B. UNE ADMINISTRATION QUI FREINE LA DÉCENTRALISATION DES COMPÉTENCES D'URBANISME
La loi Littoral est un produit de la décentralisation , dont elle a suivi les pérégrinations. Si l'administration est aujourd'hui engagée dans une démarche de partenariat nettement moins conflictuelle que par le passé, elle refuse toujours de faire confiance aux élus locaux .
1. Une administration qui oscille entre absence et dirigisme
La décentralisation de 1983 a profondément modifié les modalités d'application du droit des sols. Les ambiguïtés dans l'attitude de l'administration ont longtemps nuit à la mise en oeuvre sereine de la loi Littoral.
a) Une loi de revanche administrative
Les services de l'État ont été profondément déstabilisés par la décentralisation . Auparavant, les ingénieurs de l'équipement étaient chargés de l'élaboration des documents d'urbanisme. Cette fonction importante leur procurait une reconnaissance financière et sociale, dont les prive en partie la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État (loi Defferre). Les communes deviennent en effet pleinement compétentes pour l'élaboration et la révision de leurs documents d'urbanisme. Le contrôle de légalité reste alors l'unique levier des ingénieurs de l'équipement .
Or le Conseil d'État a rendu inopérants l'instruction ministérielle du 4 août 1976 et la directive d'aménagement national du 25 août 1979 (directive d'Ornano,) qui définissent les règles d'urbanisme applicables sur le littoral par les services de l'État, en leur déniant tout caractère réglementaire. Ils ne sont alors plus opposables aux permis de construire ou aux documents d'urbanisme. En réaction, le ministère de l'Équipement prépare et propose le projet de loi Littoral : celle-ci a vocation à servir de nouvelle base juridique au contrôle de légalité, et offre par ce biais un droit de regard sur les compétences d'urbanisme désormais dévolues aux maires.
b) Les carences du pouvoir réglementaire
La loi Littoral laisse une large place au pouvoir réglementaire pour préciser ses modalités d'application, mais l'administration n'assume pas ses responsabilités .
Trois ans après le vote de la loi, seul est publié le décret n° 89-694 du 20 septembre 1989 qui interprète de façon extensive la notion d'espaces remarquables, en complétant à l'article R. 146-1 du code de l'urbanisme, la liste des espaces protégés prévus par l'article L. 146-6. Il est complété par la circulaire du 10 octobre 1989 qui donne aux services déconcentrés des instructions précises et rigides sur le régime de gestion de ces espaces et l'appréciation du caractère « léger » des aménagements autorisés.
Ces deux textes se sont révélés lourds de conséquences, tant sur le maintien et le développement des activités primaires (notamment aquaculture et conchyliculture) que sur l'ouverture des espaces remarquables au public. Ils ont été unanimement dénoncés dans l'ensemble des rapports publiés au début des années 2000. Il faudra en effet attendre quinze ans pour qu'une première réponse soit apportée à ces difficultés.
Le juge va progressivement contraindre l'administration à publier les décrets d'application de la loi . Dans un arrêt du 28 juillet 2000, le Conseil d'État enjoint l'État de les publier dans un délai de six mois, sous peine d'une astreinte de 152 euros par jour de retard (CE, 28 juillet 2000, Association France Nature Environnement). Cette astreinte sera finalement liquidée à hauteur de 10 000 euros d'après les informations communiquées à l'époque par le ministère de l'Equipement au sénateur Patrice Gélard 7 ( * ) .
Le juge administratif s'estime également compétent pour apprécier le champ d'application de la loi Littoral, en l'absence du décret prévu par l'article L. 321-1 du code de l'environnement : il se reconnaît le pouvoir de vérifier si une commune estuarienne doit ou non être qualifiée de commune littorale, à partir du critère de participation aux équilibres écologiques ou économiques littoraux prévu par la loi.
Dans ce contexte tendu, l'administration finit par réagir et publie quatre décrets d'application le même jour, avec dix-huit ans de retard .
LES QUATRE DÉCRETS D'APPLICATION PUBLIÉS LE 29 MARS 2004 - le décret n° 2004-308 relatif aux concessions d'utilisation du domaine public maritime en dehors des ports ; - le décret n° 2004-309 relatif à la procédure de délimitation du rivage de la mer, des lais et relais de la mer et des limites transversales de la mer à l'embouchure des fleuves et rivières ; - le décret n° 2004-310 relatif aux espaces remarquables du littoral ; - le décret n° 2004-311 fixant la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas considérées comme littorales en application de l'article L. 321-2 du code de l'environnement et la liste des estuaires les plus importants au sens du IV de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme (codifié à l'article R. 312 du code de l'environnement). |
Nonobstant le fait d'avoir rendu l'application de la loi Littoral incertaine pendant de nombreuses années, en entretenant un vide juridique autour de dispositions déjà imprécises, l'administration n'assume même pas la responsabilité de son retard et préfère incriminer les collectivités locales. Le sénateur Patrice Gélard constate ainsi que, dans le rapport remis au Parlement en 1999, le Gouvernement justifie son retard par la longue concertation nécessaire à la préparation des décrets en ajoutant qu' « au cours de la procédure, il est apparu qu'un certain nombre de communes ont émis des avis défavorables sur l'application de ces dispositions à leur territoire ce qui a conduit à ne pas prendre les décrets. »
Comble de l'ironie, ce rapport sera lui-même le seul déposé en dix-huit ans , alors que l'article 41 de la loi Littoral prévoyait un rapport annuel du Gouvernement au Parlement sur son application et sur les mesures spécifiques prises en faveur du littoral. Depuis, la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux a prévu que ce rapport ne serait plus déposé que tous les trois ans devant le Parlement. Vos rapporteurs préconisent d'allonger ce délai à cinq ans , puisque seulement deux rapports ont été rédigés entretemps : le bilan de 2007 8 ( * ) et l'audit de 2012 9 ( * ) .
Surtout, des décrets d'application sont toujours inexistants à l'heure actuelle . Si le décret fixant la liste des communes participant aux équilibres économiques et écologiques littoraux n'a guère de sens en l'absence de communes « volontaires », il n'en va pas de même pour le décret prévu à l'article L. 146-4-V sur les rives des étiers et des rus . Vos rapporteurs souhaitent que ce décret soit enfin publié. Le législateur ne peut en effet tolérer que l'administration se retranche derrière la complexité réelle ou supposée de cette démarche pour laisser persister un vide juridique pendant près de neuf ans.
L'APPLICATION DE LA LOI LITTORAL AUX RIVES DES ÉTIERS ET DES RUS La loi n° 2005-157 du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, a entendu soustraire les « rives des étiers et des rus, en amont d'une limite située à l'embouchure et fixée par l'autorité administrative dans des conditions définies par un décret en Conseil d'État » de l'application des dispositions de l'article L. 146-4 relatives à l'inconstructibilité dans la bande des 100 mètres et à l'extension limitée de l'urbanisation dans les espaces proches du rivage. Il s'agit en l'espèce de corriger une incohérence consécutive à l'adoption du décret n° 2004-311 du 29 mars 2004, qui exclut les estuaires les moins importants de l'application de ces deux règles, tout en la maintenant le long des étiers et des très petites rivières . Toutefois, le décret en Conseil d'État prévu depuis 2005 n'a pas encore été publié. Or dans certains départements, ce sont plus de 200 petits cours d'eau, d'une largeur comprise entre 2 et 10 mètres à l'embouchure et drainant de vastes zones humides et inondables (de l'ordre de 100 000 hectares tout le long du littoral métropolitain) qui sont potentiellement concernés. Il s'agit par conséquent de ne pas fixer des délimitations abstraites et arbitraires, mais de prendre en compte les spécificités hydrologiques des différents bassins. |
L'accumulation des carences du pouvoir réglementaire sur une loi pourtant jugée sensible par l'administration elle-même porte à croire que cette situation résulte en réalité moins d'une négligence que d'une volonté délibérée .
Ainsi que le résume le député Jacques Le Guen 10 ( * ) , « plutôt que d'entreprendre d'édicter les décrets prévus par la loi littoral dans un temps raisonnable, l'administration a fait en sorte de contrôler l'application de la loi Littoral par d'autres moyens réservés au pouvoir réglementaire pour lesquels l'administration n'était pas en situation de compétence liée par la loi Littoral . »
c) L'attitude dirigiste de l'administration
Comme le souligne Mme Catherine Bersani, inspectrice générale de l'équipement, dans son rapport sur l'application de la loi Littoral paru en juillet 2000 11 ( * ) , l'administration s'est rapidement invitée, par voie de circulaire et d'instruction ministérielle, à devenir « le meneur de jeu » de la loi Littoral . Elle le fait d'autant plus volontiers que le coût de sa mauvaise application représente environ 5 milliards de francs au début des années 1990.
A l'époque, l'État est régulièrement condamné par le juge administratif . Les associations de protection de l'environnement se sont en effet emparées de la loi Littoral dès sa publication. Leur action est indirectement encouragée par l'État, qui les subventionne : elles sont un allié commode pour défendre, face aux collectivités, des positions que l'administration ne veut pas assumer directement. Cette stratégie se retourne cependant contre l'administration dont la responsabilité est souvent engagée, en raison de ses multiples carences.
Ainsi, l'instruction ministérielle du 22 octobre 1991 demande aux préfets de veiller plus fermement à la mise en compatibilité des plans d'occupation des sols (POS) avec les dispositions de la loi Littoral. Cette circulaire n'aura pas les effets escomptés, faute d'une doctrine clairement affichée et d'une insuffisante prise en compte de la jurisprudence naissante. Cependant, elle contribue à diffuser une « culture de l'autorité » , mise en évidence par Mme Bersani, qui révèle un état d'esprit défavorable à la décentralisation.
Le rapport de 2000 montre ainsi que le « porter à connaissance » (PAC) peut être considéré comme un « baromètre de la décentralisation » en matière d'application de la loi Littoral. Son caractère de simple proposition n'est pas toujours évident : l'État identifie les espaces à préserver et les fait connaître aux communes qui peuvent difficilement contester l'argumentaire. Par rapport à la volonté initiale du législateur, l'initiative change de camp . Conformément aux directives de l'administration centrale, les services déconcentrés de l'État imposent une certaine lecture de la loi Littoral. La concertation avec les élus locaux est réduite à la portion congrue . Mme Bersani souligne également « le ton très ferme des instructions administratives et les aléas d'une méthode à inventer au fur et à mesure ». De façon symptomatique, son rapport, initialement commandé par le ministère de l'Équipement, sera finalement publié en premier par le ministère de l'Intérieur.
LE « PORTER À CONNAISSANCE » Le « porter à connaissance » est l'acte de la procédure d'élaboration des documents d'urbanisme par lequel le préfet : - communique à la commune ou à l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent toute information qu'il juge utile à l'élaboration des documents d'urbanisme ; - leur signale les prescriptions, servitudes, et dispositions qui s'imposent aux décideurs locaux (et notamment celles résultant de l'application des lois Montagne et Littoral) ; - les informe de la mise en oeuvre des projets d'intérêt général de l'État, de la région, du département, et d'autres intervenants. Son régime juridique est défini aux articles L. 121-2 et R. 121-1 du code de l'urbanisme. |
Aujourd'hui, le climat est nettement apaisé. La situation est même inversée . C'est désormais l'absence de vision de l'État qui est dénoncée . L'audit de 2012 12 ( * ) souligne ainsi que « les services de l'État ne sont plus porteurs d'une politique spécifique d'aménagement en faveur du littoral », ce qui alimente l'hétérogénéité des doctrines locales, plus ou moins conformes à la jurisprudence.
Une constante demeure : le poids de la sociologie administrative est toujours élevé. En l'absence de doctrine établie, la nomination d'un nouveau préfet entraîne parfois un changement d'interprétation, qui déstabilise à la fois les services et les collectivités. Surtout, l'administration centrale entend toujours conserver son monopole et refuse toute réforme qui irait dans le sens d'une véritable décentralisation de la loi Littoral , pourtant souhaitée initialement par le législateur.
2. Des collectivités locales mieux rodées après une longue phase d'apprentissage
À certains égards, l'attitude de l'administration est compréhensible . Pendant longtemps, les collectivités locales n'ont pas véritablement joué le jeu de la planification.
À l'époque, les élus découvrent eux aussi la décentralisation . En ce qui concerne la loi Littoral, pour sa gestion géographique et juridique, le travail du maire regroupe les responsabilités antérieures de dix-sept administrations d'État. Les services locaux ne sont pas toujours structurés, et parfois insuffisamment incités à assumer leur nouvelle charge de travail, dans un contexte où il est juridiquement interdit de rémunérer les fonctionnaires territoriaux au même niveau que les fonctionnaires d'État.
Cette situation est exacerbée par l'insistance et la précision des orientations transmises par l'État, qui sont parfois mal ressenties. Les élus sont déstabilisés par l'agressivité des premières circulaires de 1989 et 1991. Le rapport de 2000 constate ainsi que « la plupart du temps aujourd'hui les élus répugnent (...) à reprendre à leur compte dans le plan d'occupation des sols des contraintes d'application de la loi Littoral. Ils n'ont pas l'impression d'avoir, dans ce cas-là, un pouvoir de décision analogue à celui dont ils disposent depuis la décentralisation pour les autres zonages. » Ils ne réalisent même pas qu'à l'époque, le juge administratif se prononce plutôt en leur faveur et condamne presque systématiquement l'État.
Certains décident alors de publier rapidement leurs plans d'occupations des sols (POS) pour figer définitivement les droits de construction . Peu ou mal contrôlés, ces POS sont validés par les services de l'État alors qu'ils contiennent parfois des zonages manifestement illégaux au regard de la loi Littoral, ouvrant par exemple des zones à l'urbanisation en périphérie de hameaux.
Aujourd'hui un grand nombre de communes se retrouve dans une situation délicate . Si elles délivrent un permis de construire sur la base du POS, les permis sont susceptibles d'être attaqués par les associations de défense de l'environnement, qui obtiennent généralement gain de cause. Si elles le refusent, elles sont attaquées par les particuliers pour non-conformité de la décision avec le document d'urbanisme. Dans le pire des cas et par un effet de chaîne, les POS successifs peuvent être annulés : les communes reviennent à l'application restrictive du règlement national d'urbanisme (RNU) et perdent la maîtrise du droit du sol.
Pour autant, les élus estiment difficile de remettre en cause des droits de constructibilité considérés comme acquis par leurs concitoyens. Les conséquences en termes de valeur foncière peuvent entraîner des drames personnels. Ils parient alors sur la faible probabilité statistique de voir les permis de construire déférés au juge administratif par les services préfectoraux : en raison de l'échantillonnage du contrôle de légalité, moins de 5 % d'entre eux courent en effet le risque d'être annulés. Si aucun riverain ni aucune association de défense de l'environnement ne s'en saisit dans les délais de recours contentieux, la construction illégale est ainsi réalisée en toute impunité.
Pour sortir de l'ornière, l'administration entend aujourd'hui lutter contre ce phénomène de « POS dormeurs ». La sécurisation juridique des documents d'urbanisme est un chantier prioritaire des services de l'État qui ont engagé une analyse systématique de la compatibilité des PLU avec la loi Littoral. Le projet de loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR), actuellement en cours d'examen par le Parlement, devrait accélérer cette démarche, puisqu'il prévoit la caducité des POS non transformés en PLU au 31 décembre 2015 . L'application de la loi Littoral en sera certainement facilitée.
LA COUVERTURE DES COMMUNES LITTORALES EN DOCUMENTS D'URBANISME Au 1 er janvier 2013, 92 % des communes littorales sont dotées d'un POS/PLU approuvé . Plus précisément, d'après les données communiquées par la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de l'Écologie, sur 1 212 communes littorales : 529 sont dotées d'un PLU ; 584 sont dotées d'un POS (dont 88 ont été approuvés avant 1986 et 124 entre 1986 et 1989) ; 25 sont dotées d'une carte communale et 74 sont régies par le RNU. La couverture est nettement meilleure que sur le reste du territoire national où seulement 55 % des communes disposent d'un POS/PLU approuvé, en cours de révision ou d'élaboration, tandis que 19,5 % sont dotées d'une carte communale et 25 % n'ont aucun document de planification. Cependant, une majorité de POS, voire de PLU, n'est toujours pas compatible avec la loi Littoral dans les communes soumises à son application. |
3. La promesse de l'accompagnement : le chant du cygne de l'administration
Depuis le milieu des années 2000, l'administration semble avoir pris conscience du malaise suscité par l'application de la loi Littoral, tant auprès des élus locaux que de ses propres services déconcentrés. Sa stratégie repose désormais intégralement sur l'accompagnement et la formation des collectivités locales, mais se heurte au principe de réalité. Indirectement, elle témoigne de la volonté de l'État de conserver une certaine tutelle sur l'urbanisme littoral.
a) Une démarche partenariale tardive mais bienvenue
Si elle ne fait toujours pas confiance aux élus locaux, l'administration adopte aujourd'hui une attitude plus paternaliste que dirigiste.
(1) L'accompagnement des services par de nouvelles circulaires
L'objectif des nouvelles circulaires est de mettre fin aux arrangements locaux par une uniformisation de la doctrine de l'État.
(a) L'échec de la circulaire de 2006
La circulaire n° 2006-31 du 14 mars 2006 (circulaire « Perben ») a donné une réelle impulsion. Elle met l'accent sur les finalités de la loi Littoral (gestion économe de l'espace, équilibre entre développement et préservation) ainsi que sur le cadre d'action en insistant sur la nécessité « d'une vision à long terme, stratégique et ambitieuse relayée par des volontés politiques locales fortes ». Elle mobilise également les services de l'État sur la sécurisation juridique des documents d'urbanisme.
Surtout, elle clarifie la délimitation des espaces proches du rivage, définit l'extension (limitée ou non) de l'urbanisation et précise les différences entre hameau, village et agglomération. Pour cette raison, cette circulaire a été favorablement accueillie par les élus locaux .
Mais son application pratique s'est révélée hétérogène et difficile, souvent pour des problèmes humains davantage que juridiques. En interne, l'audit de 2012 constate que « ce travail a souffert d'un manque de pilotage, de coordination et de méthodologie ».
(b) Les espoirs placés dans la circulaire de 2014
Un séminaire de restitution de l'audit de 2012 a été organisé à l'attention des services de l'État le 28 mars 2013. Un groupe de travail, auquel contribuent des élus locaux, a ensuite été mis en place le 8 juillet dernier afin d'élaborer une nouvelle circulaire. Le Gouvernement s'est engagé à la publier au début de l'année 2014.
Le coeur de cette circulaire devrait être de fournir des fiches actualisées sur l'état de la jurisprudence . Elle permettra également de clarifier et d'unifier la doctrine de l'État. Pour éviter l'écueil de la circulaire du 14 mars 2006 et garantir une plus grande homogénéité d'application, l'audit de 2012 préconise « la mise en place parallèle d'un réseau et d'outils méthodologiques (site intranet, notes de jurisprudence, capitalisation des documents et études réalisés par les services) ». Nul doute que l'administration s'engagera dans cette voie. Lors de son audition, la DHUP a d'ailleurs promis de mettre en place et de piloter un réseau loi Littoral à brève échéance.
(2) L'accompagnement des collectivités par une démarche d'atelier
Face aux difficultés d'application de la loi Littoral et à l'instabilité des doctrines administratives et jurisprudentielles, les élus expriment une forte demande de formation et d'information . A titre d'illustration, la journée d'information organisée le 2 avril 2013 par le groupement d'intérêt public (GIP) Littoral Aquitain sur le site du parc ornithologique du Teich a réuni près de 90 participants. Ella a permis l'échange de bonnes pratiques, d'expérimentations et de démarches territoriales concrétisées.
Cette situation conforte une administration convaincue depuis trois décennies que la loi fonctionne, mais que les élus ne savent pas l'appliquer . Dès lors, celle-ci développe une démarche partenariale, par le biais d'appels à projets et d'ateliers, qui vise à concentrer les moyens pour résoudre des problèmes ponctuels. Cette initiative rencontre des succès mitigés, de l'aveu-même des services de l'État. L'audit de 2012 conclut ainsi que « les ateliers expérimentaux conduits sur des sites individualisés ont été diversement appréciés (...) Leur apport reste à évaluer tant auprès des services que des bénéficiaires ».
LA DÉMARCHE ATELIER LITTORAL L'objectif de ces ateliers est d'explorer de nouvelles approches de projet et de partenariat sur des territoires complexes et de grande dimension, à forts enjeux et en manque d'ingénierie . Il s'agit, pour une équipe pluridisciplinaire de haut niveau , de construire une stratégie de territoire, mise à la disposition des élus et des services de l'État pendant un an sur des sites pilotes et volontaires. L'Atelier est ainsi conçu comme un lieu privilégié où État et élus s'accordent sur une vision d'avenir pour conduire leurs actions . En 2006, la DHUP a engagé une première action collective sur les méthodes de représentation des dynamiques territoriales sous forme d'atelier national sur le littoral, impliquant l'administration centrale et les services régionaux de l'État, avec l'appui du bureau d'études SIRS. En 2006-2007, suite à cet atelier fondateur, une expérimentation de projet a été lancée sur trois sites littoraux : la ria d'Étel ; les Sables d'Olonne, Saint Gilles-Croix-de-Vie et La Roche-sur-Yon ; Montreuil-sur-mer, Berck et Le Touquet. En 2009, un deuxième atelier Littoral a été lancé sur cinq nouveaux sites : le Coutançais, la baie de Morlaix, la presqu'île Guérandaise et la Brière, la côte Vermeille et les Albères, ainsi qu'Antibes. La phase stratégique de cet atelier s'est prolongée en 2010 par des approfondissements sur quatre sites (à l'exception d'Antibes), conformément au souhait des élus. En 2010 un atelier « d'urgence » a été mené en Charente-Maritime après le passage de la tempête Xynthia pour aider les élus à se projeter dans une vision d'avenir et de sortie de crise. Les travaux ont été conduits de juin 2010 à février 2011 avec les élus concernés et ceux de l'arrière pays. Source : Ministère de l'Égalité des Territoires et du Logement (METL) |
Vos rapporteurs ne peuvent que se féliciter de ces soutiens ponctuels, qui procurent certainement aux élus concernés une assistance bienvenue. Cette démarche permet dans l'urgence de traiter les problèmes les plus aigus , mais elle n'est qu'un palliatif soumis à la volonté de l'administration et aux contraintes de moyens. Surtout, elle n'apporte aucune solution pérenne à la multitude d'élus locaux contraints de jongler au quotidien avec les dispositions d'une loi d'aménagement non territorialisée, et par conséquent rarement adaptée aux cas d'espèce.
b) Des moyens insuffisants au regard des ambitions affichées
Le pari de l'accompagnement bute sur le manque de moyens des services déconcentrés.
(1) Le manque de fiabilité des services de l'État
Le travail de colecture et de coélaboration des documents locaux d'urbanisme avec les services de l'État, ne met pas les élus à l'abri d'un contentieux. Si les collectivités ont parfois des difficultés à interpréter correctement la loi Littoral, les services de l'État eux-mêmes souffrent d'une déperdition de connaissances . L'agent public en charge de l'instruction d'un dossier n'a pas toujours la formation juridique de base pour appréhender les notions particulières de la loi Littoral. S'y ajoutent parfois des querelles doctrinales entre directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL) et directions départementales des territoires et de la mer (DDTM) qui entretiennent un climat de confusion.
Les services de l'État sont ainsi souvent jugés peu fiables, même si des exceptions existent (en Bretagne par exemple). Pour autant, les maires se sentent liés par leurs décisions, car ils n'ont pas les compétences pour les remettre en cause . En 2000, Mme Bersani relevait déjà dans son rapport que « contester l'argumentaire se révèle difficile pour les communes à toutes les phases de la procédure, faute de disposer d'une capacité de contre-expertise. L'enquête publique ne peut que prendre acte de la vivacité des tensions déclenchées. Sans d'autres éléments d'appréciation que le dossier et les plans du POS, elle n'apparaît pas comme un lieu d'arbitrage approprié. » Cette critique ancienne est malheureusement toujours d'actualité.
Le chantier de la formation des agents publics de l'État et des collectivités, ainsi que des élus, dépasse largement le cadre de la loi Littoral . On ne peut que souligner la nécessité d'apporter rapidement une réponse forte, afin d'éviter des erreurs et des atermoiements qui peuvent avoir des conséquences dramatiques sur la vie de citoyens écrasés par le poids de décisions administratives kafkaïennes. L'urbanisme littoral est un domaine dans lequel ce constat est patent.
(2) La peur du contentieux
Inversement, lorsque l'État essaie d'être conciliant et d'aider une commune, sa responsabilité peut être engagée par une action récursoire.
Vos rapporteurs ont été surpris de constater que l'administration est souvent plus restrictive que le juge . Les services concernés adoptent une vision conservatrice par peur de se tromper. Leur stratégie consiste à opposer un refus préventif, à attendre l'avis du tribunal administratif, puis à délivrer le permis de construire dont la légalité est confirmée.
En pratique, il est pourtant difficile pour une commune d'engager une action récursoire en responsabilité contre l'État , même lorsque l'instruction des demandes de permis de construire a été assurée par la DDTM, puisque la responsabilité de la délivrance des autorisations d'occupation des sols incombe au maire.
Vos rapporteurs recommandent ainsi que la nouvelle circulaire en préparation invite les services de l'État à ne pas craindre ce risque . Il s'agit au contraire de développer une gestion stratégique du contentieux , où l'État n'hésite pas à soutenir un requérant lorsque la jurisprudence est manifestement bancale.
(3) La disparition progressive de l'ingénierie territoriale de l'État
Depuis le début des années 2000, on assiste à une réduction progressive des hypothèses de mise à disposition des capacités d'ingénierie de l'État au profit des collectivités . Cette facilité est considérée comme un frein à la structuration de services d'instruction mutualisés à l'échelle intercommunale. Le projet de loi ALUR prolonge cette tendance : le seuil de mise à disposition gratuite devrait être abaissé de 20 000 à 10 000 habitants pour les EPCI compétents à compter du 1 er juillet 2015.
Vos rapporteurs n'ont pas souhaité détailler les implications de cette politique, notamment en termes de financement et de ressources humaines pour les services d'ingénierie mutualisés au niveau des intercommunalités. Ces enjeux sont analysés en détail dans le rapport du sénateur Pierre Jarlier 13 ( * ) , qui plaide en faveur d'une « nouvelle architecture territoriale de l'ingénierie en matière d'urbanisme ».
Ils soulignent simplement que l'attrition des services déconcentrés de l'État rend le contrôle de légalité de plus en plus aléatoire . L'audit de 2012 constate ce manque de moyens alors que la loi Littoral est d'une grande technicité. La qualité de la communication se dégrade également au sein de l'appareil d'État : l'audit signale l'absence de retours aux DDTM de la part des services préfectoraux sur les dossiers soumis au contrôle de légalité.
Du point de vue de la loi Littoral, la mutualisation des services d'ingénierie des collectivités est sans doute bénéfique, dans la mesure où cette loi exige que la stratégie d'aménagement soit portée au niveau de l'intercommunalité. Ce transfert de capacités est néanmoins davantage le produit de la contrainte budgétaire que l'aboutissement d'une réflexion d'ensemble . Il n'est pas certain que l'application de la loi Littoral ne pâtisse pas de l' inévitable baisse de qualité des prestations assurées par l'État.
* 7 Rapport d'information n° 421 (2003-2004) de Patrice Gélard, fait au nom de la commission des affaires économiques et de la commission des lois du Sénat, déposé le 21 juillet 2004.
* 8 Rapport du Gouvernement au Parlement portant bilan de la loi Littoral et des mesures en faveur du littoral, septembre 2007.
* 9 Audit thématique sur l'application de la loi Littoral par les services de l'État, rapport n° 007707-01, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), septembre 2012.
* 10 Rapport d'information n° 1740 de Jacques Le Guen, fait au nom de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, déposé le 21 juillet 2004.
* 11 Rapport sur les conditions d'application de la loi « littoral », Conseil général des ponts et chaussées, 25 juillet 2000.
* 12 Audit thématique sur l'application de la loi Littoral par les services de l'État, rapport n° 007707-01, Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD), septembre 2012.
* 13 Rapport d'information n° 654 (2011-2012) du sénateur Pierre Jarlier, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales, déposé le 17 juillet 2012