C. INTÉGRER LES NOUVEAUX DÉFIS

Le littoral est un élément dynamique et en constante évolution, sous l'effet de divers phénomènes  marins (houles, marées, courants), climatologiques (précipitations, vents violents, gel) et anthropiques. Les événements récents (tempête Xynthia, inondations dans le Var) et une meilleure connaissance scientifique des impacts du changement climatique invitent à développer une nouvelle réflexion en matière d'aménagement du littoral pour mieux anticiper et prendre en compte les risques naturels. L'urbanisation du bord de mer n'est pas seulement une question de protection du paysage, mais également un enjeu de sécurité publique .

1. L'évolution du trait de côte

La politique de gestion du trait de côte a profondément évolué au cours des dernières années, passant d'une vision contrainte à une démarche plus environnementale, privilégiant l'anticipation, des interventions de défense contre la mer plus douces et une meilleure connaissance des systèmes naturels.

a) Une érosion du littoral à géométrie variable

L'érosion des côtes est un phénomène naturel que l'on observe partout dans le monde. En France, l'érosion touche le quart des côtes (soit 1 720 km) tandis que près de la moitié des côtes sont jugées stables (3 110 km). Le trait de côte évolue différemment selon la nature du site concerné :

- les côtes sableuses représentent deux tiers de l'ensemble des côtes érodées et reculent sur la moitié de leur linéaire (soit 1 150 km) ;

- les côtes rocheuses sont généralement plus résistantes : un cinquième de leur linéaire s'érode, principalement les roches sédimentaires comme les falaises calcaires ;

- les côtes vaseuses (vasières, estuaires et marais maritimes) progressent dans les deux tiers des cas (soit 370 km).

En conséquence, la part du littoral naturel en recul est très variable sur le littoral métropolitain : elle est faible (<10 %) en Corse et en Ille-et-Vilaine ; elle est par contre très forte (>70 %) dans le Pas-de-Calais, en Seine-Maritime, dans le Calvados et dans le Gard.

L'érosion du littoral peut également être accentuée par les activités humaines : aménagements sur les rivières bloquant l'apport de sédiments continentaux, constructions sur le littoral limitant les courants et les flux solides, extraction de granulats. En particulier, la plupart des aménagements côtiers réalisés par le passé pour lutter contre l'érosion (digues, épis rocheux) ont eu des effets contreproductifs . Les déséquilibres du transport sédimentaire qu'ils induisent accentuent parfois l'érosion et augmentent la vulnérabilité des territoires aux risques littoraux.

b) Le recul stratégique des activités menacées

Pour anticiper l'impact de l'érosion sur les populations et les biens, le Grenelle de la Mer a recommandé d'approfondir une option jusqu'à présent peu mise en oeuvre en France : l'organisation du recul stratégique des activités implantées en bordure de rivage.

La loi Littoral peut constituer un obstacle à la mise en oeuvre de cette stratégie. Ainsi, le principe d'extension limitée est susceptible d'empêcher la relocalisation dans les espaces proches du rivage de certaines constructions directement menacées par le risque d'érosion. Or il s'agit parfois de bâtiments commerciaux dont l'activité est directement liée à la proximité de l'eau : leur relocalisation dans l'arrière-pays n'est pas compatible avec la poursuite de l'activité économique.

Selon l'ampleur du phénomène, l'introduction d'une disposition dérogatoire à l'article L. 146-4 pourrait être envisagée, afin de lever temporairement les contraintes de la loi Littoral pour les opérations de recul stratégique . En plus de nécessaires garde-fous procéduraux, plusieurs principes devraient être respectés pour éviter tout détournement :

- le régime ne concernerait qu'une opération d'aménagement globale visant à transférer au maximum la surface des constructions menacées : en aucun cas des constructions individuelles ne pourraient en bénéficier ;

- la destination des bâtiments devrait être rigoureusement identique : il ne s'agit pas d'en profiter pour transformer des petits commerces en hôtels de luxe ou villas somptueuses ;

- les nouvelles constructions ne devraient elles-mêmes pas être vulnérables au regard des risques prévisibles.

Mais un statut pour la zone libérée devra être préalablement trouvé . Elle pourrait être déclarée totalement inconstructible en raison de sa vulnérabilité. Des précisions devront cependant être apportées sur les modalités du transfert de propriété (au Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres pour un euro symbolique par exemple), le changement de destination ou le financement des opérations de destruction et de renaturation du site.

Pour le moment, vos rapporteurs préconisent de s'en tenir à la mise en oeuvre d'une démarche itérative d'expérimentation et d'ajustement . Dans le cadre de la stratégie nationale de gestion intégrée du trait de côte, le ministère de l'écologie, du développement durable et de l'énergie (MEDDE) a lancé, en décembre 2012, un appel à projets sur la relocalisation des activités dans les territoires fortement menacés par les risques littoraux d'un montant de 600 000 € sur deux ans. Son objectif est d'encourager, dans les collectivités locales intéressées, la mise en oeuvre de démarches pilotes de relocalisation des activités et des biens.

Cinq projets ont été retenus pour leur pertinence et leur engagement avec les différents partenaires locaux. Sur la base des enseignements de ces projets, un guide national sera élaboré proposant des éléments méthodologiques et de doctrine concernant la mise en oeuvre de la relocalisation des activités et des biens .

LES CINQ TERRITOIRES RETENUS DANS L'APPEL À PROJETS SUR LA RELOCALISATION DES ACTIVITÉS

- Le site de Vias porté par les communes de Vias, Portiragnes, et la communauté d'agglomération Hérault Méditerranée.

Le projet concerne un site occupé par de l'habitat en majorité précaire et des campings. Il est soumis à des aléas importants d'érosion, de submersion et d'inondation. Il s'agit d'un projet de recomposition spatiale et de valorisation du littoral fondé sur un projet de co-construction avec la population, parallèlement à un important programme de gestion raisonnée du littoral en cours d'élaboration.

- Le site d'Ault porté par la commune et le syndicat mixte Baie de Somme - Grand littoral Picard.

Le projet se situe à la rencontre entre la baie de Somme poldérisée et les falaises monumentales de la Picardie, en continuité de celles du pays Cauchois. Face à l'aléa inévitable d'un recul de 30 à 70 cm par an, après de grandes opérations de lutte contre la mer, la collectivité décide d'inscrire la démarche de relocalisation des biens affectés dans la dynamique urbaine en cours : programme d'actions de prévention des inondations (PAPI) validé, élaboration d'un PLU et d'un SCoT en cours, zone d'aménagement concerté (ZAC) approuvée, démolition du casino menacé, requalification du centre bourg.

- Le site de la plaine du Ceinturon porté par la ville de Hyères dans le département du Var.

Le projet concerne principalement la relocalisation d'une route littorale en front d'une plaine alluviale constituée d'emprises diverses inondables (aéroport, lotissements, zones d'activités, terrains agricoles...). Ce territoire emblématique comprend des enjeux environnementaux s'avérant particulièrement importants.

- Trois sites portés par le groupement d'intérêt public (GIP) Littoral Aquitain avec les communes de Lacanau, la Teste-de-Buch et Labenne.

Le GIP a mobilisé pour la mise en oeuvre de la gestion du trait de côte sur tout le littoral Aquitain une démarche particulière « pilote » avec une méthode spécifique qu'il souhaite appliquer dans le cadre de l'appel à projets sur trois sites aux problématiques diverses et dont la réflexion se positionne délibérément sur une anticipation du phénomène de l'érosion dunaire : anticipation urbaine pour Lacanau, aménagement paysager et touristique pour la Teste-de-Buch, et adaptation d'un plan plage MIACA (Mission d'Aménagement de la Côte Aquitaine) pour Labenne.

- Les sites de Bovis et de Pointe-à-Bacchus portés par la ville de Petit-Bourg en Guadeloupe, avec la Communauté d'Agglomération Nord Basse Terre et l'agence des 50 pas géométriques.

Ces côtes littorales à petites falaises sont soumises à de nombreux aléas, importants et immédiats ; elles connaissent également une occupation par de l'habitat divers. Le projet de relocalisation devra articuler l'ensemble des actions de la municipalité en cours, comme le projet de recomposition urbaine (PRU) qui tente la densification des quartiers à proximité du centre-bourg.

Source : MEDDE

A l'occasion de l'élaboration du guide national, vos rapporteurs souhaitent que soient exhaustivement énumérées les difficultés posées par la loi Littoral pour la relocalisation des activités dans les cinq territoires concernés , afin de mieux évaluer l'intérêt et l'impact d'une modification législative. Ces expérimentations sont également l'occasion de développer des stratégies multirisques, pour mieux articuler la gestion des risques d'érosion et de submersion.

2. Les submersions marines

Les submersions marines sont des inondations temporaires de la zone côtière par les eaux d'origine marine. Leur origine est liée à une élévation temporaire du niveau de la mer et à son état d'agitation. Étant données les conséquences prévisibles de la hausse du niveau des mers liée au réchauffement climatique, il est nécessaire de prendre conscience de la montée en charge de cette nouvelle réalité de la politique d'aménagement du littoral.

À terme, la prévention des risques naturels liés aux submersions marines pourrait légitimement figurer au rang des objectifs énoncés au 2° de l'article L. 321-1 du code de l'environnement , au même titre que la protection des équilibres biologiques et écologiques, la lutte contre l'érosion, ou la préservation des sites et paysages et du patrimoine.

Un dispositif contraignant pourrait également être mis en oeuvre :

- en intégrant le risque de submersion marine dans la détermination de la capacité d'accueil ;

- en imposant une obligation pour les SCoT et les PLU d'interdire toute urbanisation nouvelle dans les espaces soumis à un risque d'inondation, sous réserve d'exceptions pour les activités économiques et services publics exigeant la proximité immédiate de l'eau.

Sans nier l'impératif de protection et de sécurité des populations, vos rapporteurs souhaitent éviter toute interprétation maximaliste du principe de précaution . Dans le contexte actuel, des dispositions trop contraignantes seraient en effet contreproductives :

- une nouvelle réglementation ajouterait de la complexité, alors qu'il suffirait que toutes les prescriptions des plans de prévention des risques littoraux (PPRL) soient effectivement appliquées ;

- l'ajout d'un objectif de prévention des risques d'inondation ne manquerait pas d'ouvrir une brèche supplémentaire de contentieux qui pèserait encore davantage sur l'urbanisme littoral.

Ainsi, il serait préférable de privilégier une approche progressive et volontaire, en proposant d'abord aux communes qui le souhaitent, de se donner les moyens d'une démarche de prévention efficace.

a) L'extension de la bande des 100 mètres

La loi Littoral n'aborde la question des submersions marines que de manière indirecte, à travers le prisme de l'érosion des côtes. L'article L. 146-4-III prévoit en effet que « le PLU peut étendre la largeur de la bande littorale au-delà de 100 mètres, lorsque des motifs liés à la sensibilité des milieux ou à l'érosion des côtes le justifient ».

Cette possibilité est certes inexploitée. Néanmoins, pour ne pas fermer la porte à une collectivité qui souhaiterait prendre des mesures spécifiques de prévention, vos rapporteurs préconisent d' ajouter un troisième motif d'extension de la bande littorale, pour les risques naturels liés aux submersions marines .

b) L'opposabilité des modèles numériques de terrain

Les cartes de submersibilité servant de référence pour l'élaboration des zonages sont parfois insatisfaisantes sur le plan méthodologique, de l'aveu-même de certaines DDTM qui les utilisent. Elles s'appuient sur des données peu précises et des règles arbitraires du type « maximum des marées centennales + 50 cm de protection supplémentaire » au fondement scientifique discutable. Elles ne distinguent pas non plus les côtes rocheuses des côtes sablonneuses, alors que le sable ralentit nettement la vitesse de pénétration des eaux. Ces cartes conduisent ainsi à prendre des précautions excessives : en appliquant de telles règles aux Pays-Bas, une grande partie de leur territoire ne pourrait plus être urbanisée.

Par conséquent, vos rapporteurs recommandent de généraliser progressivement l'utilisation de modèles numériques de terrain . Combinées à des études dynamiques prenant en compte la profondeur de pénétration des eaux, les cartes altimétriques établies par laser aéroporté (LIDAR) offrent une précision scientifique non contestable. Par rapport aux règles administratives actuelles, leur utilisation pourrait conduire à desserrer certaines contraintes d'urbanisme liées à la prévention du risque de submersion, dont le cumul avec la loi Littoral est régulièrement dénoncé par les élus locaux, en particulier dans le département de la Manche.

LE PROGRAMME LITTO3D

Développé conjointement par l'Institut géographique national (IGN) et le Service hydrographique et océanographique de la marine (SHOM), ce programme vise à produire un référentiel altimétrique continu terre-mer sur la frange littorale.

La mesure des levés est effectuée à l'aide d'un laser aéroporté , topographique pour la partie terrestre et bathymétrique pour la partie maritime, et éventuellement complétée par un sondeur multifaisceaux embarqué à bord de navires pour les zones inaccessibles au laser bathymétrique (eaux trop profondes ou turbides).

Le programme Litto3D est déployé sur les territoires pour lesquels un financement amont peut être mis en place. Les partenariats financiers font généralement intervenir l'État, les collectivités territoriales et des fonds européens (FEDER en particulier).

Dans le cadre du programme Litto3D, la région Languedoc-Roussillon a engagé une politique volontariste de couverture en cartes LIDAR : leur précision est actuellement affinée par un troisième passage de laser aéroporté. Grâce au travail du Centre de recherches et d'études côtières (CREC) de l'université de Caen, le département de la Manche dispose également d'outils numériques permettant de mieux appréhender la gestion du risque de submersion marine . Il serait opportun de faire fructifier ces initiatives en permettant aux communes de les utiliser pour définir leurs zonages au plus près des réalités du terrain .

A fortiori, dans le cadre de la politique d' ouverture des données publiques , la base Litto3D est accessible au public depuis le 1 er février 2013 sur le portail data.shom.fr. Ces informations risquent d'alimenter le contentieux si les administrations n'en tiennent pas compte.

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