B. LES PRIORITÉS EUROPÉENNES EN MATIÈRE DE LUTTE CONTRE LE TERRORISME
La fonction du coordinateur européen pour la lutte contre le terrorisme a été créée, en mars 2004, au lendemain des attentats de Madrid.
Le 19 septembre 2007, M. Gilles de Kerchove a été nommé coordinateur. En cette qualité, il a été chargé :
- de coordonner les travaux du Conseil en matière de lutte contre le terrorisme ;
- de formaliser une vue d'ensemble de tous les instruments dont dispose l'Union européenne, de rendre régulièrement compte au Conseil et d'assurer un suivi efficace des décisions du Conseil ;
- de présenter des recommandations et de proposer des domaines d'actions prioritaires au Conseil en se fondant sur une analyse de la menace et des rapports élaborés par le Centre d'analyse du renseignement de l'Union européenne et Europol ;
- de surveiller la mise en oeuvre de la stratégie de l'Union européenne visant à lutter contre le terrorisme ;
- de coordonner son action avec celle des instances préparatoires compétentes du Conseil, de la Commission européenne et du Service européen d'action extérieure (SEAE), et de partager avec celles-ci des informations sur ses activités ;
- de veiller à ce que l'Union européenne joue un rôle actif dans la lutte contre le terrorisme ;
- d'améliorer la communication entre l'Union européenne et les pays tiers.
Dans ses orientations stratégiques en matière de justice et d'affaires intérieures formalisées au mois de juin 2014, le Conseil européen a confirmé l'importance du rôle joué par le coordinateur dans la lutte contre le terrorisme. À la suite des attentats terroristes commis à Paris au mois de janvier 2015, ce dernier a participé aux discussions sur le renforcement de la réaction de l'Union européenne en matière de lutte contre le terrorisme, sur le plan intérieur comme extérieur .
Le 12 février 2015, les chefs d'État et de gouvernement ont insisté sur l'importance du dialogue avec les pays tiers sur les questions de sécurité et de lutte contre le terrorisme. Ils ont cité, en particulier, les régions du Moyen-Orient, de l'Afrique du Nord et du Sahel, mais également la région des Balkans occidentaux. À la suite de cette déclaration, le coordinateur pour la lutte contre le terrorisme et le directeur du Service européen d'action extérieure (SEAE) chargé des questions multilatérales se sont rendus au Liban, le 23 février et en Tunisie, les 24 et 27 février. Ces visites avaient pour but d'identifier et d'explorer les moyens de renforcer les capacités de lutte contre le terrorisme et la coopération internationale.
Du 16 au 20 février 2015, le coordinateur a assisté, à Washington, au Sommet sur « la lutte contre l'extrémisme violent » organisé par le président des États-Unis, M. Barack Obama. Il a participé, aux côtés de la Haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la réunion ministérielle organisée par le secrétaire d'État américain, M. John Kerry. M. Gilles de Kerchove a également participé à une réunion ministérielle sur les combattants étrangers et a rencontré plusieurs de ses homologues américains chargés des questions de lutte contre le terrorisme.
Le coordinateur pour la lutte contre le terrorisme présente régulièrement au Conseil des rapports sur le fonctionnement et la mise en oeuvre des instruments existants de lutte contre le terrorisme au niveau de l'Union européenne. En décembre 2014, le Conseil a pris acte de deux importants rapports :
- un rapport sur la mise en oeuvre de la stratégie de l'Union européenne visant à lutter contre le terrorisme en date du 24 novembre 2014 ;
- un rapport sur la mise en oeuvre de la stratégie révisée de lutte contre le financement du terrorisme en date du 30 juillet 2014.
Lors de son entretien avec les membres de la délégation de votre commission des affaires européennes, M. Gilles de Kerchove a souligné les grandes priorités de l'Union européenne dans la lutte contre le terrorisme.
Selon lui, la menace terroriste est tout à la fois sérieuse et complexe. Au premier trimestre 2015, il a identifié trois principaux défis.
Le premier défi tient au phénomène de radicalisation d'un certain nombre de jeunes via Internet ou encore dans les prisons. Face à ce premier risque, des pays comme la France ou la Belgique se sont bien investis. Le combat contre la radicalisation nécessite aussi de traiter la question de l'« islam européen ».
Le second défi réside dans le phénomène des « combattants étrangers ». Ce sont 4 à 5 000 jeunes Européens qui seraient actuellement présents sur les théâtres d'opérations tels que la Syrie ou l'Irak.
Le troisième défi, c'est le développement d'une concurrence et donc d'une possible émulation entre les groupes terroristes que sont, par exemple, Daech et Al Qaïda.
À bien des égards, la menace terroriste a changé de nature. Elle a longtemps été le fait de « vétérans » du terrorisme aguerris par plusieurs années de combat sur des théâtres d'opérations comme l'Afghanistan. À l'heure actuelle, la menace terroriste peut provenir de jeunes Européens inconnus ou peu connus des services de police et capables de mener des attaques meurtrières avec une seule arme à feu voire une simple arme blanche. Il ne faut pas non plus sous-estimer le risque présenté par le développement d'armes ou d'explosifs miniaturisés.
Il faut être conscient que la lutte contre le terrorisme est menée à hauteur de 95 % environ par les États membres et à hauteur de 5 % environ par l'Union européenne. Il n'empêche que les défis que l'Europe doit affronter ont été, semble-t-il, bien identifiés par les chefs d'État et de gouvernement européen, notamment lors de leur Sommet de février 2015.
La Commission européenne n'est pas en reste. Elle devrait publier son « Agenda pour la sécurité » le 28 avril prochain.
Le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme a énoncé six grandes priorités pour la politique européenne de lutte contre le terrorisme.
La première concerne l'amélioration non seulement des mécanismes internes de sécurité intérieure mais aussi et peut-être surtout, des mécanismes externes de la politique extérieure de l'Union européenne avec son voisinage immédiat. Police, justice et diplomatie doivent travailler de concert. Il est clair que toutes les conséquences du « Printemps arabe » n'ont pas été suffisamment analysées. La récente attaque, à Tunis, du musée du Bardo a montré, par exemple, la nécessité de reconstruire les services de renseignement de pays comme la Tunisie.
La seconde priorité c'est, sans doute, le « recalibrage » des outils d'analyse sur les questions d'immigration et d'asile. Le problème des connexions entre certains flux migratoires et la criminalité doit être abordé sans complexe. Il est clair qu'Europol doit travailler avec FRONTEX.
Troisième priorité : l'amélioration du dispositif de contrôle aux frontières extérieures de l'Union européenne. Les moyens de l'agence européenne FRONTEX doivent être renforcés. Il faut sans doute aussi réfléchir à une évolution ciblée du « Code frontières Schengen » afin de systématiser les contrôles aux frontières extérieures de l'Union sur la base d'indicateurs de risque.
La quatrième priorité énoncée par le coordinateur consiste dans la recherche d'un équilibre entre la collecte et le partage des données en matière policière et judiciaire et la nécessaire protection de la vie privée. À cet égard, M. Gilles de Kerchove a vivement plaidé en faveur de la mise en place rapide d'un PNR européen.
La cinquième priorité, c'est une meilleure utilisation par les États et leurs services de police et de renseignement des outils de l'Union européenne. Cela passe bien sûr par une intensification de la coopération et de la coordination avec des organismes comme Europol et Eurojust et, par exemple, par la création d'un fichier européen des combattants étrangers.
La réhabilitation des combattants étrangers « qui n'ont pas de sang sur les mains » pourrait constituer la sixième priorité de l'Union européenne. On constate qu'en la matière, les politiques des États membres sont très diverses. Les Britanniques, par exemple, sont plutôt répressifs ; les Danois le sont beaucoup moins. Il serait, sans doute, nécessaire d'harmoniser les politiques.
Le coordinateur de l'Union européenne pour la lutte contre le terrorisme a enfin insisté sur les difficultés que les nouvelles pratiques de cryptage, mises en place notamment pour répondre aux inquiétudes des internautes européens, créent pour les services de police et de renseignement des États membres. Il s'agit là d'un nouveau défi à relever.