B. REVOIR LA GOUVERNANCE FINANCIÈRE DE L'UNION EUROPÉENNE ET CELLE DE LA POLITIQUE DE LA ZONE EURO

Le visage plus politique de la Commission européenne, sa volonté d'impulser une nouvelle dynamique économique, ne sauraient occulter les critiques récurrentes quant à l'efficacité de l'action de l'Union européenne d'une part et la nécessité d'approfondir la gouvernance de la zone euro d'autre part.

1. Un budget inadapté aux missions de l'Union européenne

L'efficacité de l'action de l'Union européenne peut être appréhendée au travers du prisme de son budget. Or, les crédits dont disposent l'Union européenne ne lui permettent pas de répondre aux missions qui lui sont assignées. Elle est en effet affectée par un « effet ciseau », conjuguant diminution de ses ressources propres et augmentation de ses compétences et du nombre d'États membres.

La diminution de ses ressources n'est pas nouvelle, le Conseil européen de Fontainebleau des 25 et 26 juin 1984 marquant, à cet égard, une forme de rupture avec l'introduction d'une contribution des États membres. Jusqu'alors, le budget de l'Union européenne était principalement alimenté par trois contributions spécifiques :

- une part de la Taxe sur la valeur ajoutée, perçue par les États membres ;

- un impôt spécifique visant le chiffre d'affaire des entreprises sidérurgiques et minières, mis en place lors de la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) auquel a succédé en 1970 un prélèvement sur les produits agricoles importés et des cotisations sur le sucre et l'isoglucose ;

- les droits de douane prélevés sur les produits en provenance des pays tiers.

La disparition de la taxe CECA et la diminution des droits de douane induite par la multiplication des accords de libre-échange avec les pays tiers ont bouleversé l'équilibre initial et conduit à la mise en place des contributions nationales, calculées sur le revenu national brut des États membres. Celles-ci n'étaient pour autant envisagées que comme des ressources temporaires et limitées. La poursuite de la diminution des droits de douane et celle de la part prélevée sur la taxe sur la valeur ajoutée ont pourtant produit l'effet inverse. Les contributions directes des États membres ne sont plus aujourd'hui une ressource d'équilibre mais bien le principal canal de financement de l'Union européenne.

Les droits de douane représentent aujourd'hui 14 % des recettes européennes, les prélèvements agricoles 1,2 %. La ressource dite TVA atteint elle 11 %. Sa réappropriation par les États membres a contribué à affaiblir sa part dans le budget total de l'Union européenne. La taxe est en effet levée par les États membres qui en reversent une part au budget de l'Union européenne. La part est aujourd'hui régulièrement minorée par une augmentation des frais de gestion retenus par les États membres avant le reversement : la part TVA affectée au budget de l'Union européenne est aujourd'hui de 0,15 %, compte tenu du plafonnement de son montant introduit en 2004.

Les contributions des États membres représentent donc aujourd'hui un peu moins de 74 % des ressources de l'Union européenne.

La première conséquence d'une telle évolution est l'apparition d'une logique de taux de retour au sein de chaque État membre. Un programme européen n'est finalement jugé pertinent par un État que si les crédits qu'il perçoit au titre de celui-ci sont supérieurs à sa contribution initiale. C'est cette logique qui sous-tend l'apparition du « chèque britannique » en 1984 et des corrections allemande, autrichienne, néerlandaise ou suédoise par la suite. Ces États n'étant plus bénéficiaires nets d'un certain nombre de politiques de l'Union européenne, demandent une révision de leur participation au budget général.

La seconde conséquence tient au montant du budget lui-même. Dans le contexte actuel de réduction des déficits publics, le prélèvement européen peut faire figure de variable d'ajustement. Il n'est pas étonnant, dans ces conditions, que le budget européen régresse alors même que le nombre de ses États membres a augmenté, passant de 15 à 28 sur la période et que ses compétences progressent depuis l'adoption du Traité de Lisbonne en 2008.

Une telle évolution n'est pas sans conséquences pratiques. L'Union européenne est confrontée à une forte augmentation de ses impayés en fin d'exercice, passant de 5 milliards d'euros fin 2010 à 24 milliards d'euros fin 2014. Cette situation comporte un risque pour les collectivités locales qui se trouvent en situation d'avancer des fonds en principe cofinancés par l'Union européenne.

Au-delà, ce sont les ambitions de l'Union européenne réaffirmées à chaque Conseil européen, tant en matière économique qu'écologique ou diplomatique, qui sont remises en cause : l'Union ne dispose plus, en effet, des moyens de ses politiques.

2. Une gouvernance de la zone euro à approfondir

Alors même que la dimension du budget de l'Union européenne n'est pas sans poser de difficultés, la question de l'approfondissement de la zone euro telle que traitée en 2012 et 2013 par la présidence du Conseil et la Commission européenne était axée sur la mise en place d'une capacité budgétaire devant permettre de contractualiser les réformes structurelles, de mutualiser une partie de la dette ou de mettre en place un mécanisme d'assurance-chômage. Ces orientations n'ont pas été reprises expressément par la nouvelle Commission européenne dans la note analytique de huit pages qu'elle a diffusée lors du Conseil européen du 12 février. Cette note était présentée comme une contribution aux réflexions actuellement menées par les présidents du Conseil, de la Commission européenne, de l'Eurogroupe et de la Banque centrale européenne, auxquelles est associé celui du Parlement européen (format 4+1).

L'absence de référence à une capacité budgétaire de la zone euro est concevable. Le budget de l'Union européenne représente en effet à peine 1 % du PIB européen alors que le niveau de dépense publique de chaque État membre est compris entre 40 et 55 % de son PIB. Dans ces conditions, il peut être difficile d'imaginer demain un transfert financier conséquent vers l'Union européenne dotant celle-ci de moyens suffisants pour mettre en place une politique contra-cyclique, à l'image d'un mécanisme d'assurance-chômage européen ou même d'un système de retraite européen. Une telle évolution supposerait un budget européen représentant entre 20 et 30 % du PIB de l'Union. Une assurance-chômage appellerait de surcroît une véritable unification des marchés du travail de l'ensemble des États membres. L'ensemble de ces conditions peut donner à ce projet un caractère trop ambitieux.

L'approfondissement de la zone euro continue cependant à faire figure de priorité. Pour l'institut Bruegel, il pourrait être envisagé un« fédéralisme d'exception », expression de l'ancien président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, en 2011, reprise plus récemment par Wolfgang Schaüble, le ministre des finances allemand. 2 ( * ) . Il s'agit, plus concrètement, de mettre en place un « Eurosystème de la politique budgétaire ». Celui-ci serait notamment composé d'un Conseil de gouvernance présidé par un ministre des finances de la zone auquel seraient associés cinq directeurs du budget. Les ministres des finances des États membres de la zone euro participeraient également à la prise de décision. Ce schéma reprend le modèle du Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne. Le ministre des finances de la zone euro et les cinq directeurs disposeraient d'une voix prépondérante au moment des votes, qui seraient effectués à la majorité qualifiée. Ce comité souple ne serait opérant qu'en cas de crise. Lui seraient alors transférées les compétences budgétaires des États membres rencontrant des difficultés. Son action serait guidée par deux principes : assurer la soutenabilité de la dette et faciliter la mise en oeuvre d'une politique contracyclique. Il pourrait également disposer du pouvoir de recourir aux fonds du Mécanisme européen de stabilité.

Si le Conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne incarne une certaine neutralité, l'action de l'Eurosystème budgétaire devrait, quant à elle, être plus politique. Il s'agira en effet d'apprécier si les règles adoptées - two pack, six pack , traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance - sont adaptées à toute les situations. Ce dispositif ne se limiterait pas à sanctionner les excès d'endettement ou les dépenses publiques. Il doit répondre, avant tout, à la logique de la procédure de déséquilibre macroéconomique excessif et viser les déficits comme les excès, à l'image du solde de la balance commerciale allemande.

Même minimaliste au regard du projet de capacité budgétaire, cet Eurosystème budgétaire n'est pas sans poser de difficultés, notamment à l'égard des parlements nationaux. Afin de renforcer le contrôle démocratique de la prise de décision, le Parlement européen pourrait créer en son sein une assemblée dédiée à la zone euro. L'institut Bruegel est consulté dans le cadre des travaux du groupe 4+1. Le rapport du groupe qui devrait être présenté au Conseil européen du mois de juin constituera une première indication sur la possibilité de voir émerger ce « fédéralisme d'exception ».


* 2 http://www.bruegel.org/publications/publication-detail/publication/870-euro-area-governance-what-to-reform-and-how-to-do-it/

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