N° 554

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 mai 2014

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur l' avenir des politiques européennes en matière de liberté , de sécurité et de justice ,

Par Mlle Sophie JOISSAINS,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

INTRODUCTION

Ce rapport d'information sur les perspectives de l'après Stockholm dans le domaine des affaires intérieures et de la justice s'inscrit dans un contexte particulier.

En effet, jamais le terme « perspectives », avec ce qu'il comporte d'aléatoire, n'a été aussi approprié. Car les éléments d'information relatifs au bilan des cinq dernières années, aux priorités ainsi qu'aux ambitions exprimées pour les cinq années qui viennent, ont été recueillis auprès d'institutions européennes qui se trouvent en fin de mandat.

Qu'il s'agisse, bien sûr, du Parlement européen mais surtout de la Commission européenne, force essentielle de proposition dans les institutions, y compris, depuis le traité de Lisbonne, dans le secteur qui nous occupe, et dont les Commissaires et les équipes devraient être profondément renouvelés dans quelques mois.

En tout cas, les interlocuteurs de votre rapporteure au sein du cabinet de Mme Viviane Reding, commissaire en charge de la justice, des droits fondamentaux et de la citoyenneté ainsi que du cabinet de Mme Cecilia Malmström, commissaire en charge des affaires intérieures, ont fait preuve d'une liberté de ton et d'une franchise qui n'auraient, peut-être, pas été de mise il y a encore six mois.

Qui sait si les programmes envisagés par les équipes actuelles seront validés et mis en oeuvre par les nouvelles équipes ?

Il reste qu'il y a fort à parier que les futures politiques européennes en matière de justice et d'affaires intérieures des États membres s'inscriront dans la continuité d'un certain nombre d'axes restés constants.

Au demeurant, de nombreux paquets législatifs (s'agissant en particulier de l'asile, des visas ou de la protection des données personnelles, sans oublier le parquet européen) sont actuellement en voie de transposition ou en cours de discussion et devraient déboucher sur des textes législatifs européens applicables dès 2015.

Les programmes, soulignons-le, se sont succédé dans une continuité assez remarquable dans le domaine de la justice et de la sécurité.

Et ce, même si le traité de Lisbonne a opéré une petite révolution en plaçant l'« Espace européen de liberté, de sécurité et de justice » dans ce que l'on appelait autrefois le « Premier Pilier communautaire », c'est-à-dire relevant de la procédure législative ordinaire avec codécision, la Commission européenne étant la force de proposition essentielle et la Cour de justice européenne assurant le contrôle judiciaire des décisions prises de concert par le Parlement européen et le Conseil.

On rappellera en quelques mots que si l'« Espace Schengen » a été créé en 1985 par l'Allemagne, la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas, avant d'être progressivement élargi à d'autres pays, si le traité de Maastricht de 1992 a institutionnalisé la coopération judiciaire et policière européenne, le premier Programme pluriannuel européen dans le domaine des libertés, de la sécurité et de la justice, a été arrêté par le Conseil européen à Tampere en 1999.

Les priorités affichées alors sont d'ailleurs toujours d'actualité :

- la mise en place d'une politique européenne commune en matière d'asile et d'immigration ;

- la création d'un véritable espace européen de justice ;

- le renforcement de la lutte contre les formes graves de criminalité à l'échelle de l'Union européenne.

Le principe de la reconnaissance mutuelle des décisions de justice au sein de l'Union européenne devait être la pierre angulaire de la coopération judiciaire. C'est durant la période de réalisation de ce programme qu'a été mis en place ce que beaucoup considèrent comme la plus belle réussite en la matière : le mandat d'arrêt européen, créé en 2002.

En 2004, un nouveau Programme pluriannuel a été adopté à La Haye. Ce programme a vu notamment la montée en puissance et le renforcement d'Europol et Eurojust dans un contexte international quelque peu traumatisé par les attentats terroristes commis en 2004 et en 2005. Le « Programme de Stockholm » adopté par le Conseil européen pour la période 2010-2014, était ambitieux. Ses grandes priorités se sont articulées autour de l'objectif « mettre le citoyen au coeur de l'espace de liberté, de sécurité et de justice ».

Le 17 mars dernier, la Commission a présenté trois communications :

- une communication intitulée : « Un nouveau cadre de l'Union européenne pour renforcer l'État de droit » ;

- une communication intitulée : « L'agenda de l'Union européenne en matière de justice pour 2020 - améliorer la confiance, la mobilité et la croissance au sein de l'Union » ;

- une communication intitulée : « Faire de l'Europe ouverte et sûre une réalité ».

Dans ces textes, la Commission a notamment mis l'accent sur les aspects opérationnels des politiques à venir de préférence à l'adoption de nouveaux textes. Le Conseil « JAI » devrait examiner ces questions les 5 et 6 juin prochains avant que le Conseil européen ne se prononce lors de sa session de fin juin.

Ce rapport d'information s'efforcera de dresser le bilan du programme de Stockholm et d'envisager l'« après ».

I. LE VOLET AFFAIRES INTÉRIEURES

A. LE DOSSIER DE LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE L'IMMIGRATION : UN MAIGRE BILAN

La réunion conjointe Parlement européen - parlements nationaux, organisée à Bruxelles, le 19 mars dernier, à l'initiative de la commission Libé, a bien fait apparaître que la politique européenne en la matière se réduisait, en dépit de grandes déclarations de principe sur la nécessité d'une approche globale, à une tentative de rapprochement des règles en matière de droit d'asile ou de visas et à une contribution de l'agence européenne FRONTEX à la surveillance des frontières extérieures de l'Union.

À la Commission européenne, on estime, au demeurant, que les États membres sont, à titre principal, responsables du contrôle de leurs frontières extérieures.

Pourtant, il y a, aujourd'hui, « péril en la demeure européenne ».

Le dernier rapport trimestriel de l'agence FRONTEX est édifiant à cet égard.

En 2013, on a enregistré plus de 107 000 entrées illégales dans l'Union soit une hausse de 48 % par rapport à 2012. Le 3 e trimestre 2013 a battu tous les records s'agissant des entrées illicites aux frontières extérieures de l'Union avec 47 400 passages illégaux (20 000 en 2012). Le 4 e trimestre de cette année a été caractérisé par le plus grand nombre d'illégaux détectés aux frontières pour une période équivalente depuis 2009.

Sur les 4 premiers mois de l'année 2014, le nombre de traversées recensées entre l'Afrique du nord et l'Italie aurait presque décuplé par rapport aux 4 premiers mois de l'année 2013.

Dans ces conditions, on comprend que les autorités italiennes s'avouent complètement débordées par le phénomène.

Il semble qu'on ait dépassé le stade où certains États membres, confrontés à de ponctuelles « poussées migratoires », avaient simplement besoin d'être « épaulés » par l'agence européenne FRONTEX qui ne dispose, au demeurant, que de 300 agents avec, en 2014 , un budget ( en baisse) de 89 millions d'euros soit environ 0,4 % du budget de 24 milliards de dollars que les États-Unis consacrent à leurs douaniers (63 000 agents) et à leurs garde-côtes (50 000 agents) !

Un projet de règlement sur la surveillance des frontières extérieures de l'Union est en cours de discussion. Mais il faut maintenant aller plus loin. Chaque État membre de l'Union doit comprendre qu'il est directement concerné par les pressions migratoires qui s'exercent sur les pays de la périphérie.

Le principe de libre-circulation à l'intérieur du territoire de l'Union est un des fondamentaux de l'Europe. Il ne peut plus être remis en cause. En conséquence, tous les États membres ont la responsabilité de la surveillance des frontières extérieures.

Cette responsabilité est la contrepartie de la création de l'espace Schengen. On ne devrait même plus parler de solidarité entre États membres mais de responsabilité commune.

Il y a plusieurs années, la Délégation du Sénat aux affaires européennes avait préconisé la création de gardes-frontières européens . Cette proposition est toujours sur la table. Il s'agirait maintenant de l'activer. Contrairement à ce que certains prétendent, c'est impérativement de plus d'Europe dont nous avons besoin sur ce dossier. Le repli sur soi serait parfaitement illusoire. Les défis à relever en la matière appellent des réponses que chaque État membre seul est bien incapable d'apporter parce qu'elles requièrent l'échelle de toute l'Europe !

Le règlement de la situation d' urgence précédemment décrit n'est nullement contradictoire avec la mise en place d'une véritable gestion raisonnée et prospective des flux migratoires , à l'échelle européenne.

Les principes qui doivent gouverner cette politique ont été définis depuis longtemps. Mais chacun voit que si l'actuelle crise migratoire ne trouve pas rapidement de solutions, toute politique globale d'accueil et d'intégration est vaine.

Synthèse des indicateurs FRONTEX

Indicateurs du réseau FRONTEX Analyse des risques

2012

2013

Évolution (%)

Entrées illégales entre les points de passage des frontières

72 737

107 365

+48

Entrées clandestines aux points de passage des frontières

599

599

0

Passeurs interpellés

7 720

6 902

-11

Séjours illégaux

344 928

344 888

0

Refus d'entrées

116 202

128 902

+11

Demandes d'asile

276 308

353 991

+28

Personnes utilisant des faux documents

7 882

9 804

+24

Décisions de retour

269 949

224 305

-17

Retours effectifs

158 955

160 699

+1.0

Autres indicateurs

Visas délivrés

13 510 250

NC

Flux de voyageurs

NC

Source : Rapport annuel d'analyse des risques de Frontex, 14 mai 2014.

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