B. DES LIENS À DÉVELOPPER ENTRE LE MASTER MEEF ET LE NIVEAU LICENCE
1. Concevoir des continuums de formation pour pérenniser les viviers d'enseignants et préparer la professionnalisation
La mastérisation conduite en 2010 a aggravé les problèmes de recrutement, déjà endémiques dans certaines académies comme Créteil ou dans certaines disciplines comme les mathématiques. Elle a asséché les viviers, elle a réduit la préparation au métier comme peau de chagrin et elle a découragé des jeunes de milieux populaires. Fort de ce constat, votre rapporteur souligne que la réforme en cours de la formation et du recrutement des enseignants doit réussir sur trois plans. D'abord, elle doit assurer la pérennité du vivier en fonction des besoins du système éducatif. Ensuite, elle doit permettre la professionnalisation progressive des futurs enseignants avant même la prise en charge de classes en pleine et entière responsabilité. Enfin, elle doit garantir la mixité d'origine sociale du corps enseignant en limitant l'éviction des milieux populaires.
La création des ÉSPÉ constitue un maillon essentiel de la réforme, mais elle ne suffira pas à elle seule à atteindre ces trois objectifs. Elle a remporté d'ores-et-déjà un premier succès avec l'augmentation significative du nombre d'inscriptions, régulièrement supérieure à 30 %. À titre d'illustration, les effectifs d'inscrits en master MEEF premier degré à Toulouse se sont accrus de plus de 50 %. Ces hausses doivent encore être confirmées sur plusieurs années et surtout se traduire par la réussite au diplôme et aux concours des étudiants inscrits.
La formation des enseignants demande du temps et de la continuité, si bien qu'il faut engager le processus d'acculturation en licence en prenant soin d'articuler dès l'origine l'académique et le professionnel. Il faut mettre à profit les cinq années d'études supérieures jusqu'à l'obtention du master et non plus seulement les deux années suivant la licence. La L1 peut servir d'année de découverte et d'orientation. En L2 et L3, il faut viser une sensibilisation par l'observation et commencer une préprofessionnalisation progressive grâce à de la pratique accompagnée. Les années de Master complètent la professionnalisation par l'approfondissement des savoirs et des compétences et par l'élargissement des terrains de stages. C'étaient les préconisations du groupe de travail sur le prérecrutement des enseignants présentés en février 2013 par votre rapporteur.
Les dossiers d'accréditation des ÉSPÉ prévoient généralement des modules de professionnalisation de ce type dès la licence qui s'inscrivent dans la continuité des propositions du groupe de travail. Il n'appartient pas à l'ÉSPÉ d'intervenir dans les maquettes des autres composantes universitaires, mais elle peut sensibiliser les UFR à l'intérêt la préprofessionnalisation et proposer son appui pédagogique à la création d'unités d'enseignement spécifiques.
À plusieurs reprises, votre rapporteur a pu constater que les experts et les acteurs auditionnés s'accordaient sur l'objectif mais demeuraient sceptiques sur ses possibilités de réalisation effective en raison d'une vision étroite de la professionnalisation et de la résistance des composantes disciplinaires des universités . Ainsi, si l'on en croit Sophie Genelot :
« D'une façon générale il y a une résistance importante des UFR à tout ce qui peut venir professionnaliser les cursus de licence, avec comme conséquence une réduction de leurs horaires disciplinaires [...] Règne aussi une conception réductrice de la notion même de professionnalisation. L'idée par exemple que, pour des futurs professeurs des écoles, des contenus disciplinaires autres que ceux de la licence considérée peuvent être facteurs de professionnalisation car ils participent à construction de leur future polyvalence n'est absolument pas entendue par les enseignants-chercheurs des UFR. » 55 ( * )
De fait, le degré d'avancement dans la mise en oeuvre de continuums de formation est très variable selon les académies et l'expérience qu'ont pu accumulée les universités avant la réforme.
L'ÉSPÉ de l'académie de Clermont-Ferrand peut par exemple s'appuyer sur le travail déjà réalisé par le rectorat et l'ancien IUFM d'Auvergne abrité par l'université Blaise Pascal qu'avait analysé, sur place, le groupe de travail sur le prérecrutement des enseignants en décembre 2012. Une unité d'enseignement (UE) libre de licence, ouverte à tous les étudiants inscrits dans un des établissements partenaires, devrait permettre de présenter les métiers de l'enseignement. Un dispositif d'aide à l'orientation des lycéens et étudiants de licence vers les métiers de l'enseignement (DAOL) est également détaillé dans le dossier d'accréditation.
Piloté par le conseil des études et de la vie universitaire (CEVU), ce dispositif propose dès le lycée une information sur les métiers de l'enseignement et sur l'offre de formation correspondante. En L2 et L3, des parcours complets de sensibilisation et de préprofessionnalisation au métier d'enseignant sont proposés aux étudiants. Grâce à un partenariat solide avec le rectorat de Clermont-Ferrand, les étudiants qui s'engagent dans ce dispositif peuvent bénéficier de plusieurs stages de plusieurs semaines sur deux ans et ainsi se confronter très tôt à la réalité de la classe dans des cadres très divers. En dehors des stages, les étudiants apprennent à connaître les processus d'apprentissage et de socialisation des élèves, la pédagogie et les gestes professionnels des enseignants, l'institution scolaire, son histoire et son fonctionnement. Progressivement, les étudiants découvrent la complexité et la richesse du métier d'enseignant et entrent dans un parcours préprofessionnalisant fondé sur l'alternance entre l'université et le terrain.
Si l'on veut rendre au métier d'enseignant une attractivité qu'il n'a plus, il faut le faire découvrir très tôt aux étudiants qui n'en ont souvent qu'une image médiocre et dévalorisée . Les ÉSPÉ doivent avoir une action en amont, dès le lycée pour faire connaître et désirer les métiers du professorat, par exemple en promouvant une carrière dans l'enseignement des mathématiques et des sciences auprès des filles et en ouvrant les garçons aux langues et au concours du premier degré.
Si l'on veut garantir des viviers de recrutement suffisamment pérennes et profonds, il convient aussi de multiplier les voies d'accès . Il faut attirer vers le métier d'enseignant des publics aux parcours et aux besoins différents. Le vivier potentiel doit être enrichi d'étudiants en licence disciplinaire ou transversale, d'étudiants titulaires d'un DUT ou d'un BTS, mais aussi de jeunes sortis de classes préparatoires et notamment pour les lycées professionnels, des salariés en reconversion. Il faut dès lors se garder la possibilité d'intégrer souplement d'autres étudiants ou d'autres publics dans le parcours de formation et réfléchir à des passerelles et à des embranchements tout au long du parcours jusqu'au concours.
Il faut sur ce point encore signaler les initiatives pertinentes de l'ÉSPÉ de l'académie de Clermont-Ferrand. Elle s'apprête à créer des dispositifs spécifiques pour favoriser l'accueil dans les masters MEEF des étudiants issus des IUT, des STS et des écoles d'ingénieurs. Le défi spécifique du recrutement d'enseignants dans les filières techniques devrait être relevé grâce à la mise en place d'un parcours spécifique pendant l'année de L3 au sein de la licence de sciences et technologie.
2. Améliorer l'utilisation des emplois d'avenir professeurs
En complément de la construction d'un continuum de formation sur les années de licence et de master, des formes de prérecrutement peuvent contribuer à diversifier le vivier des futurs enseignants en touchant les milieux populaires . L'organisation d'un prérecrutement stricto sensu paraît impraticable ainsi que l'avait montré le groupe de travail présidé par votre rapporteur dans le cadre de la préparation des débats sur la refondation de l'école de la République. Elle nécessiterait de résoudre au préalable les problèmes épineux posés par le choix d'une procédure de sélection, la définition des flux d'étudiants, la fixation d'un statut de droit public approprié, l'articulation avec les concours et la gestion des échecs aux concours finaux. Il ne faut pas sous-estimer le risque d'enfermer les élèves dans un parcours univoque. Si l'on met en place un prérecrutement, assurer la réussite des prérecrutés aux concours finaux devient impératif, sous peine de rendre le dispositif illégitime, inefficace, dispendieux et générateur de frustrations. Ces questions sont techniquement très complexes à résoudre, et encore davantage dans un contexte budgétaire très contraint.
Même s'ils ne constituent pas un prérecrutement au sens strict d'un statut de droit public d'élève enseignant, votre rapporteur estime, dans la droite ligne du groupe de travail sénatorial précité, que les emplois d'avenir professeur (EAP) constituent aujourd'hui la réponse la plus adaptée et la plus cohérente avec l'ensemble des réformes éducatives lancées par le gouvernement. Il ne faut pas négliger l'effort financier important qu'ils représentent, ni oublier l'opportunité qu'ils offrent à de jeunes boursiers.
Les EAP sont ouverts aux étudiants boursiers dès la deuxième année de licence et pour une durée de trois ans. L'objectif initial est de recruter sous ce régime 18 000 étudiants boursiers sur trois ans de 2013 à 2016. Priorité est donnée aux académies et aux disciplines souffrant d'un sous-effectif et aux candidats issus de zones urbaines sensibles, de l'outre-mer et des zones de revitalisation rurale.
Aux termes de la loi n° 2012-1189 du 26 octobre 2012 portant création des emplois d'avenir, ces étudiants recrutés sous contrat de travail bénéficient d'une aide financière et effectuent avec l'accompagnement d'un tuteur des missions rémunérées dans des écoles et des établissements du second degré. En contrepartie, ils s'engagent à se présenter à un concours de recrutement d'enseignants organisé par l'État. La combinaison d'une bourse de service public et de la rémunération au titre du contrat de travail, en s'ajoutant aux bourses sur critères sociaux, garantit un revenu moyen total de l'ordre de 900 euros par mois.
Le volant prévisionnel d'EAP ouverts n'a pas été consommé, ce qui constitue une déception. D'après le ministère de l'éducation nationale, entre janvier 2013 et mars 2014, sur 10 000 emplois offerts en deux campagnes de recrutement successives 8 101 ont été pourvus. 56 % d'entre eux officient en primaire. D'autres signatures de contrat sont possibles jusqu'en septembre 2014 et pourraient améliorer ce bilan.
Derrière ces chiffres agrégés se cachent d'importantes disparités régionales . Des académies attractives comme Bordeaux et Nice ont dépassé le nombre de contrats qui leur étaient initialement assignés, alors que des académies très déficitaires comme Versailles et Créteil, qui s'étaient vu octroyer un quota d'EAP important, ne sont pas parvenues à pourvoir tous les postes : un quart seulement pour Versailles, la moitié pour Créteil.
Auditionné le 4 avril 2014 par la mission, le recteur de l'académie de Versailles a estimé que la limitation des EAP aux boursiers restreignait considérablement le potentiel d'étudiants éligibles : sur 30 000 étudiants inscrits dans l'académie de Versailles, on compte 7 000 boursiers qui remplissent les conditions d'accès. Il a également estimé qu'il était difficile de combattre l'impression régnant chez les étudiants qu'il était moins compliqué d'obtenir un « petit job commercial » qu'un EAP.
Ces arguments a priori valables sur l'ensemble du territoire national n'expliquent pas le différentiel interacadémique de recours aux EAP. Il reste dans plusieurs endroits des progrès à faire pour améliorer la valorisation en crédits des stages effectués et pour ajuster les calendriers entre travail en établissement. Les ÉSPÉ doivent également être mieux associés à la gestion du dispositif qui, établi en licence, relève plutôt des seuls UFR actuellement .
La lente montée en charge des EAP est d'autant plus regrettable que les retours d'expérience des jeunes engagés dans le dispositif sont souvent positifs , dès lors qu'ils ont été correctement suivis par leur tuteur. À Clermont-Ferrand comme à Toulouse, la mission a pu dialoguer avec des étudiants bénéficiant du dispositif et mesurer leur engagement, leur détermination et la maturité dans l'appréhension du métier d'enseignant qu'ils ont acquis à l'épreuve du terrain.
* 55 Audition du 7 janvier 2014.