B. DES RISQUES À SURVEILLER
Il est vrai que le système comporte des risques notoires , qui ont conduit les régulateurs à multiplier les avertissements ces derniers mois 5 ( * ) .
En premier lieu, le bitcoin se caractérise par une très forte volatilité : un bitcoin valait moins d'un dollar jusqu'en 2011, presque 1 200 dollars à l'automne 2013, et environ 650 dollars aujourd'hui. De fait, le système est intrinsèquement spéculatif, puisque la rareté y est pour ainsi dire programmée : le rythme de création des bitcoins prévu par l'algorithme suit en effet une courbe décroissante, jusqu'à atteindre un maximum de 21 millions d'unités qui devrait être atteint en 2140, contre environ 12 millions d'unités aujourd'hui. Mais cette « rareté organisée » est aussi la condition de son succès puisqu'elle garantit les détenteurs contre une dévaluation de leurs avoirs : il n'existe pas de « planche à bitcoins ».
Autre faiblesse majeure, le bitcoin ne bénéficie d'aucune garantie de convertibilité en monnaie « réelle » par les pouvoirs publics . Ceci laisse les utilisateurs bien dépourvus en cas de perte généralisée de confiance dans le système. La valeur du bitcoin n'étant adossée à aucun actif « réel », tout l'édifice repose en effet sur la seule crédibilité que lui attribue la communauté des investisseurs.
Ensuite, si le protocole de validation des transactions est lui-même très sécurisé, il n'en va pas nécessairement de même pour le « stockage » des bitcoins . La plupart des utilisateurs décident de stocker leurs bitcoins sur des « comptes » ouverts auprès de plateformes d'échange en ligne. Mais le piratage puis la faillite de Mt. Gox , la plus grande plateforme au monde, qui a ruiné près de 127 000 utilisateurs le 28 février 2014 , démontre la fragilité de ces « coffres forts » virtuels - d'autant que l'issue des recours judiciaires engagés aux États-Unis ou au Japon paraît bien incertaine. Bien sûr, il est aussi possible de stocker ses bitcoins sur un support physique personnel, tel qu'un disque dur, une tablette ou un smartphone . Mais les risques de perte ou de destruction accidentelle ne sont pas moindres : ainsi, James Howell, un Britannique qui avait acquis 7 500 bitcoins contre une poignée de livres sterling en 2009, a par erreur jeté son disque dur en croyant se débarrasser d'un matériel informatique obsolète ; la valeur des bitcoins stockés sur ce disque dur atteindrait aujourd'hui plusieurs millions de livres sterling...
Surtout, l'anonymat qui s'attache aux transactions fait du bitcoin une aubaine pour la cybercriminalité ou le blanchiment . C'est à ce jour la principale préoccupation des autorités des pays étudiés (cf. infra ). De fait, les transactions en bitcoins sont bien plus difficiles à tracer que les transactions interbancaires classiques, même si cela n'est pas impossible. Par exemple, les services des douanes ont arrêté un trafiquant de stupéfiants qui se faisait payer en bitcoins , comme cela a été évoqué lors de l'audition du 15 janvier 2014. Certes, le site The Silk Road , où l'on pouvait se procurer drogues, armes et contrefaçons diverses moyennement un paiement en bitcoins , a été fermé fin 2013 par le Federal Bureau of Investigations (FBI) américain. Mais il ne faudrait pas en déduire que tout risque est écarté, comme en témoigne l'arrestation, le 28 janvier 2014 à New York, de Charlie Shrem, vice-président de la Bitcoin Foundation , accusé d'avoir blanchi plus d'un million de dollars en bitcoins par l'intermédiaire d'une plateforme clandestine.
Toutefois, il convient de se garder de tout alarmisme à ce stade - même si la Banque de France, Tracfin et l'AMF sont dans leur rôle en appelant à la vigilance face aux risques encourus par les utilisateurs. Pour l'heure, c'est précisément la volatilité et l'absence de statut légal du bitcoin qui devraient limiter son développement au-delà d'un cercle d'initiés : en effet, quel particulier ou quel commerçant aurait intérêt à réaliser ses transactions au moyen d'un étalon dont la valeur peut être divisée par deux en moins d'une heure ? De deux choses l'une : soit le bitcoin connaît un développement encore plus important, et c'est que ses principales faiblesses auront été écartées ; soit les risques persistent, et la croissance sera entravée.
Par ailleurs, le bitcoin ne constitue en aucun cas une menace pour la stabilité macroéconomique, compte tenu de la masse monétaire négligeable qu'il représente : entre 5 et 8 milliards de dollars, contre des milliers de milliards de dollars pour les grandes devises. Aujourd'hui, il semble donc que le bitcoin tienne davantage du produit spéculatif de niche que d'une véritable alternative à la monnaie.
* 5 Voir à ce sujet les réponses aux questions 1, 3 et 7 du questionnaire « général ».