C. BRÈVE PRÉSENTATION DES FORCES SPÉCIALES FRANÇAISES

1. Un état-major opérationnel ramassé et une chaîne de commandement courte

52. Le commandement des opérations spéciales ou COS est un commandement interarmées opérationnel placé directement sous les ordres du CEMA. Il a été créé le 24 juin 1992, par Pierre Joxe, ministre de la défense, à l'instigation de l'Amiral Jacques Lanxade afin de : « planifier, coordonner et conduire à son niveau des actions menées par des unités des forces armées, spécialement organisées, entrainées et équipées pour atteindre des objectifs militaires ou paramilitaires, désignés par le Chef d'état-major des armées ».

53. A la différence de l'USSOCOM américain, qui est un état-major complet et indépendant, le COS est un organisme léger, puisqu'il ne comprend que 94 personnes. Encore faut-il noter qu'un quart de l'effectif est en permanence absent, en mission ou en opérations extérieures. Dans la pratique c'est donc un organisme réactif et collégial où certaines rigidités d'états-majors ne sauraient avoir cours. Il est commandé par un officier général, dénommé le « GCOS », poste qui n'est pas attribué à une armée. La proportion d'officiers supérieurs ou brevetés y est supérieure à la moyenne et la plupart d'entre eux bénéficient d'une expérience dans les forces spéciales. Il ne pourrait vraisemblablement pas fonctionner sans le secours de 150 réservistes tant ceux-ci occupent des fonctions utiles d'appui, de soutien voire de conduite dans certaines spécialités telles que la traduction, l'analyse ou les opérations d'influence.

2. Des forces dédiées et spécialisées mais dépendant organiquement de leur armée d'origine

54. L'armée de terre met à disposition trois unités spécialisées :

- Le 13 ème RDP - régiment de dragons parachutistes basé à Souge est dédié à l'acquisition du renseignement. Il est organisé en escadrons spécialisés : milieu aquatique, milieux extrêmes, montagne ou désert, dérive sous voile. A l'intérieur de chaque escadron, l'unité tactique est une équipe de six hommes, eux-mêmes spécialisés (radio, observation etc.).

- Le 1 er RPIMA - régiment d'infanterie parachutiste de marine, stationné à Bayonne est dédié à l'action dans la profondeur, entrée en premier, infiltration, raids de neutralisation, mais aussi les actions en milieu urbain et les actions d'environnement.

- Le 4 ème RHFS - régiment d'hélicoptères des forces spéciales basé à Pau. Il est spécialisé dans l'aérocombat ainsi que l'infiltration et l'exfiltration par hélicoptère des équipes de commandos tout temps, tous lieux et particulièrement la nuit. Notons au passage que la BFST est la seule unité des forces terrestres à intégrer un régiment d'hélicoptères, ce qui en fait un modèle envié.

- Ces trois unités dépendent d'un état-major fonctionnel, la brigade des forces spéciales terre (BFST) , située à Pau, qui dépend elle-même du commandement des forces de l'armée de terre (CFT) de Lille, et au-delà de l'état-major de l'armée de terre. La BFST est chargée de l'organisation, de l'équipement et de la mise en condition opérationnelle de ces trois unités, conformément à un contrat capacitaire passé chaque année avec le COS. Parallèlement, chaque unité dépend pour sa logistique et son administration de la région terre où elle est située.

55. La marine met à la disposition du COS six commandos, dont cinq sont implantés à Lorient et un à Toulon. Les commandos marine partent tous de la mer, mais chacun avec sa spécialité. Dans un commando, trois groupes d'action spéciale répondent au socle commun et un groupe spécialisé répond à la dominante de l'unité : les commandos Jaubert et Trepel l'assaut de bâtiments ; de Penfentenyo la reconnaissance maritime et côtière ; de Montfort les appuis spéciaux et la neutralisation d'objectifs ; Kieffer , récemment créé, la guerre électronique et Hubert , le seul basé à Saint-Mandrier, l'action sous-marine. Les commandos dépendent d'un état-major unique, le commandement des fusiliers-marins et des commandos (ALFUSCO) à Lorient. Ils disposent d'un soutien technique et logistique dédié : la base des Fusiliers Marins (Basefusco).

56. L'armée de l'air met à la disposition du COS deux unités :

- Le commando parachutiste de l'air numéro 10 , basé à Orléans, est spécialisé dans le domaine de l' Air Land Integration pour faciliter l'action de capacités aériennes tant dans le domaine de la mise en oeuvre de zones aéroportuaires que pour le guidage d'aéronefs, dans la profondeur ;

- L'escadron de transport 03/61 POITOU , basé à Orléans. Les pilotes du Poitou sont spécialisés dans les infiltrations, l'aérolargage et le poser d'assaut, spécialement de nuit, à partir de C160 Transall, de C130 Hercules et de DHC6 Twin Otter ;

- Notons que l'ancienne escadrille spéciale d'hélicoptères de l'escadron « Pyrénées » basé à Cazaux spécialisé dans la recherche et le sauvetage au combat (RESCo) constitue désormais le détachement air du 4 ème RHFS.

- Ces unités sont placées sous le commandement du Bureau des Forces Spéciales (BFS) , placé sous l'autorité du Commandement des Forces Aériennes (CFA) à Dijon.

57. L'implantation des forces spéciales françaises sur le territoire national a longtemps été éclatée. Le principal problème a été pendant longtemps celui du 13 ème dragon, stationné pour des raisons historiques et politiques en Lorraine. Le transfert de ce régiment sur le camp de Souge, près de Bordeaux, a permis de résoudre une bonne partie des problèmes liés à l'émiettement territorial des forces spéciales françaises.

58. En revanche, le regroupement de la flotte des EC725 Caracal de l'armée de l'air (Cazaux) et de ceux de l'armée de terre (Pau) en un lieu unique se heurte à des résistances importantes et n'est pas tranchée. Seulement 130 km séparent les deux bases, ce qui n'est pas rédhibitoire pour l'entraînement. Le soutien serait plus facile à assurer à Cazaux où se trouvent les infrastructures industrielles.

3. Une absence de doctrine, des missions très variées

59. Contrairement aux autres entités militaires, les forces spéciales françaises ne reposent pas sur un corps de doctrine, mais sur un simple « concept » en date du 4 décembre 2002. Il était prévu que ce concept soit complété par une doctrine d'emploi, qui en préciserait les modalités. Mais ce travail n'a jamais été réalisé, le COS se montrant, jusqu'à présent, peu désireux de se laisser enfermer dans un corps de doctrine rigide et contraire à sa définition même : apporter une réponse à tous les cas non prévus par l'emploi des forces conventionnelles.

60. Ainsi définies, les opérations spéciales ont trois attributs :

- Leur objectif stratégique : cet objectif est défini par le CEMA lui-même et sa réalisation est contrôlée par lui ; il s'agit de rechercher des effets décisifs en visant des objectifs de haute valeur, susceptibles de déséquilibrer profondément l'adversaire, de le contraindre à la négociation ou d'apporter un avantage significatif ;

- Leur insertion dans une stratégie de créneaux : c'est-à-dire chaque fois que les « capacités, procédures, techniques, savoir-faire et principes d'engagement des forces conventionnelles n'apportent pas de réponse appropriée » ;

- Le recours à des techniques spécifiques : qui sont celles du combat commando ; elles reposent sur une sélection sévère et un entrainement intensif ; elles sont fondées sur trois règles fondamentales : la surprise, la rapidité dans l'exécution ; la faiblesse des effectifs engagés ; un équipement léger, adapté et pour ce faire en perpétuelle évolution.

61. Les missions des forces spéciales françaises s'organisent en trois grandes familles de missions :

- Les missions « action » sont des missions de type commando. Il est difficile d'en dresser une liste, néanmoins on peut donner comme exemple les attaques d'objectifs importants, la neutralisation de lignes de communication, la localisation, la capture et la récupération de personnels ou de matériels, le positionnement de munitions, engins et appareils spécifiques, la neutralisation d'installations et de réseaux sensibles, les actions de diversion et de leurres, le contre-terrorisme (libération d'otages, reprises de navires, etc.) et les appuis spéciaux (commandement, transport, feu, etc).

- Les missions de « renseignement » forment une part considérable et aussi importante que la partie « action ». Toutefois, il s'agit de « renseignement opérationnel » c'est-à-dire à fin d'action, différent du renseignement stratégique de la DGSE. Il peut s'agir de l'acquisition d'informations sur le milieu physique et humain, de l'acquisition d'informations sur l'ordre de bataille ennemi, en particulier dans la profondeur, c'est-à-dire au-delà de la zone de déploiement, du renseignement sur l'objectif qu'il s'agisse d'un humain ou d'une infrastructure.

- Les missions d'environnement , encore appelées « de modelage » ou d'« influence » apportent un soutien à la conduite de la guerre ou de l'action par des modes non violents. Il peut s'agir de la formation, du conseil et de l'encadrement d'unités militaires étrangères, dans le cadre d'une assistance à des forces alliées, de l'action psychologique ou d'influence concourant à l'amélioration de l'environnement médiatique, de la protection de personnalités, de lieux et de réseaux sensibles.

62. A côté de ces missions principales, des missions annexes revêtent une importance certaine :

- La formation du personnel : chaque année le CEMA fixe aux forces spéciales un « contrat capacitaire », c'est-à-dire une panoplie très précise des capacités, en personnels et en aptitudes nécessaires à son action. La mise ne oeuvre de ce contrat implique des formations longues, diversifiées et en constante évolution. L'une des caractéristiques importantes des forces spéciales étant en effet de constituer un système d'hommes homogène , à un niveau de maîtrise des savoir-faire élevé . N'importe quel opérateur doit être capable de faire la mission, sans qu'il soit nécessaire de rechercher les meilleurs éléments.

- La fonction de laboratoire des armées : les forces spéciales disposent avec la commission interarmées d'études pratiques concernant les opérations spéciales (CIEPCOS) et le groupe mixte de créativité (GMC) de deux organismes originaux de prospective en matière de matériels et de procédures spécifiques aux forces spéciales. Les forces spéciales étant plus engagées que les forces conventionnelles et dans toutes les formes de combat, ressentent avant les autres forces les futurs besoins en équipements. Malheureusement, les comptes rendus des études de la CIEPCOS restent souvent sans suite.

4. Des frontières floues aussi bien avec les opérations conventionnelles qu'avec les opérations clandestines

63. Le COS définit volontiers ses missions de façon négative, en disant qu'elles ne sont ni conventionnelles ni clandestines. En réalité, les zones de recouvrement sont nombreuses .

64. Avec les missions conventionnelles : le recrutement et l'entraînement des unités d'élite parachutistes ou légionnaires, diffèrent peu de ceux des forces spéciales et leur valeur militaire est équivalente. Par ailleurs, l'apparition des groupements commandos parachutistes (GCP) au sein de la 11 ème brigade parachutiste, et des groupements commandos de montagne à la 27 ème brigade alpine ont fait apparaître des créneaux d'emploi similaires dans le haut du spectre des forces conventionnelles. Par le passé les forces spéciales ont été engagées de façon inappropriée dans des opérations tactiques. Ainsi, au début de l'opération ARES, en Afghanistan, la présence des forces spéciales avait pour but de témoigner de l'engagement de la France aux côtés des Etats-Unis, tout en profitant de leur capacité à agir en autonomie loin de toute base de soutien.

65. Avec les missions clandestines : toutes les personnes auditionnées ont insisté sur la nécessité de ne pas confondre les activités des forces spéciales qui sont revendicables et le fait de militaires agissant sous leur propre identité et bénéficiant de ce fait des conventions de Vienne quand bien même ils seraient en tenue civile et, d'autre part, les actions clandestines menées sous fausse identité, démarquées de l'Etat français, c'est-à-dire non traçables et non revendicables, et qui sont le monopole de la DGSE. Cette attitude qui remonte aux origines du COS tient sans doute au souci de ne pas voir l'armée impliquée dans des affaires du type Rainbow Warrior (1985) qui a hanté pendant longtemps les pouvoirs publics. Mais si on y regarde de près, les frontières entre les deux types d'opérations sont encore plus floues que dans le cas précédent. Cela est particulièrement frappant dans le domaine de l'action. L'origine, le recrutement et l'entraînement, sauf dans quelques domaines spécifiques, sont les mêmes. Tous les opérateurs sont des commandos. Les nageurs de combat de la DGSE sont formés et brevetés à la même école que ceux du commando Hubert et font les mêmes gestes techniques que ceux-ci. Si l'emploi est différent, le métier est proche.

66. Avec les opérations des forces intérieures de sécurité . Bien que les recouvrements soient ici bien moindres que dans les deux cas précédents, on relève néanmoins la grande proximité de certaines missions, telles que la libération d'otages ou la surveillance de personnalités, même si le cadre juridique et le contexte opérationnel (environnement hostile) sont fondamentalement différents.

5. Des moyens à la stricte limite de la suffisance

67. Les éléments d'appréciation qui suivent sont pour partie tirés des éléments non classifiés d'un rapport de la Cour des comptes du 24 juin 2008 sur les forces spéciales et pour partie des déplacements effectués par vos rapporteurs.

68. S'agissant des moyens humains les forces spéciales sont en sous effectifs chroniques depuis 2008. Le déficit par rapport à l'effectif théorique est actuellement de 177 personnels .

69. De plus, la Cour des comptes relevait, déjà en 2008, que les temps en opérations extérieures des forces spéciales étaient très supérieurs à ceux des forces conventionnelles. Cette situation n'a pas changé.

70. Concernant les équipements, on relèvera les points suivants.

71. S'agissant des hélicoptères du 4ème RHFS , leur mission est de fournir l'appui aéromobile aux commandos des forces spéciales en tout temps et en tous lieux. Le 4 ème RHFS dispose pour ce faire de 8 hélicoptères légers Gazelle (1970), de 8 hélicoptères de manoeuvre Cougar (1990), de 10 hélicoptères Caracal (dont les 2 de l'armée de l'air) et d'une escadrille de 4 hélicoptères de combat Tigre HAP. Hormis les hélicoptères Tigre et Caracal, les hélicoptères Gazelle et Cougar sont des appareils vieillissants dont la faible disponibilité entraîne la diminution des heures de vol par pilote. Par ailleurs l'éloignement avec les commandos marine et le CPA 10 rend difficiles les entraînements communs. Enfin, l'absence de capacité d'hélicoptères lourds pèse sur la conception même de nos opérations spéciales.

72. Concernant les avions , l'escadron Poitou comprend 2 C130 Hercules et 3 C160 Transall, qui sont là aussi des appareils vieillissants et en bout de course. Deux DCHC6 Twin Otter - qui sont des avions de petite taille par rapport aux précédents - ont également été acquis. Ils sont servis par dix équipages spécialisés dans le poser d'assaut, particulièrement de nuit, et dans toutes les missions de forces spéciales. Le remplacement des avions actuels par des A400M devrait se faire progressivement. La capacité d'emport et l'allonge de l'A400M seront des atouts pour le COS : la rapidité d'exécution, la capacité de mener une opération directement depuis la métropole (empreinte minimale sur le terrain). Néanmoins, il semblerait qu'il ne soit pas en mesure d'effectuer des ravitaillements en vol d'hélicoptères, contrairement aux spécifications de l'appareil, ce qui pourrait nuire à la capacité d'élongation des forces spéciales. Sauf à ce qu'une adaptation de l'appareil aboutisse, la modification d'Hercules C 130 de l'armée de l'air française pourrait être envisagée.

73. Concernant les commandos marine , les difficultés ne semblent pas importantes, à l'exception du commando Hubert, pour qui l'acquisition de nouveaux moyens sous-marins du type des propulseurs sous-marins de deuxième génération (PSM 3G) et le renouvellement de la flotte des tracteurs sous-marins ou diver propulser device (DPD) semblent tarder.

74. Pour ce qui est de la mobilité terrestre , les forces spéciales utilisent deux types de véhicules : le VLRA, véhicule léger de reconnaissance et d'appui et le VPS véhicule de patrouille SAS. Les VPS (châssis Panhard et moteur Mercedes ) ont été acquis en urgence opérationnelle en 2005 pour pallier les faiblesses des P4. Ils ont été livrés en 2007 et ont donné satisfaction. Mais l'usure a été très rapide compte tenu des conditions d'utilisation, d'autant que leur quantité était très réduite (45 véhicules plus 5 marine). En outre, le soutien s'est avéré calamiteux. Le VLRA produit (constructions ACMAT ) a lui aussi fait l'objet d'une usure prononcée. Sa fin du service est prévue pour 2018. Ces équipements sont à bout de souffle et doivent être remplacés. Ils font l'objet d'un programme à effet majeur qui devrait déboucher en 2017. Mais d'ici là le risque de rupture capacitaire est avéré.

75. L'équipement individuel des opérateurs est d'un niveau satisfaisant. Toutefois, vos rapporteurs ont fait le constat de l'insuffisance, voire de l'obsolescence des équipements optroniques. De nombreux opérateurs achètent leur propre matériel. Il est en particulier regrettable que tous les opérateurs des forces spéciales ne disposent pas de jumelles de vision nocturne de dernière génération (JVN) équipement indispensable.

76. Les transmissions des forces spéciales passent par les réseaux des trois armées et utilisent pour l'essentiel les matériels en usage dans celles-ci. On notera que les liaisons tactiques des forces spéciales passent par des matériels d'origine américaine.

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