III. UNE « RÉVOLUTION BLANCHE » À CONCRÉTISER DANS UN PAYS EN QUÊTE D'IDENTITÉ
A. L'ESSOUFFLEMENT DU « PRINTEMPS ARABE »
Le « printemps arabe » s'est traduit en Jordanie par un mouvement de contestation populaire politique et sociale généralement pacifique, le hirak . Lancé le 14 janvier 2011, il s'agit d'un mouvement décentralisé, composé pour l'essentiel de Transjordaniens. Il dénonce la détérioration des conditions de vie liée à l'inflation - passée de 1,5 à 6,1 % sur un an - et la corruption. L'appel à manifester lancé le 28 janvier 2011 par les Frères musulmans, la principale formation d'opposition, composée en majorité de Jordaniens d'origine palestinienne, a contribué à politiser un peu plus la contestation. La personne du Roi et la monarchie ont ainsi été les cibles de certains manifestants. Sept formations politiques, pour l'essentiel de gauche ou nationalistes, réunies au sein du Front national de la réforme, ont demandé une réforme institutionnelle prévoyant la désignation du Premier ministre par la Chambre des députés et non plus par le Roi.
Ces manifestations ont débouché sur la démission du chef du gouvernement, Samir Rifaï, et la nomination par Abdallah II de Maarouf al-Bakhit. La Constitution a été révisée en septembre 2011. Cette modification renforce les pouvoirs du Parlement, étend les prérogatives de l'autorité judiciaire et crée une Cour constitutionnelle. La loi électorale a, quant à elle, été amendée en juillet 2012. L'adaptation des lois existantes à la nouvelle Constitution n'est, toutefois, pas terminée, un délai de trois ans ayant été introduit lors de la promulgation du texte.
Même si les manifestations n'ont jamais été massives à l'inverse des mouvements observés au sein d'autres pays arabes, en réunissant tout au plus une dizaine de milliers de personnes, le mouvement ne s'est jamais pour autant totalement arrêté. Des mouvements de plus ou moins grande intensité ont ainsi été organisés en novembre 2012 contre la suppression de l'encadrement des prix de l'essence.
Il n'en demeure pas moins que le hirak semble aujourd'hui un mouvement essentiellement présent sur les réseaux sociaux alors que les Frères musulmans ont boycotté les élections législatives de janvier 2013 puis les municipales du mois d'août suivant. La proximité de la guerre civile syrienne, matérialisée par l'afflux de réfugiés syriens dans le pays, et les réserves de l'opinion publique à l'égard de l'islam politique ont favorisé cet essoufflement du « printemps arabe » dans le pays. Les pressions subies par les manifestants - arrestations, déferrement devant la Cour de justice militaire - ont également contribué à affaiblir la contestation.
1. Les élections législatives de janvier 2013 et leurs conséquences
C'est dans ce contexte que se sont déroulées les élections législatives le 23 janvier 2013. Celles-ci font suite à la dissolution de la Chambre des députés par le Roi le 4 octobre 2012 et la désignation d'un nouveau Premier ministre, M. Abdallah el-Nsour. Il s'agit du quatrième chef du gouvernement nommé depuis février 2011.
Les élections législatives ont été observées par une mission de l'Union européenne. Celle-ci a relevé le caractère « globalement transparent » du déroulement des élections. Reste que le mode de scrutin mis en place par la réforme électorale de juillet 2012 n'a pas permis une véritable recomposition politique. Le projet de réforme avait d'ailleurs été vivement contesté en avril 2012, conduisant le Premier ministre Aoun Khassawneh, nommé en octobre 2011, à la démission. Dans un système où la proportionnelle ne concerne que 27 sièges sur 150, le découpage des circonscriptions tend à renforcer à la fois le poids des zones rurales et des notables, pas forcément liés à un parti, mais aussi la présence des Transjordaniens, au détriment des Jordaniens d'origine palestinienne.
Ce mode de scrutin limite de fait l'écho des partis, dont la représentation n'est finalement acquise que par l'intermédiaire des 27 sièges élus à la proportionnelle. 15 sièges sont par ailleurs réservés aux femmes. De fait, si la loi permet l'expression politique et la création de partis, elle ne permet pas réellement leur accès au Parlement. La Commission européenne a d'ailleurs indiqué en 2012 la nécessité de revoir les dispositions de la loi électorale dans son rapport de progrès. Il convient de rappeler que les candidats ou les listes n'ont bénéficié d'aucun financement public. En outre, la loi ne prévoit aucun plafond de dépense. Les candidats sont simplement obligatoirement tenus de déclarer leurs sources de financement. « L'argent politique », selon la formule utilisée au sein des médias jordaniens, est donc une des clés pour analyser le scrutin.
Au terme du scrutin, la Chambre est composée en majorité de députés dits « loyalistes », sans affiliation partisane. La force politique de l'opposition la plus structurée, les Frères musulmans ne sont, quant à eux, pas représentés suite à leur appel au boycott du scrutin. Le taux de participation, 56,7 %, en hausse par rapport aux élections de 2010, traduit l'échec de cette stratégie. Le scrutin a renforcé le poids du courant conservateur, dominé par les Transjordaniens et proche de la droite nationaliste jordanienne, appelant à la défense de l'identité du pays face aux Palestiniens ou aux Frères musulmans. La percée du parti du centre islamique aux élections et la mise en place d'un bloc parlementaire de 18 députés reste celle d'une formation considérée comme proche du pouvoir, incarnant une alternative aux Frères musulmans au sein de l'Islam politique. Les autres formations nationales sont quant à elle plus éclatées, qu'il s'agisse de la liste palestino-transjordanienne « Patrie » de MM. Atef Tarawaneh et Khalil Attieh, de « Citoyenneté » d'Hazem Qashou, d'origine palestinienne et qui milite pour la transmission de la nationalité par les femmes. La liste des partis panarabistes de gauche « Renaissance démocratique », qui regroupait quatre formations composant le Front national pour la réforme n'a, quant à elle, obtenu aucun siège comme celle des Fils de laboureurs, nationaliste transjordanienne de gauche, issue du mouvement populaire hirak .
Le Premier ministre Abdallah el-Nsour a
été reconduit par le Roi après les élections
législatives, au terme d'une consultation du Parlement, la
première dans l'histoire institutionnelle du Royaume.
Si les
députés ont également été consultés
par le Premier ministre sur sa composition, le gouvernement actuel, issu des
élections législatives et remanié en août, est en
premier lieu composé de fidèles du monarque.
L'équipe gouvernementale demeure un cabinet de technocrates, les
nominations en son sein n'ayant pas réellement de portée
politique. Aucun parlementaire n'a ainsi été appelé
à l'occasion du dernier remaniement. La Cour semble de fait se
méfier d'un Parlement sur lequel elle dispose de moins d'emprise et qui
apparaît plus sensible aux revendications de la rue (manifestations en
novembre 2012 contre l'augmentation des prix de l'énergie) qu'au
discours du Roi.
La contestation, parfois violente, de l'augmentation
des prix des hydrocarbures au sein de la Chambre basse a démontré
une certaine résistance des parlementaires face aux décisions les
plus difficiles, 90 députés ont ainsi signé une
pétition contre le projet gouvernemental. Il convient de relever
que la méfiance à l'égard du Parlement s'est traduite par
deux dissolutions successives ces dernières années. Sa
crédibilité est également sujette à caution au
regard des manifestations de violence qui s'y déroulent : des coups
de feu ont ainsi eu lieu en mars et septembre 2013 entre députés.
Si des blocs parlementaires
- équivalent des groupes
politiques - ont pu se mettre en place au sein du Parlement, leur mode de
fonctionnement ne traduit pas la poursuite d'objectifs communs : aucune
consigne de vote n'est donnée et leurs membres se divisent
régulièrement au moment des votes, comme en a
témoigné celui sur le budget.
Les nominations au sein du Sénat le 25 octobre 2013 et aux présidences des deux chambres ont confirmé ce manque d'ouverture. Le président de la Chambre haute, Abd el-Raouf el-Rawabdeh, ancien Premier ministre, Transjordanien est réputé plus conservateur que son prédécesseur Taher el-Masri, Jordanien d'origine palestinienne, présenté comme un réformiste de l'intérieur. Le Conseil a été profondément renouvelé, seuls 12 membres étant maintenus en fonction. 4 anciens Premiers ministres et 43 ministres en sont désormais membres. Aucun Sénateur n'est issu du camp islamiste alors que trois sont proches de la gauche. Le nouveau président de la Chambre des députés, Atef el-Tarawneh, Transjordanien lui aussi, est issu du même clan tribal que le Chef de la Cour royale.
La bonne participation au scrutin de janvier 2013 n'a pas été confirmée à l'occasion des élections municipales organisées le 27 août 2013 . La participation s'est avérée en effet très faible à Amman (10,8 %) comme en province (31,8 %). Ce scrutin, également boycotté par les Frères musulmans, visait à élire conseillers municipaux (970 au total) et maires de 100 municipalités à travers le pays. 7 nouvelles municipalités ont été créées pour l'occasion, la réduction de leur nombre de 328 à 93 en 2001 avait en effet provoqué des émeutes dix ans plus tard, entraînant le report du scrutin. Le quota de femmes a, de son côté, été porté de 20 à 25 % parmi les conseillers municipaux. Le cas d'Amman reste, de son côté, particulier, puisque seuls 2/3 des membres du conseil municipal ont été élus (50 % auparavant), les autres membres et le maire étant nommés par le gouvernement.
2. Les difficultés de l'opposition
Les partis leaders de la contestation en 2011 apparaissent aujourd'hui affaiblis, divisés sur la question syrienne ou fragilisés par les événements en Égypte . La guerre civile en Syrie, qui a agi comme repoussoir au sein de la population, a scindé le Front national pour la réforme entre soutiens au régime de Damas et partisans de la rébellion. Les Frères musulmans semblent, dans le même temps, touchés par la répression de leur mouvement en Égypte et les critiques dont ils font l'objet tant au sein de l'opinion publique que des médias. La confrérie est aujourd'hui divisée entre Transjordaniens, favorables à un rapprochement vers les partis d'opposition non-islamiste, et réunis depuis novembre 2012 au sein de l'Initiative Zamzam et Jordaniens d'origine palestinienne, plus rigoristes. Les promoteurs de cette initiative ont été présentés devant le tribunal interne du mouvement en vue d'une suspension, voire d'une exclusion.
Officiellement lancée en octobre 2013, l'Initiative centre son discours sur trois fondamentaux : la religion, la réconciliation et la Jordanie. Conçue comme un forum politique, cette nouvelle organisation souhaite travailler avec tous les partenaires possibles en vue de faire avancer un certain nombre de projets concrets de développement, qu'il s'agisse de l'adduction d'eau ou des énergies renouvelables. Elle pourrait ainsi travailler avec le gouvernement, la Cour royale ou le service de renseignements et de sécurité (GID). Au plan institutionnel, ses promoteurs militent pour un renforcement de la séparation des pouvoirs, la formation d'un « gouvernement parlementaire », le contrôle des finances de l'État, y compris la Cour royale, une garantie des droits civils et politiques et l'adoption d'une nouvelle loi électorale prévoyant que 30 % des sièges soient pourvus au scrutin de liste (les autres formations politiques réclament que 50 % des sièges soient ainsi pourvus). Le mouvement entend par ailleurs renforcer la citoyenneté jordanienne en insistant sur la mise en place d'un État civil et condamne l'idée d'une Jordanie terre de substitution pour les Palestiniens. En plaçant ainsi la Jordanie au centre de son discours politique, l'Initiative Zamzam s'écarte un peu plus des Frères musulmans plus enclins à faire de la question palestinienne le noeud gordien de toute politique. Refusant l'étiquette de parti politique, l'Initiative Zamzam est ouverte aux syndicalistes, universitaires ou représentants des tribus, sans que ceux-ci ne soit forcément proches des Islamistes. Deux anciens Premiers ministres, MM. Abderaouf al Rawabdeh et Maarouf al Bahkit, peu suspects de complaisance avec l'Islam politique, ont ainsi participé au lancement de l'Initiative Zamzam , au risque que celle-ci soit accusée d'être téléguidée par la Cour.
Cette absence de réelle opposition politique ne saurait occulter la permanence d'une contestation économique et sociale de la part des classes modestes et moyennes, fragilisées par le retournement de la conjoncture. Les revendications en faveur d'une plus grande justice sociale sont doublées d'une dénonciation de la corruption. Les observateurs estiment de fait que le pays traverse une véritable « crise de confiance ».
3. Le système national d'intégrité : une nouvelle ambition démocratique pour le pays ?
a) Un projet ambitieux...
Le discours du Trône, prononcé le 5 novembre 2013, a insisté sur l'ambition du Royaume de devenir un modèle de réforme à l'échelle régionale. Ce qui passe notamment par la mise en place d'un « gouvernement parlementaire », facilitée par une révision des lois sur les partis politiques et les élections.
C'est dans ce cadre que le Roi a lancé en décembre 2013 le « système national d'intégrité » destiné à renforcer la liberté d'expression, l'indépendance de la justice, la transparence des décisions publiques et la lutte contre la corruption. Il s'agit de rendre concrète « la révolution blanche » voulue par le monarque. Un comité de l'Intégrité, nommé par le Roi, avait déjà été installé un an plus tôt. Présidé par le Premier ministre et composé de onze membres (dont le président du Sénat, le président du Conseil judiciaire, le ministre du développement du secteur public, d'anciens ministres et parlementaires). Un comité d'évaluation des privatisations avait, dans le même temps, été installé. Ces deux organismes ont procédé à une série d'auditions qui ont débouché sur la présentation du « système d'intégrité ». Celui s'articule autour de deux composantes :
- La charte de l'intégrité qui précise les piliers de l'intégrité : État de droit, participation des citoyens à la prise de décision, liberté d'expression et d'opinion. Ces valeurs sont déclinées au sein de chacun des pouvoirs. La transparence de la prise de décision et des achats publics, la méritocratie, l'efficacité des services publics, la lutte contre l'évasion fiscale et le renforcement des agences de contrôle font ainsi figure de priorité en ce qui concerne l'exécutif. Des élections justes et transparentes, organisées en application d'une loi électorale inclusive et équilibrée, permettant de mieux représenter la société, sont également souhaitées. Les partis politiques sont également appelés à présenter des programmes et à agir sans liens avec les agences d'États ou les pays voisins. L'indépendance de la justice est réaffirmée, la bonne application de la loi et la formation des juges constituant les bases de l'exercice de celle-ci. Les médias doivent, quant à eux, être libres, indépendants mais aussi responsables puisqu'en charge de véhiculer le respect de la vérité, les valeurs authentiques et la dignité humaine.
- Un plan de mise en oeuvre, décliné en vingt chapitres, et qui prévoit différents types de mesures : lois, renforcement des organismes de contrôle ou révision des programmes scolaires. Un responsable et un délai d'exécution sont précisés dans chacun des domaines.
b) ... mais qui ne constitue pas une réelle avancée
Un doute subsiste sur la portée de ce nouveau projet. L'initiative « La Jordanie d'abord » lancée en 2002, l'Agenda national pour 2007-2017 mis en place en 2005, ou le comité de dialogue national créé en 2011 n'ont, en effet, pas débouché sur des résultats réellement tangibles en matière de lutte contre la corruption notamment. Le « gouvernement parlementaire » appelé de ses voeux par le Roi peut, en outre, susciter un certain scepticisme. Le discours du Trône de février 2013 insistait déjà sur la nécessité de mettre en place un gouvernement parlementaire, quelques semaines avant que le Roi ne privilégie une formation technocratique.
La société civile se montre très réservée sur l'ambition affichée. S'il semble en effet incontestable que des progrès aient pu être enregistrés, notamment depuis le début du « printemps arabe », il convient de s'interroger sur leur mise en pratique. La révision de la Constitution est ainsi comparée par certains observateurs à une réforme en trompe l'oeil, obtenue sous la pression à la fois interne et externe. Elle ne débouche pas sur une réelle démocratisation du pays et ne traduit en aucune manière une véritable stratégie en la matière. La gestion des affaires publiques, dans un contexte marqué par la guerre civile en Syrie, reste l'apanage des services de sécurité et de la Cour royale, le rôle du gouvernement et du Parlement demeurant, selon certaines organisations non gouvernementales, purement cosmétique. L'absence de transparence dans la prise de décision est ainsi régulièrement dénoncée. Les documents de dialogue avec les institutions internationales, qu'il s'agisse du Fonds monétaire internationale ou de l'Union européenne, ne sont ainsi pas accessibles aux non-anglophones.
La question des droits des femmes - les réformes annoncées ne sont toujours pas intégrées dans le droit -, celle de la réforme de la justice - permanence de cours spéciales et notamment celle de la sûreté de l'État - ou de la lutte contre l'impunité en matière de torture et de mauvais traitements demeurent pendantes. La Jordanie n'a toujours pas ratifié la convention des Nations unies contre la torture, l'Union européenne l'invitant à le faire. En outre, 11 000 à 12 000 personnes seraient actuellement placées en détention administrative selon les associations de défense des droits de l'Homme. Les femmes menacées de violence seraient également emprisonnées faute de pouvoir assurer leur sécurité. Le véritable progrès concerne la peine de mort. Si 16 personnes ont été condamnées à mort en 2013, aucune exécution n'a eu lieu depuis 2006. Quelques parlementaires militent pour sa suppression, appuyés par l'Union européenne qui en fait une priorité dans son rapport de progrès 2012.
Ce décalage entre les annonces et la réalité de la démocratisation est particulièrement éloquent dans le cas de la presse. Si de nombreux observateurs reconnaissent une véritable libération de la parole visant notamment le régime mais aussi la famille du Roi, les appels du Roi et du gouvernement à un comportement responsable des journalistes ont trouvé un aboutissement dans la modification de la loi sur la presse et les publications adoptée en septembre 2012 et mise en oeuvre à compter du 1 er juin 2013. Le texte amendé permet notamment le blocage des sites d'information en ligne qui n'auraient pas déposé au préalable une demande d'autorisation de publication. Si, en dépit de leurs protestations initiales, 140 sites ont accepté de se soumettre à cette obligation, 267 ont été bloqués, quand bien même un certain nombre d'entre eux étaient inactifs. Les propriétaires des sites sont par ailleurs responsables des commentaires postés par les internautes. L'ONG Freedom house estime à ce titre que l'internet jordanien n'est que partiellement libre.
Au-delà de cette procédure administrative, il convient de relever les pressions exercées sur les journalistes, pouvant aller jusqu'aux violences policières - 20 journalistes couvrant une manifestation à Amman en juillet 2011 ont ainsi fait l'objet d'un assaut des forces de police - et au déferrement devant la Cour de sûreté de l'État. La Commission européenne a d'ailleurs demandé l'annulation de cette procédure dans son rapport de progrès 2012. Le Code pénal jordanien encadre par ailleurs sévèrement les conditions d'exercice des journalistes puisqu'il les expose à des poursuites judiciaires si leurs articles critiquent le Roi (article 195) ou un pays étranger partenaire de la Jordanie (article 118/2) ou appellent à de profonds changements au sein du système politique (article 122). Deux journalistes du site internet Jafranews ont ainsi été arrêtés le 17 septembre 2013, jugés par la Cour de sûreté de l'État et détenus plus de 100 jours pour avoir publié une vidéo montrant un frère de l'Émir du Qatar en galante compagnie. La justice a dans un premier temps estimé que cette publication constituait une « atteinte aux relations de la Jordanie avec un État frère » tout en insistant sur la « diffusion d'informations mensongères ». La Cour de cassation a finalement autorisé leur libération sous caution à la fin du mois de décembre 2013.
Plus largement, Reporters sans frontières relève que le « printemps arabe » et la guerre civile en Syrie ont conduit le gouvernement à renforcer son contrôle sur les médias. La Jordanie occupe en conséquence le 141 ème rang sur 180 au classement 2014 de l'ONG.
À ces atteintes directes à la liberté d'expression font écho les difficultés financières rencontrées par un certain nombre d'organes de presse. Ceux-ci restent pour la plupart sous le contrôle de l'État, qu'il s'agisse du quotidien el-Doustour (La Constitution) détenu à 35 % par la Sécurité sociale jordanienne ou des journaux détenues par la Fondation de la presse, dont 66 % du capital appartient à l'État et qui détient el-Raï (L'Opinion, arabophone) et The Jordan Times (anglophone). Plus qu'un débat sur la liberté d'expression, les rédactions semblent minées dans ces journaux par des revendications d'ordre salarial. Le quotidien indépendant el-Arab el-Yawn (Les Arabes aujourd'hui) a, quant à lui, interrompu sa publication le 17 juillet 2013 avant de reparaître le 8 décembre 2013 avec un nouvelle formule, centrée sur les questions régionales, les effectifs étant divisés par dix. Aux problèmes financiers du journal s'est greffée une interrogation sur sa ligne éditoriale : un article critique à l'égard du Roi avait été en partie remis en question quelques jours plus tard par un éditorial plus favorable au monarque.
c) Repenser le soutien international et notamment européen ?
L'analogie avec la monarchie parlementaire mise en place au Maroc trouve de fait ses limites. L'obtention, à l'instar du Maroc, du statut avancé auprès de l'Union européenne, ne traduit pas le même degré de démocratisation. Il serait erroné d'assimiler les deux pays, quand bien même la Jordanie puisse représenter un exemple en la matière à l'est du Bassin méditerranéen, coincée entre les monarchies du Golfe persique et la Syrie.
L'appui international à la Jordanie se justifie de fait plus par des considérations ayant trait à la stabilité du pays qu'à son positionnement en matière de démocratie. Ce qui n'est pas sans susciter un certain nombre de critiques au sein de la société civile. Un certain nombre d'organisations non gouvernementales pointent l'écart entre les analyses plutôt optimistes de la Commission européenne sur le processus des réformes politiques et la réalité des avancées. Le cas des élections législatives de janvier 2013 apparaît à cet égard patent, les comptes rendus des missions d'observation américaine et européenne ne reflétant pas, selon elles, les conditions dans lesquelles se sont déroulées le scrutin.
Les organisations civiques s'interrogent, par conséquent sur les conditions de mises en oeuvre du principe « More for more » en Jordanie, qui lie l'augmentation des crédits accordés aux pays concernés par la politique de voisinage de l'Union européenne aux réformes démocratiques mises en oeuvre. La contrainte extérieure demeure pourtant aux yeux d'un certain nombre d'observateurs le biais le plus efficace pour accélérer la modernisation politique du pays alors que les mouvements de contestation s'essoufflent.
Reste que le spectre de la guerre civile en Syrie constitue pour l'heure la principale menace sur la poursuite du processus de démocratisation du pays. En dépit de critiques parfois vives, le Roi demeure la clé de voûte de la sécurité et de la stabilité de la Jordanie. Il permet de dépasser la fragmentation de la société jordanienne, divisée entre Transjordaniens et Jordaniens d'origine palestinienne, entre le nord et le sud du pays mais aussi entre les tribus qui le composent.
Les cas récents de l'Égypte et de la Tunisie pourraient néanmoins servir d'exemples pour permettre une relance du processus de démocratisation. En ce qui concerne le premier pays, la situation dans laquelle se trouvent les Frères musulmans devrait inciter leurs homologues jordaniens à agir sur la base du compromis avec le régime, à l'instar de ce qu'ont su faire d'ailleurs les représentants de cette tendance au Maroc et dernièrement en Tunisie.