N° 149
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014
Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 novembre 2013 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la délégation sénatoriale à l'outre-mer (1) sur la Rencontre Histoires Mémoires Croisées « Chapitres oubliés de l' Histoire de la France » du 14 novembre 2013 ,
Par M. Serge LARCHER,
Sénateur.
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(1) Cette délégation est composée de : M. Serge Larcher, président ; MM. Éric Doligé, Claude Domeizel, Michel Fontaine, Pierre Frogier, Joël Guerriau, Michel Magras, Jean-Claude Requier, Mme Catherine Tasca, MM. Richard Tuheiava, Paul Vergès et Michel Vergoz, vice-présidents ; Mme Aline Archimbaud, M. Robert Laufoaulu, secrétaires ; MM. Maurice Antiste, Jean-Étienne Antoinette, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Berthou, Jean Bizet, Jean-Marie Bockel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Christian Cointat, Jacques Cornano, Félix Desplan, Mme Jacqueline Farreyrol, MM. Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Jacques Gillot, Mme Odette Herviaux, Jean-Jacques Hyest, Jacky Le Menn, Jeanny Lorgeoux, Roland du Luart, MM. Thani Mohamed Soilihi, Alain Néri, Georges Patient, Mme Catherine Procaccia, MM. Charles Revet, Gilbert Roger, Abdourahamane Soilihi et Hilarion Vendegou.
« Je forme le voeu que cette mise en commun des récits et des mémoires nous permette à tous, héritiers de cette histoire, d'extirper les causes profondes du racisme et d'agir contre toutes les formes d'asservissement. »
Jean-Pierre Bel 2012
Ouverture
Lecture d'un message de M.
Jean-Pierre Bel, Président du Sénat,
par M. Serge
Larcher, Président de la Délégation sénatoriale
à l'outre-mer
Chère Françoise Vergès,
Monsieur le Président, cher Serge,
Monsieur le Directeur, Michel Wieviorka,
Mesdames et Messieurs,
Chers amis,
L'année dernière, à l'initiative de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, le Sénat accueillait une rencontre « Mémoires croisées » dédiée à la mémoire de l'esclavage et de la lutte pour son abolition.
Je suis très heureux que cet exercice soit renouvelé cette année.
Car cette mise en écho des mémoires, cette mise en lumière de récits fragmentés, c'est ce qui nous permet aujourd'hui d'agir. En un mot, c'est ce qui nous permet de demeurer vigilants.
On le voit bien, aujourd'hui, cette vigilance n'est pas superflue. Le combat contre toutes les formes de racisme, d'asservissement, d'inégalités ou encore de discriminations, n'est jamais terminé. Tout comme le combat contre l'oubli. Et c'est bien ce combat-là qui fait exister notre République, qui la préserve et doit la fortifier.
Cette deuxième édition des rencontres « Mémoires croisées » est justement consacrée aux chapitres oubliés de l'histoire de notre pays. Aux épisodes de notre passé national qui ne sont pas souvent - pas assez - mis en lumière. Des épisodes sombres mais qui comportent souvent aussi des histoires de résistance et de solidarité qui ont permis à nos valeurs républicaines de ne jamais disparaître.
Vous évoquerez cet après-midi un grand nombre de ces « chapitres manquants » : l'insurrection de 1878 en Nouvelle-Calédonie, l'insurrection de 1947 à Madagascar, l'histoire trop peu connue de nos soldats des colonies pendant la Première Guerre mondiale, le sort des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, les sanglantes répressions en mai 1967 en Guadeloupe par exemple, ou lors de la grève de 1974 en Martinique...
Il y en a d'autres, comme par exemple cette levée de boucliers de la part des députés français lorsque Hégésippe Legitimus devient le premier Noir à siéger à l'Assemblée en 1898 en tant que député de la Guadeloupe.
Tous ces chapitres constituent des « moments » importants de notre histoire, de notre récit national, car ils démontrent que, même dans les pires moments, même lorsque nos valeurs républicaines furent mises en danger, des résistances s'organisèrent.
L'historien Jacques Sémelin à qui l'on remettait la semaine dernière au Sénat le prix Viannay, rapportait ces paroles de Lucie Aubrac à qui l'on posait la stupide question de résumer la Résistance en un mot : « c'est un état d'esprit » avait-elle répondu.
Ce même Jacques Sémelin a ainsi brossé, dans son dernier ouvrage, un tableau radicalement autre de la France occupée, sans jamais pour autant minimiser l'horreur du crime. Une société plurielle et changeante, où la délation coexiste avec l'entraide, où l'antisémitisme n'empêche pas la solidarité des petits gestes.
Je crois que le souvenir de ces histoires doit être célébré au coeur de la Nation, au coeur de la République.
Avec la fierté de se rappeler aussi que nous sommes sortis des heures sombres par les luttes et les résistances, par la solidarité, par ce que les historiens appellent aujourd'hui « l'entraide ».
Nous venons tous de ces histoires, de ces chapitres oubliés. De ces mémoires croisées qui font la France.
Je pense à ces mots de Paul Valéry : « La France s'élève, chancelle, tombe, se relève, se restreint, reprend sa grandeur, se déchire, se concentre, montrant tour à tour la fierté, la résignation, l'insouciance, l'ardeur » .
Je vous souhaite donc à tous une excellente après-midi d'échanges et de débats.
M. Michel Wieviorka,
directeur
du Collège d'études mondiales
Il y a peu, les chercheurs en sciences sociales annonçaient le déclin, et peut-être même la fin du racisme classique, de type colonial, basé sur les attributs physiques de ses cibles. Si le phénomène perdure, expliquaient-ils, c'est sous des formes « subtiles », culturelles. Aujourd'hui, il faut bien déchanter : ces nouvelles formes se superposent aux plus anciennes, qu'elles ont pu masquer. En ces temps de racisme primaire débridé, nous devons plus que jamais maintenir nos efforts pour faire vivre l'histoire et la mémoire de l'esclavage et de la colonisation. Il y a là un combat qui n'est jamais achevé.
Ce combat passe par l'intervention des victimes, de leurs descendants, de leurs associations, de ceux qui les soutiennent ou les rassemblent. Il passe également par la recherche, la production de connaissances, leur diffusion aussi, et donc l'éducation. Il ne se satisfait pas de l'indignation vertueuse, ni de l'action qu'on peut appeler antiraciste. Il doit s'appuyer sur ceux qui produisent les connaissances, on aurait dit hier : les intellectuels, on dira plus volontiers aujourd'hui : les chercheurs. Ce sont eux qui donnent la parole à ceux que l'on n'entend jamais, ou insuffisamment, qui exhument l'histoire oubliée ou refoulée, qui établissent ou rétablissent la vérité.
Ce combat passe aussi par les politiques. Non pas pour qu'ils tranchent sur des points d'histoire, ce n'est pas leur compétence. Mais pour qu'ils aident à construire les débats qu'appelle la découverte historique, pour qu'ils contribuent à diffuser le savoir historique, et en même temps à faire reculer les préjugés, les idéologies, les stéréotypes. Et aussi pour qu'ils agissent concrètement, en prenant des initiatives, par exemple : monuments, musées, commémorations, etc. Ou bien en pesant pour changer le droit.
Ce combat repose aussi sur les artistes, les sportifs, qui peuvent mettre leur talent au service de la vérité et de la justice, et qui, à leur façon, nous rappellent un aspect trop souvent oublié ou minimisé du problème : ces victimes, ces oubliés apportaient leur contribution culturelle, économique, leur créativité, leur énergie à la vie collective, on ne peut les réduire aux seules images de la destruction et de la violence subies.
Aujourd'hui, nous allons traiter de chapitres oubliés de l'histoire de France. Il s'agit là d'une révision, au bon sens du mot, qui permettra de sortir du présentisme dénoncé par l'historien François Hartog, et qui nous aidera non seulement à mieux nous projeter vers le passé, mais aussi à mieux comprendre notre société, avec sa diversité, ses échanges internes et avec d'autres sociétés. On dit souvent que le passé nous aide à mieux comprendre le présent, je pense aussi que le présent peut nous aider à mieux comprendre le passé, en tous cas qu'il faut circuler entre les deux s'il s'agit d'enjeux comme ceux qui nous rassemblent à l'invitation de Françoise Vergès, dont je salue l'initiative.
En écoutant ceux qui aujourd'hui évoquent les discriminations, le racisme, en cherchant à combattre le mal, en analysant la droitisation contemporaine de la société, les tendances actuelles, aussi, à la fragmentation ou à la racialisation des rapports sociaux, nous sommes aussi conduits à mieux connaître l'histoire de la colonisation et du colonialisme.
Cette histoire est trop souvent encore pensée dans les seules catégories de l'État-nation. Or elle est également globale, elle concerne des espaces qui débordent du cadre national, et, s'il s'agit de notre pays, de ce qui fut un Empire. Elle rapproche dans un même imaginaire ou dans des imaginaires comparables des personnes qui aujourd'hui vivent dans toutes sortes de pays, dont certains n'existaient pas au moment des pires drames.
Et peut-être aussi cette histoire peut-elle nous aider à mieux réfléchir à ce que pourrait être le dépassement du post-colonialisme. Non pas le simple oubli, pour se projeter sans le poids du passé vers l'avenir, non pas non plus la mélancolie, qui consiste à ressasser le passé. Mais, pour le dire en termes freudiens, le deuil, c'est-à-dire la capacité à bien connaître et assumer le passé, pour se projeter vers l'avenir.
Présentation des rencontres
par Mme Françoise Vergès,
chargée de mission au
Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes
et chercheur
associé au Collègue d'études mondiales
Des
histoires croisées, des espaces pluriels de la mémoire :
Pour une nouvelle cartographie de l'Histoire de la France
Je tiens à remercier Monsieur Jean-Pierre Bel, le Président du Sénat, qui a apporté son patronage à la poursuite des rencontres « Histoires/Mémoires croisées » cette année consacrées aux « Chapitres oubliés de l'Histoire de la France ». Je tiens à remercier également les deux instances organisatrices, la Délégation sénatoriale à l'outre-mer et son président Serge Larcher, et la Ville de Nantes, avec le Mémorial de l'abolition de l'esclavage ainsi que les deux partenaires de cette rencontre, le Collège d'Études Mondiales et l'association ACHAC.
Pourquoi avons-nous souhaité aborder ce thème de chapitres « oubliés » ? En quoi cet oubli nous interroge-t-il ? Pourquoi est-il important d'y remédier ? Ne craignons-nous pas d'imposer une histoire si fragmentée, si dispersée à travers des territoires qu'un sens se perde ?
Il y a plusieurs raisons à l'oubli de ces chapitres : l'indifférence, le mépris, la raison d'État, la disparition des témoins, la destruction d'archives. Mais ces chapitres sont connus, et nous pouvons leur redonner leur place dans le récit historique.
« Notre héritage n'est précédé d'aucun testament , » écrivait le poète René Char. En d'autres termes, l'héritage que nous nous proposons d'examiner aujourd'hui ne nous impose aucun récit. Il nous interpelle, c'est à partir des questions que nous nous posons aujourd'hui que nous réexaminons ces chapitres afin de construire un autre présent et d'imaginer un autre avenir.
L'un des premiers objectifs de ces rencontres est d'interroger les conditions, le contexte, qui ont conduit à dessiner une cartographie mutilée de l'Histoire. La cartographie de l'Histoire a évolué au cours des siècles, elle a connu des phénomènes de contraction et d'extension, mais depuis la fin de l'empire colonial en 1962, elle est réduite à l'espace hexagonal. En effet, il est remarquable que les « Outre-mer français », territoires dispersés dans des régions du monde, dans plusieurs océans et où vivent des citoyens français aient une Histoire, des langues, des rites, des coutumes si souvent oubliés quand il est question de la société française, de ses mutations, de ses aspirations, de ses conflits et de ses espoirs. Cette mutilation de la cartographie fait ainsi disparaître des citoyens, des espaces, des chapitres d'histoire. Deux exemples parmi d'autres : pourquoi, lorsque la question du nucléaire est évoquée avec le danger potentiel qu'elle pose aux populations environnantes, ce sont les centrales nucléaires en France qui viennent à l'esprit, et non les citoyens français victimes des essais nucléaires dans le Pacifique ? Pourquoi, quand il est question de la présence de l'Islam en France, oublions-nous l'Île de La Réunion où l'Islam est établi de manière visible depuis le XIX e siècle ?
Pour dessiner une cartographie plus fidèle, il faudrait en premier lieu intégrer l'espace et le temps, dans sa longue durée, et les Outre-mers.
Le second objectif est de croiser les regards. Plusieurs niveaux s'entrecroisent. L'Histoire nationale se juxtapose à des histoires régionales, à des histoires de frontières qui ont entrainé des guerres, des révisions de ces frontières avant d'être fixées à celles que nous connaissons. La France est imbriquée dans l'histoire de l'Europe et du monde. Et chaque outre-mer est à la fois imbriqué dans l'histoire de sa région, dans l'histoire nationale et dans l'histoire globale. Ainsi, l'Histoire de la Martinique et de la Guadeloupe est indissociable de celle des Caraïbes, celle de la Guyane de celles du Brésil et du Suriname, celles de La Réunion et de Mayotte de celle de l'Océan indien, celle de la Nouvelle-Calédonie du Pacifique... Les niveaux local, régional, national et global doivent être analysés dans leurs interactions et dans la production de nouvelles pratiques, de représentations de soi et du monde.
Le troisième objectif est d'étudier les mémoires sédimentaires d'un même territoire. Il ne faudrait penser ni l'Hexagone ni le territoire d'outre-mer comme des territoires uniformes et fermés sur eux-mêmes. Chacun connaît conflits, tensions, reconfiguration des identités. Ces formations en palimpsestes cumulatifs où des couches se superposent sans jamais recouvrir totalement l'une d'elles nous conduisent à complexifier nos approches, à être attentifs aux petites émergences, aux mémoires qui étaient enfouies et sont réactivées par des groupes, aux expressions artistiques.
Je voudrais donner quelques exemples de ces croisements palimpsestes : 1871 renvoie dans la conscience nationale à la Commune de Paris. Or, au même moment éclate en Algérie une des plus grandes insurrections de l'histoire coloniale dans ce pays, menée par El Mokrani. L'insurrection est écrasée dans le sang, des centaines de milliers d'hectares de terres et de forêts sont confisqués et donnés aux Alsaciens et Lorrains fuyant l'occupation prussienne. Dans les bateaux qui emmènent les Communards en exil en Nouvelle-Calédonie, il y a des Kabyles et des Arabes insurgés condamnés eux aussi à la déportation au bagne. Sept ans plus tard éclate une grande insurrection kanak sous la direction du chef Ataï. Des Communards et des Algériens participent à sa répression. Le chef Ataï sera décapité et sa tête envoyée en France pour être étudiée par les savants qui découvriront une « race canaque ». Voilà un exemple de sédiments, d'histoires et de mémoires croisées. L'empire colonial, ses besoins économiques et militaires, ont fait circulé femmes et hommes d'une colonie à l'autre, de la colonie à l'Hexagone, de l'Hexagone à la colonie. Des oublis persistent dans l'Hexagone même, oubli ou marginalisation de l'histoire des immigrations post-coloniales, des solidarités entre groupes opprimés, de l'histoire des femmes, des marginaux...
Nous ne pouvons plus séparer l'Histoire en chapitres ou territoires, fermés les uns aux autres. Comment imaginer une césure totale entre la période esclavagiste et la période post-esclavagiste dans l'histoire nationale quand nous observons le fait suivant : dix-huit ans s'écoulent entre l'établissement d'un pouvoir colonial en Algérie en 1830 et l'abolition de l'esclavage dans les colonies françaises en 1848. Comment pendant ces dix-huit ans sont préparés à la fois l'abolition de l'esclavage et l'établissement d'un pouvoir colonial en Algérie ? En 1848, le même gouvernement de la Seconde République qui abolit l'esclavage transforme l'Algérie en trois départements français. Comment d'entrecroisent ces décisions ? Qui en sont les acteurs ? Quels en sont les objectifs ? Comment aussi faire apparaître qu'un événement majeur n'a pas le même écho sur des territoires liés par l'appartenance au même État ? Ainsi, 1848 résonne en France comme la création de la Seconde République, du Printemps des peuples alors que dans les colonies françaises, c'est l'abolition de l'esclavage et l'accès à la citoyenneté qui font résonance. Nous pourrions multiplier les exemples, jusque dans notre temps contemporain. Les temporalités, les représentations, les pratiques se croisent mais au lieu de chercher à les uniformiser et de les enfermer dans un cadre qui ne peut être qu'abstrait, il faut développer une méthodologie qui fasse place à ces croisements et interactions.
Il reste un objectif central, celui de combattre la xénophobie et le racisme, dont nous voyons revenir les expressions les plus viles et les plus abjectes. L'animalisation de l'autre, le déni de ses droits, le mépris pour des expressions culturelles et religieuses, annoncent toujours des pratiques discriminatoires et racistes.
Les solidarités doivent également être mises en lumière. Il n'y eut jamais total consentement à l'inégalité, à l'exploitation, au racisme. Toujours des voix se sont élevées, des mains ont été tendues, des portes ouvertes, des refuges créés. Remettre en lumière ces solidarités transcontinentales est primordial pour ne pas ethniciser l'Histoire.
La peur manipulée, instrumentalisée, resurgit avec force. Elle se focalise sur le fantasme que la France serait en train de perdre sa culture et son identité. Non seulement cette culture et cette identité n'ont jamais été fixes, mais elles se sont nourries d'apports multiples, culturels et religieux, et continuent de s'en nourrir.
Il est également important de souligner que toutes les mémoires méritent le même respect et la même dignité. Il ne s'agit pas de construire une Histoire sans repère, de s'ancrer dans le passé, ou d'accuser la France de tous les maux, mais bien au contraire de mettre à jour la richesse d'une Histoire jusqu'ici mutilée, de faire apparaître les conflits mais aussi dans le même temps, les solidarités et de renouveler l'idée du bien commun et de l'intérêt général.
La République française, réunie aujourd'hui dans sa communauté de citoyens, est composée d'une diversité de langues, de cultures et de croyances. S'il est un cliché de les qualifier de richesse, ces différences doivent avoir toutes droit de cité afin que cet atout se concrétise.
L'hétérogénéité des interventions cet après-midi témoigne de ces croisements d'histoire et de mémoire. Nous allons circuler d'un territoire à l'autre, d'une période à l'autre mais nous verrons le fil qui les relie apparaître. Nous avons aussi voulu une approche pluridisciplinaire. Chercheurs, artistes, écrivains, poètes, vont nous présenter ces chapitres. En effet, pour nous, le travail des artistes, des poètes et des écrivains est fondamental pour la réactivation des mémoires et des histoires. Un poème, un film, un chant réactive souvent de manière forte dans nos consciences un moment oublié, enfoui. Il invite alors à la recherche, à la relecture des archives, des mémoires orales et des traces.
Nous sommes conscients que les chapitres que nous abordons aujourd'hui sont loin de couvrir tous les chapitres oubliés. Cela ne peut que nous encourager à poursuivre ce travail d'archéologie.
Finalement, cette rencontre a été pensée comme l'amorce d'une commission vérité, et à terme d'une réconciliation, où chaque intervenant apportera son témoignage. La recherche continuera, des archives seront lues, des films, des documentaires et des expositions seront réalisés. Il faut néanmoins dès à présent combattre le repli et la peur, transmettre les figures oubliées et les mémoires marginalisées.
Françoise Vergès a publié sur les mémoires de l'esclavage et de la colonisation, les outre-mer français, Aimé Césaire, Frantz Fanon et les nouvelles formes de colonisation. Elle organise régulièrement des colloques sur ces thèmes, dont en 2011 « L'esclave au musée : méthodologies et pratiques » (actes publiés par Africultures, 2012). Elle est également l'auteur de films, Maryse Condé. Une Voix singulière (2011), Aimé Césaire et les révoltes du monde (2013) et a réalisé des expositions dont Tropicomania (Galerie Bétonsalon, Triennale de Paris, 2012), Dix femmes puissantes. Portraits de femmes ayant combattu l'esclavage colonial pour le Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes (2013). En 2012 et 2013, elle a organisé des visites guidées « Les Esclaves au Louvre : une humanité invisible ». Pour le Mémorial de l'abolition de l'esclavage, elle a rassemblé en juin 2013 des architectes et des artistes qui avaient réalisé des mémoriaux autour de l'Apartheid, la Shoah, l'esclavage colonial et les crimes coloniaux. Elle est actuellement chercheure associée au Collège d'études mondiales et chargée de mission au Mémorial de l'abolition de l'esclavage de Nantes et occupe le poste honorifique de Consulting Professor au Goldsmiths College de Londres.