N° 673

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 2 juillet 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur les externalisations en opérations extérieures ,

Par MM. Yves KRATTINGER et Dominique de LEGGE,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Marini , président ; M. François Marc , rapporteur général ; Mme Michèle André , première vice-présidente ; Mme Marie-France Beaufils, MM. Jean-Pierre Caffet, Yvon Collin, Jean-Claude Frécon, Mmes Fabienne Keller, Frédérique Espagnac, MM. Albéric de Montgolfier, Aymeri de Montesquiou, Roland du Luart , vice-présidents ; MM. Philippe Dallier, Jean Germain, Claude Haut, François Trucy , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Claude Belot, Michel Berson, Éric Bocquet, Yannick Botrel, Joël Bourdin, Christian Bourquin, Mme Nicole Bricq, MM. Jacques Chiron, Serge Dassault, Vincent Delahaye, Francis Delattre, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, MM. Éric Doligé, Philippe Dominati, Jean-Paul Emorine, André Ferrand, François Fortassin, Thierry Foucaud, Yann Gaillard, Charles Guené, Edmond Hervé, Pierre Jarlier, Roger Karoutchi, Yves Krattinger, Dominique de Legge, Gérard Miquel, Georges Patient, François Patriat, Jean-Vincent Placé, Jean-Marc Todeschini, Richard Yung .

PRINCIPALES RECOMMANDATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

Recommandation n° 1 : Clarifier le champ de l'externalisation en OPEX ; déterminer les fonctions pouvant être confiées à un prestataire extérieur.

Recommandation n° 2 : Préserver les compétences et les moyens minimums indispensables pour assurer la capacité de nos forces d'intervenir en toutes circonstances ; identifier précisément les fonctions concernées et quantifier ces compétences et ces moyens.

Recommandation n° 3 : Mettre en place les outils (comptabilité analytique) nécessaires à l'évaluation du coût des fonctions assurées en régie, de manière à améliorer l'analyse économique des projets d'externalisation.

Recommandation n° 4 : Éviter la myopie budgétaire consistant à minimiser à court terme les investissements au prix de surcoûts conséquents à moyen et long termes.

Recommandation n° 5 : Ne pas se satisfaire de l'externalisation comme palliatif des lacunes capacitaires mettant en cause l'autonomie stratégique de la France, notamment en matière de transport stratégique ; se doter d'une capacité minimale de transport aérien de type « gros porteur » afin de limiter la dépendance à des puissances étrangères ; respecter le calendrier d'acquisition des avions ravitailleurs multirôles prévu par la programmation 2014-2109.

Recommandation n° 6 : Afin de surmonter l'obstacle budgétaire et mieux gérer la pénurie, développer la mutualisation et la coopération européenne, pour l'acquisition et le partage de capacités stratégiques.

Mesdames, Messieurs,

Si l'usage du terme « externalisation » est récent, il correspond en réalité à une pratique ancienne, à laquelle les armées ont largement recouru par le passé. Sous le Directoire, des entreprises privées assuraient, plutôt mal, le ravitaillement des armées. Le 21 décembre 1795, Ritter, commissaire du gouvernement près l'armée d'Italie, écrivait ainsi : « Le volontaire est nu et réduit, la majeure partie du temps, au quart de la ration de pain. Toujours à la merci de la compagnie Lanchère qui a si bien servi jusqu'ici à affamer nos armées ! ». Le transport fut finalement complètement militarisé par Napoléon qui créa le train d'artillerie, le train du génie puis le train des équipages.

De manière plus contemporaine, on rappellera que la marine nationale recourt depuis 1978 à l'affrètement de remorqueurs de haute mer auprès de la compagnie « Abeilles International », dans le cadre de ses missions d'action de l'État en mer.

Toutefois, le recours à l'externalisation a pris, depuis plusieurs années, de l'ampleur et fait désormais l'objet d'une démarche volontariste de la part du ministère de la défense, qui y voit un des outils de sa modernisation et l'une des clefs pour tenir les objectifs d'économies et de réduction de format fixés par les programmations militaires successives.

Le développement de l'externalisation a connu deux étapes :

Le premier mouvement d'externalisation a débuté à la fin des années 1990, en conséquence de la professionnalisation des armées. Celles-ci, ayant perdu la main d'oeuvre que représentaient les appelés, ont confié, de manière peu anticipée et planifiée, à des prestataires privés de nombreuses activités considérées comme ancillaires (l'alimentation, la blanchisserie, le gardiennage de certains sites, l'entretien des immeubles et des espaces verts, le nettoyage des locaux et la collecte des déchets...). Les dépenses d'externalisation sont ainsi passées de 592 millions d'euros en 2001 à 867,7 millions d'euros en 2005.

Un deuxième mouvement a ensuite été initié, de manière plus centralisée et conceptualisée dans le cadre de la réforme des armées et du ministère de la défense. Toujours centrées sur le soutien, les externalisations commencent cependant à porter sur des fonctions plus opérationnelles. En outre, elles ne s'opèrent souvent pas simplement en substitution d'une activité exercée jusque-là régie, mais apportent également des prestations ou capacités additionnelles.

La révision générale des politiques publiques (RGPP) faisait ainsi de l'externalisation l'une des clefs de la déflation des effectifs. Le Livre blanc de 2008 encourageait également les « contrats d'externalisation de services » « pour accompagner le redéploiement et la restructuration de l'appareil de défense ». De manière moins explicite, la programmation 2014-2019 s'inscrit dans la continuité de cette conception et fait également de l'externalisation l'un des moyens permettant de réaliser encore des économies sur le soutien aux forces.

Pour le ministère de la défense lui-même, sa modernisation « vise à maintenir l'effort de défense tout en recherchant une meilleure efficacité à moindre coût et une meilleure répartition de ses moyens. Dans cette perspective, le recours à l'externalisation consiste à confier à un ou des opérateurs externes, en partie ou en totalité, une fonction, une activité ou un service assuré jusqu'alors en interne, en responsabilisant ce ou ces opérateurs sur des objectifs de qualité de service et de coût. » 1 ( * )

Il est précisé, qu'une activité, pour être externalisée, « doit répondre à quatre exigences fondamentales : ne pas affecter la capacité des armées à réaliser leurs missions opérationnelles ; permettre de manière pérenne des gains économiques significatifs pour l'État et le ministère, évalués à l'aide d'une méthode rigoureuse, prenant en compte les coûts complets des scénarios étudiés (régie, régie rationalisée ou externalisation) ; préserver les intérêts des personnels, notamment au travers des conditions de reclassement ; éviter la création de positions dominantes chez les fournisseurs et préserver les possibilités d'accès des petites et moyennes entreprises à la commande publique. »

La diversité et l'importance des externalisations menées par le ministère de la défense en métropole sont bien documentées et leur intérêt largement débattu, eu égard notamment au risque que soit entamée la capacité des forces armées à intervenir sur des théâtres d'opérations extérieurs.

Un phénomène moins connu est l'ampleur que prennent les externalisations dans le cadre d'opérations extérieures (OPEX), y compris sur les théâtres eux-mêmes.

Évolution du poids financier
de l'externalisation dans le surcoût OPEX

(en millions d'euros)

Source : ministère de la défense

N.B. : Ce tableau n'intègre pas les coûts associés aux dépenses d'externalisation de la fonction SIC. Celles-ci forment un tout indissociable qui contribue à la fonction SIC, en OPEX comme en situation courante en métropole. Les opérations au Mali regroupent l'opération Serval et la mission EUTM Mali conduite par l'Union Européenne. Cette dernière, d'un surcoût global de 11,2 millions d'euros en 2013, inclut 2,2 millions d'euros de soutien externalisé et 0,5 millions d'euros de transports stratégiques externalisés.

Or les dépenses résultant de contrats d'externalisation ont représenté respectivement 22 % et 23 % du surcoût 2 ( * ) OPEX en 2012 et 2013.

Les externalisations réalisées en OPEX ou liées à des fonctions directement impliquées dans les OPEX présentent des spécificités qui interdisent de leur appliquer simplement la grille d'analyse employée pour les externalisation menées en métropole sur des fonctions de soutien éloignées des opérations, comme c'est le cas de l'essentiel des contrats les plus importants passés ces dernières années, telle la gestion d'une flotte d'avions-écoles ou de celle des véhicules commerciaux du ministère de la défense.

L'externalisation est pour les OPEX un outil très utile, parfois indispensable. Toutefois c'est un outil à manier avec des précautions particulières, justement en raison des contraintes propres aux OPEX et de la spécificité de leur financement.

Il apparaît en outre que les externalisations liées aux OPEX ne représentent pas un remède adéquat aux contraintes que subit le budget de la défense et comportent de graves inconvénients sur le plan de l'autonomie stratégique de la France. Elles pourraient dans certains cas être avantageusement remplacées par une meilleure mutualisation des capacités militaires européennes.


* 1 Réponse du 1/11/2010 à la question écrite n° 109110 de notre collègue député Marc Le Fur.

* 2 Ce surcoût représente les dépenses supplémentaires liées aux OPEX, composées « de coûts de rémunérations et charges sociales (personnel militaire et personnel civil de recrutement local), de transport stratégique, de contrats d'externalisation, de contributions aux budgets des opérations militaires de l'UE et de l'OTAN et de surcoûts de fonctionnement. Ces derniers représentent la différence entre les coûts de fonctionnement des unités déployées en opération extérieure et les économies réalisées en métropole du fait de l'absence de ces unités » (Projet annuel de performance 2014).

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