EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le jeudi 17 septembre 2015, sous la présidence de Mme Michèle André, présidente, la commission a présenté les conclusions du groupe de travail sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique.

Mme Michèle André , présidente . - Nous entendons la présentation des conclusions du groupe de travail de la commission des finances sur le recouvrement de l'impôt à l'heure de l'économie numérique. Ce groupe de travail a été constitué l'année dernière et comprend sept sénateurs : Albéric de Montgolfier, rapporteur général, et Philippe Dallier, anciens rapporteurs de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », Michel Bouvard et Thierry Carcenac, actuels rapporteurs de cette mission, Jacques Chiron et Bernard Lalande, rapporteurs spéciaux de la mission « Économie », ainsi que Jacques Genest. Le sujet est important : demain, l'économie numérique, ce sera l'économie tout court. Si la fiscalité n'est pas capable de s'adapter à ces évolutions, c'est tout notre modèle fiscal qui est menacé. J'ai vu nos collègues au retour de leurs auditions ; ils étaient souvent enthousiastes, et se sont pleinement investis dans leurs travaux.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Avant tout, je veux témoigner de l'excellent esprit dans lequel nous avons travaillé, comme naguère dans d'autres groupes de travail transpartisans et informels. Nous avons été parfois atterrés, nous avons pu découvrir des réalités inconnues et mesurer l'ampleur de la tâche. La commission des finances est en pointe sur ces sujets, comme en témoignent ses travaux sur l'optimisation fiscale des géants d'Internet. La France seule ne peut rien faire, mais l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) et le G20 ont heureusement pris la mesure du phénomène.

Nous avons pris cette fois le problème sous un angle différent, largement laissé de côté jusqu'à aujourd'hui : au-delà de l'optimisation, c'est bien de fraude pure et simple, ou plus exactement de non-recouvrement de l'impôt dû qu'il s'agit. Nous parlons ici d'impôt sur le revenu, d'impôt sur les sociétés et surtout de TVA.

L'économie numérique se développe, et ses activités échappent largement à l'impôt, faute de règles claires. Il en résulte d'une part une perte de recettes fiscales - une bonne part des 9,7 milliards d'euros manquants dans l'exécution 2013 s'explique sans doute par cela -, et d'autre part une distorsion de concurrence. Cela rejoint le débat que nous avons eu en séance sur la taxe sur les surfaces commerciales (Tascom), à laquelle échappent le drive et la vente sur Internet.

Nous présentons deux rapports. Le premier porte sur l'économie collaborative, très présente dans l'actualité avec la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) relative à l'application UberPop , et s'interroge sur le traitement fiscal des millions de particuliers, ou prétendus tels, qui louent leur logement, leur voiture ou leurs talents sur des plateformes. Le second rapport porte sur le e-commerce, source d'importantes pertes de TVA. Selon la Commission européenne, cette taxe, de loin la première ressource de l'État, est sujette à des fraudes massives - des fraudes « carrousel » mais pas seulement. Le e-commerce est sans nul doute l'une des explications au manque à gagner. Ce problème a été traité avec une légèreté qui nous a frappés : l'administration, interrogée sur ce sujet, nous dit que tout va bien ; il nous faudra donc non seulement renforcer les outils de l'administration, mais aussi gagner la bataille des esprits.

Nous avons entendu plus de 70 personnes - fonctionnaires, entreprises du numérique, banques etc. - et effectué des déplacements à Bruxelles et Rome. L'Italie a en effet lancé une expérimentation en matière de TVA qui est riche en enseignements. Nous sommes parvenus à des propositions qui déboucheront sur des amendements au projet de loi de finances.

Nous avons travaillé selon trois principes. Premièrement, considérant que nous la fiscalité est déjà trop élevée, nous n'avons voulu créer aucun impôt nouveau, mais améliorer le recouvrement des impôts existants. Le canal de la vente se diversifie, celui du recouvrement doit le faire aussi. J'ajouterais que si les prix venaient à augmenter sur Internet suite à la mise en place de notre proposition, c'est précisément que nous avions raison sur le problème...

Deuxièmement, nous ne voulons pas entraver le développement de l'économie numérique. Une entreprise comme Blablacar permet à la France d'être en pointe dans le domaine ; nous ne voulons pas taxer la poussette revendue sur Leboncoin , pas plus que nous ne taxons les vide-greniers. Tout l'enjeu est de faire une différence avec les cas où cette activité devient la source principale de revenus d'un particulier.

Troisièmement, nous ne voulons pas ajouter de la paperasse, des formulaires, construire une usine à gaz. Tous les acteurs que nous avons rencontrés sont très sensibles à ce point.

Je laisse maintenant la parole à Bernard Lalande et à Michel Bouvard, qui présenteront les conclusions du groupe de travail au sujet de l'économie collaborative.

M. Bernard Lalande . - L'économie collaborative n'est pas un gadget, c'est une véritable économie. Aujourd'hui, nous confondons particuliers et professionnels, clients et fournisseurs. Du point de vue de la fiscalité, nous avons eu l'impression de faire oeuvre de pionniers en débroussaillant un sujet méconnu.

Les choses évoluent d'ailleurs très vite. Ainsi, nous avons vu que certaines fonctionnent comme des chambres de compensation dont l'unité de mesure n'est pas monétaire, puisqu'elles reposent sur un système de troc, et qui échappent ainsi entièrement à l'impôt. Elles créent des réseaux entre particuliers, commerçants, banques ; mais l'intermédiaire pourrait bien un jour s'effacer - nous l'avons vu avec un système de monnaie virtuelle en Italie, où la plateforme ne facture plus une prestation de service, mais se paie sur un pourcentage du flux. Ce phénomène s'étend aux réseaux entre professionnels, dits business to business ou B2B , avec par exemple des échanges entre marchandises et utilisation d'un fichier clients. Nous avons rencontré beaucoup de jeunes entrepreneurs, souvent de moins de trente-cinq ans. Une jeune femme a mis en place un réseau amical qui permet de multiples échanges, comme une mobylette contre une voiture pour quelques heures, mais à force de se rendre service, on fait du commerce ! Demain, nous serons tous des commerçants de ce type, représentant mille petites fuites d'eau qui pourraient bien un jour assécher totalement les recettes de l'État.

Les Français ne comprendraient pas qu'un trajet unique sur Blablacar soit taxé ; mais l'affaire Uber montre qu'un chauffeur peut percevoir jusqu'à 8 200 euros annuellement - ce n'est pas négligeable. Aujourd'hui, notre système repose sur la confiance et le déclaratif, or ce nouveau secteur y échappe totalement. Par ailleurs, bien que nous soyons attachés à notre système territorial, nous devons bien faire face à l'extraterritorialité de ces activités : la plupart des plateformes sont situées à l'étranger, ce qui rend empêche de connaître les revenus des particuliers. L'administration fiscale n'a ni les outils ni les moyens suffisants ; elle s'est donc concentrée sur les gros acteurs, qui seront demain concurrencées par la multitude des petits.

À cet égard, les pistes que nous proposons sont simples, efficaces, et n'augmentent pas les impôts.

M. Michel Bouvard . - Au 1 er octobre, Airbnb collectera automatiquement la taxe de séjour à Paris. Cela ne concerne que 50 000 des 150 000 logements qu'il propose en France. Le taux de fuite et d'évasion de la taxe de séjour était énorme : à cet égard, l'économie numérique, via une plateforme, est donc le révélateur mais aussi le multiplicateur de transactions qui existaient avant elle. L'enjeu dépasse donc les 83 centimes d'euros par nuitée que la Ville de Paris récupérera.

Nos propositions répondent à deux questions : comment collecter l'impôt, et quels revenus imposer ?

Notre première proposition consiste à mettre en place un système de déclaration automatique des revenus, avec l'aide les plateformes. Celles-ci ont en effet l'avantage, pour beaucoup, de connaître à l'euro près et en temps réel le revenu de chacun de leurs membres. Aucun de nos interlocuteurs ne s'est montré hostile à cette propositions, à condition de veiller à la simplicité ; les plateformes y voient au contraire une manière de sécuriser leur activité.

Concrètement, le mécanisme serait le suivant : lorsqu'un particulier gagne de l'argent sur une ou plusieurs plateformes collaboratives, celles-ci transmettent le montant correspondant à une plateforme tierce, que nous avons appelé le « Central » faute de mieux, organisme indépendant qui pourrait être un groupement d'intérêt public (GIP). Celui-ci calcule ensuite le revenu agrégé de chaque particulier, procède aux recoupements nécessaires, et transmet une fois par an ce revenu à l'administration fiscale. Celle-ci dispose alors du revenu « collaboratif » du contribuable, sans démarche de sa part.

Bien sûr, ce système pose un certain nombre de difficultés d'ordre technique et juridique, mais celles-ci ne sont pas insurmontables. Nous les avons analysées. Ce n'est qu'une extension à la nouvelle économie du principe de la déclaration pré-remplie à l'impôt sur le revenu des salariés, en moins complexe. Les plateformes interrogées, pour peu que les informations transmises soient limitées et les responsabilités clairement déterminées, montrent un intérêt à participer à ce système qui constituerait un label de respectabilité pour elles.

Vient alors la seconde question : dans quelle mesure faut-il imposer ces revenus ? Quelle assiette retenir ? De toute évidence, imposer au premier euro de modestes compléments de revenus n'est pas tenable, d'autant qu'il s'agit souvent d'un amortissement de charge. Souscrire une déclaration fiscale pour louer son appartement deux jours ou pour prendre un passager sur un trajet Paris-Chambéry, c'est aller trop loin. Il faut laisser vivre l'économie collaborative, et ne pas entraver le développement de futurs champions français. C'est pourquoi le groupe de travail propose l'instauration d'une franchise, fixée à 5 000 euros par foyer fiscal. En-dessous de ce seuil, les revenus ne seraient pas imposables : cette exonération couvre plus ou moins le partage des frais. Au-delà, c'est le droit commun qui s'appliquerait : imposition à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux. Précisons tout de suite que ce qui est aujourd'hui exonéré demeurerait exonéré, notamment les ventes d'occasion. La déduction des charges redeviendrait possible.

Nous proposons une franchise unique générale, commune à toutes les activités de l'économie collaborative : c'est un choix assumé de simplicité et de lisibilité. Certes, une voiture génère plus de charges qu'un lave-linge, mais le seuil unique a le mérite de la simplicité. Avec cette franchise, un particulier gagnant par exemple 8 000 euros sur une plateforme Internet serait imposé à hauteur de 738 euros si l'on retient l'hypothèse du choix du prélèvement forfaitaire libératoire dans le cadre du régime, dans le cadre du régime de l'auto-entrepreneur, au lieu de 1 968 euros actuellement. Logiquement, plus le revenu augmente, plus le taux d'imposition effectif se rapproche du droit commun. En résumé, nous proposons donc un impôt moins élevé, mais plus sûrement collecté. Tout le monde est gagnant.

Nous laissons maintenant la parole à Jacques Chiron et à Philippe Dallier, qui présenteront les propositions du groupe de travail en ce qui concerne le e-commerce.

M. Jacques Chiron . - L'économie numérique, c'est historiquement et avant tout, aujourd'hui encore, le e-commerce. Celui-ci représente, rien qu'en France, un chiffre d'affaires annuel de 57 milliards d'euros, en hausse de 11 % en un an, et de 1 500 milliards d'euros dans le monde, en hausse de 24 %. Les enjeux financiers sont ici bien plus importants que pour les échanges entre particuliers : il ne s'agit pas de clarifier des règles fiscales, mais de récupérer un manque à gagner considérable, bien qu'impossible à chiffrer, notamment sur la TVA.

Le e-commerce apporte avec lui plusieurs nouveautés. La première d'entre elles est l'éclatement des acteurs. Le problème de la fraude ne concerne pas tant les grands sites de e-commerce - qui s'en tirent déjà très bien grâce à l'optimisation - mais plutôt la multitude des petits vendeurs, difficiles à identifier. Entre ceux qui sont domiciliés ou hébergés à l'étranger, ceux qui interviennent via une marketplace , et ceux qui se cachent derrière un pseudonyme, la tâche est malaisée pour les services de l'État.

Deuxième nouveauté : la fin de la contrainte territoriale, défi de taille pour les systèmes fiscaux, fondés précisément sur le concept de territorialité. Afin d'éviter une évaporation complète des bases fiscales, des régimes spécifiques de TVA ont été mis en place - mais ceux-ci demeurent fondamentalement imparfaits. Pour les ventes de marchandises, les vendeurs européens qui réalisent plus de 100 000 euros de chiffre d'affaires annuel doivent s'enregistrer auprès de l'administration fiscale et acquitter la TVA française. Mais en pratique, ce régime est peu connu, peu utilisé, et surtout peu contrôlé car le pays d'origine, lorsqu'il n'a pas tout à y perdre, n'a en tout cas rien à y gagner. Ainsi, alors que 715 000 sites sont actifs en Europe, seuls 979 sont enregistrés à la DGFiP - et c'était moitié moins il y a deux ans. Pour les services en ligne, un pas important a été franchi le 1 er janvier 2015 : la TVA applicable est celle du pays de destination, et non plus du pays d'origine. Mais c'est une arme contre l'optimisation, pas contre la fraude : dans un système déclaratif, ceux qui ne veulent pas jouer le jeu ne risquent pas grand-chose.

Troisième nouveauté : le morcellement des flux physiques. Ici, ce sont les colis en provenance de pays extérieurs à l'Union européenne qui sont concernés. En théorie, leur passage en douane doit donner lieu au paiement de la TVA à l'importation et des droits de douane. Mais le système est là aussi fondamentalement déficient, car les taxes sont calculées sur la seule valeur déclarée. La sous-déclaration est la norme, d'autant que tout envoi déclaré inférieur à 22 euros bénéficie d'une franchise totale. Or, que peuvent quelques dizaines de douaniers pour contrôler les 3,5 millions d'envois en fret express et 37 millions d'envois en fret postal qui arrivent chaque année ? De fait, seulement 1,4 million d'euros de droits et taxes ont été redressés à Roissy sur le fret express en 2014, et pas un seul euro sur le fret postal... Par ailleurs, les douaniers ont d'autres priorités : les drogues, les contrefaçons, les produits prohibés.

Face à ces défis, l'administration manque de moyens. Comme cela a été dit, son droit de communication ne lui permet pas d'obtenir des informations, qui lui seraient pourtant très utiles, auprès des intermédiaires établis à l'étranger. L'administration concentre donc ses efforts sur quelques cas ciblés, les plus faciles et qui représentent les enjeux financiers les plus importants. Mais cette méthode, accomplie par des fonctionnaires compétents, trouve vite ses limites dans le cas du e-commerce, où la multitude des dossiers à faible enjeu l'emporte.

Il faut donc changer de paradigme. Le groupe de travail propose de s'intéresser au seul élément qui puisse véritablement être appréhendé : les flux financiers. De fait, si les vendeurs et les colis se comptent par millions, les transactions, elles, passent par un nombre restreint de grandes banques, souvent françaises, et de quelques moyens de paiement alternatifs - Paypal ou autres. Nous sommes allés à Bruxelles présenter notre projet au commissaire européen Pierre Moscovici, qui s'est montré très intéressé, et nous a assuré que la Commission européenne examinerait avec bienveillance toutes les initiatives innovantes des États membres.

M. Philippe Dallier . - En 2013, en tant que rapporteurs spéciaux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », Albéric de Montgolfier et moi avions découvert - sans trop de surprise - que sur les millions de colis arrivant à Roissy, une grande partie était sous-déclarée, parfois en-dessous du seuil de 22 euros qui entraîne une exonération totale. Une poignée seulement de ces colis - ceux dont le caractère frauduleux ne fait guère de doute - étaient ouverts par les quelques douaniers en poste.

Tout le problème est que le client particulier, le plus souvent de bonne foi, croit avoir payé la TVA au moment de l'achat. Si l'entreprise est en France, nous pouvons penser qu'elle collecte et reverse la TVA ; si elle est dans un autre pays de l'Union européenne, c'est moins sûr, et l'administration est mal outillée pour le contrôler ; si elle est dans un pays tiers, il est presque sûr qu'elle ne le fait pas.

Il ressort de nos rencontres avec les douanes que celles-ci s'accrochent à une logique dépassée : leur objectif est d'accélérer les contrôles... mais ceux-ci ne seront de toute façon jamais assez nombreux. Cette logique-là est complètement dépassée.

La grande révolution - et c'est notre proposition-, consiste à instaurer un prélèvement à la source de la TVA, au moment de l'achat en ligne. C'est le seul moyen de changer les choses. Concrètement, il s'agit de confier à un organisme tiers la tâche de collecter et de verser les taxes dues, dès que le client paie. Cela s'appelle un paiement scindé, ou split payment . Cela paraît simple... et c'est simple ! Techniquement, il n'y a aucune difficulté - croyez-en l'ancien informaticien que je suis. Le GIE Cartes Bancaires de n'y oppose pas, les établissements financiers non plus - pourvus qu'ils ne soient pas responsables de l'application du bon taux, ce qui peut être évité.

Pour le contrôle des colis importés, nous pouvons imaginer qu'un code-barres identifie les colis passés par ce système, permettant à la douane de les trier. Les commerçants sont encouragés à rentrer dans le système : la TVA est prélevée de toute façon, et le client attend une livraison la plus rapide possible. L'administration des douanes pourra ainsi concentrer les contrôles sur les colis provenant d'entreprises qui n'ont pas joué le jeu.

Quelles sont les difficultés ? Convaincre au niveau européen. Est-ce possible ? Je le crois. Nous nous heurterons aux récalcitrants traditionnels, qui profitent du système : les pays qui abritent les sociétés de vente en ligne, ou qui comptent de grandes plateformes portuaires et aéroportuaires, dont les pratiques ne sont pas forcément vertueuses. Mais ils devront finir par se préoccuper de cette question : 168 milliards d'euros de trou au niveau européen, un manque à gagner de 34 % pour l'Italie et 14 milliards d'euros en France ou 25 milliards d'euros pour l'Allemagne, ce n'est pas rien.

Il existe un précédent : la Commission européenne a récemment autorisé l'Italie à utiliser le paiement scindé pour les achats par les administrations publiques. L'Italie en attendait un milliard d'euros dès la première année, les estimations sont déjà à deux milliards d'euros. Les représentants du patronat italien espèrent que l'expérimentation sera abandonnée ; ils invoquent - et il faut en tenir compte - des problèmes de trésorerie dans les entreprises, qui se retrouvent créditrices de l'État et attendent un remboursement de TVA. Nos collègues du Sénat italien nous ont précisé que le pays travaillait à des solutions pour accélérer les versements.

Nous avons avec le paiement scindé une solution simple et efficace. Il n'y a pas d'autre moyen pour éviter l'évaporation de taxe, qui risque de devenir bientôt exponentielle.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Quelques chiffres pour illustrer notre propos. La grande augmentation de capital du jour, c'est Blablacar , valorisée à 1,4 milliard d'euros. La perte de TVA serait de 14 milliards d'euros pour la France, en partie due au numérique. Le commissaire européen Pierre Moscovici appelle lui-même à changer un mode de perception de la TVA devenu inadapté. Le paiement scindé est certes une révolution, mais sans lui, nous serons irrémédiablement victimes de l'érosion de nos bases. Nous regrettons la frilosité de la DGFiP. Les Français sont irrités par une pression fiscale importante : dans ce contexte, nous ne pouvons pas laisser tout un pan de l'économie échapper à l'impôt.

M. Charles Guené . - Je salue la qualité des propositions. En tant que fiscaliste, j'avais organisé des discussions sur le sujet, interpellé par les atteintes à la souveraineté des États que représente ce phénomène. Mais dénoncer est une chose, apporter des solutions en est une autre, et notre commission tient là des éléments précieux. Comment les banques pourront-elles distinguer les flux commerciaux des autres flux ? Tout système produisant sa propre optimisation, ne doit-on pas craindre un détour par les banques étrangères ? N'avez-vous pas été tentés de faire la somme de ces opérations soumises à la TVA pour taxer ensuite le résultat de ces entreprises ? À titre personnel, je voterai tous les amendements que vous proposerez, et le Gouvernement serait bien inspiré de vous suivre aussi.

M. Richard Yung . - Merci pour vos propositions concrètes qui font avancer le débat. Mettre en place la TVA à la source sur le e-commerce n'implique-t-il pas une harmonisation des taux ? Comment cela s'articule-t-il avec la TVA intracommunautaire - qui, soit dit en passant, a permis le phénomène des carrousels, car la TVA est payée à la fin ? Que faire au-delà des frontières de l'Union européenne ? Au G20, à l'OCDE, des progrès importants sont engagés, ne peut-on pas en profiter pour étendre notre action à ces pays ? Quid des autres impôts ? Pourquoi écarter l'imposition des bénéfices, par exemple ?

M. Yannick Botrel . - Je ne mesurais pas d'ampleur du problème ; si j'ai bien compris, l'administration fiscale n'a pas les moyens de répondre à cette perte, non seulement de TVA, mais aussi d'autres recettes... Les solutions que vous proposez sont peu nombreuses mais simples : le passage par une super-plateforme, le « Central ». Mais est-il imaginable de contrôler 715 000 sites européens ? Ne faut-il pas se concentrer sur les plus importants ? La franchise proposée est une bonne disposition : ne tombons pas dans l'infiniment petit.

M. Serge Dassault . - Quels revenus fiscaux peut-on espérer de ces mesures ? D'autres pays européens ont-ils de tels projets ? Quelles dépenses supplémentaires ce système engagerait-il ?

M. Bernard Delcros . - Nouvellement élu, je participe à vos travaux pour la deuxième fois. Je suis séduit par vos propositions concrètes. Nous assistons à une véritable révolution numérique, et basculons dans une société des usages et du partage à laquelle ni notre système administratif et fiscal, ni notre droit du travail ne sont adaptés. Il faudra pourtant y parvenir, sous peine de voir se creuser un fossé avec la réalité.

M. François Marc . - Nous nous intéressons depuis de nombreuses années à l'économie numérique, au e-commerce, avons très tôt travaillé sur la monnaie virtuelle Bitcoin , et je me réjouis que nous soyons force de proposition sur un sujet si urgent.

Vous dites viser le particulier « qui gagne de l'argent » : qu'entendez-vous par là, marge, bénéfice ou chiffre d'affaires ? Dans votre tableau de chiffres, comment parvenez-vous, sur un gain de 4 500 euros, à une « imposition théorique » de 1 107 euros dans le système actuel ?

M. Francis Delattre . - Les échanges marchands entre particuliers apportent aux Français une petite respiration. Allez-vous taxer les habitants qui participent à la braderie de Pavillon-sous-Bois ? Intéressez-vous plutôt aux géants mondiaux !

M. Philippe Dallier . - C'est précisément ce que nous faisons : nous ne visons pas les particuliers, mais les échanges entre professionnels.

M. Francis Delattre . - Vos analyses en matière de logement et d'aides à la pierre me convainquent davantage que celles-ci. Quant aux professionnels, je vous rappelle que les sites sont déjà taxés : UberPop , par exemple. Si les particuliers commencent à s'intéresser à l'économie, c'est tant mieux. Ne bridons pas leur liberté.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Vous l'avez tous compris, nous voulons que les choses bougent : nous présenterons des amendements dans la discussion budgétaire, comme nous l'avons fait l'an dernier à propos de la Tascom ou du suramortissement en faveur de l'investissement des PME - une disposition à laquelle le Gouvernement s'était d'ailleurs opposé, avant de la reprendre à son compte quelques mois plus tard.

Si nous nous intéressons d'abord à la TVA, c'est parce qu'elle est par son produit le principal impôt, mais aussi que le recouvrement de la TVA conduit mécaniquement à la détermination du chiffre d'affaires, qui peut ensuite renseigner sur l'assiette de l'impôt sur les bénéfices.

Un exemple parmi d'autres de distorsion de concurrence : les loueurs de voitures, dans les aéroports, acquittent la TVA, l'impôt sur les sociétés, des redevances aéroportuaires très élevées. Or certains sites proposent aux voyageurs de laisser leur véhicule à un parking situé à proximité, gratuitement, et de leur reverser 70 % du montant de leur location éventuelle. Il suffit alors à un particulier d'acheter quelques voitures d'occasion et de les déposer au parking pour en retirer un revenu récurrent.

M. Michel Bouvard . - Dans les ventes organisées par les douanes, par exemple !

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général. - De la même façon les particuliers qui achètent ou louent plusieurs appartements pour les proposer à la location sur le site Airbnb gagnent plus d'argent que s'ils étaient salariés et devaient prendre le RER tous les matins. Ils font concurrence aux hôteliers soumis aux charges sociales, impôts et taxes.

M. Francis Delattre . - Mais tout est taxé ! Ce que vous décrivez est marginal.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Tout est taxé, mais seulement en théorie. Je suis partisan d'un taux d'imposition faible sur une base large. L'érosion des bases alourdit l'impôt de ceux qui y restent soumis. C'est une question d'égalité de traitement !

M. Philippe Dallier . - Nous ne visons nullement l'économie du partage entre particuliers, mais cherchons à détecter les faux particuliers, ce que l'administration ne sait faire aujourd'hui. Faute de mettre en place un prélèvement à la source de la TVA par un tiers, nous aurons de moins en moins de recettes fiscales... et donc de moins en moins d'aides à la pierre.

La TVA est due en France au taux applicable en France. Ce n'est pas une difficulté : Bruxelles donne une autorisation globale, chaque État met en place sa plateforme, appliquant son taux de TVA.

M. Jacques Chiron . - Le commerçant étranger n'aura pas à se préoccuper de collecter la TVA : la plateforme s'en chargera. J'ajoute que l'Union européenne a tout intérêt à mettre en place ce mode de recouvrement, car ses ressources proviennent en partie de la TVA.

M. Bernard Lalande . - Dans l'économie numérique, le paiement ne se fait plus à la livraison : on paye, puis on reçoit la marchandise après un certain délai. Notre proposition vise à adapter le système fiscal à cette réalité.

Les moyens techniques existent, et sont faciles à mettre en oeuvre. Aujourd'hui, les actes de commerce font l'objet d'une taxation au premier euro à l'impôt sur le revenu ; pour les auto-entrepreneurs, une franchise s'applique en ce qui concerne la TVA. Les structures juridiques existent déjà. Nous proposons simplement une franchise de 5 000 euros sur les transactions entre particuliers.

M. Richard Yung . - Sur le chiffre d'affaires ou le revenu ?

M. Bernard Lalande . - Le revenu.

M. Richard Yung . - Quel taux d'impôt sur le revenu avez-vous appliqué dans votre exemple chiffré ?

M. Jacques Chiron . - Par simplicité, les estimations retiennent le choix du prélèvement forfaitaire libératoire, qui permet de payer en une seule fois et de manière forfaitaire l'impôt sur le revenu et les prélèvements sociaux, dans le cadre du régime de l'auto-entrepreneur.

M. Bernard Lalande . - Les sites comme Leboncoin suscitent des échanges, dont le volume augmente, et qui n'auraient pas existé sans l'économie numérique. Il ne s'agit nullement d'une économie souterraine, mais d'une économie non réglementée. Apple a distribué 100 000 exemplaires de son Apple Watch à des étudiants qui, en contrepartie, la porteront pendant trois ans. Toutes leurs données, en particulier de santé, seront enregistrées : c'est un achat de données. D'autres plateformes proposent de vendre des savoirs et des consultations ; ceux qui les dispenseront percevront un revenu accessoire. Tout cela échappe aujourd'hui à la taxation dans une certaine mesure, ce qui pourra être corrigé avec une fiscalité sur les flux.

Mme Michèle André , présidente . - Merci aux membres de ce groupe de travail qui montrent bien comment nous devons modifier notre façon de raisonner. Comme je le dis souvent à propos de l'égalité entre hommes et femmes, ce n'est pas en améliorant les bougies qu'on a inventé l'électricité : il faut adopter une autre logique. C'est toute la difficulté.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - L'Italie est le pays qui subit les plus lourdes fraudes, il est aussi le seul s'engager dans des tentatives de paiement séparé.

M. Francis Delattre . - Le vrai problème, ce sont les géants qui ne paient pas.

M. Philippe Dallier . - Ils ont vocation à payer.

Mme Michèle André . - Merci à nos collègues membres du groupe de travail pour leur enthousiasme.

La commission donne acte à MM. de Montgolfier, Lalande, Bouvard, Chiron et Dallier de leur communication et autorise la publication des conclusions du groupe de travail sous la forme d'un rapport d'information.

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