EXAMEN EN COMMISSION
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Réunie le mardi 8 juillet 2014, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'audition de M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes, M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés et M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale.
Mme Annie David, présidente . - Notre réunion de cet après-midi sera consacrée à la présentation de l'enquête réalisée par la Cour des comptes, à la demande de notre commission, sur les relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé.
L'enquête a été confiée à la 6 ème chambre de la Cour des comptes et va nous être présentée par son président, M. Antoine Durrleman. Il est accompagné de M. Serge Barichard, conseiller référendaire, rapporteur, et de M. Christian Babusiaux, président de chambre maintenu, contre-rapporteur.
Nous prolongerons cette présentation par un échange avec le directeur de la caisse nationale d'assurance maladie, M. Frédéric Van Roekeghem, et le directeur de la sécurité sociale, M. Thomas Fatome. Je les remercie d'avoir bien voulu accepter notre invitation. Il sera très utile à la commission d'entendre leur point de vue sur les observations formulées par la Cour.
Cette enquête porte sur un des aspects essentiels du fonctionnement de notre système de santé, du moins dans sa dimension relative aux soins de ville.
Je ne peux m'empêcher de penser en cet instant à notre regretté collègue René Teulade, ancien ministre des affaires sociales, décédé en février dernier, qui rappelait régulièrement devant notre commission la difficulté de concilier l'exercice libéral des professions de santé et la prise en charge des soins dans le cadre d'un système d'assurance solidaire.
C'est bien là l'enjeu des conventions passées entre l'assurance maladie, les médecins et autres professionnels de santé libéraux.
Cette relation conventionnelle a, me semble-t-il, beaucoup évolué au cours des dernières années.
La fixation des tarifs n'est plus l'objet principal des négociations. Celles-ci intègrent de plus en plus d'autres préoccupations, comme la qualité de la prise en charge ou l'accès aux soins, préoccupations qui relèvent de la politique générale de santé. De ce fait, on peut se poser la question de l'articulation entre les relations conventionnelles, gérées par l'assurance maladie, et les orientations définies par le ministère de la santé.
Le sujet est donc complexe. Je souhaite que l'enquête de la Cour permette de nous éclairer et d'ouvrir un débat fructueux, avec l'assurance maladie, le ministère des affaires sociales et bien entendu notre commission.
Je vais tout d'abord demander au Président Durrleman de présenter le rapport de la Cour des comptes.
Je passerai ensuite la parole à Frédéric Van Roekeghem puis à Thomas Fatome pour qu'ils apportent leurs propres réflexions sur la question.
M. Antoine Durrleman, président de la sixième chambre de la Cour des comptes . - Madame la présidente, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et messieurs les sénateurs, je vous remercie d'avoir bien voulu nous entendre pour cette présentation du travail effectué par la Cour. Il fait suite, le rapporteur général l'a rappelé, à une demande de votre part, formulée en décembre 2013, de procéder à une enquête portant sur les relations entre assurance maladie et professions libérales de santé dans le cadre de la politique conventionnelle. Vous aviez précisé que cette enquête devrait également s'intéresser au rôle des services de l'Etat dans l'initiation et la mise en oeuvre de cette politique conventionnelles.
Pour vous rendre compte de ce travail dont vous aviez demandé les conclusions pour la fin du premier semestre 2014, et échanger sur ses constats et ses propositions, je suis venu avec M. Serge Barichard, rapporteur, et M. Christian Babusiaux, président de chambre maintenu, qui en a assuré le contre-rapport.
Conformément au périmètre que nous avons défini d'un commun accord, notre travail a porté sur les thèmes suivants :
- le cadre des politiques conventionnelles, leurs caractéristiques et leurs évolutions depuis la réforme de 2004 ;
- l'impact des politiques conventionnelles sur les politiques de revenus des professions de santé ;
- les questions liées à l'accès aux soins de ville ;
- la place des politiques conventionnelles dans la régulation globale du système de santé.
Il n'a pas été procédé à une analyse exhaustive des 17 conventions et de tous les accords et avenants. Mais les professions les plus importantes, au regard de leurs effectifs et des coûts que leur activité représente pour l'assurance maladie, ont fait l'objet d'un approfondissement : les médecins, les chirurgiens-dentistes, les pharmaciens, les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes. Ces cinq professions génèrent 84 % de la consommation de soins et de biens médicaux telle que retracée par les comptes nationaux de la santé.
Notre enquête a donné lieu à de larges investigations et à des contacts nombreux, rappelés dans l'avertissement figurant en tête du rapport. Elle a bien évidemment mis fortement à contribution les services de M. Van Roeckeghem et de M. Fatome, dont je salue ici la présence, et d'autres administrations centrales. Nous avons par ailleurs consulté tous les principaux acteurs et notamment l'Union nationale des professions de santé (UNPS) ainsi que l'ensemble des syndicats représentatifs des professions retenues.
Je ne vais bien évidemment pas évoquer toutes les questions abordées dans le rapport. Notamment, dans la présentation du cadre conventionnel qu'il était nécessaire de faire, figurent nombre d'éléments que vous connaissez bien. Je vais, dans cette présentation liminaire, mettre l'accent sur quelques points saillants, en distinguant trois temps :
- les constats essentiels opérés par la Cour au regard des grands objectifs des politiques conventionnelles, ses avancées et ses limites telles que nous les percevons ;
- l'appréciation portée sur le fonctionnement pratique du cadre institutionnel imaginé en 2004, qui peut contribuer à éclairer les constats précédents ;
- les propositions de la Cour et les pistes envisageables pour gagner à la fois en efficience et en efficacité, ces pistes étant parfois tracées sous la forme de scénarios possibles, comme nous en avions convenu.
Au préalable, je voudrais dire que nous ne mésestimons ni la complexité du sujet, ni la lourdeur de la tâche de ceux qui ont à le gérer au quotidien ainsi que les difficultés concrètes auxquelles ils sont confrontés. Le propos de la Cour n'est pas de critiquer pour critiquer, mais, par son éclairage, de nourrir la réflexion et, ce faisant, de contribuer à la faire avancer.
Quels sont les principaux constatés opérés par la Cour au regard des objectifs des politiques conventionnelles ?
Depuis 2004, le champ et l'objet des négociations professionnelles, déjà larges, ont été étendus de façon significative. L'Etat s'en est progressivement remis aux politiques conventionnelles pour des sujets importants comme l'organisation du parcours de soins, les politiques de prévention et de santé publique, les besoins engendrés par le vieillissement de la population et les pathologies chroniques. L'Uncam a investi ces nouveaux champs en multipliant d'autant les thèmes de négociation, les outils et les incitations conventionnelles. Elle a engagé, avec les médecins et les pharmaciens, une diversification des modes de rémunération, conçue comme un support incitatif pour introduire des préoccupations de santé publique et pour promouvoir une gestion active des patientèles.
Toutefois, ces efforts importants, s'ils ont débouché sur des succès tactiques et des avancées avec certaines professions, n'ont pas apporté de réponses suffisantes à des questions qui sont au coeur du pacte conventionnel, visant à faire bénéficier tous les assurés d'un égal accès aux soins sur l'ensemble du territoire et dans des conditions financières satisfaisantes. En outre, l'élargissement considérable du champ des politiques conventionnelles a engendré des dépenses nouvelles sans que les obligations définies en contrepartie soient toujours, nous semble-t-il, à la hauteur des enjeux. La recherche de compromis différents suivant les professions s'est faite au détriment d'une prise en considération globale des besoins des patients et de leur évolution.
La diversification des modes de rémunération de certaines professions, sous la forme de rémunérations à la performance et au forfait, a été un axe fort des politiques conventionnelles récentes.
Pour les médecins, cette diversification a rapidement pris de l'importance : elle représentait en moyenne 12,3 % des revenus des généralistes en 2013. La rémunération sur objectifs de santé publique (ROSP) a été généralisée par la convention médicale de 2011, d'abord au bénéfice des médecins traitants, puis a été étendue aux cardiologues, aux gastro-entérologues et aux hépatologues. Si des progrès ont été observés sur la pratique clinique, les résultats sont plus contrastés pour la prévention. Aucune conséquence négative n'est attachée au non-respect des objectifs, et chaque indicateur est indépendant. Une solidarité entre les indicateurs avec des impacts positifs et négatifs sur la rémunération finale renforcerait le caractère incitatif du dispositif.
Les médecins bénéficient également de différentes rémunérations forfaitaires, inspirées du paiement à la capitation, au bénéfice du médecin traitant, assises sur la composition de leur patientèle. Les formules successives, jamais évaluées, tendent, en se sédimentant, à complexifier le système : source de dépenses nouvelles, ces forfaits devraient être assortis de contreparties claires et vérifiables, dans la mesure où ils s'ajoutent à la rémunération à l'acte.
Une rémunération à la performance a également été instituée au bénéfice des pharmaciens par la convention de 2012. En outre, un honoraire de dispensation des médicaments est en cours de mise en place. S'il doit en principe rester neutre sur les dépenses de l'assurance maladie par une réforme de la « marge dégressive lissée » dont les pharmaciens bénéficient sur les boîtes de médicaments, il reste en l'état corrélé pour sa quasi-totalité à la boîte vendue. Pourtant cette réforme aurait pu être l'occasion de déconnecter la rémunération du volume de vente et de construire une politique incitant à l'efficience des pratiques.
Médecins, chirurgiens-dentistes et auxiliaires médicaux bénéficient également de la prise en charge, par l'assurance maladie, d'une part significative de leurs cotisations sociales. Cette prise en charge, qui remonte aux années 60, a été progressivement étendue et constitue une contribution substantielle au revenu. Ces niches sociales coûteuses (2,2 milliards d'euros en 2013) représentent une part substantielle du revenu (près de 18 % pour un médecin généraliste, 10 à 11 % pour les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes, plus de 7 % pour les dentistes). Elles pourraient être plus fortement modulées en fonction des objectifs conventionnels propres à chaque profession.
Sur les rémunérations en général, nous faisons deux constats :
- premier constat : la connaissance des revenus des professions de santé reste trop peu précise et ne fait pas l'objet d'un suivi suffisant pour un pilotage éclairé de la politique tarifaire. Nous pensons qu'entre la Cnam, la Drees, l'administration fiscale et l'Insee, il y a matière à une collaboration plus active pour suivre l'évolution des revenus de façon plus robuste et plus régulière ;
- deuxième constat : les éléments disponibles permettent néanmoins de constater, nonobstant les écarts selon les sources, que de grandes disparités perdurent entre les revenus des différentes professions de santé, de même que, pour les médecins, entre les revenus des généralistes et des spécialistes et entre les différentes spécialités médicales. La politique conventionnelle menée depuis 2004 a en fait peu modifié la hiérarchie des rémunérations des médecins, malgré un discours récurrent sur la nécessité de revaloriser la position relative de la médecine générale et des spécialités cliniques. La volonté de valoriser le rôle du médecin traitant, affirmée dans la convention médicale de 2005, n'a pas débouché sur une modification de sa position relative.
Sur l'accès aux soins, nous faisons deux remarques principales, l'une touchant à la régulation des installations, l'autre à la question des dépassements de tarifs.
Les professions libérales de santé sont inégalement réparties sur le territoire au regard des besoins des populations. Les négociations conventionnelles n'ont que récemment intégré cette dimension géographique : si quelques tentatives antérieures ont concerné les médecins, c'est à partir de 2008 que des mesures visant à concilier le principe de la liberté d'installation avec la préservation d'un accès aux soins possible et équitable ont été instituées. L'impact demeure limité.
Pour les infirmiers, les masseurs-kinésithérapeutes et les sages-femmes, des mesures incitatives ont été introduites pour les zones considérées comme sous-dotées, et des mesures restrictives pour les zones sur-dotées : dans ces zones, l'accès au conventionnement n'est devenu possible qu'en remplacement d'une cessation d'activité. Pour les médecins, les chirurgiens-dentistes et les orthophonistes, seules en revanche des incitations ont été mises en place. Enfin, pour les pharmaciens, malgré les intentions exprimées dans la convention de 2012, aucune mesure en vue de l'évolution du réseau des officines n'a été mise en oeuvre.
Au total, les actions entreprises pour optimiser la répartition des professionnels de santé libéraux apparaissent encore timides et ont un impact trop limité. Les leviers conventionnels utilisé n'ont pas permis d'atteindre l'objectif. Les pistes ouvertes en termes de conditionnalité du conventionnement demandent ainsi à être consolidées et approfondies, en permettant par la loi d'étendre cette orientation à toutes les professions dans les zones en surdensité.
Par ailleurs, les politiques conventionnelles n'ont pas jusque-là résolu la question des dépassements de tarifs pratiqués par certaines professions.
Les dépassements des médecins de secteur II représentent environ 2,4 milliards d'euros, le taux de dépassement s'établissant en moyenne à 56,3 % en 2013. Ils ont fortement augmenté sur le long terme, puisque le taux de dépassement moyen a doublé depuis 1990. Après plusieurs tentatives infructueuses, un nouveau dispositif, le contrat d'accès aux soins (CAS), a été mis en place par l'avenant n° 8 d'octobre 2012. Le CAS apparaît toutefois pour le moins peu contraignant, au regard des taux moyens de dépassement constatés. Il peut conduire à considérer comme normal un dépassement de 100 %. L'avenant prévoit également un dispositif de sanction des dépassements considérés comme excessifs. L'impact est pour l'instant limité. La procédure est lourde et restrictive. La fixation de la sanction maximale applicable par des commissions paritaires avec les syndicats professionnels en limite les effets potentiels.
La prise en charge des soins dentaires par l'assurance maladie obligatoire ne s'établissait plus qu'à 31,5 % en 2012 hors CMU-c. En effet, les soins conservateurs sont remboursés à 70 %, mais le prix des soins prothétiques, laissé libre en contrepartie d'une modération des tarifs des soins conservateurs, a très fortement augmenté. La part des dépassements s'élevait en 2012 à 53 % des honoraires totaux, soit 4,7 milliards d'euros. Bien que le constat du déséquilibre entre soins conservateurs et soins prothétiques soit ancien, les mesures conventionnelles récentes, et notamment la mise en place d'une classification commune des actes médicaux (CCAM) pour l'activité bucco-dentaire, restent insuffisantes pour y remédier. Dans la politique conventionnelle, ce secteur a été, de fait laissé en déshérence.
Quels sont les éléments pouvant contribuer à éclairer tout ou partie de ces constats ?
La nouvelle gouvernance issue de la loi de 2004 a, dans sa pratique, débouché sur un jeu d'acteurs brouillé.
Le cadre des négociations conventionnelles a été profondément redéfini par la loi de 2004. L'établissement des conventions avec les professions de santé relève de l'Uncam, l'Union nationale des caisses d'assurance maladie. Le conseil de l'Uncam tient un rôle limité à la définition des orientations, le directeur général, également directeur général de la Cnam, étant chargé de conduire les négociations.
Les pouvoirs de régulation de l'Etat sont avant tout d'ordre financier : l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (Ondam), voté par le Parlement, conditionne pour partie le contenu et le calendrier des négociations conventionnelles, en fonction des marges de manoeuvre financières à disposition du directeur général. L'Uncam a inscrit son action dans cette contrainte financière. Le taux de progression de l'Ondam est respecté depuis 2010 et les dépenses effectives sont mêmes inférieures à celles qui étaient prévues. Cependant, cet écart tient à d'autres postes que les professions libérales couvertes par la politique conventionnelle, en 2013 essentiellement aux indemnités journalières et au médicament. Le taux de progression de l'Ondam a par ailleurs jusqu'alors permis une augmentation continue des dépenses, nonobstant les déficits de l'assurance maladie.
Le Gouvernement dispose pour sa part de pouvoirs limités sur les accords conventionnels. Le coût des mesures négociées n'est plus un motif d'opposition du ministre depuis 2004. L'Etat n'a également plus la main en cas d'échec des négociations : une ordonnance du 21 avril 1996 avait prévu qu'en l'absence de convention les médecins seraient régis par un règlement conventionnel minimal, élaboré par le gouvernement et publié par arrêté ministériel ne prévoyant pas de revalorisation d'honoraires et réduisant les prises en charge de cotisations sociales par les caisses, permettant de garantir à la fois l'intérêt des patients et de l'assurance maladie. La loi de 2004 a supprimé ce dispositif et a prévu, pour toutes les professions, une procédure arbitrale.
L'assurance maladie bénéficie donc, selon les textes, d'une forte autonomie dans les négociations conventionnelles. Cependant, l'Etat n'a pas pour autant renoncé à être présent. Au regard des enjeux financiers et de la nécessité de réformer l'organisation des soins, les pouvoirs publics, qui conservent par ailleurs la responsabilité du pilotage du système hospitalier, sont amenés à peser sur les négociations, soit en prenant par la loi des dispositions de circonstance pour que les partenaires conventionnels agissent dans un sens déterminé, soit en fixant officieusement des objectifs aux négociations, soit encore en intervenant dans leur déroulement-même. A trop afficher dans les textes une délégation en réalité peu tenable, l'Etat s'est ainsi exposé au risque de devoir intervenir dans des conditions qui brouillent les responsabilités.
Par ailleurs, les deux nouveaux acteurs des politiques conventionnelles prévus par la loi de 2004 n'ont pas trouvé la place que cette réforme visait à leur donner pour le bon équilibre du système conventionnel: d'une part, l'UNPS, ne joue pas le rôle interprofessionnel que l'on pouvait en attendre ; d'autre part, l'association de l'Unocam aux négociations reste chaotique et elle s'est mise en retrait après la signature de plusieurs accords en 2012 et 2013, estimant qu'elle n'était pas mise en situation de jouer un rôle réel.. La nouvelle gouvernance prévue par la loi de 2004 n'a pas fonctionné, sauf pour ce qui concerne le rôle accru de la Cnam.
Le dispositif conventionnel est très éclaté, avec des négociations nombreuses et très séquencées.
Les conventions avec les principales professions sont régulièrement renégociées et font surtout l'objet de multiples avenants. Ainsi, la convention passée avec les médecins en 2005 a fait l'objet de 32 avenants Celle passée en 2011 en compte déjà 11. Les conventions passées en 2007 respectivement avec les infirmiers et les masseurs-kinésithérapeutes comportent chacune cinq avenants Celle conclue avec les pharmaciens en 2012 en compte déjà cinq en mai 2014.
Cette succession incessante de textes s'explique notamment par la mise en oeuvre des multiples axes des politiques conventionnelles. Il en a résulté une inflation de négociations en raison d'un traitement très séquencé. Si la forte segmentation des négociations peut comporter des avantages en permettant une maturation des problématiques à des rythmes différents, elle présente également des inconvénients. Elle est susceptible de multiplier les avantages accordés sans contreparties suffisantes. En outre, elle nuit à la pérennité des dispositifs qui peuvent être rapidement modifiés voire remplacés sans avoir pu réellement être mis en oeuvre ou sans qu'un bilan en ait été établi.
Le troisième point, en lien direct avec le second, c'est le retard constaté dans l'émergence des approches interprofessionnelles
Il aura fallu en effet attendre dix ans, après la loi de 2002 qui en prévoyait la conclusion, pour qu'un premier accord-cadre interprofessionnel (ACIP) voie le jour. Encore cet accord, conclu en mai 2012 entre l'Uncam et l'UNPS, reste-t-il très pauvre dans son contenu. Il expose essentiellement des déclarations d'intention.
La loi de 2004 a prévu un autre mode de contractualisation interprofessionnelle à géométrie variable sous la forme d'accords conventionnels interprofessionnels (ACI) intéressant plusieurs professions désireuses de renforcer la coordination des soins. Cette possibilité, plus souple, n'a pas été utilisée au cours des dix dernières années. Ni l'Uncam ni les principaux syndicats représentatifs n'ont été porteurs, préférant rester dans le cadre de colloques singuliers.
La frilosité des politiques conventionnelles à cet égard n'a pas conduit l'Etat à une réorientation d'ensemble mais au lancement, depuis 2008 d'une série d'expérimentations sur de nouveaux modes de rémunérations en équipe. De son côté, la Cnam a également lancé des expérimentations sur des programmes d'accompagnement du retour à domicile après hospitalisation (les Prado). Le principe d'expérimentation est pertinent mais les conditions dans lesquelles elles ont été lancées sont à l'origine d'une situation compliquée et la rationalisation de ces expériences reste à conduire.
Des négociations interprofessionnelles sont certes en cours pour définir un dispositif pérenne de rémunération d'équipe, mais dans des conditions difficiles faute que les différentes conventions par profession se soient d'emblée inscrites dans une perspective d'ensemble.
Quelles sont les pistes que la Cour soumet à votre réflexion ?
Tout d'abord, développer l'interprofessionnel et recentrer l'activité conventionnelle sur les enjeux essentiels.
Des négociations trop exclusivement en « tuyaux d'orgues » ont fait obstacle à une meilleure organisation des soins de proximité, à la redéfinition de certaines fonctions pour répondre à l'évolution des besoins des patients, et à une articulation des prises en charge entre la ville et l'hôpital. La structuration des soins de premier recours implique, à l'avenir, un changement de modèle, consistant à renverser la perspective conventionnelle en faisant des approches interprofessionnelles le cadre premier des négociations dont les résultats formeraient ensuite l'armature commune des différentes conventions par profession de manière à permettre une approche plus coordonnée des soins de ville.
En outre, l'activité conventionnelle devrait être recentrée sur les enjeux essentiels - politique de rémunération contrainte et équilibrée, accès aux soins préservé et organisé, maîtrise médicalisée des dépenses - et ne s'étendre à d'autres sujets que dans la mesure où cette ossature est affermie. Ce recentrage devrait prendre place dans le cadre de négociations moins nombreuses, permettant une plus grande stabilité des textes et facilitant la mise en place d'un suivi plus exigeant, ainsi que d'une évaluation systématique de l'impact des mesures prises.
Mettre en place, ensuite, un suivi et une coordination plus exigeants en clarifiant les responsabilités
Les directions ministérielles relevant du ministère chargé de la santé ont une approche trop peu coordonnée des politiques conventionnelles. L'unité de vues n'est pas assurée entre les services de l'Etat et l'assurance maladie.. Le manque de cohérence et de coordination se répercute au niveau territorial : il existe de nombreux points de recoupement entre l'action des ARS et les politiques conventionnelles. C'est notamment le cas en matière de répartition géographique de l'offre. De même, il n'existe pas pour l'essentiel d'articulation entre d'une part les actions de santé publique et de gestion du risque développées via les politiques conventionnelles, et d'autre part celles initiées par les ARS.
La régulation devrait porter de façon coordonnée sur tous les leviers détenus par l'Etat et par l'assurance maladie, concernant notamment l'organisation de l'offre, les tarifications en ville et à l'hôpital, et la politique du médicament. Seuls un pilotage plus intégré et une meilleure articulation permettront de dépasser les clivages traditionnels, de dégager les gains d'efficience nécessaires et de mieux répondre aux besoins des patients.
Une plus grande convergence des acteurs doit être recherchée au niveau national, en s'appuyant - c'est ce que nous proposons - dans un premier temps de façon pragmatique sur les outils existants. Ainsi, les missions de ce qui est aujourd'hui le comité national de pilotage (CNP) des ARS devraient être renforcées et étendues aux orientations et au suivi des politiques conventionnelles. Le contrat passé entre l'Etat et l'Uncam devrait constituer un vecteur essentiel de la coordination entre l'Etat et l'assurance maladie et de la définition des objectifs fixés à la politique conventionnelle, au besoin en modifiant les textes en ce sens.
Enfin, il importe que le Parlement, appelé à voter l'Ondam mais qui ne dispose aujourd'hui que d'informations réduites sur les politiques conventionnelles, soit à même de développer son contrôle sur ces politiques publiques qui sont une composante majeure des dépenses d'assurance maladie. Lors de la présentation du PLFSS, la réalisation des Ondam précédents doit être mieux documentée. Le sous-objectif des soins de ville devrait être assorti d'un développement faisant le point sur les politiques conventionnelles, globalement et profession par profession, en termes d'engagements pris, de coûts pour la collectivité et de résultats.
Troisième orientation suggérée par la Cour : mieux affirmer la place des organismes complémentaires
La clarté et l'efficacité du système supposent de mieux les associer. Il n'apparaît pas souhaitable que ceux-ci soient utilisés comme de simples opérateurs financiers permettant de solvabiliser les accords passés entre l'Uncam et les professions de santé, en raison du risque d'inflation des coûts que cela représente. L'amélioration des conditions d'accès aux soins suppose une véritable coopération des régimes de base et complémentaires. Une application stricte de la loi de 2004 qui prévoit un examen conjoint annuel, entre l'Uncam et l'Unocam, des programmes de négociation serait déjà de nature à renforcer cette coordination. La concertation obligatoire pourrait être élargie à l'ouverture de toute négociation, et en constituer un préalable nécessaire. Il pourrait également être prévu que le comité national de pilotage puisse entendre 1'Unocam et ses composantes sur les thèmes qui les concernent plus particulièrement.
Enfin, quatrième proposition, étudier la possibilité de laisser sous conditions une marge de manoeuvre aux acteurs territoriaux.
Le maintien d'une politique conventionnelle nationale apparaît nécessaire pour un traitement global et équitable de l'accès aux soins et des conditions de leur prise en charge collective. La possibilité d'adapter les politiques conventionnelles aux spécificités régionales, dans des conditions limitatives préfixées et/ou dans le cadre d'enveloppes fermées, pourrait néanmoins être ménagée, sous réserve de la clarification et du recentrage que j'ai évoqués. Ce schéma d'adaptation régionale des politiques conventionnelles pourrait dans un premier temps faire l'objet d'une expérimentation.
Madame la présidente, Monsieur le rapporteur général, Mesdames et Messieurs les sénateurs, la politique conventionnelle a été omniprésente et incessante. Elle n'a cependant pas réglé des problèmes répertoriés de longue date. Les questions soulevées sont stratégiques, qu'il s'agisse de l'organisation des soins de proximité et du développement des approches interprofessionnelles, du lien avec l'hôpital, ou de la question de l'accès aux soins sur les plans géographique et financier. Elles doivent être traitées, à la fois dans l'intérêt des patients et en intégrant la préoccupation essentielle d'un retour à l'équilibre de l'assurance maladie, donc avec le souci de rechercher des gains majeurs d'efficience.
Je vous remercie de votre attention. Nous restons bien évidemment disponibles pour échanger et répondre à vos questions.
Mme Annie David, présidente. - Merci, Monsieur le Président, je me réjouis que cette enquête vous ait également apporté satisfaction et ses résultats, notamment sur l'Ondam, vont susciter toute l'attention de notre commission. Je passe la parole à M. Van Roekeghem.
M. Frédéric Van Roekeghem, directeur général de la caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés . - La Cour n'a pas failli à sa réputation en analysant avec attention les politiques conventionnelles. Je tiens à souligner le contexte dans lequel ces conventions sont mises en oeuvre : un monde réel qui a évolué depuis l'application de la loi de 2004 et dans lequel la comparaison avec les autres pays européens est nécessaire et. Il nous faut ainsi conduire une analyse positive des progrès accomplis par notre pays que relèvent notamment les dernières publications de l'OCDE en matière de dépenses de médicaments et de développement de l'usage des génériques.
La réforme de 1995 avait donné lieu à de très fortes turbulences avec la communauté médicale qui rechignait à s'engager sur des objectifs chiffrés. Nous partons d'une augmentation annuelle de l'ordre de 6 % des dépenses au début des années 2000 et des règlements arbitraux dans lesquels l'Etat avait consenti à augmenter le tarif de la consultation plutôt que de faire preuve de fermeté vis-à-vis des professionnels de santé.
C'est pourquoi la loi de 2004 a eu pour objectif de renforcer les politiques conventionnelles en confiant à l'assureur public des pouvoirs de négociation qui ont été assumés afin d'obtenir un meilleur réalignement de la politique de santé publique sur de nouvelles priorités. S'agissant de cette gouvernance, on ne peut ignorer le constat dressé par M. Antoine Durrleman selon lequel la caisse nationale d'assurance maladie a pris toute sa place, avec les autres régimes.
S'agissant de la situation des partenaires sociaux, je serai en revanche plus dubitatif sur l'analyse qui a été faite. Le secteur II a été mis en place du temps de l'ancienne gouvernance. La gouvernance actuelle ne permettrait pas à l'Etat de demander une évolution ne suscitant pas l'accord des partenaires sociaux.
Le constat est exact sur l'élargissement des politiques conventionnelles. La stratégie qui consisterait à limiter les conventions à la seule rémunération ne me paraît pas pertinente. Il me paraît impossible de ne pas associer les professionnels de santé, d'une manière ou d'une autre, à l'évolution des politiques publiques, surtout sanitaires.
Dans ce cadre, il faut rappeler certains acquis. Premièrement, force est constater une diminution des écarts dans le comportement des prescripteurs. Cette évolution n'est pas suffisante puisque subsiste encore une différence de volume de l'ordre de 30 à 40 % en matière de prescription d'antibiotiques avec nos voisins allemands. Les volumes de prescription de certaines classes de médicaments thérapeutiques nous paraissent ainsi insuffisamment maîtrisés et la prescription de médicaments génériques insuffisante.
Le médecin traitant a été mis en place, mais le rôle des médecins spécialistes et cliniques n'a pas été bien précisé. Nous avons réconcilié les médecins avec une politique de maîtrise médicalisée, et non pas comptable, des soins, et nous sommes allés jusqu'à mettre en place des rémunérations individualisées sur des objectifs quantifiés, ce qui témoigne du chemin parcouru.
L'analyse de la Cour sur la question des rémunérations doit être tempérée. La rémunération sur objectif est effectivement une incitation au progrès jusqu'à un certain niveau, mais une fois celui-ci atteint, tout recul entraîne une baisse. Introduire une pénalisation en cas de non-réalisation des objectifs, ce que préconise la Cour, constituerait un point particulièrement sensible dans la négociation. Celle-ci oblige à passer des compromis avec les professionnels. C'est pourquoi on ne peut concevoir la politique conventionnelle indépendamment du cadre réglementaire et législatif : le vrai sujet de gouvernance, comme l'avait rappelé un ancien Président de la République, réside dans l'équilibre entre la loi et le contrat, entre ce qu'on impose et ce qu'on négocie. De ce point de vue, rappelons que la convention n'est qu'une délégation du pouvoir réglementaire, conformément à l'article 21 de la Constitution, à l'assurance maladie et qu'elle peut, à ce titre, évoluer.
La montée en puissance des nouveaux modes de rémunération, qui représentent 12 % des rémunérations de la médecine générale, n'a pas entraîné la diminution de la valeur de l'acte. Mais si la Cour juge qu'il aurait dû en être ainsi, il est tout à fait loisible au Parlement d'envisager cette mesure.
Pour la première fois, un conventionnement régulé a été instauré géographiquement. Si une mesure de ce type avait été mise en oeuvre il y a près de vingt ans, l'évolution de notre système de santé eût été différente. Cette démarche est donc tardive et ses résultats sont encore insuffisants. Encore fallait-il l'engager ! Rappelons-nous ce qui s'est passé lorsque le précédent gouvernement a souhaité élargir la disposition législative que nous avions négociée avec les syndicats d'infirmiers à l'ensemble des professionnels de santé, et l'arrêt du Conseil d'Etat qui a annulé les fruits de notre négociation avec les kinésithérapeutes suite à la déclaration de la ministre devant le Parlement selon laquelle il n'y aurait pas de mesure désincitative. Le conseil de l'Uncam va se prononcer et nous comptons solliciter le Parlement pour que ces mesures soient rétablies. Car il nous semble nécessaire qu'un accord négocié avec les syndicats des masseurs kinésithérapeutes et de sages-femmes puisse être mis en oeuvre, surtout si celui-ci participe au rééquilibrage des installations dans notre pays.
La politique conventionnelle a également permis une plus forte informatisation des professionnels de santé ainsi que la mise en place d'accords prix-volumes qui ne recueillent pas l'approbation de la Cour des comptes, mais dont je considère qu'ils sont parmi les plus importants signés avec les professionnels de la biologie, alors qu'est prônée la bonne utilisation des ressources collectives.
Il faut se méfier de conclusions hâtives dans un domaine aussi complexe que celui de la santé qui présente des implications politiques extrêmement fortes. L'Etat est d'ailleurs très présent dans les négociations conventionnelles. Considérer que la loi d'août 2004 a affaibli les partenaires sociaux et l'Etat résulte d'une lecture très juridique qui ne résiste pas à l'épreuve des faits. En matière de santé publique, il me paraît clair que si l'Etat ne souhaite pas qu'un accord soit trouvé, il dispose des moyens pour faire entendre sa voix.
L'Etat pèse ainsi dans les négociations. On ne peut empêcher les ministres de faire de la politique, c'est bien là leur vocation, comme en témoigne la lettre de la ministre de la santé qui proposait un cadrage des négociations au conseil de l'Uncam sur l'avenant n° 8 relatif aux dépassements d'honoraires.
La question du déconventionnement se situe ainsi aux confins de la politique et conduit les ministres à intervenir. Il y a cependant des règles, comme celle qui veut qu'un accord négocié par le directeur général de la Cnam et non conforme aux orientations fixées par l'Uncam peut être annulé par le Conseil d'Etat.
Je rejoins l'analyse de la Cour sur certains sujets, mais l'équilibre entre les possibilités de réforme, en matière de revenus des professionnels notamment, et le respect de l'Ondam ne me paraît pas avoir été suffisamment abordé. En effet, l'Ondam est respecté pour les soins de ville depuis 2009 et dans sa globalité depuis 2010. Si nous n'avions pas maîtrisé les conséquences financières des négociations conventionnelles, nous n'aurions pu sous-exécuter l'Ondam au niveau qui a été constaté.
Il est vrai que la première remarque de la Cour sur la place des négociations interprofessionnelles semble assez justifiée. Celles-ci sont néanmoins complexes à envisager car les professionnels libéraux craignent de se voir imposer des règles qui auraient été discutées au niveau interprofessionnel, et le dosage entre négociations professionnelles et interprofessionnelles demeure très délicat. Certains professionnels redoutent aussi qu'une négociation interprofessionnelle soit le cadre de stratégies d'encerclement par d'autres professions. Ainsi, les médecins généralistes ou spécialistes peuvent craindre d'être débordés par les professions paramédicales dans un combat qui peut aller au-delà du caractère professionnel pour devenir politique et s'inscrire dans la durée. On ne peut ignorer cette réalité.
De ce point de vue, considérer uniquement la dimension interprofessionnelle dans les soins de ville sans s'intéresser à leurs liens avec l'hôpital me semble une lacune importante de l'analyse. Car l'un des leviers du développement de la coordination de la médecine de ville réside dans les relations avec l'hôpital, comme l'analyse d'ailleurs l'OCDE.
Les négociations interprofessionnelles s'avèrent complexes à organiser : la base juridique nouvelle offerte sous la forme d'un accord conventionnel interprofessionnel (ACI) implique la pérennisation des négociations des nouveaux modes de rémunération qui concerne près d'une quarantaine d'organisations représentatives, ce qui n'est jamais très simple.
Les nouveaux modes de rémunération, et notamment le paiement à la capitation progressivement mis en oeuvre au niveau du médecin traitant, avec 40 euros pour les médecins traitants au titre du suivi des affections de longue durée (ALD), puis, plus récemment, pour l'ensemble des patients, ont été revendiquées depuis longtemps par les syndicats de médecine générale. Ils ont été encouragés par des études économiques qui considèrent qu'une part de capitation dans la rémunération des professionnels de santé est susceptible de rendre ceux-ci moins enclins à multiplier des actes et des prescriptions. La démarche s'inscrit dans cette stratégie. Dans un tel contexte, il n'y a, effectivement, pas eu de contreparties claires ni vérifiables ; la seule obligation du médecin traitant réside dans l'élaboration de protocoles de soins pour les patients en ALD moyennant une rémunération forfaitaire. Au niveau macroéconomique, cette évolution s'est substituée à une augmentation du tarif des actes. L'analyse de la Cour des comptes, selon laquelle la situation du médecin généraliste n'a pas assez progressé dans la hiérarchie des rémunérations des médecins, combinée au développement de formes de rémunération de substitution, se heurte à la maîtrise de l'Ondam, sauf à considérer que tous les autres médecins doivent être rétrogradés dans cette hiérarchie.
Pour fixer quelques ordres de grandeur, de 2002 à 2012, l'évolution des honoraires et celle des revenus des médecins généralistes a progressé de 2,1 % en termes nominaux par an, tandis que le produit intérieur brut par habitant progressait quant à lui de l'ordre de 2,2 %. Durant cette période, les recettes n'ont pas été au rendez-vous et nous avons essayé de juguler les déficits et de respecter l'Ondam.
Les modulations des avantages conventionnels consacrés aux médecins et aux professionnels qui respectent les tarifs opposables ont évolué. L'assiette des prises en charge de cotisations sociales exclut tous les dépassements d'honoraires. Pour les chirurgiens-dentistes, nous avons divisé par deux la participation au financement des cotisations sociales, afin de permettre une augmentation des tarifs opposables des soins conservateurs. Je tenais à souligner ce point qui n'était pas mentionné dans le rapport de la Cour des comptes. Ce sujet est complexe et l'objectif central de la convention, comme le soulignait le Président Durrleman, consiste à maintenir, sur le long terme, une opposabilité tarifaire, à la condition de piloter ces tarifs de manière efficiente. Aujourd'hui, force est de constater que la liberté tarifaire octroyée aux médecins de secteur II depuis plus de trente ans leur permet d'obtenir des revenus de 30 % en moyenne plus élevés que ceux de leurs confrères de secteur I. Nous rejoignons de ce point de vue l'opinion de la Cour selon laquelle l'encadrement tarifaire du secteur II a été pris en charge trop tardivement.
L'évolution des revenus est difficile à appréhender. Sa connaissance est insuffisante et implique que soit pris en compte les bénéfices des sociétés d'exercice libéral, et ce notamment pour les radiologues. Seul le ministère des finances dispose de ces informations et leur évaluation demeure complexe puisqu'une partie des charges salariales des SEL peut aussi concerner les salariés de ces structures. Nous ne disposons donc pas d'une appréciation suffisamment fine des revenus des professionnels, du fait de la complexité des montages désormais autorisés pour l'exercice de ces professions de santé.
On ne peut nier que les revenus des médecins généralistes n'ont pas connu de progression fulgurante. De très nombreux pays sont également confrontés à l'échec de la maîtrise des revenus pour certaines spécialités, notamment médicotechniques, du fait de la multiplication de ces actes. Lorsque les IRM sont prescrits abondamment, et le nombre croissant de machines commandé par les ARS suite à l'impulsion du précédent Plan cancer y contribue, cela se traduit par une augmentation des ressources des professionnels concernés et implique le pilotage adapté des tarifs.
Les dépassements d'honoraires sont également un sujet complexe. On observe une dérive tarifaire par spécialité et entre professionnels en fonction de leur implantation géographique. Se limiter à l'analyse des dépassements excessifs, au motif que la procédure de sanction est lourde et peu efficace, ne me paraît pas pertinent. Il faut raisonner par rapport à la moyenne même si la sanction sur les pointes me paraît évidemment nécessaire.
Nous rencontrons une difficulté avec les syndicats de médecins sur ce point. Malgré les engagements souscrits en matière de lutte contre les dépassements dans le cadre de l'avenant n° 8, certains d'entre eux, à l'instar de MG France, ne souhaitent pas voter dans les commissions paritaires. L'assurance maladie, dont les représentants votent quant à eux à l'unanimité, quel que soit leur statut d'origine, s'attend en vain à obtenir le soutien des médecins attachés aux tarifs opposables. Il y a une réelle réticence de certains syndicats à soutenir les accords signés. Je n'exclus pas qu'au cas de blocage de toute décision en matière de sanctions des professionnels en dépassement excessif, du fait de la parité des votes, le conseil de l'Uncam puisse demander au Parlement de se prononcer.
S'agissant de la répartition des professionnels de santé, nous sommes partis également bien tard. Pour les infirmières, les écarts de densité selon les départements varient de 1 à 9. Certes, nous sommes en train de les réduire, mais notre démarche est fort tardive ! Nous avons d'ailleurs échangé avec la Cour sur ce point.
Bien que la nouvelle gouvernance ait clarifié certains points en la matière, la Cour souligne que l'extension du champ des conventions pose la question de la coordination entre la politique de la santé publique, adossée sur la stratégie nationale de la santé, et les conventions qui doivent s'intégrer dans cette politique définie par l'Etat.
Concernant les relations avec les ARS, des progrès pourraient être réalisés en matière de coordination au sein du ministère de la santé afin de mieux utiliser les compétences qu'il compte en son sein. S'agissant du zonage établi par les ARS sur la base d'arrêtés ministériels, des conventionnements sélectifs ont été mis en place suite au travail de la Cnam et une réflexion a été conduite pour renforcer le caractère interprofessionnel des zonages. Si celui-ci avait été précédemment réalisé, la question du conventionnement sélectif ne se poserait pas. En pratique, il importe de prendre les décisions au bon moment quitte à abaisser le niveau d'ambition.
Le bon usage des ressources entre les établissements des soins et la médecine de villes demeure perfectible. La médecine de ville doit être réorganisée pour permettre à notre pays de combler son retard en matière de durée moyenne de séjour à l'hôpital, en prenant les bonnes décisions et en allant jusqu'à prendre en compte son financement dans la détermination des tarifs hospitaliers. Une telle démarche n'incombe pas à l'assurance maladie.
Sur le conseil national de pilotage (CNP) des ARS et le rôle des partenaires sociaux, l'objectif est relativement clair : la perspective de piloter davantage les décisions de l'assurance maladie par le biais du CNP ne suscite pas l'adhésion du conseil de direction de l'Uncam mais on ne peut nier que le contrat Etat-Uncam qui fixe la politique de gestion du risque est insuffisamment opérationnel dans sa rédaction actuelle. Afin d'optimiser l'usage des ressources disponibles, peut-être tentera-t-on de passer à une étape plus opérationnelle sur une durée plus courte.
Le Parlement avait souhaité que les annexes aux propositions annuelles de l'assurance maladie soient complétées par la présentation des principaux accords intervenus. La Cnam n'émet aucune objection sur la recommandation de la Cour d'étoffer cette annexe.
M. Thomas Fatome, directeur de la sécurité sociale. - La matière que nous examinons, c'est celle du dialogue social qui est au coeur de l'actualité et il faut trouver des accords et des compromis pour faire avancer le système. Le Gouvernement et notre ministre sont particulièrement attachés à ce dialogue social et à ce dialogue conventionnel entre l'assurance maladie et les représentants des partenaires sociaux médicaux ou paramédicaux que sont les syndicats représentatifs.
Les négociations conventionnelles me paraissent avoir enregistré quatre résultats positifs depuis ces dix dernières années. L'Ondam, pour la médecine de ville et de manière générale, a été de mieux en mieux tenu : d'autres facteurs expliquent certes les bons résultats enregistrés notamment en 2013, mais la qualité continue du dialogue entre les équipes de la sécurité sociale et de l'assurance maladie a permis, ces dernières années, d'identifier les provisions pour revalorisation et de suivre leur exécution en fonction du cadrage retenu.
Pour le passé, le respect de l'Ondam a pu être mis à mal par un défaut de pilotage de la rémunération de certaines professions médicales. Derrière les négociations conventionnelles se trouvent cependant des baisses tarifaires de certaines spécialités qui ont une influence directe sur la fixation annuelle de l'Ondam.
S'agissant de la diversification des rémunérations et de la rémunération par objectif, faire signer l'ensemble des médecins sur des objectifs de santé publique et accorder une rémunération individuelle à la performance et une rémunération forfaitaire supérieures à 10 % du revenu des praticiens pouvait sembler, il y a une dizaine d'années, illusoire. Force est de constater qu'il existe désormais une base sur laquelle nous pouvons envisager avec le médecin traitant la rémunération sur objectif, même si l'usage de cette base doit être optimisé, comme le souligne la Cour des comptes.
Plusieurs avancées ont également été réalisées sur la démographie médicale allant dans le sens d'une régulation démographique qui demeure une question extrêmement sensible.
Enfin, je partage l'opinion des deux précédents intervenants sur la question des rémunérations et la nécessité de renforcer notre capacité collective à comprendre les phénomènes qui les sous-tendent. Certes, la nécessaire remontée de données fiscales, qui induit un décalage allant jusqu'à deux ans, obère notre compréhension et notre capacité de conseil auprès de l'exécutif, mais cette situation demeure complexe et résulte des faiblesses structurelles des systèmes d'information existants.
Nous travaillons actuellement sur plusieurs thématiques. Premièrement, le rôle de l'Etat : je ne partage pas le constat d'un affaiblissement de l'Etat ou du brouillage de son rôle puisque si l'Etat venait à reprendre la main sur le contenu des conventions, il déresponsabiliserait immédiatement les partenaires conventionnels. Certes, l'équilibre obtenu en 2004 visait à responsabiliser, en première ligne, les négociateurs, mais la pression politique s'exerçant sur le ministère lors des négociations conventionnelles demeure extrêmement forte. Cependant, comme l'a rappelé la ministre de la santé, il y a une unicité de la politique de santé au service de laquelle les politiques conventionnelles s'exercent. Une disposition du prochain projet de loi santé devrait conférer une base légale à la pratique, rappelée précédemment, permettant au Gouvernement de fixer des orientations et un cadre à la négociation conventionnelle, à l'instar de ce qui s'est produit pour l'avenant n° 8 et pour la convention sur les soins de proximité.
Deuxièmement, la volonté du Gouvernement d'avancer de manière probante sur la mise en oeuvre de l'article 45 de la LFSS pour 2013, relatif à la valorisation de la coordination des soins par la politique conventionnelle, a répondu pleinement aux attentes de la Cour. La ministre a récemment rappelé sa volonté que la négociation actuellement en cours puisse aboutir et permettre d'entériner l'évolution de l'organisation du système de soins évoquée par le rapport.
Troisièmement, les partenaires conventionnels nationaux devraient fixer un cadre permettant de donner une dimension régionale à la politique conventionnelle. Cette évolution pourrait optimiser, sur des questions comme le zonage ou l'aide à l'installation, l'adaptation des différents dispositifs aux spécificités des territoires.
Enfin, s'agissant des soins dentaires, de nouveau évoqués par la Cour des comptes, l'investissement limité de l'assurance maladie obligatoire risque de perdurer compte tenu des contraintes générales pesant sur l'Ondam. Mais le Gouvernement souhaite reprendre dans le projet de loi de santé publique la disposition relative au tarif social dentaire qui figurait dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014 et qui concernait les bénéficiaires de l'aide à l'acquisition d'une complémentaire santé éligibles à la CMU-c. Cette disposition devrait ainsi permettre de fixer un tarif limite pour un certain nombre de prestations, dont les prestations dentaires.
En outre, s'agissant des expérimentations des nouveaux modes de rémunération évoquées par le Président Durrleman, celles-ci ont été très précisément évaluées par l'Institut de recherche et documentation en économie de la santé (Irdes) de manière indépendante. Ces démarches présentent un début d'effet sur la stabilisation de l'offre de soins dans les territoires concernés ainsi que sur la qualité des prises en charge et des prescriptions par l'hôpital. Ces signaux encourageants nous conduisent à proposer la généralisation de ces nouveaux modes de rémunération dans le cadre des négociations sur les soins de proximité.
Mme Annie David, présidente. - Merci pour cette présentation et vos réactions immédiates. La santé est en effet un sujet complexe et il importe que l'ensemble des acteurs, qui sont nombreux, soient alignés sur un même objectif qui doit innerver toute négociation. L'objectif d'assurer à chacun un accès aux soins, quel que soit son lieu de résidence, me paraît plus important que la seule recherche d'une diminution générale des coûts. Certaines questions, comme l'aide à l'installation et ses conséquences sur les rémunérations, seront notamment abordées lors de l'examen du PLFSS. Je donne la parole à notre collègue M. Yves Daudigny, rapporteur général.
M. Yves Daudigny, rapporteur général . - En étudiant la question des relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professionnels de santé dix ans après la loi de réforme de la sécurité sociale de 2004, le rapport de la Cour des comptes offre un panorama complet et détaillé des enjeux auxquels fait face notre système de protection maladie.
Le choix de trouver des solutions négociées aux grandes questions que sont l'accès aux soins, la maîtrise du volume d'acte, la qualité du parcours de soins et la rémunération des professionnels, et ce même en temps de crise, caractérise notre système. Contrairement à d'autres pays, nous avons pu éviter de prendre des mesures soudaines et drastiques donc les effets à long terme sur les dépenses de santé s'avère incertains.
La négociation conventionnelle est donc l'instrument par lequel la pérennité de notre couverture maladie et la qualité des soins peuvent être assurées. La Cour s'est interrogée sur l'efficacité de l'instrument et sur le rapport entre celle-ci et son coût. Tout en partageant l'objectif poursuivi par plusieurs des mesures adoptées dans le cadre des négociations, la Cour s'interroge sur leur cohérence et sur leur niveau d'exigence. On peut de ce point de vue noter une différence d'appréciation entre le Cour et la Cnam sur les rémunérations sur objectifs de santé publique dont l'annexe 3 du rapport charges et produits 2015 de la caisse dresse un bilan.
Si je résume bien, la Cour estime qu'une plus forte implication des financeurs (Uncam, Unocam) et de l'Etat en tant que décideur peut renforcer la cohérence des actions menées et aboutir à la mise en place de contreparties plus efficaces pour la rémunération des professionnels et la gestion du risque. Je serais peut-être un peu plus prudent sur la capacité à imposer rapidement aux professionnels de santé des mesures beaucoup plus contraignantes. Certes les mentalités évoluent vers une plus grande acceptation du rôle de l'assurance maladie, mais l'équilibre des négociations est complexe et on sait qu'il faut d'abord éviter les ruptures. C'est cette considération qui me semble expliquer les négociations profession par profession, dont la Cour souligne cependant à juste titre qu'elles entrainent une fragmentation des mesures prises. Il est incontestable qu'il faut mener des négociations interprofessionnelles, le récent rapport de nos collègues Génisson et Milon sur les coopérations entre professionnels de santé a justement insisté sur ce point.
Je partage l'essentiel des recommandations formulées par la Cour ainsi que celles qui sont en filigrane dans le rapport et s'adresse parfois directement au législateur, comme la mise en cohérence des dispositions légales relatives aux négociations conventionnelles.
Je pense également que le constat sévère sur l'accès aux soins et sur les effets des négociations sur les revenus des professionnels appelle des mesures de rééquilibrage.
Ces questions cependant aboutissent à un problème de fond, celui de la légitimité des acteurs conventionnels. Plus particulièrement, la négociation conventionnelle fixe de manière croissante les objectifs de santé publique et de qualité des soins, tâche dont on peut penser qu'elle incombe à l'Etat. Faut-il donc que celui-ci soit directement présent à la table des négociations ? Ceci mettrait fin aux stratégies de contournement ou d'influence auxquels l'Etat doit se livrer pour participer aux débats et que relève la Cour.
La gouvernance du système de santé est un sujet sur lequel nous nous sommes penchés dans le cadre de la Mecss avec le rapport sur les ARS de nos collègues Le Menn et Milon. Une plus forte implication du ministre et la définition d'enveloppes régionales permettant l'adaptation des politiques de santé aux besoins locaux me paraissent être de bonnes mesures.
Je prolonge donc ma question sur la place de l'Etat dans les négociations conventionnelles par une autre question : la loi sur la stratégie nationale de santé doit-elle être le véhicule d'une réforme de la gouvernance du système de santé ?
M. René-Paul Savary. - Je tenais à vous remercier, madame la présidente, d'avoir organisé cette audition qui permet d'obtenir plusieurs éclairages complémentaires sur l'avenir du secteur de la santé. Il me semble que le poids des ARS n'a pas encore été évalué à sa juste valeur et la place de chaque acteur dans les négociations demande à être précisée. Cette nécessaire clarification doit être conduite alors qu'une réforme territoriale est en cours d'élaboration. Comment vont évoluer les plans de santé régionaux si les régions sont fusionnées et des populations, qui ont des thématiques de santé différentes, sont regroupées ? Les accès aux soins de premier recours et les parcours de santé sont radicalement différents d'une région à l'autre. Ne faut-il pas profiter de cette réforme pour redéfinir le rôle de chacun des acteurs ?
S'agissant du mode de rémunération, il faut distinguer la médecine rémunérée à l'acte, qui en produit généralement trop, et la médecine salariée, qui n'en produit pas assez. Les évolutions intervenues tendant à compléter une rémunération à l'acte par la prise en charge de la prévention, de l'informatisation et d'actions sanitaires dans des domaines bien précis, me semblent se situer dans une juste voie. Sans doute faudra-t-il améliorer les critères retenus, mais il importe de privilégier une démarche positive, de préférence aux pénalisations que semble préconiser la Cour. Il faut ainsi encourager les praticiens à faire évoluer leurs pratiques. Ces nouvelles formes de rémunération sont la contrepartie d'une absence de revalorisation des actes depuis au moins trois ans. L'acte médical doit être revalorisé puisqu'il induit la lourde responsabilité du praticien, dont les longues études ne sont pas toujours estimées comme il le faudrait.
J'en viens à présent à la onzième recommandation de la Cour en matière d'installation des médecins généralistes qui me paraît intéressante. L'organisation des soins de premier recours par bassin est désormais connue et un nombre optimal de médecins conventionnés en secteur I pour ces zones devrait être défini. Un tel quota permettrait de réguler efficacement les installations. Cette démarche doit cependant être fondée sur la concertation plutôt que sur la coercition et impliquer les organisations syndicales. Les leviers conventionnels peuvent ensuite conduire à moduler les avantages, mais il vaut mieux favoriser l'approche du terrain et agir sur le long terme dès la formation des étudiants à l'université.
Mme Annie David, présidente . - Je souscris, mon cher collègue, à votre idée d'un quota de conventions par secteur au-delà duquel toute installation devrait se faire sans conventionnement.
M. Jacky Le Menn . - Le rapport de la Cour des comptes est mesuré et contient des propositions pertinentes qui permettent d'ouvrir le débat. Le domaine est complexe et il faut faire preuve de mesure dans l'approche d'une politique qui repose sur la négociation. La mise en place d'un pilotage plus intégré permettant à l'Etat de valider les orientations stratégiques des politiques conventionnelles, d'en suivre l'exécution et de mieux articuler les actions des différents acteurs, comme la Cour le préconise, me paraît aller de soi dans le cadre de la politique publique de santé. Il est normal que l'Etat puisse fixer les orientations des discussions conventionnelles. Que l'Etat n'ait plus de capacité de prendre la main lors des négociations me paraît insensé, car il importe d'assurer la continuité des politiques publiques. Au coeur de ces pilotages, la dimension économique ne doit pas être occultée et l'Ondam obéit à un principe de réalité qui rend son respect nécessaire. A ce titre, le Parlement doit prendre ses responsabilités en se prononçant sur les sous-objectifs qui composent l'Ondam.
La Cour reprend certaines des préconisations que nous avions émises, avec mon collègue Alain Milon, dans notre dernier rapport sur les ARS, s'agissant notamment de l'expérimentation Celle-ci devrait permettre d'exploiter au mieux la capacité des agences à adapter la déclinaison des politiques de santé publique aux besoins exprimés par nos concitoyens. Il vaut mieux procéder par petites touches plutôt que de prétendre tout réformer !
Mme Annie David, présidente . - Je souhaiterai obtenir plus d'information sur l'efficacité des différents types de rémunérations dont il a été question dans vos exposés. Leurs coûts pour la sécurité sociale et leur efficience ont-ils été évalués. A-t-on estimé le nombre de personnes ayant pu avoir accès aux soins grâce à elles. Les propositions que vous faites, en matière de dépassement d'honoraires, me paraissent aller dans le bon sens tant certaines situations peuvent friser l'illégalité. Le reste à charge, qui concerne à la fois le dentaire et l'optique, est parfois source de discriminations à l'embauche qui frappent les plus démunis, faute d'un accès aux soins. Le lieu d'installation doit aussi être pris en compte et le coût pour notre protection sociale d'une aide doit ainsi être estimé, surtout lorsqu'il s'agit de soutenir l'implantation de jeunes médecins dans des territoires présentant une sous-densité médicale.
M. Antoine Durrleman. - S'agissant de la gouvernance globale du système, l'Etat nous paraît absent juridiquement et présent pratiquement. Le cadre de la loi de 2004 confère à l'Etat sa juste place et le contrat qui lie ce dernier à l'Uncam gagnerait à être précisé afin de clarifier le rôle de celui-ci dans le cadrage d'un type de négociation particulier. Mais, comme rappelait M. Fatome, l'Etat ne dispose pas aujourd'hui de la capacité juridique à agir en ce sens. Ceci aurait pour vertu d'assurer la réalisation des objectifs de la loi de 2004.
En outre, la régulation de la relation des soins de ville avec le monde hospitalier pourrait être assurée par le conseil national de pilotage des ARS, ce qui permettrait d'utiliser un outil présidé par l'exécutif et d'aboutir à une forme de pilotage plus unifié.
L'ensemble de ces mesures redonnerait son plein sens au dispositif de la loi de 2004, sans conduire à une remise à plat du système et dans une démarche pragmatique et concrète.
La place des assurances complémentaires fait aussi débat. Il ne s'agit pas de retirer à l'assurance maladie son rôle premier, mais dans un certain nombre de domaines, comme l'optique, celle-ci est un partenaire faible par rapport à d'autres acteurs. Aujourd'hui, nos concitoyens éprouvent de plus en plus de difficultés devant le niveau élevé des assurances complémentaires, du fait notamment de l'absence de régulation de certains secteurs et du comportement propre à certaines d'entre elles face aux effets de concurrence. La volonté de captation de parts de marché renchérit leurs frais de gestion et se répercute, in fine, sur leur tarification. La présence de ces complémentaires nous parait légitime dans certaines discussions conventionnelles. C'est pourquoi la Cour émet une sorte d'étonnement poli à constater que la disposition législative du code de la sécurité sociale prévoyant l'existence d'un point annuel entre l'Uncam et l'Unocam sur les négociations conventionnelles n'a pas encore trouvé à s'appliquer. Cette disposition avait pourtant été votée par le Parlement !
S'agissant des rémunérations et de l'évolution différentielle des professions qui en découle, toute une série de mesures ont concerné les médecins généralistes. En revanche, la Cour constate un phénomène d'échappement sur les dépassements d'honoraires pratiqués par les médecins du secteur II qui ont été gagnants par rapport à leurs confrères du secteur I, en matière notamment de taux d'évolution. In fine, l'assurance maladie, par le biais de l'avenant n° 8, est amenée à consentir à la pérennisation des dépassements. Des incitatifs puissants, parmi lesquels la possibilité pour certains médecins en secteur I, de rejoindre le secteur II, ont dû être mis en place. Les 16 000 signataires de cet avenant ont, dans leur grande majorité, bénéficié d'un effet d'aubaine. Telle une sorte de prime à la signature, l'assurance maladie a accepté de prendre en charge une partie des cotisations sociales des médecins de secteur II, certes sur la partie opposable de leurs honoraires. Jusqu'à maintenant, les avantages sociaux étaient associés, précisément, aux honoraires conventionnels. Ils sont désormais étendus aux médecins du secteur II qui sont bénéficiaires, par ailleurs, des marges procurés par les dépassements qu'ils pratiquent.
Enfin, l'usage des conventions demeure à géométrie variable comme en témoigne l'évolution des accords prix-volumes qui ne reposent pas sur un avenant conventionnel, mais sur un protocole d'accord signé entre les syndicats de biologistes et l'assurance maladie qui relève d'une procédure contractuelle. D'un côté se trouvent donc une convention qui se pérennise et se statufie depuis 1994, et de l'autre un protocole qui ne s'inscrit pas du tout dans le cadre conventionnel. Une telle situation ne peut que soulever nos interrogations.
M. Frédéric Van Roekeghem. - Le rôle des complémentaires n'a pas en effet été abordé. S'agissant des soins dentaires, les décisions passées ont conduit à abandonner le financement de leur prise en charge aux organismes complémentaires. Dans l'optique, la France, avec près de 11 000 professionnels, est l'un des pays les plus dotés et la capacité de régulation tarifaire des organismes complémentaires est à améliorer. Mais un conflit demeure entre l'intégration de l'Unocam dans un système de conventionnement collectif, précédemment inscrite dans le programme de la Mutualité française, et le souhait, clairement énoncé par un certain nombre de complémentaires, de développer des réseaux individuels via la contractualisation.
Le secteur dentaire me paraît l'une des priorités sanitaires qu'il importe de réguler dès à présent. Certes, l'actuel Ondam ne permet pas d'obtenir de marges de manoeuvre suffisantes. D'ailleurs, l'assurance maladie préfère revaloriser un peu moins les rémunérations et prendre des mesures pour les assurés. La situation du secteur dentaire ne peut demeurer en l'état et la Cnam vient d'engager une négociation avec les centres de santé. Car le statu quo ne manquera pas d'induire de grandes difficultés pour les dentistes de province, qui ne pourront plus parvenir à l'équilibre financier et seront dissuadés de s'installer. Parallèlement, la progression des spécialités, comme l'orthodontie et les soins prothétiques, se fera au détriment des soins conservateurs considérés comme non rentables. En ce sens, la question de l'équilibre entre la revalorisation des tarifs opposables et le maintien des tarifs du secteur II se pose : l'évolution du revenu des professionnels, au regard de celle des revenus généraux, a-t-elle été suffisante ? Pour y répondre, la Cour se trouve dans une situation difficile puisque, d'un côté, elle a pour responsabilité la maîtrise des comptes publics et, de l'autre, il lui faut garantir la soutenabilité à moyen terme de notre système de protection sociale. Or, celui-ci est considéré, par les autres pays, comme favorisant l'accès aux soins de manière relativement aisée. Ce ne sont donc pas les moyens mis en oeuvre par l'assurance maladie et sa tentative de maintenir le coût opposable des soins qui permettent de résoudre, à terme, les problèmes que ne manquera pas d'induire le secteur dentaire. Les décisions sur cette question incombent au politique.
Sur l'avenant n° 8, l'enjeu est de proposer un cadre différent de l'impasse stratégique dans laquelle nous nous trouvons avec la dualité entre les secteurs I et II. De ce point de vue, les décisions qui vont être prises, en matière de couverture des complémentaires et d'évolution triennale de ce système, représentent un enjeu majeur. Laisser la situation telle qu'elle est actuellement, avec ce morcellement entre deux secteurs, ne me paraît pas pertinent. Il faut à l'inverse évoluer.
Je rappellerai que lorsque les médecins du secteur II respectent les tarifs opposables de la CMU-c, ils bénéficient des tarifs du secteur I. S'il s'agit de bouger les lignes, encore faut-il savoir vers quel système il nous faut évoluer. De ce point de vue, les complémentaires s'avèrent des acteurs importants, mais je ne pense pas que la liberté tarifaire et les réseaux individuels vont régler les problèmes. D'ailleurs, un amendement au PLFSS rectificatif sur la prise en charge des contrats d'accès aux soins s'est inscrit en ce sens.
Sur la biologie, depuis plusieurs années, les conventions ne peuvent fixer les tarifs car une disposition législative est intervenue et a confié, de façon unilatérale, cette responsabilité à l'assurance maladie. L'Uncam ne peut donc plus convenir d'un accord prix-volume dans la convention puisque la loi ne le permet plus ! Nous ne pouvons que baisser unilatéralement les tarifs et nous l'avons fait à hauteur de 700 millions d'euros. Cependant, il importe d'envisager les mesures prises dans une perspective de moyen terme et la situation du secteur dentaire témoigne aujourd'hui du caractère pernicieux des mesures de court-terme.
Le monde de la santé est passé d'un contexte de croissance et d'investissement, au début des années 2000, à celui marqué par le resserrement de la gouvernance financière et la réduction de la croissance nominale du pays, ce qui le place dans une situation de relative incertitude. Au coeur des politiques publiques se pose aujourd'hui la question des moyens de concilier le retour de la croissance avec la maîtrise de l'usage des deniers publics. C'est pourquoi, après une baisse tarifaire ininterrompue pendant sept années, la Cnam a estimé raisonnable de proposer aux acteurs, en commençant par ceux de la biologie médicale, un cadre différent leur permettant de participer à la bonne utilisation des ressources et de ne plus être incités à une course aux volumes inutile, tout en veillant à conserver leurs marges afin de remédier à l'absence de visibilité susceptible de bloquer les investissements. Cet enjeu est majeur, mais la connaissance des événements survenus ces vingt dernières années me paraît utile pour restaurer la croissance et la conférence actuellement en cours sur la mise en oeuvre du pacte de responsabilités me paraît aller dans le bon sens. Il importe avant tout de déployer une vision de long terme et la pluri-annualité, appelée de ses voeux par la Cour des comptes sur un certain nombre de sujets, me semble être prise en compte par les politiques de santé. L'engagement de la Cnam, soutenu par les deux ministres en charge de la sécurité sociale, à cette pluri-annualité, témoignait enfin de notre respect des lois et de l'avis du Parlement.
M. Thomas Fatome. - Dans le cadre de la future loi de santé publique, il n'est pas question d'aller vers un grand soir de la gouvernance. Je crois que la ministre souhaite plutôt privilégier la mise en oeuvre de mesures favorisant l'accès aux soins et la prévention ainsi que la mobilisation de l'ensemble des acteurs, ARS comprises, dans l'optimisation des ressources disponibles pour maîtriser les dépenses de santé. Certaines évolutions, comme la clarification du rôle de l'Etat et la régionalisation des négociations incombant aux ARS ou encore clarification du contrat entre l'Etat et l'Uncam visant un meilleur cadrage des actions partagées, font l'objet de toute notre attention.
Mme Annie David, présidente . - Merci pour vos présentations et vos réponses complètes. Je ne vais pas relancer le débat sur l'Ondam car nous aurons l'opportunité de le faire en séance publique, d'ici quelques jours !
La commission désigne Yves Daudigny rapporteur sur l'enquête de la Cour des comptes relative aux relations conventionnelles entre l'assurance maladie et les professions libérales de santé.