviaire, car ils doivent respecter les règles européennes. En Grèce, la privatisation partielle du port du Pirée est un succès économique, le trafic ayant beaucoup augmenté. Des questions réelles se posent, s'agissant notamment des armateurs, mais elles sont distinctes.
En France, nous sommes dans l'entre-deux. Notre politique a évolué. Elle est beaucoup plus favorable qu'auparavant aux investissements chinois, comme en témoigne la tonalité du récent déplacement du Premier ministre en Chine. Néanmoins, il subsiste des réserves. Il serait préférable d'adopter une politique explicite, nous permettant de négocier, plutôt que d'agir implicitement. Ce qui m'a choqué, dans le cas de l'aéroport de Toulouse, est que l'on a dissimulé le fait que les décisions stratégiques seront prises par l'actionnaire minoritaire chinois, en vertu d'un pacte secret d'actionnaires. Peut-être fallait-il l'accepter, en contrepartie de l'apport de capitaux, mais il aurait mieux valu être explicite plutôt que de tenir un discours ambigu qui se révèlera coûteux politiquement.
Les conséquences de la concurrence entre le Royaume-Uni et la zone euro pèsent sur l'adoption d'une stratégie financière vis-à-vis d'un partenaire comme la Chine. La Commission européenne souhaite atténuer les divergences et trouver un compromis entre Européens, qui se livrent à une véritable course aux investissements.
Aucun accord de libre-échange entre l'Europe et la Chine n'a été conclu pour l'instant. Pendant deux ans et demi, jusqu'en 2013, la Chine s'est dérobée, y compris au dialogue stratégique économique de haut niveau. Elle n'a pas avancé sur le projet de traité bilatéral sur les investissements. Elle a estimé qu'elle avait suffisamment accès aux marchés européens, dans le cadre de relations bilatérales, pour ne pas se préoccuper vraiment de la politique commune. Au moment des sanctions antidumping sur les panneaux solaires, toutefois, la Chine a accepté, pour la première fois, un compromis. Parler d'une seule voix est payant pour l'Europe.
Nous devons être réalistes concernant l'utilité des capitaux chinois et la dureté de la compétition internationale. Toutefois, l'absence d'un attelage européen solide et la concurrence entre Etats membres nous pénalisent, en termes de négociation et pour obtenir l'ouverture des marchés chinois, dont le développement va se poursuivre.
Il est difficile de distinguer ce qui relève du nationalisme et de la stratégie, dans l'optique d'une domination du Pacifique au détriment des Etats-Unis avec une quasi-exclusion de la présence militaire de ce dernier pays dans une certaine zone, de ce qui relève de l'ambition économique et des intérêts pétroliers, gaziers et miniers. L'armée populaire de Chine est, bien entendu, la première à insister sur l'importance économique de cet aspect pour justifier son budget. Je pense que l'enjeu ne se limite pas aux ressources minières. En tout cas, la France a un problème dans ce domaine avec l'incapacité de défendre son domaine maritime, qui est le deuxième mondial : peut-être faudra-t-il même un jour que sa doctrine évolue sur la libre circulation maritime dans les zones économiques exclusives en raison de cette insuffisance de moyens.
M. Jacques Legendre . - Qu'en est-il de l'appareil de formation et d'éducation ? Observe-t-on une démocratisation de l'enseignement ? Et qu'en est-il de la recherche chinoise ?
M. Robert Hue . - Vous avez estimé que le pouvoir actuel en Chine était l'un des mieux assis depuis 20 ans. En même temps, il existe une inquiétude chez les dirigeants, qui craignent une évolution qui conduirait à davantage de démocratie. Je ne vais pas faire un développement marxisant ! Toutefois, l'un des aspects essentiels de l'évolution d'une société est le caractère inégalitaire du développement. S'agissant de la Chine, les éléments de développement inégal et de contradiction dans la société chinoise sont les trois suivants : les mouvements migratoires entre le monde urbain et le monde rural, l'opposition sociale entre les très riches et les pauvres, enfin les écarts de richesse entre les régions. Qu'en pensez-vous ?
M. Jeanny Lorgeoux . - Y-a-t-il encore une politique africaine de la Chine ou seulement l'achat systématique de terrains miniers pour assurer son développement économique ?
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Je donne maintenant la parole à Didier Guillaume, membre de notre commission mais aussi président du groupe d'amitié France - Chine du Sénat.
M. Didier Guillaume . - À la suite de l'accord Chine/Etats-Unis sur les gaz à effet de serre, comment la Chine se positionne-t-elle sur la question de la transition énergétique ?
M. Gilbert Roger . - Est-ce que l'engagement affiché pour l'environnement n'est pas un alibi pour une économie qui mobilise les matières premières les plus polluantes ?
M. Claude Malhuret . - La politique de la Chine vis-à-vis de ses voisins semble contradictoire. Entre revendications maritimes et offres de codéveloppement, il y a des ambiguïtés ! Enfin la rivalité avec la puissance américaine devient de plus en plus forte. Comment analysez-vous ces questions géopolitiques ?
Mme Sylvie Goy-Chavent . - Aux élections de novembre, le Kuomintang de Taiwan a été mis en minorité à cause de ses liens avec la Chine continentale. Est-ce que cela ne constitue pas un précédent dommageable, dans le contexte de la signature d'un accord France/Taiwan en matière d'agro-alimentaire ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - Au cours d'un déplacement, j'ai senti de la part du Vietnam un sentiment très antichinois. Même chose de la part du Japon qui estime qu'un accident entre deux navires pourrait conduire à une escalade des tensions. Devons-nous nous inquiéter de l'attitude de la Chine vis-à-vis de ses voisins ? Par ailleurs, qu'en est-il du mouvement protestataire des étudiants à Hong-Kong ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont . - Quel avenir pour le Népal qui s'inquiète d'être coincé entre ses deux puissants voisins ? Ce petit pays est soucieux de préserver une stabilité récemment acquise et de se développer dans le respect de l'environnement.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - On voit bien la mobilisation de la Chine en matière de défense. Qu'en pensez-vous ? Je vous donne la parole pour répondre aux questions.
Professeur François Godement . - Je répondrai d'abord aux questions concernant la poursuite du modèle de croissance chinois. En ce qui concerne l'éducation, la formation et la recherche, il est vrai que la Chine forme plus d'ingénieurs que les Etats-Unis, mais de quelle qualité ? Sur la course aux brevets, il y a aussi des exagérations. En matière d'éducation, on observe une mobilisation effrénée de la jeunesse qui aura de graves conséquences sur le plan psychologique et psycho-social mais qui permet à la Chine d'améliorer ses résultats formels. Concernant la recherche, il existe un gigantesque mouvement de circulation des chercheurs entre la Chine et les autres pays ; on observe notamment désormais un mouvement de retour très important de scientifiques chinois ainsi que l'embauche de scientifiques étrangers à prix d'or. Bref, la Chine mène une politique systématique pour compenser ses faiblesses en captant les ressources nécessaires.
Est-ce que l'éducation reste un facteur de promotion ? Je suis plus optimiste que la plupart des observateurs sur la capacité du système à promouvoir les gens. Certes, cette capacité ralentit un peu. Là où le système socialiste existait, dans les régions qui ne souffraient pas de sous-développement, il était plus égalitaire que d'autres systèmes. Je ne pense pas que le chômage des jeunes soit spécialement un problème, en revanche la sous-rémunération des diplômés l'est davantage.
Pour répondre à M. Robert Hue, l'émigration intérieure a longtemps été contrôlée par le biais du permis de résidence qui reste en vigueur mais dans une forme atténuée ; les grandes villes ont d'énormes poches de population sans résidence permanente. Le sentiment d'appartenance à la classe moyenne consiste ainsi largement dans le fait de résider de manière légale dans les villes, ce qui joue aussi en faveur du soutien au régime. Le développement est très inégal entre les régions mais l'Etat opère de gros transferts budgétaires, notamment par le biais de la construction d'infrastructures. Il existe un problème de vieillissement dans les régions rurales. Concernant les salaires, les entreprises étrangères se plaignent de hausses qu'elles considèrent excessives : c'est peut-être vrai pour des métiers très qualifiés mais beaucoup moins dans les régions de l'intérieur de la Chine, par exemple le Sichuan. En outre, il faut tenir compte du niveau réel de l'inflation, par exemple sur l'alimentation et le logement.
La déclaration commune Chine/Etats-Unis sur l'environnement est très opportune pour les deux parties : elle permet aux Etats-Unis d'afficher une coopération avec la Chine et pas seulement une compétition stratégique et des points de discorde ; de son côté la Chine reste considérée comme un pays en développement et ne s'engage qu'à partir de 2030 alors que les Etats-Unis s'engagent à compter de 2020. En outre, cet engagement porte uniquement sur les émissions de CO2 alors qu'elle a également un grave problème d'émission de poussières, de métaux lourds et de particules chimiques. Je crains que cet accord n'apparaisse comme un plafond pour les négociations de la COP21, notamment vis-à-vis de l'Inde qui est également très réticente dans ce domaine, alors qu'il devrait plutôt être considéré comme un accord plancher.
À votre demande, j'ai eu une approche économique dans ma présentation mais je vais répondre aux questions plus stratégiques. Depuis novembre et le sommet de l'APEC, les problèmes sont moins immédiats puisque le président Xi Jinping a rencontré le premier ministre japonais et signé une déclaration qui, malgré ses incertitudes, permet de différer les affrontements rhétoriques. Un accord existe dorénavant avec les Etats-Unis pour prévenir les incidents maritimes et les incidents aériens, un autre est en discussion avec le Japon, mais ils restent ambigus. Par exemple, ils concernent les forces armées alors qu'une grande partie des incidents ont été gérés par des administrations paramilitaires. On assiste également au retour d'une rhétorique chinoise sur la nécessité d'une bonne politique de voisinage, ce qui sous-entend une décision chinoise d'au minimum ajourner, peut-être de transformer la situation en matière de différends avec les voisins. Pour autant, les tendances à long terme doivent amener à plus de prudence, du fait par exemple de la très importante augmentation du budget militaire, alors que celui du Japon reste stable depuis de nombreuses années.
Jusqu'en 2012, la situation régionale a pu apparaître comme un sujet de confrontation entre les factions qui se disputaient le pouvoir. Aujourd'hui, la situation est beaucoup mieux contrôlée. Après les graves incidents qui ont lieu au Viêt-Nam à la suite de l'installation d'une plate-forme pétrolière, vous n'avez pas eu une seule manifestation publique en Chine, ce qui est révélateur de la capacité de contrôle du système. Cela peut nous rassurer mais aussi nous inquiéter. Certains disent que le pouvoir chinois est fragmenté ; d'autres, dont je suis, estiment qu'il y a un contrôle par le haut.
Nous avons donc affaire à une grande puissance qui teste les limites de son influence et qui veut faire prévaloir, comme la Russie, la notion de sphères d'influence, mais qui connaît aussi son infériorité militaire par rapport aux Etats-Unis. Elle réussit à ne pas tomber dans des pièges qui pourraient lui faire perdre la face et à ne pas se laisser entraîner dans une fuite en avant, mais la pression sur le long terme est tout de même très forte.
En ce qui concerne Taïwan, il faut rappeler que cette société est profondément démocratique, avec des partis politiques et des media divers. Il existe une contradiction entre le rapprochement économique et la stratégie chinoise de voisinage. D'ailleurs, que la pression s'oriente plus vers le Japon, les Philippines ou le Viêt-Nam ne peut déplaire à Taïwan... Cela reste pour autant une zone de conflit potentiel dans les années à venir. Alors que le « new deal » conclu du temps de Hu Jintao était censé donner une certaine autonomie à Taïwan sur le plan international, on peut regretter la frilosité des Européens pour négocier des accords notamment commerciaux avec Taïwan. Ce type d'accord, comme ceux que nous pouvons négocier avec l'ASEAN ou d'autres pays de la région, peut nous servir dans nos discussions avec la Chine. Pour être réaliste toutefois, Taïwan est entré dans l'orbite chinoise et n'en sortira pas.
La révolution des parapluies à Hong Kong est complexe à appréhender, notamment du point de vue sociologique. Vu de Chine, les habitants de Hong Kong sont relativement privilégiés. Il est vrai que la Chine veut prendre le contrôle de Hong Kong à la fin de la période de cinquante ans mais cela a été accepté par la communauté internationale. Il est difficile d'envisager que la Chine, qui refuse un système démocratique pour elle-même, le concède à Hong Kong !
Les relations entre la Chine et les Etats-Unis sont très complexes ; l'idée d'un G2 a été rejetée par Xi Jinping dès son arrivée au pouvoir et il a effectué plusieurs voyages à l'étranger qui l'ont bien montré. Les Etats-Unis sont certes la relation la plus importante de la Chine mais la Russie est officiellement la première relation stratégique. L'interdépendance entre les Etats-Unis et la Chine est très forte, que ce soit au niveau des élites ou sur un plan financier et monétaire. Les Chinois ont fait une erreur en pensant en 2009-2012 que les Etats-Unis allaient décliner en raison de la grande crise financière. Il existe des coopérations, par exemple sur l'énergie, mais pas à un niveau stratégique. Les Etats-Unis sont ainsi dans un dilemme dans leur relation avec la Chine.
B. AUDITION DE M. JEAN-LUC DOMENACH LE 17 FÉVRIER 2015
La commission entend M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po, sur la Chine.
M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Mes chers collègues, nous recevons le professeur Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po. La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a décidé de créer un groupe de travail co-présidé par Henri de Raincourt et Hélène Conway-Mouret pour étudier la croissance chinoise et son impact sur les questions sociales et politiques. Nous voulons également déterminer ce que la croissance du Douzième Plan - la croissance « inclusive » - a de réel, tout en nous intéressant à ses mécanismes et à certains de ses aspects plus traditionnels.
Nous avons déjà reçu le professeur Godement qui nous a notamment indiqué qu'en matière de croissance, comme toujours en Chine, le paradoxe subsiste et que deux formes coexistent, l'ancienne et la nouvelle. Il nous a toutefois conseillé de ne pas arbitrer en faveur de l'une ou de l'autre. On trouve, selon lui, dans ce pays plutôt pauvre, un espace grand comme l'Allemagne, et aussi riche, qui révèle une économie très complexe. Si la Chine n'est pas bien classée sur le plan du PIB par habitant, ce n'est pas le cas de son classement en volume, et elle met en avant l'un ou l'autre en fonction des circonstances.
Nous voudrions également vous interroger sur le nouveau pouvoir en place dans ce pays, que l'on sent dirigé par un homme fort. Ceci a-t-il des conséquences sur les perspectives économiques et sur le plan social ?
Monsieur, vous avez la parole.
M. Jean-Luc Domenach, directeur de recherche au CERI-Sciences Po. - Monsieur le président, votre modestie dut-elle en souffrir, je rappellerai ici, comme à chaque fois que vous m'invitez à prendre la parole, le voyage que vous avez effectué à Pékin, en 2003, au moment de l'épidémie de SRAS, alors que tous les dirigeants étrangers annulaient ou reportaient leur visite. C'est quelque chose que l'on ne peut oublier !
J'éprouve un grand plaisir à m'exprimer devant vous, en raison de l'intérêt que vous portez à la Chine, mais vous constaterez qu'il existe cependant certaines différences d'appréciation entre nous.
S'agissant de la situation politique, je dispose d'informations que peu de gens possèdent sur le « patron », Xi Jinping, Président de la République populaire de Chine, ainsi que sur ses « adjoints ». Je prépare en effet un livre qui porte sur la génération des « fils de princes ». Ce sont eux qui sont actuellement au pouvoir, et j'ai plaisir à vous faire partager ces éléments, que vous retrouverez dans mon livre d'ici quelques mois. J'ai découvert des sources originales, qui sont essentielles à la compréhension de Xi Jinping, de ses « adjoints » et des ennemis qu'il peut compter dans son propre pays.
Je tenterai de faire le lien entre la situation politique, relativement calme, l'économie et la société, coeur de votre sujet.
J'ai eu la chance de rencontrer Xi Jinping. J'aime raconter des anecdotes. Dans un pays où la complexion des personnes compte énormément, il est très important de se rendre compte de la façon dont vivent les gens. J'ai pu converser cinq à dix minutes avec Xi Jinping lors de sa dernière visite en France. La conversation de son épouse, que j'entendais derrière moi, était toutefois bien plus intéressante ! On se serait cru à la cour de Marie-Antoinette ! Ceci constitue un changement extraordinaire. Xi Jinping est plutôt un connétable, un homme du XIVe ou du XVe siècle, un noble. Quant à son épouse, durant cinq à dix minutes, elle n'a parlé que de la mode milanaise, l'opposant à la mode turinoise. Ce sont des aristocrates...
Xi Jinping se voit dans le rôle de futur empereur. Il pense - et il a de bonnes raisons pour cela - qu'il est un nouveau Mao Zedong. Mao Zedong jalousait quelque peu son père, un très grand guérillero, dont l'apport à la révolution chinoise a été occulté. Si Mao Zedong a eu des coups de génie stratégiques, il n'a pas été un brillant chef de guerre. Il disposait de généraux pour mener le travail à sa place !
Le père de Xi Jinping fut un homme fort courageux, et une personne très droite. Il s'est fait connaître par son comportement extrêmement moral. Chose rare, il a laissé à sa femme la possibilité de continuer à travailler lorsqu'il a été nommé vice-premier ministre, lui-même devant langer les enfants !
Durant le « Grand Bond en avant », alors que Mao consacrait ses nuits à se détendre, Xi Zhongxun passait les siennes à organiser le ravitaillement en riz des villes où la famine était la plus terrible. Dès que la famine s'est éloignée, il a été le premier à faire les frais des purges de Mao Zedong, bien avant la révolution culturelle.
La famille de Xi Jinping jouit donc déjà d'une certaine grandeur. Elle détient également un message moral et est capable de comprendre qu'il existe des choses plus importantes que l'idéologie, notamment soutenir la Chine comme un Empire. Il raisonne donc de manière très différente de celle de Mao Zedong. Ce qui compte pour lui, ce n'est pas la marche de la Chine vers le communisme, mais vers la grandeur, au plan intérieur comme au plan extérieur.
Xi Jinping est plutôt ce que l'on appelle « un homme bien ». Il n'a pas commis de grandes fautes, même s'il s'est parfois un peu compromis lorsque c'était vraiment nécessaire. Il a une idée, celle de porter la Chine au plus haut. C'est ainsi qu'il gouverne.
Son intention est double. En premier lieu, il veut « nettoyer les écuries d'Augias » sur le plan intérieur ; en second lieu, il souhaite instaurer la cogestion. Fort intelligemment, il ne se fait pas d'illusions sur la capacité de la Chine à devenir l'équivalent des États-Unis : ce qu'il veut, c'est être consulté, jouer un rôle du numéro deux. Ceci l'amène à vouloir élever la Chine très haut, sans toutefois tenter d'opérations excessives ou risquées.
La posture générale de Xi Jinping est donc celle de l'empereur ; quant à son épouse, elle joue le rôle de l'impératrice. Elle était plus connue que lui à l'origine. C'est une cantatrice professionnelle, dont le rang est celui dit de « petit général » dans l'armée chinoise. Preuve qu'ils se situent au-dessus des « gamineries » idéologiques, ils ont laissé leur fille aller à Harvard, d'où elle est rentrée il y a seulement un an. Ces gens se situent donc au-delà des craintes et des précautions idéologiques.
Sur le plan extérieur, il s'agit pour la Chine d'arriver à parité avec les États-Unis, d'être consultée sur les grandes affaires du monde et d'obtenir que l'Asie soit considérée comme le jardin de la Chine. C'est là la seule faiblesse de cette gestion « impériale ». Xi Jinping reprend, sans trop y réfléchir, peut-être pour que ses collègues le laissent tranquille, la manie de tous les empereurs chinois : menacer et dominer ses voisins. Ce n'est pas une bonne chose, car cela l'empêche d'user de la carte de la puissance régionale face aux Américains. Les Chinois ont réussi à se fâcher avec à peu près tous leurs voisins, à l'exception de la Corée du Sud. Ils se sont même plus ou moins fâchés avec la toute petite Mongolie. Il faut quand même y arriver ! Quant à la Corée du Nord, c'est bien là, selon moi, que réside le danger ; les deux pays ont en effet été trop proches pour voir aujourd'hui leurs relations s'apaiser. Les Chinois se sont également totalement fâchés avec les Vietnamiens, et même avec les Thaïlandais, alors qu'une large partie de la cour thaïlandaise descend de la communauté chinoise et que leurs relations étaient traditionnellement bonnes. La Birmanie s'est tournée vers les Américains et même le tout petit Cambodge a récemment purgé une partie de sa province septentrionale de dizaines de milliers d'occupants originaires de Chine.
Ceci mis à part, la politique étrangère chinoise me paraît tout à fait remarquable. Elle manifeste une qualité rare, qui consiste à ne s'occuper que de ce qui compte pour elle. C'est pourquoi la Chine ne s'occupe pas du tout du Moyen-Orient qui, pour elle, ne revêt aucune importance.
En revanche, l'Europe est très importante, et la Chine joue un jeu politique et commercial très astucieux entre la France et l'Allemagne. De la même façon, elle pousse ses pions en Afrique et en Amérique latine, avec des sorts qui varient. Les choses fonctionnent un peu moins bien en Afrique, mais c'était prévisible. Les relations ont si vite progressé que cela ne pouvait pas durer longtemps à un tel niveau. On enregistre maintenant des problèmes à tel ou tel endroit.
De manière générale, la Chine est devenue une puissance mondiale, et elle le doit en bonne partie à un « patron » qui n'est pas du tout idéologue, qui considère la politique mondiale comme un ensemble, et qui gère fort bien ses ambassadeurs. C'est un élément important.
Sur le plan intérieur, c'en est fini des grands desseins idéologiques. Il s'agit simplement de répondre au grand problème de la corruption. Il faut reconnaître que, sur ce point, le succès est bien plus grand qu'on ne l'aurait cru. Au début, on pensait que Xi Jinping allait se servir de cette campagne pour purger l'appareil de ses ennemis. Bien entendu, c'est ce qu'il a fait, mais il ne s'en est pas contenté. La population s'est du coup rendu compte que le « patron » faisait son travail. Xi Jinping, alors que chacun se méfiait des véritables intentions du pouvoir lorsque celui-ci entreprenait une campagne de moralisation, a réussi à convaincre une bonne partie de la population qu'il voulait véritablement lutter contre la corruption. L'affaire peut-elle être menée jusqu'au bout ? Probablement non ! Dès que l'on monte dans la hiérarchie, on rencontre certaines alliances entre l'argent et le pouvoir. Néanmoins, il est important qu'il gagne du temps et fasse baisser la tension. C'est toujours cela de pris, au moment où il joue une partie autrement plus difficile avec les Américains, et sur le plan international.
Globalement, on peut dire que Xi Jinping ne se débrouille pas si mal. Une des choses les plus surprenantes réside dans le fait qu'il a caché longtemps ses qualités. Il a eu beaucoup de courage lorsqu'il avait dix-huit ou vingt ans. Envoyé à la campagne, il a été l'objet de la haine et de la jalousie des petits cadres locaux, qu'il a habilement retournés. On le savait courageux et adroit, mais il a surtout occupé tous les niveaux de poste en Chine sans jamais donner l'impression qu'il était plus que ce qu'il avait le droit d'être, ce qui n'a pas dû être facile pour le descendant d'un homme remarquable ! Il s'est montré modeste, efficace et a réussi à passer à côté des plus grandes affaires de corruption alors qu'il était gouverneur du Fujian, province pourtant réputée pour ses dérives. Il n'a jamais, semble-t-il, touché d'argent et est parvenu à imposer une certaine rigueur morale à ses enfants.
Tout cela est plutôt une bonne chose dans un pays comme la Chine, où l'on aime bien que les gens donnent le sentiment de respecter une certaine éthique. Dans l'ensemble, il faut décerner un véritable satisfecit à ce dirigeant, qui a aussi l'intelligence de se trouver des collègues remarquables. Ce sont des camarades avec lesquels il jouait dans la cour de récréation il y a une cinquantaine d'années. Ils ont fréquenté les mêmes écoles et ont fait partie des mêmes groupes de gardes rouges, en restant toutefois parmi ceux qui se sont le mieux comportés. Certes, ils ont initialement cru dans la révolution culturelle, mais deux ou trois mois après le début de celle-ci, ils se sont élevés contre Kang Sheng et Jiang Qing, la dernière épouse de Mao Zedong. Ils ont réclamé davantage de correction à l'égard des vieux aristocrates. Ce sont des gens assez respectables. Parmi eux, certains ont appris l'économie. Le Premier ministre, Li Keqiang, est de ce point de vue remarquable.
Comment Xi Jinping et Li Keqiang s'organisent-ils ? Li Keqiang est issu d'une autre équipe. On trouve en Chine actuellement deux grandes écoles politiques. L'une est celle de Xi Jinping, celle des « fils de princes » ; l'autre, plus ancienne et plus solide, qui va vraisemblablement prendre le pouvoir après le départ de Xi Jinping dans sept ans environ, est celle de la Jeunesse communiste, équipe dirigée par l'ancien président Hu Jintao.
Ces personnes sont astucieuses, font preuve de courage, possèdent des qualités et peuvent compter, avec Li Keqiang, sur un économiste de talent. Il sait rester à sa place, ce qui est assez rare dans les régimes communistes, où tous les problèmes politiques sont théoriquement résolus, mais où les problèmes interpersonnels deviennent souvent dramatiques. Dans le cas présent, on n'arrive pas à identifier de divergences graves entre le Premier ministre et Xi Jinping. Tout donne l'impression que Li Keqiang est capable de maîtriser les différentes options économiques qui s'offrent à la Chine.
Li Keqiang a en outre une véritable capacité à dire la vérité. Il a récemment admis qu'il ne croyait pas aux chiffres qui, selon lui, sont tous truqués ! Par exemple, il explique que pour savoir où en est l'économie chinoise, il observe la dépense en électricité.... En cas de baisse, il est prêt à apporter un coup d'accélérateur ; dans le cas contraire, il laisse aller les choses. Cet empirisme s'est révélé très positif...
La Chine a actuellement l'une des meilleures équipes dirigeantes qu'elle a pu connaître. Je n'ai pas toujours porté le même jugement. Je continue à considérer que, par bien des côtés, l'administration chinoise reste moralement douteuse - sans même parler de la diplomatie -, mais il est extraordinaire de trouver des gens aussi remarquables en haut d'un système lui-même corrompu. Leur talent et leur cohésion laissent espérer qu'ils resteront plus longuement installés. Il est dommage qu'ils doivent « rendre leur tablier » d'ici sept ans !
Il est rare que je tienne des propos aussi positifs sur la politique chinoise, mais l'honnêteté m'oblige à dire qu'ils ont à leur tête quelqu'un de bien, doté d'une certaine morale. Même s'il reste beaucoup à faire, il s'est attaqué à la corruption, conduit une politique étrangère qui n'est pas agressive et use d'une politique d'influence qui commence à tenir compte de problèmes mondiaux comme l'écologie, fait rare pour un pays communiste. Cela revient en effet à penser le monde, ce qui n'est pas commun pour un tel régime.
On peut toutefois reprocher à ce système sa brutalité policière et son attitude à l'égard de l'intelligentsia. Je considère ce fait comme regrettable. J'en suis d'ailleurs moi-même victime : je suis en effet interdit de séjour en Chine, sous prétexte que je tiens des propos incontrôlables ! Je réussis souvent à me débrouiller pour aller à Pékin mais on mesure par-là que tout n'est pas terminé. On sent encore une certaine nervosité dans les comportements. Ce n'est jamais très bon pour un régime, quel qu'il soit, de se fâcher avec les intellectuels, en Chine comme à l'étranger.
Pour être franc, tout cela reste très secondaire par rapport à la détente sociale extraordinaire que connaît le pays. L'urbanisation, la hausse des salaires révèlent une société bien plus décontractée qu'on le dit souvent. Les femmes sont plus détendues, les enfants moins nombreux, on s'en occupe davantage, et le système d'éducation fonctionne bien. La féminisation de bien des métiers, y compris au sein de l'appareil judiciaire, est également un signe de cette évolution.
Vous remarquerez que j'ai voulu donner un ton relativement optimiste au chapitre politique de vos travaux.
M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Vous m'avez parfois estimé trop prochinois au cours de certains de nos débats ; je vois que c'est aujourd'hui votre tour ! On peut aussi ajouter que, contrairement à ce qui se passe dans nos systèmes politiques, Li Keqiang a su qu'il serait Premier ministre cinq ans avant sa nomination ! Il pouvait donc s'y préparer.
M. Christian Cambon . - Professeur, merci de ces indications précises et parfois pittoresques, qui donnent un peu de chair à la connaissance que vous nous apportez.
Je voudrais revenir sur la politique étrangère de la Chine. Vous l'avez dit, il s'agit d'un pays qui cherche à se hisser, à l'échelle internationale, au niveau des Etats-Unis, et qui affiche un désintérêt marqué pour le Moyen-Orient, ainsi qu'un intérêt largement économique pour l'Afrique.
En Asie toutefois, le contexte est différent. La Chine y crée une agitation permanente en entretenant certains conflits - îles Senkaku-Diaoyu, îles Spratleys, îles Paracels. J'ai du reste assisté, au Vietnam, à des manifestations assez violentes contre les Chinois. Quelle est la stratégie de la Chine, qui n'a pas besoin de cela étant donné sa puissance économique et son rayonnement ? Pourquoi une telle agitation, notamment en mer de Chine orientale ?
L'autre grand voisin de la Chine est évidemment la Russie. La Chine va-t-elle tirer bénéfice des difficultés que ce pays rencontre avec l'Occident ? La Russie peut-elle constituer un réel partenaire économique pour la Chine ? Quelle vision Xi Jinping a-t-il de la Russie ?
M. Aymeri de Montesquiou . - Merci, Professeur, pour cet exposé extrêmement intéressant. Pouvez-vous nous indiquer le budget de la défense chinoise, en chiffres absolus et en pourcentage du PIB ? Par ailleurs, le Gouvernement encourage-t-il une émigration, qui est illégale, vers ses voisins proches, par exemple en Sibérie ?
M. Robert del Picchia . - Professeur, vous avez très brièvement évoqué l'environnement et le développement durable, questions auxquelles s'intéresse la Chine. A-t-on une idée de sa position en décembre lors de la COP 21 ? La presse parle d'un accord plus ou moins secret avec les Américains sur le réchauffement climatique. Disposez-vous d'informations sur ce point ?
Par ailleurs, quel est l'état des relations entre la Chine et la Grèce ? Les échanges avec le nouveau Gouvernement sont-ils aussi bons qu'avec le précédent, en particulier en matière d'investissements ?
M. Jean-Luc Domenach. - Je vous ai dressé un tableau très optimiste en général et assez louangeur de Xi Jinping. Je crois toutefois que sa politique régionale vaut un zéro pointé ! Xi Jinping étant remarquablement intelligent, il faut chercher à comprendre pourquoi... Il s'en rend certainement compte. La preuve en est qu'il a amélioré il y a quelques mois les relations de la Chine avec le Japon, que son Gouvernement avait bêtement gâchées à plusieurs reprises. Le comportement dont use la Chine avec ses voisins est un exemple de stupidité impérialiste. Je pense que Xi Jinping laisse les militaires faire. Il a besoin de l'armée, qui pèse très fort. Il faut donc lui accorder un bon budget de défense et lui permettre de traîner son sabre en procédant à des déclarations contre les voisins. C'est tout à fait désolant ! Sans cette explication, on aurait du mal à comprendre que quelqu'un d'aussi intelligent que Xi Jinping se soit comporté de manière aussi navrante avec les Japonais. Pour se fâcher avec eux, il faut vraiment le vouloir !
Il est par exemple incroyable de dire que le massacre de Nankin, dont les Japonais se sont rendus coupables en 1937, a provoqué 200 000 ou 300 000 victimes. C'est le massacre le mieux documenté au monde. Beaucoup d'étrangers, parmi lesquels un certain nombre de prêtres, ont tout noté. On connaît le nombre des victimes à quelques milliers près. On en dénombre 70 000 à 80 000. C'est déjà beaucoup, et il n'est pas nécessaire d'en raconter plus ! Cela reste un massacre commis pour l'essentiel à l'arme blanche, épouvantable.
De même, comment peut-on se fâcher avec le Viêt-Nam ou la Mongolie ? Normalement, les relations avec la Corée du Nord ne devraient pas soulever de problèmes : pourquoi les services secrets chinois se disputent-ils comme des chiffonniers à ce propos ? Tout cela est incroyable !
Je ne peux guère vous communiquer le chiffre du budget de la défense nationale, car personne n'en sait rien. De toute manière, tous les chiffres militaires, sans exception, sont faux !
La politique en Asie, tout autant que la politique à l'égard des affaires militaires, est accablante ; j'ajoute à propos de l'Asie un autre motif de désolation, ce sont les relations avec l'Inde. Quand l'Inde et la Chine pourront négocier ensemble, la face de toute cette partie du monde changera. Cela pourra d'ailleurs faire sens pour contrebalancer l'influence du Japon. Il faut toutefois commencer par parler poliment aux Indiens. S'il est une chose qu'on ne pardonne pas dans la vie, c'est d'avoir été battu. Or, lors de la guerre de 1962, l'Inde a été écrasée à plate couture par la Chine et ne le lui pardonne pas. Il faut donc qu'un dirigeant chinois se rende en Inde et propose de façon crédible à ce pays de tout oublier. Si la Chine satisfait la fierté de l'Inde, les conséquences mondiales seront considérables. Les relations entre la Chine et l'Inde représentent l'avenir. C'est une erreur de ne pas s'y mettre !
Quant à l'émigration, elle a souvent pour origine la recherche de compétitivité de l'appareil industriel. Les femmes en ont été les premières victimes, ce qui a finalement abouti au développement de la prostitution chinoise en Europe. Cette désolante réalité est un témoignage de la dureté de cette société, qui commence heureusement à se civiliser. D'ailleurs, l'Etat chinois ne voit pas grand inconvénient à cette émigration, dans la mesure où les cadres locaux en bénéficient financièrement...
Ceci m'amène à la question des relations avec la Russie et la Sibérie. Cela ressemble à un vieux film américain de gangsters, où les deux protagonistes se connaissent depuis les années 1950, s'apprécient, mais n'arrêtent pas de se rouler l'un et l'autre dans la farine ! Il ne faut surtout pas voir dans la relation sino-russe de grands projets stratégiques. La Chine progresse le long des vallées en Sibérie, et les Russes leur vendent leur pétrole et leur gaz le plus cher possible. Il existe un grand mépris réciproque !
Pour la Chine, il n'est pas de puissance qui ne soit pas assise sur une prospérité économique. Pour la Russie, la Chine a un comportement trop aimable avec l'Occident et avec les Etats-Unis.
Quant à la conférence climat de décembre, c'est très simple : qu'a-t-on à leur offrir ? Les Chinois ont compris que l'enjeu est important, mais ils vont vendre chèrement leur position. Après tout, on peut le comprendre. Les négociations ont donc commencé...
S'agissant de la Chine et de la Grèce, ce n'est pas parce que le régime grec a changé de têtes que l'intérêt de la Chine pour la Grèce a diminué, au contraire. S'il y a bien des partisans de Mme Merkel dans le dossier grec, ce sont les Chinois ! On peut penser que la Chine va s'intéresser de plus en plus près à la Grèce et acheter tout ce qu'elle pourra.
M. Jean-Pierre Raffarin , président. - L'accord de la Chine et des Etats-Unis sur la COP 21 n'a rien de confidentiel. Il est public. J'étais d'ailleurs à Pékin au moment où il a été négocié et des points de convergence très importants ont été notés, un sur les investissements, et un autre sur le climat. La Chine y promeut la théorie de la responsabilité diversifiée : les pays n'ont pas le même degré de responsabilité et donc pas le même calendrier de mesures. La grande question sera de voir quel jeu a joué le président Obama. Veut-il qu'on lui reconnaisse le bénéficie d'avoir fait évoluer la Chine sur ce sujet ? Est-ce un sujet ouvert ou l'accord constitue-t-il un aboutissement ?
M. Claude Malhuret . - Merci, Professeur, de cet exposé très clair et très riche. J'aimerais vous poser une question d'ordre institutionnel. Vous affirmez que Xi Jinping est quelqu'un de bien, qui n'a pas commis trop d'indélicatesses. Néanmoins, vous l'avez rappelé, on est bien forcé de constater une aggravation récente de la répression contre les intellectuels. Par ailleurs, le fait de « nettoyer les écuries d'Augias » s'accompagne à nouveau de purges, avec la différence qu'auparavant, on connaissait les purges sans le nettoyage !
Quel est donc l'objectif ultime de Xi Jinping et des dirigeants chinois ? Je n'aurai pas la naïveté de vous demander s'ils envisagent un jour d'arriver à la démocratie libérale, mais croyez-vous qu'ils estiment que la glaciation politique communiste, qui persiste et qui se renforce même, peut à long terme être maintenue dans un contexte économique, social et technologique qui change à grande vitesse ? Envisagent-ils des réformes politiques et institutionnelles ? Pensez-vous qu'il leur soit possible de continuer ainsi ?
Enfin, vous nous avez expliqué que la vision qu'a Xi Jinping de son pays est celle d'un empire, aux frontières duquel se trouve le reste du monde. Quelle sera cette vision le jour - qui n'est plus très lointain - où la Chine sera à parité économique et militaire avec les Etats-Unis ?
M. Daniel Reiner . - Il y a quelques années, à l'occasion de l'assemblée générale des Nations unies, nous avions rencontré l'ambassadeur de Chine et lui avions posé une question sur l'Afghanistan. Il nous avait surpris en nous répondant que la Chine ne s'y intéressait pas, et qu'elle ne pensait qu'à se développer.
Or il semble que les choses aient changé. Les Chinois ont beaucoup investi dans ce pays. En outre, ils s'intéressent au Pakistan et y ont passé un accord. Ils anticipent la fin de l'opération en Afghanistan et s'en préoccupent. Pourquoi cette évolution ? Est-ce par crainte qu'un régime taliban n'essaime vers les régions occidentales de la Chine, où elle a déjà des soucis avec le terrorisme et les islamistes radicaux, ou s'agit-il d'une attitude vis-à-vis de l'Inde, avec laquelle elle ne sait pas trop comment se comporter ?
M. Bernard Cazeau . - Professeur, ma question concerne les conditions de travail en Chine. J'ai eu l'occasion d'accompagner, il y a deux ans de cela, une mission d'EDF relative à l'EPR de Taishan, au sud de Hongkong. J'y ai vu une fourmilière d'hommes et de femmes qui y travaillaient dix heures par jour, vingt-huit jours par mois !
Dans le même temps, des révoltes sociales ont eu lieu par exemple du côté de Shanghai. Cela va dans le sens de l'évolution à la fois économique et démocratique de cette société. Les choses se sont-elles améliorées avec Xi Jinping ? Peut-on croire à une évolution de la Chine en matière sociale ?
Mme Leila Aïchi . - Professeur, certaines révoltes ont déjà eu lieu en raison de crises sanitaires ou environnementales. Les Chinois ont-ils évalué le coût économique de leur pollution, qu'il s'agisse de celle de l'air ou des sols ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Professeur, vous ne nous avez guère parlé des relations de la Chine avec l'Afrique, où son implantation est pourtant croissante. Pouvez-vous nous dire également un mot des révoltes des populations rurales et des répressions assez violentes qui ont suivi, mais que les médias n'ont pas ébruitées...
Qu'en est-il enfin des communautés chrétiennes, dont on me dit qu'elles sont, elles aussi, très opprimées ?
Enfin, quelle est votre position sur la présence de l'Agence française de développement (AFD) en Chine ?
M. Jean-Luc Domenach. - Elle y est encore ? Il faut arrêter tout de suite !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Très heureuse de vous l'entendre dire !
M. Henri de Raincourt . - Il ne faut pas raconter n'importe quoi à propos de l'AFD ! Elle ne verse pas de subventions en Chine. Elle y octroie uniquement des prêts non bonifiés et pour des montants qui restent modestes. Ces prêts rapportent de l'argent et permettent de financer le réseau, notamment en Afrique !
Mais je souhaite vous interroger sur deux sujets. Tout d'abord, l'état des relations entre la Chine et le Saint-Siège ? Ensuite, je suis très étonné du système politique chinois. Quand une équipe arrive au pouvoir, la suivante a dix ans pour se préparer, ainsi que vous l'avez souligné. Sur quels critères - si tant est qu'il en existe - prépare-t-on la future équipe, eu égard aux intérêts stratégiques des dix ou vingt années à venir ? Il est assez extraordinaire de voir une forme de cohérence entre les équipes dirigeantes et l'évolution du pays !
M. Jean-Luc Domenach. - Les Chinois peuvent-ils se passer de réformes politiques ? Ils essayent ; on va voir s'ils y parviennent ! Ils voudraient arriver au résultat que confère la démocratie, sans en avoir les risques ni les inconvénients ! Ils se connaissent les uns les autres et savent le goût de l'homme pour le pouvoir, la tentation de la corruption, etc. Ils souhaiteraient avoir une population moins nerveuse et des discussions plus réelles, sans démocratie...
Ils n'y sont jusqu'à présent pas parvenus, et ils auront du mal. L'honnêteté m'oblige à dire néanmoins que, lorsqu'un dirigeant comme Xi Jinping se comporte convenablement, la différence entre le régime chinois et le régime démocratique s'amenuise. Mon sémaphore, c'est mon épicier de quartier, en Chine, qui me dit que ce sont tous des crapules mais qu'au moins, ils disent à peu près ce qu'ils veulent faire et se tiennent tranquilles.
Il faut reconnaître que les défauts du système se sont réduits. Certes, cela ne vaut pas un régime à la japonaise, qui combine démocratie et autorité, mais ils essayent de combler l'absence de démocratie. Ils aident même parfois les intellectuels et les universitaires. L'un dans l'autre, les démocraties ne sont plus l'objet d'insultes et de mépris. Ils étudient maintenant de plus près ce qui se passe aux Etats-Unis, en France et en Europe, et la nervosité est moins grande.
Peut-être suis-je trop honnête avec eux, mais par rapport à ce que j'ai connu il y a encore une dizaine d'années, je trouve que les choses s'arrangent un peu.
M. Jean-Pierre Raffarin , président. - Peut-on dire que les élections dans le Parti sont fondées sur des principes approximativement démocratiques ? Je crois me souvenir que la bataille qui a eu lieu entre Xi Jinping et Li Keqiang, il y a cinq ans, a été remportée par Xi Jinping. Il y a là quelque chose qui ressemble à une primaire...
M. Jean-Luc Domenach. - ... dont le sort aurait été en bonne partie déterminé par la répartition des forces politiques et économiques. C'est Shanghai qui a mis son poids dans la balance.
Quoi qu'il en soit, le plus grand défaut du système demeure la corruption. Son second défaut vient de la police : l'affaire est toujours difficile pour ceux qui ont maille à partir avec elle. Ses agissements vis-à-vis des pauvres gens ne sont sujets à aucun véritable contrôle. La situation dans les camps de travail reste épouvantable, il faut le dire ! Pour la masse de la population, les choses se sont assouplies, mais dans les campagnes, sur les chantiers peu surveillés ou dans nombre d'entreprises qui ont de l'argent et des contacts avec la police, la situation est effroyable.
Dans l'ensemble, lorsqu'on est dans la norme, qu'on n'a pas commis de délit et qu'on mène une vie sans histoire, on n'a pas trop de problèmes avec la police. Le totalitarisme n'est plus de rigueur, ni même (parfois) l'autoritarisme. Comment tout ceci va-t-il évoluer ? Je ne le sais pas. Le tempérament des Chinois complique tout : ils sont amoureux de l'ordre parce qu'ils se connaissent eux-mêmes et savent que leur capacité la plus développée est celle du désordre. Ce pays est un « bazar » absolument épouvantable ! Au fond, ils ont peur d'eux-mêmes. La seule vraie force du gouvernement, c'est la peur du désordre et la peur des paysans : si jamais on instaure la démocratie, les paysans voteront ; or, personne n'a confiance en eux, à tort ou à raison. De fait, il arrive que la démocratie joue véritablement quand on analyse les scrutins locaux.
Le grand problème du passage à la démocratie est de créer une culture permettant aux personnes de s'accepter les unes les autres.
Dans leur vision du monde, seul compte le fait de compter parmi les puissants. Ils n'éprouvent pas de sympathie particulière pour les autres pays, mais ils ont compris tout l'intérêt de la mondialisation. Ils savent exactement ce qui les sépare des Américains. Ils ne veulent pas de la parité absolue, mais d'une apparence de parité. Ils souhaitent être consultés.
Au Pakistan et en Afghanistan, les Chinois restent très prudents politiquement. Ils n'interviennent pas dans les endroits dangereux, comme au Moyen-Orient, auquel ils ne comprennent rien. J'ai discuté avec des membres du Comité central chinois : ils n'arrivent pas à comprendre une passion qui n'est pas dirigée par des motifs stratégiques ou financiers. Ils ne comprennent pas pourquoi Israël et la Palestine ne s'arrangent pas ensemble. Lorsqu'ils ne comprennent pas quelque chose, ils ne s'en occupent pas et laissent les autres prendre les risques. C'est ce qui se passe au Moyen-Orient.
Leur intérêt vis-à-vis de l'Afghanistan s'explique par un motif égoïste et compréhensible. Beaucoup de fanatiques s'y forment et se retrouvent ensuite dans la province du Xinjiang.
La Chine continue par ailleurs de travailler avec le Pakistan pour gêner les Indiens. Je crois qu'ils devraient plutôt travailler avec l'Inde. C'est là la voie de l'avenir, qu'ils finiront par emprunter.
Quant aux conditions sociales, s'il existe une preuve que l'augmentation du salaire dépend largement des conditions économiques, mais aussi de la turbulence de la main-d'oeuvre, c'est bien en Chine qu'elle se trouve. On a vu les salaires augmenter de façon remarquable depuis 2004-2005, avec des gains de 15 % à 20 %. Cela a commencé par les jeunes hommes dont les entreprises se trouvaient sur la côte. Chose magnifique, ce sont à présent les femmes qui sont en train d'en bénéficier. Le progrès est évident et rapide. Il ne touche plus seulement les salaires, mais s'attache également aux conditions de vie des employés notamment pour les femmes dont la situation a longtemps été effroyable. Dans l'ensemble de la Chine, ce sont d'ailleurs les femmes qui poussent au changement.
En ce qui concerne les chrétiens et le Saint-Siège, il faut rester prudent : il est très difficile d'établir des généralités. Certains prétendent qu'il existerait à présent 80 millions d'évangélistes. Le pouvoir aimerait bien s'en débarrasser, mais on ne les trouve qu'au fin fond de la campagne, dans des zones sans intérêt économique. En revanche, le nombre des autres protestants et des catholiques progresse beaucoup moins rapidement. Il y aurait environ dix à quinze millions de catholiques et un peu plus de protestants. La mode est au christianisme, mais il s'agit d'une apparence : cela fait chic de marier sa fille à l'église. Les prêtres chinois qui sont, comme beaucoup d'autres Chinois, très attirés par l'argent, louent volontiers les églises. Surtout, la situation est très variable selon le territoire.
C. AUDITION DE M. ALAIN MÉRIEUX, PRÉSIDENT DE LA FONDATION MÉRIEUX, ET DE M. EMMANUEL LENAIN, DIRECTEUR D'ASIE ET D'OCÉANIE AU MINISTÈRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU DÉVELOPPEMENT INTERNATIONAL LE 27 MAI 2015
La commission organise une table ronde sur la nouvelle croissance chinoise et ses conséquences :
- M. Alain Mérieux, président de la Fondation Mérieux ;
- M. Emmanuel Lenain, directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères et du développement international.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Nous poursuivons aujourd'hui notre cycle d'auditions sur l'un des thèmes de travail que nous avons choisi pour cette année : la nouvelle croissance chinoise et ses conséquences, notamment pour la France. Après les professeurs François Godement et Jean-Luc Domenach, que nous avons entendus en février, nous recevons aujourd'hui deux « praticiens » :
- Alain Mérieux, président de la Fondation et de l'Institut Mérieux. Lorsque Xi Jinping a effectué une visite d'État en France il y a un an, le Président chinois a commencé son séjour par Lyon, notamment pour visiter les laboratoires bioMérieux, spécialistes du diagnostic médical, et vous avez d'ailleurs évoqué à cette occasion une « visite amicale et familiale ». Je crois qu'on peut donc dire, sans commettre d'erreur, que votre expérience de la Chine est tout à fait exceptionnelle... ;
- nous recevons également Emmanuel Lenain, qui a quitté il y a quelques jours seulement son poste de Consul général de France à Shanghai, après un peu plus de quatre années sur place, pour rejoindre le poste de directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères.
Depuis les réformes lancées par Deng Xiaoping à la fin des années 1970, la Chine a connu une croissance phénoménale, tout à fait inédite dans notre histoire, au moins récente, en termes de volumes et de durée.
Pour autant, la Chine a certainement atteint un point dans son développement qui nécessite de mettre en oeuvre une nouvelle stratégie, ce que les autorités du pays ont d'ailleurs décidé, notamment dans le cadre du 12 e Plan.
Le groupe de travail que nous avons mis en place souhaite mieux comprendre la situation actuelle de l'économie chinoise, les modalités et la réalité de la « réorientation » annoncée par les dirigeants du pays, ainsi que les opportunités que cette situation crée pour la France.
M. Alain Mérieux, président de la Fondation Mérieux . - Ma première visite en Chine a eu lieu en 1978 et, à l'époque, je m'exprimais devant des scientifiques plutôt âgés car les universités ressentaient encore la période des Gardes rouges qui les avaient vidées de leurs étudiants. Puis je me suis régulièrement rendu dans ce pays, notamment lorsque j'étais vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes. J'étais d'ailleurs à Shanghai durant les événements de Tiananmen et nous avons souhaité conserver, durant cette période difficile, les liens que nous avions tissés au fil des années. Ces différents séjours m'ont permis de rencontrer plusieurs personnalités qui ont exercé par la suite des responsabilités importantes ; ce fut par exemple le cas avec Zhu Rongji qui a été maire de Shanghai puis Premier ministre et c'est le cas en ce moment même avec Xi Jinping que j'ai rencontré bien avant qu'il ne devienne Président. Malgré certaines hostilités en France, je me suis également occupé du comité France - Chine sur les maladies infectieuses émergentes, qui a vu le jour à la suite de l'épidémie de SRAS, période que le Président Raffarin connaît particulièrement bien.
La Chine peut surprendre par sa force, voire sa brutalité, mais le pays est également très affectif et attaché au souvenir du passé : les références régulières au sac du Palais d'été nous montrent que les Chinois n'oublient jamais un événement. De même, la famille est un élément essentiel de la société.
L'économie s'est développée de manière extraordinaire, à partir d'une situation quasi-moyenâgeuse. Avec une croissance très forte, la Chine a retrouvé une place dans le monde mais la véritable question est de savoir combien de temps le parti unique peut-il persister dans ce contexte. De ce point de vue, la campagne anti-corruption qui a été lancée est vitale pour le pays.
La Chine s'est beaucoup rapprochée de la France ; elle a par exemple beaucoup apprécié, je dirais même admiré, l'attitude française au Mali. Souvenons-nous que le Mali est l'un des premiers pays au monde à avoir reconnu la République populaire de Chine. Cette lune de miel entre nos deux pays n'empêche pas le nationalisme et la protection des industries nationales en Chine (comme en France d'ailleurs), notamment dans des secteurs stratégiques comme la santé. Pour autant, même dans ces secteurs, il semble possible que la Chine et la France travaillent ensemble dans des pays tiers, par exemple en Afrique et nous préparons d'ailleurs un projet d'accord en ce sens avec l'Académie chinoise de médecine.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Les autorités chinoises ont annoncé des montants très importants d'investissements à l'étranger : environ 500 milliards de dollars dans les cinq ans à venir.
M. Alain Mérieux . - Les Chinois n'investissent quelque part que s'ils sont bien accueillis. Ils veulent investir mais pas en heurtant les opinions publiques ou les sensibilités nationales.
M. Emmanuel Lenain, directeur d'Asie et d'Océanie au ministère des affaires étrangères et du développement international . - En ce qui concerne le contexte macroéconomique, la Chine connaît certes un ralentissement mais le phénomène apparaît contrôlé. Je dirais même qu'il est logique après une telle période - unique dans notre histoire - de croissance très forte et ininterrompue durant plus de trente ans. Je me range donc plutôt parmi les optimistes.
Nous sommes à la fin d'un cycle de rattrapage lancé à la fin des années 1970 par les réformes de Deng Xiaoping : durant cette période, la Chine a mené sa révolution industrielle, elle s'est urbanisée et elle a introduit avec succès les nouvelles technologies. Aujourd'hui, elle s'oriente vers une économie plus innovante, une économie de la connaissance, avec par exemple des investissements massifs dans la recherche qui représentent plus de 3 % du PIB. Des laboratoires géants ont été créés et il existe des centres de recherche et développement de niveau mondial. L'un des résultats est que la Chine dépose environ la moitié des brevets dans le monde, même si tous ne correspondent pas nécessairement à des inventions.
Les moteurs traditionnels de la croissance s'épuisent. Le modèle a ainsi atteint ses limites en matière d'environnement, secteur où les revendications de la population sont très pressantes. En matière démographique, la politique de l'enfant unique mise en place en 1979 a eu des résultats évidents mais entraîne aussi des conséquences importantes sur le long terme qu'il est difficile d'inverser. Cette politique, sans être complètement abandonnée, connaît et connaîtra, à n'en pas douter, de plus en plus d'exceptions ou d'adaptations. Par ailleurs, l'endettement reste globalement soutenable mais celui des collectivités locales, qui représente environ 30 % du PIB, a surpris beaucoup d'observateurs par son niveau car elles n'ont pas le droit de s'endetter directement et ont mis en place divers véhicules pour ce faire. Longtemps, les responsables locaux étaient jugés sur le seul critère de l'évolution de la croissance sur leur territoire, ce qui les a incités à investir massivement, en particulier dans les infrastructures ; aujourd'hui, le niveau d'endettement constitue un frein significatif aux nouveaux investissements au niveau des collectivités.
Face à ces évolutions, les autorités chinoises ont décidé de reconfigurer le modèle économique, avec un modèle « plus normal », davantage assis sur la consommation intérieure et générant une croissance certes moins vigoureuse mais plus soutenable, tant en interne qu'en externe vis-à-vis du reste du monde. Cette réorientation s'est opérée au travers d'une politique de distribution massive de pouvoir d'achat. Les résultats sont là : avec une progression des revenus hors inflation de 7 %, la consommation devrait progresser de 11 %. Le ralentissement actuel peut également s'expliquer, pour partie, par la campagne d'austérité et de lutte contre la corruption qui se diffuse dans toute l'économie car les décideurs prennent désormais plus de précautions qu'auparavant.
Les autorités ont fixé un objectif de croissance d' « environ 7 % » pour 2015 et ce taux devrait se stabiliser autour de 5-6 % à la fin de la décennie, ce qui reste tout à fait enviable. Mais la véritable préoccupation des autorités reste le niveau de l'emploi. Le pays demeure rural puisque seulement un peu plus de la moitié de la population vit en ville contre plus des trois quarts dans les pays développés. L'urbanisation va continuer ce qui pose la question de la création d'emplois dans les villes.
La Chine connaît des situations très hétérogènes selon les régions. Des villes côtières hérissées de tours ultramodernes aux campagnes de l'Ouest, ce sont plusieurs pays, voire plusieurs époques qui coexistent. Le salaire de base varie de 1 à 4 entre les grandes villes côtières et les provinces de l'intérieur.
Dans ce cadre général, les opportunités sont très importantes pour les entreprises françaises. Même si la croissance a ralenti, sa base est plus large et la croissance en valeur est aujourd'hui le double de ce qu'elle était au début des années 2000 quand le taux de croissance dépassait les 10 %. Selon le FMI, l'économie chinoise a procuré environ 30 % de la croissance mondiale en 2014.
Avec la formation d'une classe moyenne de bientôt 500 millions de personnes dotée d'un grand appétit de consommation, la Chine est arrivée à un stade de son développement économique qui correspond mieux aux points forts de l'économie française, notamment les produits de grande consommation et de luxe. Au-delà des grands contrats, l'appui public se concentre de plus en plus sur les PME et les secteurs en fort développement comme l'agroalimentaire, la ville durable ou la santé.
L'enjeu du tourisme est considérable. Les Chinois représentent déjà la première dépense par personne en France ; nous en accueillons 2 millions et avons pour objectif d'atteindre 5 millions. Nous avons modernisé notre dispositif de délivrance des visas ; nous devons continuer ces efforts et développer en même temps une véritable politique d'accueil avec une hôtellerie, une signalétique et des méthodes de paiement adaptées.
Plus de 1 200 entreprises françaises, dont toutes celles du CAC 40, sont présentes en Chine avec, dans de nombreux cas, des capacités de production destinées au marché chinois. Le stock d'investissement français en Chine atteint ainsi 18 milliards d'euros ; parallèlement, les investissements chinois en France ne s'élèvent qu'à 5 ou 6 milliards. Nous avons donc de bonnes perspectives pour les années à venir et devons mettre en place une politique d'accueil des investissements et une politique de partenariat entre la France et la Chine, par exemple dans certains pays tiers.
M. Christian Cambon . - Il existe un paradoxe entre, d'une part, la qualité de la relation entre la France et la Chine et, d'autre part, les chiffres que vous évoquez, qui ne correspondent pas aux ambitions. La présence des entreprises chinoises en France est bien moindre qu'en Allemagne ou qu'au Royaume-Uni, qui est en tête des pays destinataires d'investissements chinois. Au-delà des incantations, un effort structurel ne doit-il pas être réalisé par les régions pour accueillir les entreprises chinoises ? Au Royaume-Uni, les collectivités ont, par exemple, mis en place des services entièrement consacrés à l'accueil des investissements chinois.
Les grandes entreprises ne devraient-elles pas développer des dispositifs de « cocooning » afin d'aider les PME à investir en Chine et faire en sorte que les chiffres soient à la hauteur de nos ambitions ?
Mme Hélène Conway-Mouret . - Un changement de ton est perceptible dans le discours des dirigeants politiques chinois. La Chine assume désormais ouvertement sa place et ses aspirations au niveau mondial. Elle revendique certains territoires maritimes, ce qui suscite l'inquiétude de ses voisins. Quelles sont les conséquences de cette évolution sur la politique étrangère de la Chine et notamment sur sa relation avec le Japon ?
La croissance chinoise repose sur une consommation énergétique importante. L'opinion publique fait pression sur les autorités, qui lui répondent avec des objectifs assez ambitieux, comme en témoigne l'accord signé avec les États-Unis et les objectifs de la Chine pour la COP21. Les objectifs affichés sont-ils réalistes ?
La communauté française en Chine semble être en diminution. Des difficultés de renouvellement des visas nous ont été rapportées. Le climat des affaires en Chine se durcit-il, notamment pour les PME ?
M. Henri de Raincourt . - La croissance chinoise a longtemps reposé sur des exportations massives. Elle profite aujourd'hui aussi de l'augmentation de la consommation et de l'élévation du niveau de vie. Cette reconfiguration aura probablement des conséquences politiques. Mon intuition est que la Chine ne pourra pas faire coexister indéfiniment une politique économique audacieuse et un système politique fermé.
M. André Trillard . - Comment le Parti communiste chinois se renouvelle-t-il ? Quelle est l'ampleur de l'entrée des jeunes dans le Parti ?
Qu'en est-il des opérations menées par la Chine sur le taux de change du yuan vis-à-vis des autres monnaies ? Quel est le rôle de la politique monétaire dans la politique économique chinoise ?
M. Hubert Falco . - J'observe que nous sommes très sollicités, en tant qu'élus territoriaux, par des villes chinoises qui souhaitent développer des échanges avec des collectivités françaises. Par ailleurs, y-a-t-il une ouverture possible pour la France en Chine, en matière d'armement ?
M. Alain Mérieux . - Je confirme, tout d'abord, l'intérêt des Chinois pour les questions de santé publique, s'agissant notamment des conséquences de l'urbanisation de 300 millions de Chinois au cours de la prochaine décennie.
L'hostilité vis-à-vis du Japon est profonde et viscérale, pour des raisons historiques. Des tensions sont à craindre, tôt ou tard.
En tant que premier vice-président du conseil régional de Rhône-Alpes, j'ai entretenu des liens de coopération avec la ville de Shanghai. J'ai alors observé les moyens mis en oeuvre, pour le même type de coopération, par le Land de Bade-Wurtemberg. Les Allemands développent une politique très active, très organisée et systématique, tant au niveau local que fédéral. Cette politique est mise en oeuvre par des professionnels, ce qui n'est pas le cas en France. Les régions doivent développer leur expertise afin d'aider les PME qui n'ont pas les moyens de se déplacer à l'étranger.
La Chine, qui pourrait représenter demain la moitié du marché nucléaire mondial, représente un débouché important pour notre industrie dans ce secteur. L'accroissement de la pollution l'y incite fortement. La France peut également trouver des débouchés chinois dans les secteurs du traitement des eaux, de l'urbanisme, des transports en commun ou encore de la santé et de la sécurité alimentaire. Dans le domaine de la santé, la Chine est plus ouverte qu'elle ne l'a été et reconnaît désormais l'existence de maladies infectieuses telles que le SIDA ou la tuberculose.
M. Emmanuel Lenain . - Le Parti communiste chinois se renouvelle beaucoup. Il compte 83 millions de membres. Depuis une vingtaine d'années, ce Parti est ouvert à toutes les nouvelles élites économiques et culturelles. Il constitue la colonne vertébrale du pays.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - L'histoire de la Chine est paradoxale. C'est un pays qui, contrairement à une Europe qui cherche toujours le dépassement dialectique, ne veut pas choisir : les Chinois sont ainsi à la fois le premier pollueur et le premier producteur d'énergie renouvelable, en particulier dans le secteur photovoltaïque. De même, la centralisation y est extrême, à travers le Parti communiste qui compte 83 millions de membres, mais il existe également une décentralisation très avancée. Toute la force de ce pays est d'essayer de tout faire tenir ensemble. Ainsi, contrairement à nous, les Chinois ne considèrent pas qu'il y ait une contradiction entre économie libérale et centralisation politique.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Pourriez-vous nous en dire davantage au sujet de l'impact de la corruption sur la situation économique et sociale chinoise ? Patrick Artus estime que la croissance réelle est plus proche de 1 % que des 7 % officiels, notamment du fait d'une crise de la consommation alimentée par la bulle immobilière et par la crise sociale dans les campagnes. Qu'en pensez-vous ? Enfin, en Afrique, les relations entre la France et la Chine vont-elles continuer à se caractériser par une certaine complémentarité ou bien la Chine ne va-t-elle pas devenir dominante sur ce continent, au détriment de nos intérêts ?
M. Robert del Picchia . - Les Russes souhaitent s'ouvrir économiquement vers la Chine, ne serait-ce que pour contrarier les Américains qui se sont réorientés vers l'Asie et les Européens qui leur imposent des sanctions économiques. Compte-tenu également du fait que les Chinois investissent en Sibérie, comment considérer ces relations russo-chinoises ?
M. Jacques Legendre . - La connaissance du français se développe-t-elle en Chine ou ce pays est-il plutôt en train de basculer dans le « tout-anglais » ? Par ailleurs, quel est l'état des études de langue chinoise en France ?
M. Joël Guerriau . - Vous avez évoqué l'opportunité que constituent les 7 % de croissance chinoise, ce pays assurant un tiers de la croissance mondiale. 20 milliards de marchandises françaises entrent annuellement en Chine. Celle-ci n'est toutefois pas seulement un immense consommateur, c'est aussi un concurrent pour les entreprises du reste du monde. Ainsi, les échanges de la Chine avec l'Afrique n'ont fait que croître au cours des dernières années. La Chine devient un modèle pour ce continent qui profite de ses produits à bas coût et tourne ainsi le dos à ses partenaires historiques. Que pensez-vous de ces évolutions ?
M. Antoine Karam . - Il y a une forte présence des outre-mer français en Chine, notamment de la Polynésie dont le statut politico-administratif lui permet d'avoir un bureau à Shanghai. Il existe également des relations très fortes entre la Chine et la Réunion ainsi que la Guyane. D'ailleurs, les premiers Chinois sont arrivés en Guyane au début du 19 e siècle pour y faire de l'orpaillage, puis du commerce de proximité. Ils se sont enfin développés, dans de très bonnes conditions, dans la grande distribution, le BTP et l'immobilier. A partir de la Guyane, les Chinois se sont implantés au Surinam où ils ont construit ponts, routes et autres équipements structurants, puis au Guyana. En tant que président de la région Guyane, j'ai eu l'occasion de signer en 2007, avec la très dynamique province du Zhejiang, une convention portant sur la pêche et les échanges culturels. Ainsi, en Amérique du Sud, nous ne sommes pas inquiets de l'expansion économique chinoise car il existe une très bonne intégration entre la population chinoise et la population guyanaise, déjà forte de son pluralisme culturel. Nous souhaitons renforcer encore ces relations, notamment dans le domaine de la pêche, compte tenu de la richesse extrême de notre plateau halieutique.
M. Xavier Pintat . - Quelle est la part de la consommation intérieure dans la production de richesses de la Chine ? Peut-elle prendre le relais des exportations ?
M. Alain Mérieux . - Il est naturel que la Russie développe ses relations avec la Chine dans le contexte de ses différents avec les Etats-Unis. Au passage, je voudrais signaler à propos de l'Iran, qui a été évoqué précédemment, que j'ai été frappé par la grande soif de travailler à nouveau avec les Français qui anime ce pays.
Nos grandes écoles jouent indéniablement la carte de la Chine : Polytechnique accueille 70 étudiants chinois, l'école de management de Lyon va ouvrir une filiale à Shanghai, les écoles centrales ont participé à la création d'une école centrale à Pékin. Certains de mes jeunes collaborateurs parlent le chinois, ce qui était impensable autrefois. Ces liens universitaires sont très importants car ils créent des relations pour cinquante ans. Certains de ces étudiants chinois en France deviendront en effet des dirigeants d'entreprises ou des responsables politiques et ils auront acquis la connaissance et le goût de la France. Les démarches entreprises par le ministère des affaires étrangères pour faciliter l'obtention des visas sont donc extrêmement positives.
M. Emmanuel Lenain . - Depuis que la Chine a réémergé, c'est-à-dire depuis une trentaine d'années, elle a eu un impact sur le monde somme toute peu déstabilisateur si on le rapporte à sa puissance retrouvée. Un historien britannique a reconstitué les chiffres de l'économie mondiale depuis le début de notre ère et a établi que, si l'on excepte une parenthèse qui va de la guerre de l'opium à la fin de l'époque maoïste, la Chine a toujours représenté 30 % environ de la richesse mondiale, sans pour autant constituer un facteur de déstabilisation de l'ordre mondial. Toutefois, compte tenu de l'interdépendance économique actuelle, la situation n'est pas comparable.
Mme Hélène Conway-Mouret . - L'inquiétude du Vietnam concernant les revendications maritimes de la Chine est aujourd'hui bien réelle !
M. Emmanuel Lenain . - La communauté française en Chine est en légère diminution, ce qui constitue un phénomène nouveau. A Shanghai, la croissance de cette communauté était ces dernières années de 20 % à 30 % par an ; elle est désormais stabilisée. Cette situation s'explique par trois facteurs principaux : les inquiétudes des Français face à la dégradation de l'environnement et aux problèmes de sécurité alimentaire, dont ils craignent les effets pour leurs familles ; le fait que les entreprises en Chine ont tendance à se « siniser » car elles trouvent sur place les talents dont elles ont besoin ; enfin, il est de plus en plus difficile pour les jeunes d'obtenir des visas, une nouvelle loi ayant durci les conditions d'entrée en Chine afin de préserver l'emploi des jeunes Chinois. Ce dernier point constitue pour nous un sujet de forte préoccupation. Nous menons actuellement une négociation devant aboutir à l'obtention de 1 000 visas pour des stagiaires chinois en France et 1 000 visas pour des stagiaires français en Chine.
En ce qui concerne l'économie, plusieurs éléments convergent pour penser que la croissance s'élève à environ 6 % ou 7 %. Dans le passé, les autorités ont parfois eu tendance à la minorer. Il existe certes des surcapacités dans certains secteurs, notamment la production d'acier ou encore l'immobilier puisqu'il y a de nombreux logements vacants. Toutefois, les risques que présentent ces « bulles » doivent être relativisés par l'existence d'importantes réserves de change.
Nous sommes très attachés à la francophonie. Les étudiants chinois constituent, grâce à l'ensemble des accords que nous avons développés dans ce domaine, le groupe d'étudiants étrangers le plus nombreux en France (plus de 35 000). Le français est très enseigné en Chine mais il reste beaucoup à faire. Il existe 15 alliances françaises. Il est indispensable de dégager des ressources au plus vite pour en ouvrir d'autres dans toutes ces villes qui comptent plusieurs millions d'habitants. Il y a actuellement une soif d'étranger en Chine mais la fenêtre ne restera pas toujours ouverte. Sur la durée, pour les relations franco-chinoises, pour le rayonnement de notre pays, il n'y a pas de meilleur investissement.
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - Cette présence de la langue française est particulièrement impressionnante dans le domaine de la santé. Il y a plus de scientifiques qui parlent français dans ce secteur en Chine que dans bien des pays de la francophonie. Il y a à Wuhan un service d'urgences bilingue. Les universités françaises ont fait un travail considérable pour accueillir les étudiants en médecine chinois.
M. Alain Mérieux . - Il existe quatre universités médicales francophones en Chine !
M. Jean-Pierre Raffarin , président . - J'ai lu attentivement le dernier ouvrage du Président Xi Jinping. Le premier enseignement que l'on peut tirer de ses discours, c'est que si le parti communiste doit certes être rénové, il continuera à contrôler et à gouverner la société. Les discussions existent au sein du parti mais sa loi continuera à s'appliquer en dehors. Ensuite, l'Asie et le développement du pôle asiatique, y compris le voisinage coréen et japonais, au sein d'un monde multipolaire, reste l'horizon de la Chine car il faut éviter le face-à-face avec les Etats-Unis dans le Pacifique. Il en résulte d'ailleurs une forte « demande d'Europe » de la part de la Chine afin d'équilibrer la pression américaine. Enfin, le principe du développement économique réside dans l'innovation, et non dans le « low cost ». Pour les Chinois, la liberté est une liberté de créer, de chercher, de développer de nouveaux produits. Ils ont une très forte croyance dans la science et le progrès.
ANNEXE II - LISTE DES PERSONNES
AUDITIONNÉES
PAR LE GROUPE DE TRAVAIL
M. Pascal Pacaut , directeur du département Asie, M. Philippe Orliange , directeur de la stratégie, des partenariats et de la communication, et Mme Vannina Pomonti , chargée de mission, de l'Agence française de développement.
M. André Chieng , vice-président, et Mme Sybille Dubois Fontaine-Turner , directeur général, du Comité France-Chine .
Mme Agnès Romatet-Espagne , directrice des entreprises et de l'économie internationale à la direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats du ministère des affaires étrangères et du développement international .
M. Bruno Bézard , directeur général du Trésor.
Mme Françoise Lemoine , CEPII, chercheure associée au Centre d'études sur la Chine contemporaine.
M. Jean-François di Meglio , Président d' Asia Centre.
M. Jean-Louis Beffa , président de la Branche Asie de la Banque Lazard .
M. Jean-Paul Bachy , Président de la Région Champagne-Ardenne, représentant de l'Association des Régions de France .
Mme Isabelle Attané , démographe et sinologue à l'Institut national d'études démographiques .
ANNEXE III - PROGRAMME DU DÉPLACEMENT EN CHINE DE LA DÉLÉGATION DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, DE LA DÉFENSE ET DES FORCES ARMÉES DU SÉNAT, DU 15 AU 23 SEPTEMBRE 2015
MERCREDI 16 SEPTEMBRE
Entretien avec l'Ambassadeur de France en Chine
Entretien avec M. HE Fan, économiste au sein du groupe Caixin Insight, et M. XU Jianguo, professeur d'économie à l'Université de Pékin
JEUDI 17 SEPTEMBRE (PÉKIN)
Entretien avec M. LI Wei, président du Development Research Center , think tank du Conseil d'Etat
Entretien avec M. XIANGBA Pingcuo, vice-Président de l'Assemblée Nationale Populaire de la République populaire de Chine
Entretien avec M. ZHOU Xiaochuan, gouverneur de la banque centrale de la République Populaire de Chine
Entretien avec M. LOU Jiwei, ministre des finances
VENDREDI 18 SEPTEMBRE (GUILIN)
Participation à la réunion plénière des conseillers du commerce extérieur de France en Chine (panorama de l'économie chinoise et des évolutions récentes ; actualité des principaux secteurs d'activité économique ; présence française et opportunités)
Réunion avec M. Martin Cezard, directeur général du groupe minier Eramet en Chine
SAMEDI 19 SEPTEMBRE (GUILIN)
Rencontre avec M. Gino Andreeta, directeur Chine du Club Med, et des entrepreneurs français travaillant dans la région (secteur du tourisme ; travailler en Chine)
DIMANCHE 20 SEPTEMBRE (SHANGHAI)
Déjeuner de travail avec des exposants du pavillon France du Festival Wine&Dine (secteur agroalimentaire)
Visite du Pavillon France du festival Wine&Dine (Pudong)
Rencontre avec M. Budi Tek, fondateur du musée (expositions et projet de coopération culturelle avec la France)
Dîner de travail avec des représentants des industries françaises du luxe
LUNDI 21 SEPTEMBRE (SHANGHAI)
Visite de l'usine Bio Mérieux et présentation de l'activité du groupe et du secteur de la santé en Chine
Déjeuner de travail avec le Consul général et le conseiller scientifique du consulat (la R&D en Chine)
Réunion à la New Development Bank , banque des BRICS (M. ZHU Xian, Vice-Président)
Réunion avec M. Fred Raillard, agence Fred et Farid (économie numérique en Chine)
Réunion avec des membres de la chambre de commerce
MARDI 22 SEPTEMBRE (SHANGHAI)
Rencontre avec des représentants de la communauté française en Chine
Rencontre avec des responsables et étudiants français et chinois de l'Université normale de Chine de l'Est (ECNU)
Visite du centre de R&D de Faurecia (secteur de l'automobile ; R&D en Chine)
* 1 « Histoire de la Chine, des origines à nos jours », John K. Fairbank et Merle Goldman, Tallandier.
* 2 Statistiques du commerce international 2014 de l'Organisation mondiale du commerce.
* 3 « Histoire de la Chine, des origines à nos jours », John K. Fairbank et Merle Goldman, Tallandier.
* 4 Site internet du Sénat : http://videos.senat.fr/video/videos/2015/video29354.html
* 5 La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat a effectué une mission en Chine, en particulier à Wuhan, durant le mois de septembre 2015.