II. DES POLITIQUES EUROPÉENNES À LA CROISÉE DES CHEMINS
A. LA POLITIQUE DE LA CONCURRENCE
1. Un élément essentiel dans la construction européenne
La politique de la concurrence est sans conteste un élément fondateur et essentiel de la construction européenne. Elle permet de combattre certaines pratiques comme les ententes ou les abus de position dominante. Elle assure aussi un contrôle des concentrations et des aides d'État. En cela, la concurrence est un outil de régulation qui a pour vocation de permettre le fonctionnement harmonieux d'un marché unique au service des consommateurs. Cette compétence exclusive conférée à l'Union relève des pouvoirs propres de la Commission. Elle est indissociable des politiques liées au fonctionnement et au renforcement du marché unique.
La politique de la concurrence a néanmoins historiquement fait l'objet de critiques : elle ne prendrait par exemple pas suffisamment en compte les spécificités des services publics et, surtout, elle serait un obstacle à la constitution d'entreprises européennes innovantes d'envergure internationale. D'ailleurs, comme l'a spécifié le traité de Lisbonne, la concurrence n'est plus un objectif en soi. C'est un moyen qui permet d'atteindre les objectifs de l'Union européenne mais aussi de défendre sa compétitivité face à l'extérieur.
À ce titre, comme l'avait souligné le Président Juncker, le droit de la concurrence doit être utilisé pour atteindre des objectifs plus larges. C'est ce que précise la lettre de mission de Mme Margrethe Vestager, commissaire européen à la concurrence : il faut utiliser les outils de la politique de la concurrence pour qu'ils contribuent à l'emploi et à la croissance, dans des domaines tels que le marché numérique unique, la politique énergétique, les services financiers ou encore la politique industrielle.
2. Une nouvelle approche : la politique de la concurrence au service de la croissance et de l'emploi
La nouvelle Commission a fixé comme priorité la croissance et la création d'emplois, objectifs indispensables pour que les citoyens se rapprochent de l'Europe. Le Président Juncker a indiqué qu'il considérait que la politique de la concurrence devait jouer un rôle central dans cette stratégie et Mme Margrethe Vestager, commissaire européen à la concurrence, a clairement confirmé cette nouvelle approche. Elle a d'ailleurs indiqué qu'elle accordait, dans son action de commissaire à la concurrence, une place très importante aux problématiques liées au droit d'auteur, à la protection des données et surtout à l'accès au capital et au financement en fonds propres pour les entreprises innovantes européennes. Le manque d'investissements en fonds propres constitue une difficulté réelle au sein de l'Union européenne. Face à cette situation, la politique de la concurrence doit accompagner et soutenir des projets tels que le plan d'investissement Juncker et le projet d'union des marchés de capitaux qui sont indispensables pour relancer la croissance et apporter une diversification nécessaire en cas de crises financières.
3. Une politique de la concurrence qui doit mesurer la compétition mondiale et le marché pertinent
Interrogée par la délégation de la Commission des affaires européennes sur la notion de marché pertinent, Mme Margrethe Vestager, commissaire européen à la concurrence, a reconnu que pour nombre de secteurs d'activité, la dimension géographique pertinente s'avère souvent mondiale. Il n'y a toutefois, selon elle, pas un seul marché pertinent mais au contraire une multitude de marchés. Il convient donc de développer les outils permettant de comprendre ces différents marchés dont les caractéristiques dépendent des pratiques des entreprises et des comportements des consommateurs. C'est le point de départ de toute politique cohérente en matière de fusions.
Or, le concept de marché pertinent est parfois appréhendé d'une façon trop restrictive par les autorités européennes de la concurrence et cette conception conduit à l'émergence d'entreprises européennes de premier plan. Ainsi, une approche trop étroite des pratiques concurrentielles conduit parfois à empêcher des regroupements qui seraient pourtant stratégiques à l'échelle de la compétition mondiale. La politique européenne de la concurrence semble avoir contribué à affaiblir les entreprises européennes. Dans certains secteurs, en particulier par exemple le marché du numérique, le développement d'un marché unique couplé à une politique de concurrence trop étroite, comporte le risque d'ouvrir le marché européen aux géants mondiaux sans perspective de réciprocité.
Au cours des dix dernières années, au sein de l'Union européenne, 2 800 fusions ont été acceptées sans ou avec condition et 5 seulement ont été bloquées. La plupart de ces fusions ont fait l'objet d'une enquête approfondie et ceci a permis l'émergence d'entreprises européennes présentes au niveau mondial. Il est toutefois essentiel d'être très concret et pragmatique au sujet des marchés pertinents et il convient donc dorénavant de se garder d'analyser la pertinence d'une opération, en termes de concurrence, au niveau du marché européen alors que l'enjeu est le plus souvent international. La délégation de la Commission soutient largement une stratégie volontariste de soutien à des champions européens à travers une politique de la concurrence adaptée.