B. LES RECETTES NON FISCALES
L'article 40 de la Constitution, en interdisant la diminution des « ressources publiques », vise, au-delà des seules recettes fiscales, les recettes non fiscales , qu'il s'agisse des dividendes tirés des participations de l'Etat, des produits tirés du domaine public, des produits de la vente de biens ou de services, des intérêts des prêts accordés par des personnes publiques, des rémunérations de garanties de l'Etat, ou encore des redevances des usagers pour les services publics opérés en régie.
Deux grandes catégories de recettes fiscales peuvent être dégagées qui font l'objet d'initiatives parlementaires relativement nombreuses et qui donnent lieu à une jurisprudence différente : les ressources tirées du patrimoine des personnes publiques d'une part, et celles issues des amendes et sanctions prononcées par une autorité publique d'autre part.
1. Les ressources tirées du patrimoine des personnes publiques
Toute diminution de ressources tirées du patrimoine public doit être en principe gagée .
Il peut s'agir, tout d'abord, des dividendes tirés des entreprises dont l'Etat est actionnaire . Ainsi, mon prédécesseur Jean Arthuis n'a accepté que gagé pour l'Etat un amendement au projet de loi portant réforme du statut de La Poste de 2009, visant à prévoir que les contrats passés entre l'Etat et les entreprises dont il est actionnaire peuvent prévoir l'absence de versement de dividende pendant toute la période de leur exécution.
Le patrimoine concerné peut également être le patrimoine immobilier dans le cadre d'initiatives visant à autoriser les personnes publiques à céder des biens immobiliers à titre gratuit ou à vil prix. Afin de ne pas restreindre outre mesure l'exercice du droit d'amendement, j'ai considéré que la cession d'un bien immobilier ne devait pas s'analyser du point de vue de la propriété de l'immeuble, qui est à la fois source de revenus potentiels (revenus d'exploitation, notamment locatifs) et source de charges (entretien), mais seulement du point de vue de l'opération financière de cession .
Sous cet angle, une cession à vil prix ou à titre gratuit constitue une perte de recettes pour le cédant qui aurait pu vendre l'immeuble au prix du marché . Ainsi, je n'ai déclaré recevables que gagés pour l'Etat des amendements au projet de loi de mobilisation du foncier public et visant à élargir la possibilité pour l'Etat de céder gratuitement des terrains aux collectivités territoriales aux fins de construction de logements sociaux.
Enfin, il peut s'agir également du patrimoine immatériel de l'Etat , en particulier les données qu'il recueille dans le cadre de ses prérogatives de puissance publique. Ainsi, je n'ai accepté que gagé pour l'Etat un amendement au projet de loi de finances pour 2014 visant à interdire la vente par l'Etat des fichiers nominatifs issus des certificats d'immatriculation automobile.
2. Les sanctions
Le produit des amendes financières perçu par les personnes publiques à la suite d'une sanction pénale ou disciplinaire constitue également une ressource, parfois importante, pour la personne publique concernée. Toutefois, en vertu d'une jurisprudence constante de votre commission des finances et de celle de l'Assemblée nationale, ce produit ne constitue pas une ressource publique au sens de l'article 40 de la Constitution car il n'est que la conséquence indirecte et, par définition, incertaine de la violation des dispositions législatives et réglementaires par les administrés , violation que le juge de la recevabilité ne saurait présumer.
Jacques Barrot, alors président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, avait ainsi justement souligné que « ces sanctions financières n'ont ni pour raison d'être, ni pour finalité, de procurer des ressources à l'Etat : l'intention du législateur, lorsqu'il crée cette catégorie de recettes, est à l'évidence dépourvue de tout caractère lucratif et de nature essentiellement dissuasive, comparable à celle qui préside à l'institution d'une peine de prison ». En d'autres termes, le produit de ces amendes devrait idéalement être nul si chacun respectait les normes en vigueur.
Il est donc possible de supprimer ou de diminuer sans gage le montant d'une pénalité dont le produit est recouvré par une personne publique. Cela s'applique notamment aux amendes de circulation routière. Ainsi, j'ai déclaré recevable un amendement, déposé sur le projet de loi d'affirmation des métropoles, visant à transformer les amendes pénales réprimant le stationnement irrégulier en une redevance de post-stationnement gérée par la collectivité territoriale qui en perçoit le produit, la collectivité gardant la possibilité ou non de l'instaurer et d'en moduler le montant.
Par ailleurs, il est également possible de modifier, sans gage, la répartition du produit des amendes entre les différentes personnes publiques affectataires . Ainsi, j'ai déclaré recevable un amendement non gagé au projet de loi de finances pour 2014 qui augmentait, au sein du compte d'affectation spéciale « Contrôle de la circulation et du stationnement routiers », la part du produit des amendes de circulation routière affectée aux collectivités territoriales.
Il convient de noter que, le même raisonnement s'appliquant du point de vue des charges publiques, il est possible de créer ou d'aggraver une pénalité à la charge d'une personne publique. Par exemple, est recevable un amendement qui augmente les pénalités résultant du non-respect, par les collectivités territoriales, du pourcentage de logements sociaux imposés par la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite « SRU » 96 ( * ) .
Ce raisonnement favorable à l'initiative parlementaire ne s'applique toutefois qu'aux amendes, pénalités et sanctions strictement entendues . A ainsi été déclaré irrecevable un amendement faisant obligation aux communes ne respectant pas la loi SRU de construire ou d'acheter des logements dans le but d'atteindre le pourcentage légal de logement sociaux. Il s'agit, en l'espèce, d'une véritable obligation de faire , qui ne saurait se confondre avec une pénalité, dont le but est essentiellement dissuasif ou incitatif .
* 96 Loi n° 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains .