PREMIÈRE PARTIE : DES STRUCTURES D'ACCOMPAGNEMENT MÉDICO-SOCIAL AU TRAVAIL SOUMISES À DE NOUVELLES CONTRAINTES

I. LES ESAT SONT AU SERVICE DE L'INTÉGRATION DES PERSONNES HANDICAPÉES PAR LE TRAVAIL

A. LES ESAT SONT UN DES PILIERS DU VOLET « TRAVAIL » DE LA POLITIQUE DU HANDICAP

1. L'émergence d'une politique du handicap intégrative

La prise en charge du handicap à travers une politique publique dédiée a été tardive en France . Avant les années 1970, les actions en faveurs des personnes handicapées relevaient principalement de l'action sociale de l'État ou du secteur associatif, ainsi que de prestations d'assurance sociale non spécifiques aux situations de handicap.

Face à la carence du secteur public, c'est le milieu associatif qui a pris l'initiative de créer des institutions spécialisées dans l'accueil et l'accompagnement des personnes handicapées . Les premières grandes associations de personnes handicapées sont apparues dans l'entre-deux-guerres, afin de prendre en charge un nombre important de mutilés de guerre ainsi que des accidentés du travail, à l'instar de l'Association pour l'insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées (ADAPT) en 1929 ou de l'Association des paralysés de France (APF) en 1933.

La loi n° 75-534 du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes handicapées a représenté un tournant en ce qu'elle a marqué l'apparition d'une véritable politique du handicap par la création de prestations spécifiques aux personnes handicapées, et a posé comme principe le maintien dans un cadre ordinaire de travail et de vie des personnes handicapées chaque fois que cela est possible.

Les politiques mises en oeuvre par la suite ont comporté alternativement ou conjointement deux volets : permettre un accompagnement des personnes handicapées par des aides financières venant compenser une insuffisance ou une perte de revenus ainsi que le développement de structures médico-sociales (démarche institutionnelle) ; insister sur la recherche de l'autonomie des personnes handicapées et sur leur insertion dans la société (démarche intégrative). Ces deux démarches, bien que relevant de logiques différentes, sont allées de pair.

La politique du handicap a connu une nouvelle étape à travers la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées qui a promu une nouvelle définition juridique du handicap , codifiée à l'article L. 114 du code de l'action sociale et des familles : « Constitue un handicap [...] toute limitation d'activité ou restriction de participation à la vie en société subie dans son environnement par une personne en raison d'une altération substantielle, durable ou définitive d'une ou plusieurs fonctions physiques, sensorielles, mentales, cognitives ou psychiques, d'un polyhandicap ou d'un trouble de santé invalidant ». Cette définition large s'est accompagnée de l'affirmation d'un objectif d'intégration des personnes handicapées dans la société, notamment par l'emploi.

2. L'accès des personnes handicapées à l'emploi : la place du travail protégé

L'accès à l'emploi constitue l'un des droits fondamentaux des personnes handicapées que la loi de 2005 vise à garantir et participe de l'inclusion de ces personnes dans la vie de la société. En vertu de l'article L. 114-1 du code de l'action sociale et des familles, « toute personne handicapée a droit à la solidarité de l'ensemble de la collectivité nationale, qui lui garantit, en vertu de cette obligation, l'accès aux droits fondamentaux reconnus à tous les citoyens ainsi que le plein exercice de sa citoyenneté ».

La fonction intégratrice de l'emploi est essentielle , tant matériellement par le revenu d'activité qu'il procure, que symboliquement, le travail étant perçu comme un moyen de réalisation personnelle. Ce constat est particulièrement vrai en France, comme l'ont montré Lucie Davoine et Dominique Méda 1 ( * ) , qui insistent sur la singularité française en la matière : les Français ont des attentes très élevées à l'égard du travail ; ils sont les plus nombreux en Europe à déclarer que le travail est « très important ».

L'accès des personnes handicapées à l'emploi passe par deux modalités : le travail en milieu ordinaire et le travail en milieu protégé et adapté.

a) Le travail en milieu ordinaire

Le travail en milieu ordinaire, dans le secteur public ou privé, concerne une majorité de personnes handicapées. Afin d'encourager l'activité professionnelle des personnes handicapées, la loi n° 87-517 du 10 juillet 1987 en faveur de l'emploi des travailleurs handicapés a institué une obligation pour les employeurs publics et les établissements privés de 20 salariés et plus d'employer des travailleurs handicapés dans la proportion de 6 % de leurs effectifs . Afin de remplir cette obligation, les employeurs peuvent soit employer directement des personnes handicapées, soit recourir à la sous-traitance avec des entreprises adaptées ou des ESAT. Les employeurs publics et privés qui ne respectent pas cette obligation d'emploi doivent verser une cotisation, respectivement au Fonds pour l'insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP) ou à l'Association pour la gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapés (AGEFIPH). Le produit de ces cotisations permet de financer des actions en faveur de l'insertion professionnelle des travailleurs handicapés, comme par exemple des formations ou des adaptations de postes ou du lieu de travail.

Par ailleurs, la loi de 2005 a prévu l'obligation générale pour les employeurs de prendre les mesures appropriées pour permettre aux travailleurs handicapés d'accéder ou de conserver un emploi correspondant à leur qualification , par exemple en aménageant les postes ou en individualisant les horaires de travail, ou pour qu'une formation adaptée à leurs besoins leur soit dispensée, à condition que les charges en résultant ne soient pas disproportionnées (article L. 5213-6 du code du travail). De même, afin de faciliter l'emploi dans la fonction publique, des aménagements aux concours, des concours réservés et une voie de recrutement contractuel spécifique sont prévus pour les personnes handicapées.

b) Le travail en milieu protégé et adapté

Pour les personnes dont la capacité de travail n'est pas suffisante pour travailler en milieu ordinaire, le travail peut s'effectuer dans des entreprises adaptées ou en milieu institutionnel dit « travail protégé ». Deux types de structures sont concernés :

• les entreprises adaptées (EA) , d'une part, qui sont de véritables entreprises - et qui n'appartiennent de ce fait pas au champ médico-social -dont 80 % ou plus des effectifs doit être constitué de personnes reconnues comme travailleurs handicapés. Elles emploient les travailleurs handicapés dans des conditions de droit commun en matière de droit du travail. L'État verse une aide au poste égale à 80 % du salaire minimum de croissance brut ainsi que des subventions destinées au fonctionnement de la structure. Les EA accueillent généralement un public dont le handicap constitue un frein à l'embauche en milieu ordinaire mais qui n'est pas lourd au point de nécessiter un accompagnement médico-social permanent au sein d'une institution.

• les établissements et services d'aide par le travail (ESAT) , d'autre part, qui offrent des activités professionnelles et un soutien médico-social à des personnes handicapées dont il a été reconnu qu'elles n'étaient pas capables « momentanément ou durablement, à temps plein ou à temps partiel, ni de travailler dans une entreprise ordinaire ou dans une entreprise adaptée ou pour le compte d'un centre de distribution de travail à domicile, ni d'exercer une activité professionnelle indépendante » (art. L. 344-2 du code de l'action sociale et des familles).

Les ESAT ont remplacé en 2005 les Centres d'aide par le travail (CAT). Pendant l'entre-deux-guerres, plusieurs associations avaient déjà créé des structures, comme des ateliers occupationnels, permettant aux personnes handicapées de s'initier à une activité professionnelle. Cependant, le véritable développement du travail protégé date de la création des premiers CAT en 1954, où devaient être placées des personnes présentant moins du tiers de la capacité normale de travail d'un salarié ordinaire, et de la loi n° 57-1223 du 23 novembre 1957 qui utilise pour la première fois le terme de « travailleurs handicapés » et élargit le principe d'obligation d'emploi et de réinsertion professionnelle aux invalides civils.

Par la suite, la circulaire 60 AS du 8 décembre 1978 2 ( * ) est venue définir le rôle des CAT en leur donnant une double finalité : « faire accéder, grâce à une structure et des conditions de travail aménagées, à une vie sociale et professionnelle des personnes handicapées momentanément ou durablement, incapables d'exercer une activité professionnelle dans le secteur ordinaire de production ou en atelier protégé ; permettre à celles d'entre ces personnes qui ont manifesté par la suite des capacités suffisantes de quitter le centre et d'accéder au milieu ordinaire de travail ou à un atelier protégé ».

Les ESAT sont ainsi des établissements médico-sociaux qui permettent aux personnes en situation de handicap, à partir de l'âge de vingt ans, d'exercer une activité à caractère professionnel et socialisante tout en bénéficiant d'un suivi médico-éducatif dans un milieu protégé . Ils sont à la fois une structure de mise au travail et une structure médico-sociale qui dispense l'accompagnement requis pour l'exercice d'une activité professionnelle. Les ESAT permettent ainsi une prise en charge des adultes handicapés et participent au maintien de leurs acquis scolaires, à leur formation professionnelle, à leur accès à l'autonomie et à leur implication dans la vie sociale.

Opérateurs économiques ordinaires, les ESAT bénéficient toutefois de l'obligation d'emploi de 6 % de travailleurs handicapés à laquelle sont assujetties les entreprises de plus de vingt salariés, dont elles peuvent s'acquitter partiellement en passant des contrats de fournitures, de sous-traitance ou de prestations de services avec un ESAT. Cette modalité ne peut toutefois être utilisée que pour satisfaire au maximum 50 % de l'obligation légale d'emploi (soit 3 %).

Les ESAT contribuent sensiblement à l'emploi des personnes handicapées , et pallient les carences du secteur privé. Malgré le taux d'emploi légal de 6 % auquel étaient soumis 100 100 établissements en 2011, et en dépit des progrès réguliers, la part des travailleurs handicapés dans l'effectif total des établissements du secteur privé assujettis était de seulement 3,1 % 3 ( * ) . Par ailleurs, comme l'ont rappelé nos collègues Claire-Lise Campion et Isabelle Debré dans un rapport d'information de juillet 2012 4 ( * ) , le taux d'emploi global des personnes handicapées demeure nettement inférieur à celui de l'ensemble de la population active (35 % contre 65 %). Cela résulte d'un taux d'activité plus faible (44 % contre 71 %), mais surtout d'un taux de chômage qui est le double de celui de l'ensemble de la population active (21 % en 2011). Par ailleurs, les travailleurs handicapés sont marqués par une durée de chômage plus longue : l'ancienneté moyenne d'inscription au chômage pour les personnes handicapées était de 22,5 mois contre 15,9 mois pour l'ensemble des demandeurs d'emploi en 2013 5 ( * ) .

Il faut enfin souligner que le recours au travail protégé comme moyen d'accompagnement et de socialisation des personnes handicapées qui ne sont pas en capacité d'exercer une activité professionnelle dans le secteur privé ou public n'est pas propre à la France . Les principaux partenaires européens de la France disposent également d'une législation sur le travail protégé et de structures dédiées. En revanche, comme l'a montré une étude de 2011 sur le travail protégé en Europe 6 ( * ) , les modalités de cette prise en charge varient fortement, en termes de types de handicaps accueillis, de nombre de places disponibles, de financement des structures ou d'articulation avec d'autres dispositifs de soutien. Ainsi, dans certains États, le travail protégé est ouvert à tous les types de handicaps (France, Allemagne, Espagne, Pologne), lorsque d'autres États le réservent à certains handicaps, comme la déficience intellectuelle (Finlande) ou les handicaps lourds (Suède). De même, les personnes accueillies n'ont pas le même statut selon les pays, certains leur confiant un statut spécifique (France, Allemagne, Pays-Bas, Danemark) et d'autres un statut de travailleur de droit commun (Belgique, Suède).


* 1 Lucie Davoine et Dominique Méda, Centre d'étude pour l'emploi (CEE), « Place et sens du travail en Europe : une singularité française ? », février 2008.

* 2 Circulaire 60 AS du 8 décembre 1978 relative aux centres d'aide par le travail.

* 3 Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES), « L'emploi des travailleurs handicapés dans les établissements de 20 salariés ou plus du secteur privé, Bilan de l'année 2011 », novembre 2013.

* 4 Rapport d'information fait au nom de la commission sénatoriale pour le contrôle de l'application des lois sur l'application de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, 4 juillet 2012.

* 5 Agefiph, Les chiffres de l'emploi et du chômage des personnes handicapées, tableau de bord n° 45, décembre 2013.

* 6 Rapport du projet IGOS, « Des milieux de travail de qualité pour tous », juillet 2011.

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