III. DES EXCEPTIONS AU PRINCIPE D'INTERDICTION DU SUBVENTIONNEMENT PUBLIC DES LIEUX DE CULTE EXISTENT ET DES FINANCEMENTS PAR LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES SONT POSSIBLES
Interrogés dans le cadre de l'étude menée par TNS Sofres à la demande de votre délégation, les élus locaux considèrent que les dépenses en faveur des édifices cultuels représentent une charge de plus en plus lourde dans le budget de leurs communes . S'agissant des lieux de culte existants, 13 % jugent que les dépenses afférentes sont une charge excessive, et 36 % une charge importante. Pour les nouveaux lieux de culte, les dépenses sont toutefois mieux acceptées par les élus locaux qui, pour seulement 11 % d'entre eux, considèrent qu'elles sont excessives.
Les élus locaux se montrent également assez libéraux en matière de financement public des édifices cultuels, puisque 60 % se disent favorables . Votre délégation remarque toutefois que cette générosité est orientée, dans la mesure où les élus locaux sont davantage favorables au financement public de lieux de culte existants qu'au financement de nouveaux lieux de culte , car sur ce point les statistiques s'inversent : 10 % seulement sont favorables au financement public, contre 59 % qui y sont opposés. Et c'est logiquement que les élus locaux ont très majoritairement considéré que la commune ne devait pas assumer les charges liées à la construction de nouveaux lieux de culte (61 %) ou alors les assumer avec d'autres acteurs par un système de co-financement (29 %). Dans cette dernière hypothèse, parmi les co-financeurs envisagés, c'est très largement les organisations religieuses elles-mêmes qui doivent être sollicitées en première position selon les élus locaux (51 %), avant l'État (31 %), les particuliers (8 %), les associations (3 %), l'Union européenne (2 %) et les États étrangers (1 %).
Votre délégation prend note, d'une part de l'avis négatif des élus locaux d'un financement exclusivement public en la matière et, d'autre part, de leur refus de revenir sur le cadre de la loi de 1905 .
A. LE PRINCIPE D'INTERDICTION DU FINANCEMENT PUBLIC DES LIEUX DE CULTE A ÉTÉ AMÉNAGÉ PAR LA LOI ET LA JURISPRUDENCE
1. Le principe d'interdiction du subventionnement public des lieux de cultes connaît des dérogations législatives dès 1905
L'interdiction du subventionnement public des lieux de culte a, depuis l'origine, un caractère relatif . Les premiers aménagements ont été introduits par la loi de 1905 elle-même, puis d'autres dispositions législatives ont étendu le champ des exceptions.
La loi de 1905 autorise ainsi le financement public des aumôneries destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que les lycées, les collèges, les écoles, les hospices, les asiles et les prisons (article 2). Mais surtout, l'article 13 autorise l'État, les départements, les communes (et plus tard les EPCI) à engager les dépenses nécessaires pour l'entretien et la conservation des édifices du culte dont la propriété leur est reconnue par la loi de 1905 . En 1920, le législateur a prévu une autre dérogation, lorsqu'il a souhaité que l'État accorde une subvention de 500 000 francs pour la construction de la mosquée de Paris . En 1942, l'article 19 de la loi de 1905 est modifié pour prévoir que désormais les sommes allouées pour réparations aux édifices affectés au culte public , qu'ils soient ou non classés monuments historiques, ne sont pas considérées comme des subventions, ce qui autorise leur financement 168 ( * ) . En 1961, le législateur accorde aux communes et aux départements la faculté de garantir les emprunts contractés par les associations cultuelles ou les groupements locaux pour financer des édifices cultuels dans les agglomérations en développement 169 ( * ) . En 2006 enfin, une ordonnance est venue autoriser la conclusion de baux emphytéotiques administratifs au profit d'associations cultuelles pour l'édification d'édifices cultuels 170 ( * ) . |
Votre délégation observe que l e législateur a donc bien souhaité introduire de nombreuses exceptions au principe d'interdiction du subventionnement public des cultes, que les tribunaux ont ensuite eu la charge de mettre en oeuvre.
2. La jurisprudence a fixé un régime juridique du financement des cultes qui se révèle aujourd'hui complexe
Dès 1905, les juges ont été amenés à interpréter les dispositions législatives relatives au financement des lieux de culte. Mais la jurisprudence ancienne des années qui ont suivi l'adoption de la loi de 1905 ne suffit plus aujourd'hui à répondre à toutes les situations. En effet, ainsi que le font remarquer pertinemment les membres du Conseil d'État auditionnés par votre délégation, « la loi de 1905 fut conçue pour gérer un stock et ne contenait pas de dispositions spécifiques relatives à la construction ». Or, de nombreux groupes religieux, en particulier les plus récemment implantés, sont aujourd'hui confrontés à cette problématique .
Un phénomène expliqué par les représentants du Conseil d'État, qui constatent depuis le milieu des années 2000 « une résurgence des litiges relatifs à la loi de 1905 ». Ainsi, en 2005, le Conseil d'État a jugé que « le principe constitutionnel de laïcité n'interdisait pas l'octroi, dans l'intérêt général et dans les conditions définies par la loi, de certaines subventions à des activités ou des équipements dépendant des cultes » 171 ( * ) .
Il a également précisé, par cinq arrêts d'assemblée 172 ( * ) rendus en 2011, les conditions dans lesquelles une collectivité territoriale peut, au regard des dispositions de la loi du 9 décembre 1905, prendre en charge des dépenses en rapport avec un lieu de culte ou une activité liée au culte. Il ressort de ces décisions que si les collectivités territoriales peuvent financer des projets en rapport avec des pratiques ou des édifices cultuels, elles ne peuvent le faire qu'à certaines conditions :
- que ces projets répondent à un intérêt public local (l'intérêt public local correspond, par exemple, au développement touristique, à l'animation culturelle, à la formation musicale ou encore à la protection de l'hygiène et de la salubrité publiques) ;
- que les collectivités respectent le principe de neutralité à l'égard des cultes et le principe d'égalité ;
- que les collectivités excluent toute libéralité et, par la suite, toute aide directe à un culte en particulier ;
- et enfin que les financements soient affectés au projet d'intérêt public dans le cadre d'une convention (le juge administratif recommande de garantir, notamment par voie contractuelle, l'affectation exclusive du financement au projet d'intérêt public , toute activité participant de l'exercice direct du culte devant être exclue 173 ( * ) ).
Votre délégation remarque que le juge administratif s'attache donc aujourd'hui à la finalité de la subvention . Le critère organique qui prévalait autrefois et qui consistait à refuser une subvention publique à une association dès lors que celle-ci exerçait des activités cultuelles 174 ( * ) a été abandonné. Seules les associations cultuelles au sens de l'article 19 de la loi de 1905 sont donc soumises à l'interdiction du subventionnement public , exception faite des subventions allouées pour réparations des édifices affectés au culte public 175 ( * ) .
Votre délégation estime que si ces évolutions jurisprudentielles, semblent ouvrir des brèches dans la laïcité en autorisant les collectivités territoriales à financer les cultes, elles traduisent en réalité l'expression d'une laïcité d'ouverture et de reconnaissance, qui ouvre aux élus locaux une relative marge d'interprétation en desserrant l'étau qui pèse sur le financement des cultes.
Toutefois, elle ne peut que constater les difficultés , exprimées par les représentants des cultes et des collectivités territoriales, à appréhender un régime juridique du financement des cultes aujourd'hui complexe et peu lisible . Ceux-ci souhaiteraient notamment plus de pédagogie en la matière ainsi qu'un « message clair du législateur et une harmonisation de la législation applicable » , pour reprendre les termes de l'Association des petites villes de France (APVF). Dans cette perspective, se pose la question de la codification de la jurisprudence applicable au financement des lieux de culte dans la loi. Pour les membres du Conseil d'État auditionnés par votre délégation, « une telle codification aurait le mérite de clarifier le droit pour les acteurs locaux mais ferait peser un risque de rigidification par rapport à la diversité des situations locales » . Jean-Louis Bianco, président de l'Observatoire de la laïcité, juge également difficile « la transposition dans la loi d'une jurisprudence variée et forgée à partir de cas concrets » .
Si le droit actuel prévoit des possibilités de financement public des lieux de culte, votre délégation s'est interrogée sur l'opportunité de l'interdire ou non et d'organiser éventuellement un financement exclusivement privé de ceux-ci . Elle souligne que les personnes auditionnées ne se sont pas prononcées en ce sens. Ainsi, les membres du Conseil d'État estiment « qu'il serait politiquement et juridiquement compliqué de revenir sur l'équilibre instauré par la législation depuis plus d'un siècle ». L'Observatoire de la laïcité partage ce constat et reconnait que « le système actuel est équilibré et répond aux critères posés par la laïcité française ». L'APVF constate pour sa part que « le libre exercice du culte s'apparente aujourd'hui plus à un droit-créance impliquant dans certaines circonstances l'intervention de la puissance publique qu'à un droit-liberté synonyme d'abstention de la puissance publique » . Cette analyse est partagée par les représentants du ministère de l'Intérieur, qui reconnaissent que « le libre exercice du culte ne se conçoit pas sans un lieu pour le pratiquer, ce qui peut nécessiter l'intervention des collectivités » Votre délégation estime d'ailleurs que ces positions semblent conformes à celle exprimée par la Cour européenne des Droits de l'Homme, qui reconnaît l'existence d'obligations positives à la charge des pouvoirs publics pour assurer l'exercice du culte 176 ( * ) .
Votre délégation constate que la législation et la jurisprudence actuelles ouvrent de larges possibilités de financement des lieux de culte pour les collectivités territoriales, permettant de répondre aux besoins locaux.
* 168 Article 2 de la loi n° 1114 du 25 décembre 1942 portant modification de la loi du 9 décembre 1905.
* 169 Loi n° 61-825 du 29 juillet 1961 de finances rectificatives pour 1961, article 11. Ces dispositions sont aujourd'hui codifiées aux articles L. 2252-4 et L. 3231-5 du CGCT.
* 170 Ordonnance n° 2006-460 du 21 avril 2006 relative à la partie législative du Code général de la propriété des personnes publiques. Cette ordonnance a été ratifiée par la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures.
* 171 CE, 16 mars 2005, n° 265560, ministre de l'Outre-Mer c/ président de la Polynésie française.
* 172 CE, Ass., 19 juillet 2011, n° 308544, n° 308817, n° 309161, n° 313518, n° 320796. Décisions relatives à l'installation par une collectivité d'un orgue dans une église ; à la construction d'un ascenseur permettant d'accéder à la basilique de Fourvière à Lyon ; à la mise à disposition temporaire d'un abattoir à des fins rituelles ; à la mise à disposition d'un local communal à des fins cultuelles ; et à la conclusion d'un bail emphytéotique administratif pour la construction d'un lieu de culte.
* 173 CE, 4 mai 2012, n° 336464, Fédération de la libre-pensée et d'action sociale du Rhône.
* 174 CE, 9 octobre 1992, n° 94455, commune de Saint-Louis c/ Association Siva Soupramanien de Saint-Louis.
* 175 Voir, par exemple : CE, 4 mai 2012, n° 336464, Fédération de la libre-pensée et d'action sociale du Rhône, ou 26 novembre 2012, n° 344284, Communauté des bénédictins de l'abbaye de Saint-Joseph de Clairval.
* 176 CEDH, 29 juin 2007, n° 15472/02, Folgero et autres c/ Norvège.