C. LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES PEUVENT SOUTENIR INDIRECTEMENT LA CONSTRUCTION OU L'ACQUISITION D'UN LIEU DESTINÉ À L'EXERCICE DU CULTE OU À DES PRATIQUES CULTUELLES

1. Les collectivités territoriales peuvent octroyer des garanties d'emprunts bancaires dans les agglomérations en développement pour soutenir la construction d'un édifice du culte

Des garanties d'emprunt peuvent être accordées par les communes et les départements pour la construction d'édifices cultuels dans des agglomérations en voie de développement 237 ( * ) . Selon le ministère de l'Intérieur, elles se définissent comme des zones urbanisées 238 ( * ) dont la population augmente significativement. La Fédération protestante de France indiquait à votre délégation que de nombreux lieux de culte protestants avaient bénéficié de ce dispositif entre les années 1960 et 1990, mais que ce type d'interventions était de plus en plus rare. Le président de l'Observatoire de la laïcité citait l'exemple de la mosquée de Reims. La ville de Créteil et le département du Val-de-Marne ont aussi garanti un emprunt à hauteur de 1,5 million d'euros dans le cadre de la construction de la mosquée de Créteil, achevée en 2008.

La garantie d'emprunt pour les édifices cultuels

Lorsqu'une association cultuelle ou un groupement local sollicite un prêt bancaire pour construire un édifice cultuel dans une agglomération en voie de développement, une commune ou un département peut, après délibération de l'assemblée délibérante , s'engager à se substituer à l'emprunteur si celui-ci est défaillant . La collectivité territoriale devra donc, le cas échéant, rembourser l'annuité d'emprunt (capital emprunté + intérêts).

Le CGCT fixe les limites de l'engagement financier de la collectivité territoriale en matière de garanties d'emprunts. Ainsi, une commune ou un département ne peut garantir un emprunt pour plus de 50 % du montant total de ses recettes réelles de fonctionnement 239 ( * ) ; un même emprunteur ne peut bénéficier d'une garantie excédant 10 % de la capacité globale de la collectivité à garantir 240 ( * ) .

Le Conseil d'État relevait, dans son rapport public de 2004, que cette garantie apportée aux groupements cultuels facilitait considérablement leurs recherches de prêts bancaires .

Bernard Poujade reconnaissait devant votre délégation que « l'application des dispositions relatives aux garanties d'emprunt dans les seules agglomérations en voie de développement était pénalisante pour les fidèles qui vivaient sur le reste du territoire et qui ne disposaient pas de lieux de culte ».

C'est pourquoi, afin d'élargir le dispositif existant, votre délégation vous propose de ne plus limiter le système aux seules agglomérations en voie de développement, mais de l'étendre à tout le territoire. Des territoires ruraux peuvent aujourd'hui être pleinement concernés par des demandes de communautés religieuses souhaitant disposer de lieux de culte en adéquation avec leur population de fidèles.

Recommandation n° 3 : Étendre la possibilité d'accorder des garanties d'emprunt pour la construction d'édifices cultuels à l'ensemble du territoire.

2. Le bail emphytéotique conclu avec un groupe religieux pour l'édification d'un édifice cultuel est une pratique privilégiée par les collectivités territoriales
a) Le bail emphytéotique est un contrat de long terme conclu sur le domaine privé ou public de la collectivité territoriale

Deux types de baux emphytéotiques peuvent être conclus entre les collectivités territoriales et les associations cultuelles :

- d'une part, le bail emphytéotique de droit privé portant sur des dépendances du domaine privé 241 ( * ) . Ce type de contrat relève des juridictions judiciaires, même lorsqu'il a pour objet la construction d'un lieu de culte 242 ( * ) ;

- d'autre part, le bail emphytéotique administratif (BEA) cultuel est un contrat administratif portant sur le domaine public et conclu entre une association cultuelle et une collectivité territoriale pour une durée de 18 à 99 ans « en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public 243 ( * ) » . Le régime juridique du bail emphytéotique administratif (BEA) se distingue essentiellement du bail emphytéotique de droit commun par la prérogative reconnue à la collectivité territoriale, dans le cadre du BEA, de résilier le contrat .

Le Conseil d'État a consacré la pratique du BEA cultuel par une décision rendue le 19 juillet 2011. La juridiction administrative a indiqué qu'en autorisant la conclusion d'un bail de longue durée entre une collectivité territoriale et une association cultuelle en vue de l'édification d'un lieu de culte, le législateur avait permis aux collectivités territoriales, par dérogation au principe de non-subventionnement posé en 1905, de mettre à disposition un terrain leur appartenant, en contrepartie d'une redevance modique (en l'espèce un euro symbolique) et de l' intégration de l'édifice dans le patrimoine de la collectivité à l'issue du bail 244 ( * ) . La mise en oeuvre de ce dispositif doit se faire dans le respect du principe de laïcité et donc des principes de neutralité et d'égalité entre les cultes. Dès lors, et sous réserve des contraintes foncières, le rapporteur public a affirmé dans cette affaire que toute collectivité territoriale « qui se lançait dans ce type de dispositif devrait faire droit à d'éventuelles demandes présentées sur le même fondement, ce qui incite évidemment à une certaine prudence 245 ( * ) ».

Au cours du contrat, il revient au preneur du bail , c'est-à-dire à l'association cultuelle gestionnaire de l'édifice , d'assumer financièrement la charge de sa construction et de son entretien . L'économie du BEA n'implique donc aucune intervention de la collectivité publique en faveur du culte.

En revanche, au terme du bail , la collectivité territoriale devient propriétaire de l'édifice cultuel, mais ne peut le laisser gratuitement à la disposition de l'association cultuelle sans contrevenir au principe d'interdiction du subventionnement public des cultes. Elle peut alors « soit mettre l'édifice cultuel à disposition à titre onéreux, y compris pour le culte, soit l'exploiter à des fins économiques 246 ( * ) ».

Votre délégation remarque que l'affectataire qui avait la jouissance du lieu de culte ne bénéficie donc d'aucune garantie sur la continuité de l'affectation cultuelle. Toutefois, les membres du Conseil d'État qu'elle a auditionnés ne constatent pas de nécessité de garantir juridiquement l'affectation cultuelle de l'édifice. En effet, ils soulignent qu'« il est peu probable qu'une collectivité territoriale décide de changer cette affectation en fin de bail ».

b) Le bail emphytéotique est aujourd'hui largement utilisé par les collectivités territoriales mais ses effets à long terme sur les finances locales ne seront pas neutres

La pratique des baux emphytéotiques au profit des cultes a débuté en région parisienne, dans les années 1930, avec les Chantiers du Cardinal. Sur 1 800 églises paroissiales d'Ile-de-France édifiées après 1905, 450 ont eu recours à un bail emphytéotique 247 ( * ) .

Votre délégation observe que cet outil a permis l'édification de nombreux lieux de culte de toutes confessions . Ainsi en est-il, par exemple, des mosquées de Montreuil et de Marseille, du siège du Consistoire de Paris ou encore de la pagode de Strasbourg, dont l'édification a fait l'objet d'un bail avec la commune pour une durée de cinquante ans, comme le rappelait la présidente de l'Union bouddhiste de France.

Le Conseil d'État, dans son rapport de 2004 sur la laïcité, souligne que le BEA est un instrument « efficace et précieux pour les associations souhaitant construire un édifice cultuel 248 ( * ) » . Les membres de la haute juridiction administrative confirmaient devant votre délégation que le « BEA semble l'outil le plus intelligent pour le financement des lieux de culte » . Parmi les avantages du BEA, l'Observatoire de la laïcité souligne de son côté que « la mise à disposition d'un terrain par la collectivité territoriale représente un avantage lorsque le coût du foncier est élevé ». D'ailleurs, en raison de l'économie du contrat, la redevance due à la collectivité doit rester modique compte tenu du fait que le preneur « n'exerce aucune activité à but lucratif » 249 ( * ) .

Le seul inconvénient pour l'association cultuelle réside dans l'incorporation, au terme du bail, des constructions ainsi réalisées dans le patrimoine de la collectivité. Mais cette dimension du contrat représente surtout une contrainte pour la collectivité territoriale en raison des charges d'entretien du bâtiment qui en découlent.

Le président de la Conférence des évêques de France estime d'ailleurs que la pratique des baux emphytéotiques pour l'édification de lieux de culte est une « bombe à retardement ». L'Observatoire du patrimoine religieux évoque, quant à lui, une « aberration », et fait remarquer à votre délégation que l'arrivée à terme de baux emphytéotiques conclus dans les années 1930 va faire entrer dans le patrimoine de la Ville de Paris une trentaine d'églises d'ici vingt à trente ans. Ces bâtiments seront en mauvais état et nécessiteront cinq à dix millions d'euros de travaux, selon l'OPR. Cette charge va s'ajouter à celles que la municipalité supporte déjà pour l'entretien du patrimoine religieux existant. Le représentant de l'OPR affirmait également devant votre délégation que « l'économie de court terme pour les fidèles est en réalité une plaie à long terme pour les finances publiques ». Par exemple, « l'économie pour 20 % de fidèles catholiques, va conduire au bout d'un siècle à faire payer 100 % des citoyens, y compris ceux qui ne sont pas catholiques » . L'OPR constate que « le problème est le même pour les mosquées » et se demande s'il est « pertinent de faire payer l'entretien d'une église à la communauté juive, par exemple, qui entretient déjà ses propres lieux de culte » .

À travers ces exemples concrets, votre délégation constate donc que le bail emphytéotique conclu en vue de la construction d'un édifice cultuel est certes un outil efficace pour résorber les inégalités d'accès aux lieux de culte des différents groupes religieux, mais qu'il faut absolument en anticiper les conséquences pour les finances locales futures . À long terme, en effet, la propriété des édifices cultuels va représenter une charge très lourde d'entretien et de conservation pour les collectivités territoriales qui auront eu recours à ce type de contrats.

C'est pourquoi votre délégation vous propose qu'à l'échéance du bail emphytéotique soit prévue une option d'achat pour l'association cultuelle. Pour cela, il conviendrait de compléter l'article L. 1311-2 du CGCT par une disposition prévoyant la possibilité de conclure un bail emphytéotique administratif cultuel avec option d'achat en fin de bail , comme cela se pratique pour d'autres baux. Une telle proposition doit permettre de transférer aux communautés religieuses la charge future de l'entretien et de la conservation de leurs lieux de culte.

Recommandation n° 4 : Autoriser les collectivités territoires et les associations cultuelles à conclure un bail emphytéotique prévoyant, à l'issue de l'échéance, une option d'achat pour ces dernières, afin d'éviter que les communes en deviennent propriétaires au terme du bail.

3. Une collectivité territoriale peut mettre à disposition des locaux dont elle est propriétaire pour l'exercice de pratiques cultuelles
a) Un local public peut être mis temporairement à disposition pour l'exercice d'un culte

Le Code général des collectivités territoriales n'interdit pas la mise à disposition de locaux communaux à des associations , y compris celles ayant pour objet l'exercice d'un culte 250 ( * ) . La commune peut toutefois refuser une telle demande. Le Conseil d'État, qui encadre les modalités de mise à disposition d'un local, a ainsi validé le refus d'un conseil municipal qui « avait entendu, sauf pendant les campagnes électorales, mettre l'utilisation des locaux appartenant à la commune à l'abri de querelles politiques ou religieuses » . Pour les juges, « une telle mesure n'est pas fondée sur un critère étranger à l'intérêt de la gestion du domaine public communal 251 ( * ) ».

Toutefois, l'évolution de la jurisprudence tend à privilégier l'exercice de la liberté fondamentale de réunion 252 ( * ) . Les représentants du culte protestant ont ainsi relevé devant votre délégation, en s'appuyant sur la jurisprudence du Conseil d'État 253 ( * ) , qu' une commune ne pouvait refuser de mettre un local à disposition d'une association au seul motif que la demande serait adressée dans le but d'exercer un culte . Les juges confirment donc qu'une commune peut, dans le respect des principes de neutralité à l'égard des cultes et d'égalité et dans des conditions financières qui excluent toute aide à un culte, permettre l'utilisation d'un local communal pour l'exercice d'un culte 254 ( * ) . Le refus du maire doit être justifié par des motifs tenant à la prévention des troubles à l'ordre public et aux nécessités de l'administration des propriétés communales ou du fonctionnement des services 255 ( * ) .

Des conditions précises régissent toutefois l'utilisation d'un local communal dans cette hypothèse :

- celui-ci ne doit pas être laissé de façon exclusive et pérenne à disposition d'une association pour l'exercice d'un culte afin de ne pas constituer un édifice cultuel 256 ( * ) . La mise à disposition doit donc demeurer provisoire et être ouverte dans les mêmes conditions à tous les cultes qui en font la demande ;

- en outre, les conditions financières doivent exclure toute libéralité et, par suite, toute aide directe à un culte.

Dans une affaire qui opposait la commune de Saint-Gratien et l'association franco-musulmane de la ville, le Conseil d'État a ainsi estimé qu'en demandant la mise à disposition d'un local de réunion une heure par semaine pendant un mois, l'association n'avait pas sollicité une mise à disposition exclusive et pérenne du local. La juridiction a donc jugé que la brièveté et le nombre très limité des périodes d'utilisation sollicitées, ainsi que la modestie de l'avantage accordé, ne permettaient pas de conclure que l'association avait bénéficié d'une libéralité.

À une question sénatoriale, le ministère de l'Intérieur avait souligné à juste titre que « la mise à disposition de locaux au profit d'organismes représentatifs de la population contribuait à la démocratisation de la vie locale et permettait aux communes de favoriser la participation des habitants aux missions d'intérêt général 257 ( * ) » .

Or, les représentants des cultes auditionnés par votre délégation ont fait état de réticences et de refus, prononcés en toute bonne foi, de certaines collectivités territoriales à louer des salles pour l'exercice du culte, même si le Conseil national des évangéliques de France signalait, dans de rares cas, la mise à disposition, en général le dimanche matin, de locaux publics pour l'exercice du culte. Selon les responsables religieux, les élus craindraient en effet d'être submergés par les demandes des cultes auxquelles ils ne pourraient s'opposer sans enfreindre le principe d'égalité, et préfèreraient donc parfois s'en tenir à un refus de principe. Pourtant, comme l'indique à juste titre le Conseil d'État, « la crainte, purement éventuelle, que les salles municipales soient l'objet de sollicitations répétées pour des manifestations à but religieux ne saurait justifier légalement le refus de la ville 258 ( * ) ».

Malgré une jurisprudence dans l'ensemble favorable aux cultes, le Conseil d'État admet que la mise à disposition d'un local représente « tout au plus une solution d'attente » et que « pour la construction d'un édifice cultuel dont une communauté de croyants ressent le besoin » , les garanties d'emprunt et les baux emphytéotiques sont « des réponses de plus long terme 259 ( * ) » . Les membres de la haute juridiction administrative auditionnés par votre délégation reconnaissent d'ailleurs que « la mise à disposition de locaux ne peut être, pour une collectivité, qu'un moyen temporaire, précaire et potentiellement délicat à assumer sur la durée, de résoudre les problèmes de manque de lieux de prière qui existent parfois de façon criante dans certains territoires 260 ( * ) ».

C'est pourquoi votre délégation appelle les élus locaux à placer les cultes dans une situation d'égalité quant à leurs demandes de mise à disposition de locaux. Elle les invite en outre à examiner toutes les solutions alternatives lorsque les fidèles se retrouvent sans lieu pour pratiquer leur culte. Ces recommandations apparaissent d'autant plus fortes que, sur le terrain, rien n'empêche les associations concernées de saisir le juge administratif dans le cadre du recours pour excès de pouvoir, s'il apparait qu'une collectivité refuse de manière illégale de mettre à disposition un local pour y exercer un culte.

b) Un local public peut être aménagé et mis à disposition par la collectivité territoriale pour l'exercice d'une pratique cultuelle en particulier, tel que l'abattage rituel

La mise à disposition d'infrastructures publiques pour les cultes peut se traduire par la construction, l'acquisition ou l'aménagement, par une collectivité territoriale, de locaux permettant l'abattage rituel . Il s'agit d'une situation concrète rencontrée par nombre d'élus locaux, avec laquelle ils ne sont pas toujours très à l'aise et qui est susceptible de créer des incompréhensions, voire des tensions, avec nos concitoyens juifs et musulmans. Il convient pourtant de rappeler que le libre exercice de pratiques à caractère rituel , telles que l'abattage, est garanti par la Cour européenne des Droits de l'Homme 261 ( * ) .

Le Conseil d'État, par un arrêt du 19 juillet 2011 262 ( * ) , a soumis la mise à disposition d'un abattoir rituel à deux conditions :

- la première tient à l'existence d'un intérêt public local tenant notamment au maintien de l'ordre public, de la salubrité et la santé publiques ; dans cette affaire, le Conseil d'État avait précisément relevé l'éloignement de tout abattoir dans lequel le rite aurait pu être pratiqué dans le respect des exigences de salubrité et de santé publiques ;

- la seconde exigence tient à l'existence de conditions d'intervention de la collectivité territoriale, notamment tarifaires, respectueuses du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité . Il est nécessaire que tous les cultes aient un égal accès à l'équipement mis en place. La collectivité ne peut ni mettre gratuitement l'équipement à disposition d'un culte, ni pratiquer des tarifs favorisant un culte.

Dans cette décision, le rapporteur public soulignait que « ce n'est pas parce qu'un équipement à usages multiples est également utilisé à des fins cultuelles qu'il constitue nécessairement une aide au culte » 263 ( * ) . Il ajoute que « la justification de mesures positives destinées à rendre possible ou à faciliter l'exercice de pratiques cultuelles ne peut donc qu'intervenir au cas par cas, eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce » .

Mais, malgré des possibilités reconnues par la jurisprudence, l'Observatoire de la laïcité relève dans les territoires certaines difficultés relatives à la gestion de l'abattage rituel, confirmant ainsi le sentiment de votre délégation.

4. Le droit de l'urbanisme permet aux collectivités territoriales de favoriser l'implantation de lieux à dimension « culturelle », alors que l'implantation de lieux de culte peut générer des tensions locales

Une commune peut aujourd'hui protéger dans son PLU un édifice pour des motifs d'ordre culturel et prendre les mesures propres à assurer sa protection 264 ( * ) . Cette disposition peut viser les édifices cultuels , dans la mesure où ceux-ci représentent souvent un patrimoine culturel . C'est en tous cas en ce sens que la jurisprudence administrative a qualifié des édifices culturels et cultuels d'équipement public 265 ( * ) , d'installation d'intérêt général 266 ( * ) ou encore d'équipement d'intérêt général 267 ( * ) . Les juges ont également pu considérer que, dans le cadre du PLU, il est aussi possible d'implanter un lieu de culte dans une zone résidentielle ou commerciale sans en altérer la nature d'ensemble 268 ( * ) .

Malgré ces dispositions et l'interprétation large qu'en fait le juge administratif, votre délégation a constaté lors de ses auditions que les règles de l'urbanisme demeurent un enjeu qui préoccupe les religions dans leur recherche d'un patrimoine immobilier cultuel . Les représentants des cultes ont en effet évoqué « des difficultés liées à une utilisation parfois abusive ou à des interprétations restrictives du droit de l'urbanisme par les collectivités territoriales ». Le ministère de l'Intérieur reconnaît aussi que l'implantation d'un lieu de culte peut être « vecteur de conflictualité », confirmant en ce sens l'analyse de l'Association des petites villes de France (APVF) faisant état de « polémiques parfois violentes au niveau local » . L'Observatoire de la laïcité souligne « dans certaines communes, les problématiques proviennent d'un manque de dialogue entre citoyens lorsque des travaux pour la construction d'un futur lieu de culte sont engagés ». Son président Jean-Louis Bianco évoque le cas de « certains citoyens mécontents [qui] transmettent des pétitions et exercent leur droit d'ester en justice contre les permis de construire ». Il déplore même le fait que « les principales tensions découlent d'intimidations parfois exercées sur une communauté religieuse », notamment par l'inscription de « propos antimusulmans ou antisémites sur la façade de lieux de culte ».

C'est dans cette perspective que votre délégation souhaiterait donner des moyens légaux pour faciliter la vie des élus locaux confrontés aux demandes, souvent légitimes, des communautés religieuses . Le plan local d'urbanisme (PLU), élaboré par la commune ou l'EPCI, pourrait explicitement réserver un terrain pour des motifs « cultuels » et pas seulement culturels. En clair, il s'agirait d'inscrire dans la loi 269 ( * ) le raisonnement déjà opéré par les juges administratifs, autrement dit d'autoriser les communes à prévoir dans les PLU des zones susceptibles d'accueillir l'implantation d'édifices cultuels. A contrario , cela donnera la possibilité aux maires de refuser leur implantation dans certaines zones. Une telle proposition présente l'avantage d'un débat municipal en amont, lors de l'élaboration du PLU, et permet d'éviter les instrumentalisations locales et les réticences des administrés. En clair, cela sécurisera les maires.

Recommandation n° 5 : Permettre aux communes de prévoir, dans le cadre des PLU, des zones susceptibles d'accueillir l'implantation potentielle d'édifices cultuels, afin que les élus locaux aient la maîtrise des lieux d'implantation de ces édifices.

Le cadre plus spécifique de l'utilisation du droit de préemption urbain par les communes peut donner lieu à des conflits. Votre délégation tient à rappeler que la mise en oeuvre de ce droit doit être motivée et ne peut s'exercer que pour un motif d'intérêt général 270 ( * ) . Le juge administratif sanctionne le défaut ou l'insuffisance de motivation d'une décision de préemption prise par la commune 271 ( * ) . Une utilisation inappropriée par l'autorité publique du droit de préemption pour empêcher l'édification d'un lieu de culte est constitutive d'une voie de fait et relève de la compétence du juge judiciaire 272 ( * ) .

Selon les représentants du Conseil national des évangéliques de France auditionnés par votre délégation, des difficultés portent également sur la réglementation liée aux places de stationnement à proximité des lieux de culte . Les juridictions administratives insistent sur la nécessité de prendre en compte les besoins réels en matière de stationnement, et autorisent 273 ( * ) ou annulent 274 ( * ) au cas par cas des permis de construire.

En dépit de ces difficultés, votre délégation s'est vue confirmer à de nombreuses reprises que les cultes sont soucieux d'entretenir de bonnes relations avec les pouvoirs publics et demeurent réticents à engager des actions en justice, même lorsqu'ils estiment être dans leur droit.

Aussi votre délégation appelle-t-elle les élus locaux à une plus grande vigilance dans l'application du droit de l'urbanisme, en évitant les détournements des procédures qui viseraient à empêcher l'implantation d'un lieu de culte.


* 237 Code général des collectivités territoriales (CGCT) : « Une commune peut garantir » (article L. 2252-4) ou « les départements peuvent garantir (article L. 3231-5) les emprunts contractés pour financer, dans les agglomérations en voie de développement, la construction, par des groupements locaux ou par des associations cultuelles, d'édifices répondant à des besoins collectifs de caractère religieux ».

* 238 Pour l'INSEE, une zone urbanisée est « une commune ou un ensemble de communes présentant une zone de bâti continu qui compte au moins deux mille habitants ».

* 239 CGCT, articles L. 2252-1, alinéa 2 et D. 1511-32.

* 240 CGCT, articles L. 2252-1, alinéa 3 et D. 1511-34.

* 241 Article L. 451-1 du Code rural et de la pêche maritime.

* 242 CE, 11 décembre 1991, Mme Girod.

* 243 Article L. 1311-2 du CGCT, alinéa 1 er : « Un bien immobilier appartenant à une collectivité territoriale peut faire l'objet d'un bail emphytéotique prévu à l'article L.451-1 du Code rural et de la pêche maritime [...] en vue de l'affectation à une association cultuelle d'un édifice du culte ouvert au public. [...] Ce bail emphytéotique est dénommé bail emphytéotique administratif ».

* 244 CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 320796, Mme V .

* 245 Conclusions Edouard Geffray, rapporteur public, sous l'arrêt CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 320796, Mme V .

* 246 Idem note n° 5 .

* 247 Les relations des cultes avec les pouvoirs publics : rapport au ministre de l'Intérieur et de l'Aménagement du territoire, Jean-Pierre Machelon, La Documentation française, septembre 2006, p.25.

* 248 Conseil d'État, Rapport public, Un siècle de laïcité, 2004, p. 391.

* 249 CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 320796, Mme V .

* 250 CGCT, article L.2144-3 : « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations, syndicats ou partis politiques qui en font la demande.

Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés , compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public.

Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation ».

* 251 CE, 21 mars 1990, n° 76765, commune de La Roque d'Anthéron.

* 252 CE, ordonnance de référé, 30 mars 2007, n° 304053, Ville de Lyon.

* 253 CE, ordonnance de référé, 26 août 2011, n° 352106, commune de Saint-Gratien.

* 254 CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 313518, commune de Montpellier.

* 255 CE, ordonnance de référé, 26 août 2011, n° 352106, commune de Saint-Gratien.

* 256 CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 313518, commune de Montpellier.

* 257 Réponse du ministère de l'Intérieur publiée dans le J.O. du Sénat du 4 décembre 1997, p. 3394 - Question écrite n° 03698 de Roland Huguet (Pas-de-Calais - SOC) publiée dans le J.O. du Sénat du 23 octobre 1997, p. 2860.

* 258 Conseil d'État, ordonnance de référé, 30 mars 2007, n° 304053, Ville de Lyon.

* 259 Conseil d'État, Rapport public, Un siècle de laïcité, 2004, p. 390.

* 260 Aurélie Bretonneau, Xavier Domino, Le sacré et le local , AJDA 2011, p. 1667.

* 261 Cour européenne des Droits de l'Homme, 27 juin 2000, n° 27417/95, Cha'are Shalom ve Tsedek c/ France.

* 262 CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 309161, communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole.

* 263 Conclusions Edouard Geffray, rapporteur public, sous l'arrêt CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 309161, communauté urbaine du Mans - Le Mans Métropole.

* 264 Code de l'urbanisme, article L. 123-1-5 : « (...) III. Le règlement peut, en matière de caractéristiques architecturale, urbaine et écologique : identifier et localiser les éléments de paysage et délimiter les quartiers, îlots, immeubles, espaces publics, monuments, sites et secteurs à protéger, à mettre en valeur ou à requalifier pour des motifs d'ordre culturel , historique, architectural ou écologique (...) ».

* 265 CE, 12 février 1988, n° 38765, Association des résidents du quartier Portugal-Italie : « ce bâtiment [un centre culturel islamique] à vocation culturelle, tel qu'il est décrit dans la demande de permis de construire, a le caractère d'un équipement public au sens du plan d'occupation des sols » .

* 266 CE, 25 septembre 1996, n° 109754, Syndicat des copropriétaires de l'immeuble 75/77 rue Dutot à Paris : « compte tenu des caractéristiques de cette opération, l'édifice cultuel projeté présente le caractère d'une installation d'intérêt général » .

* 267 CAA Paris, 7 février 2003, n° 99PA01814, Association locale pour le culte des témoins de Jéhovah de Bessancourt : « un bâtiment destiné à l'exercice d'un culte constitue un équipement d'intérêt général » .

* 268 CE, 3 février 1992, n° 118855, Mme Girod et autres.

* 269 Modification du Code de l'urbanisme dans le sens d'une inscription à l'article L. 123-1-5 du motif « cultuel ».

* 270 CGCT, article L. 2122-22 ; Code de l'urbanisme, articles L. 210-1 et suivants.

* 271 CE, 30 juillet 1997, n° 160968, commune de Montreuil-sous-Bois.

* 272 Cour d'appel de Rouen, 23 février 1994, Association locale des Témoins de Jéhovah d'Elbeuf.

* 273 CAA Marseille, 12 février 2004, n° 99MA02188, commune de Saint-Laurent de la Salanque.

* 274 CAA Lyon, 6 mars 2012, n° 10LY02856.

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