B. LES COMPÉTENCES DU CONGRÈS EN MATIÈRE DE POLITIQUE EXTÉRIEURE ET DE DÉFENSE
En matière de politique extérieure et de défense, le Congrès est un acteur essentiel. Les parlementaires participent à leur définition et à leur mise en oeuvre, dans tous leurs aspects : politiques structurelles, qui définissent la répartition des ressources entre les différents outils, et les niveaux de dépenses et de personnel militaires ; politiques stratégiques, qui affectent la définition des objectifs des États-Unis et le contenu de leurs relations avec les autres pays; politiques de crise pour répondre aux menaces spécifiques affectant la sécurité et les intérêts des États-Unis et engager les forces armées si nécessaire. Selon les cas, les parlementaires se trouvent au coeur, ou à la marge, de ces politiques. Mais au-delà même de ses prérogatives constitutionnelles dont certaines ont pu être battues en brèche par la pratique, le Congrès conserve toujours un droit de regard qui peut se muer en « couperet ultime dans le cas d'une politique qui lui déplairait trop et qui serait trop impopulaire. Le pouvoir suprême des représentants du peuple américain est en effet leur pouvoir du porte-monnaie, qui peut trancher les choix affectant aussi bien le budget du Pentagone qu'une opération militaire en cours 20 ( * ) . ».
Dans l'exercice de ces pouvoirs, les commissions jouent un rôle éminent, notamment la commission des affaires étrangères du Sénat compte tenu des prérogatives particulières de cette chambre. Le moindre usage des traités, la baisse des crédits de l'aide extérieure, le poids des aspects commerciaux, techniques et surtout militaires dans la politique étrangère américaine qui concernent d'autres commissions ont, toutefois, relativement réduit son influence. Pour des raisons inverses, la militarisation de la politique étrangère depuis la Guerre froide a placé les commissions des forces armées au coeur des processus de décision, notamment en raison de la croissance du processus d'autorisation 21 ( * ) qui a renforcé le contrôle législatif sur les programmes du département de la Défense. Les Commissions des appropriations (proche de nos commissions des finances) et leurs sous-commissions, notamment celle de la défense qui surveille le Pentagone et celles des opérations extérieures, exercent un droit de regard sur les budgets et sont un lieu d'influence considérable. Enfin, les commissions du renseignement, depuis les années 1970 jouent un rôle important dans l'évaluation des opérations de la CIA Leur information reste toutefois dépendante de l'Exécutif.
Les modes d'actions du Congrès (Synthèse établie à partir de l'étude de Maya Kandel « Le Congrès, acteur essentiel de la politique étrangère et de défense des États-Unis» Cahiers de IRSEM 2012 n° 15 L'arbitrage entre les outils de politique étrangère et de défense Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, le déséquilibre entre les sommes allouées au département de la Défense et au département d'État s'est accentué. Il consacre l'importance du budget militaire, qui représente près de la moitié de la somme de toutes les dépenses militaires dans le monde. Il témoigne de la volonté politique marquée exprimée principalement par les Républicains au Congrès, de militarisation de nombreux aspects de la politique étrangère. C'est seulement avec la présidence Obama que des crédits supplémentaires ont été alloués pour étoffer le personnel du Département d'État en érosion constante. Le Département d'État dépensant son budget à l'étranger, il a généralement peu de défenseurs au Congrès, la situation est exactement inverse pour le Pentagone. L'examen des crédits militaires Le budget de base du Pentagone représente un peu plus de 500 milliards de dollars sans compter les dépenses pour les opérations en cours (qui sont en baisse mais représentent environ 80 milliards de dollars) ; l'ensemble des emplois rattachés à la défense (civils et militaires employés directement ou indirectement et le total des emplois dans les industries de défense) représente plus de 5 millions d'emplois, La décision d'autoriser, puis de financer (« approprier ») les différents programmes appartient au Congrès. Le travail en commission est essentiel mais il a pour effet une extrême sensibilité aux aspects locaux notamment en termes de créations d'emplois dans les bases ou dans les industries de défense, ce qui peut avoir pour conséquence une dérive des coûts et de rendre certaines rationalisations souhaitées par la Défense, difficiles. (Voir la Quadrennial Defense Review 2014). L'influence sur les orientations politiques et les décisions En matière de politiques stratégiques, le Sénat dispose de prérogatives spécifiques. Il doit ratifier les traités (à la majorité des deux tiers) et valider les nominations de l'Exécutif. Les autres aspects de la politique stratégique, de l'aide extérieure aux lois de sanctions, sont en revanche partagés puisque toute loi doit être votée dans les mêmes termes par les deux Chambres. Pour contourner le Sénat, les présidents recourent à la pratique des accords exécutifs « Executive Orders ». Aujourd'hui, plus de 95 % des accords internationaux signés par les États-Unis sont des Executive Orders . Les accords de commerce doivent être approuvés à une majorité simple dans chaque Chambre. La coutume veut que certains accords, notamment ceux qui concernent les réductions d'armements (ou certains accords controversés sur le climat ou la Cour pénale internationale par exemple) demeurent des traités, nécessitant une ratification du Sénat. La recherche d'un consensus peut donner lieu à d'intenses discussions : la ratification du traité New Start avec la Russie n'a été possible qu'au prix de la promesse d'investir 85 milliards de dollars sur 10 ans dans la modernisation des capacités nucléaires américaines ; à l'inverse, le Protocole de Kyoto signé par le Président Clinton n'a jamais été ratifié. La Constitution confère au Sénat le pouvoir de confirmer les ambassadeurs nommés par le Président ainsi qu'un nombre significatif de hauts responsables de politique étrangère. La capacité de faire confirmer les nominations est un baromètre de la qualité des relations entre les deux branches du pouvoir. Le budget de l'aide extérieure est l'un des instruments privilégiés du Congrès pour influencer le contenu de la politique étrangère. Il détermine chaque année les volumes d'aides affectées aux alliés et ne se prive pas dès lors de poser des conditions très strictes au soutien apporté. La surveillance et le contrôle de l'Exécutif sont une des missions des commissions à travers les auditions, les questions aux administrations et agences, qui permettent l'échange d'informations et l'interaction permanente avec l'Exécutif. et parfois par la création de commissions ad hoc exceptionnelles pour enquêter sur une politique publique (par exemple sur les attentats du 11 septembre 2001. La législation permet au Congrès de peser sur l'élaboration des politiques nationales. Ainsi le Congrès va-t-il empêcher le Président de tenir sa promesse de fermeture de la prison de Guantanamo en refusant de voter le budget de 80 millions de dollars nécessaire pour transférer les détenus et fermer le site en mai 2009, puis en décembre 2010, en votant une loi qui impose des conditions très strictes aux transferts de détenus rendant quasi-impossibles les procès devant des cours de justice civiles aux États-Unis. Pour écarter la menace de veto présidentiel, les dispositions sont intégrées dans la loi d'autorisation du budget du Pentagone. Les lois sur le commerce sont un outil important de l'action du Congrès, comme les lois imposant des sanctions. Ainsi, les lois Helms-Burton contre Cuba et D'Amato-Kennedy contre l'Iran sont des initiatives du Congrès et ont largement échappé au Président. Mais l'activité principale du Congrès en politique étrangère s'exprime par le biais de résolutions, sans valeur législative, mais qui, en fonction du débat qu'elles provoquent et des majorités qu'elles réunissent, peuvent avoir un impact important. Toutefois, le caractère ouvert et public de son travail, le nombre des parlementaires impliqués et les nombreuses règles qui donnent un grand pouvoir d'obstruction à la minorité limitent l'efficacité du Congrès en tant qu'acteur influent. Sur les dossiers les plus importants, son influence est traditionnellement moindre, et la prééminence présidentielle s'affirme pleinement, surtout si la nation est en danger ou quand des soldats américains sont engagés. Politique de crise : les pouvoirs de guerre du Congrès Les pouvoirs respectifs du Président et du Congrès font toujours débat. La Constitution donne au seul Congrès le droit de déclarer la guerre. En réalité, les parlementaires n'ont guère fait usage de ce droit. Le Congrès n'a voté une déclaration formelle que cinq fois dans l'histoire dont deux au XX e siècle pour les deux Guerres mondiales. La Constitution a plié devant la pratique, le Président en tant que commandant en chef des forces armées a repris le pouvoir au Congrès. Votée à la fin de la guerre du Vietnam, la loi sur les pouvoirs de guerre (WPR - War Powers Resolution ), a redonné au Congrès un droit de regard et de contrôle sur les opérations militaires décidées par le Président. Elle oblige celui-ci à notifier avant, ou au plus tard 48 heures après, tout engagement de troupes américaines à l'étranger. Le Président doit ensuite dans les 60 jours (exceptionnellement prolongés de 30 jours) obtenir du Congrès une autorisation. Le Congrès peut aussi faire cesser les opérations par le vote d'une résolution par les deux Chambres. Tous les Présidents ont affirmé la non-conformité de cette loi à la Constitution et ont cherché à la contourner en s'y pliant à moitié, informant et consultant mais évitant d'en invoquer les dispositions. Dans la mise en oeuvre de cette loi, le Congrès a essayé depuis la fin de la Guerre froide d'asseoir son contrôle, mais la tragédie du 11-septembre 2001 a amené un retour de la « présidence impériale ». Sur la Libye, Obama a notifié l'engagement militaire mais n'a pas demandé d'autorisation espérant que les opérations dureraient moins de 90 jours, Au-delà, il a fait publier un mémo défendant que l'autorisation n'était pas nécessaire car les forces américaines n'étaient plus engagées directement dans les hostilités, leur intervention se limitant aux opérations de ravitaillement et à l'emploi de drones de surveillance. La Chambre a bien voté une interdiction d'envoi de troupes au sol, ce n'était d'ailleurs pas l'intention du Président mais il n'a pas osé aller plus loin. Lors de l'emploi des armes chimiques en Syrie, le Président, après le vote négatif des Communes en Grande-Bretagne a sérieusement envisagé de saisir le Congrès d'une demande d'autorisation avant engagement, avant de choisir l'option diplomatique d'un retrait des armes chimiques sous supervision internationale. Les parlementaires n'ont pas utilisé leur pouvoir de mettre fin à une intervention. De fait, ils préfèrent laisser le Président assumer seul cette responsabilité. |
D'une manière générale, malgré les pouvoirs étendus de l'Exécutif , particulièrement dans une période de guerre qui a toujours tendance à favoriser une « présidence impériale » telle qu'on l'a connue à nouveau sous le mandat de George W. Bush, le Président des États-Unis voit sa marge de manoeuvre grandement limitée par l'action (ou l'inaction) des parlementaires, particulièrement si ceux-ci sont en phase avec l'opinion publique . C'est ainsi que le Congrès peut utilement encadrer certaines initiatives présidentielles, notamment en matière d'aventurisme extérieur. Cette ouverture peut être aussi une opportunité d'influence pour toutes sortes d'acteurs, y compris extérieurs. L'implication parlementaire dans la politique étrangère a cependant des inconvénients : tendance au micromanagement , soit une juxtaposition de décisions ponctuelles sur différents dossiers, sans suivi ni vision d'ensemble de la stratégie américaine ; perte de vue de l'intérêt supérieur des États-Unis au profit de multiples intérêts particuliers, et en particulier des intérêts industriels, dont la force de frappe financière et électorale explique le poids de ce qu'on a appelé le complexe militaro-industrialo-parlementaire.
* 20 Maya Kandel « Le Congrès, acteur essential de la politique étrangère et de défense des États-Unis » - Cahiers de IRSEM 2012 n° 15
* 21 Le « line-team requirement » exige que toute acquisition de nouveau matériel militaire soit autorisée de manière spécifique et annuelle.