4. Une politique de sécurité encore balbutiante
Historiquement fondée sur les relations avec les pays ACP, les relations entre l'Union européenne et l'Afrique subsaharienne ont pris un réel tournant en 2000 au premier sommet UE-Afrique au Caire.
À partir de 2007, l'Union européenne est devenue un gros contributeur financier en matière de paix et de sécurité en Afrique. Dès 2005, l'Union a développé un volet stratégique africain de la PESD. En 2006, le Conseil du 13 novembre a adopté des conclusions pour le « renforcement des capacités dans la prévention, la gestion et la résolution des crises . ». Depuis 2007 l'Union européenne et l'Union africaine ont une stratégie conjointe autour de huit partenariats dont le premier concerne la paix et la sécurité.
Le sommet UE-Afrique de Lisbonne (8-9 décembre 2007) a établi un nouveau partenariat politique stratégique pour l'avenir qui a pour ambition de dépasser les relations établies sur le mode bailleur de fonds/bénéficiaires en s'appuyant sur des valeurs et des objectifs communs dans la recherche de la paix et de la stabilité, de la démocratie et de l'État de droit, du progrès et du développement.
Le partenariat stratégique pour la paix et la sécurité vise à :
- renforcer le dialogue sur les défis à relever en matière de paix et de sécurité, notamment dans les enceintes internationales, afin de dégager des positions communes et de mettre en oeuvre des approches conjointes en ce qui concerne les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique, en Europe et au niveau mondial ;
- rendre pleinement opérationnelle l'architecture africaine de paix et de sécurité (AAPS), afin d'en assurer le bon fonctionnement et de lui permettre de relever les défis en matière de paix et de sécurité en Afrique, notamment en ce qui concerne la prévention et la reconstruction au lendemain des conflits ;
- assurer le financement prévisible des opérations de soutien de la paix conduites par l'Afrique, notamment en oeuvrant ensemble à l'élaboration, dans le cadre du chapitre VIII de la Charte des Nations unies, d'un mécanisme de l'ONU visant à financer de manière durable, souple et prévisible les opérations de maintien de la paix menées par l'UA ou sous son autorité et approuvées par le Conseil de sécurité de l'ONU.
L'Union européenne a apporté un soutien au renforcement des capacités africaines de gestion des crises et à la Force africaine en attente, notamment à travers la pérennisation d'un nouvel instrument financier : la Facilité européenne pour la paix en Afrique, créée en 2003. Les 9 e et 10 e FED ont créé une facilité de paix dotée de 300 millions d'euros, montée à 450 millions depuis.
Cette facilité finance des actions au profit de la paix de manière à pourvoir aux opérations de paix des Africains sur le continent. En effet, si l'Union africaine prononce des sanctions, elle ne dispose pas encore de moyens pour les mettre en application. Sur l'ensemble de son budget de 250 millions de dollars, seuls 45 millions proviennent des cotisations des Etats membres. Au sein de cet ensemble, seuls quelques pays contribuent de manière significative.
Le sommet UE-Afrique de Syrte, en Libye, en novembre 2010, a poursuivi cette démarche en soulignant notamment que « Nous sommes fermement décidés à rendre l'architecture africaine de paix et de sécurité pleinement opérationnelle, en étroite coopération avec les organisations régionales. Pour ce qui est des opérations de maintien de la paix dirigées par l'UA, il a été convenu d'oeuvrer à l'obtention de financements souples, prévisibles et durables. »
Les initiatives de l'Europe dans les domaines de la défense et de la sécurité touchent aujourd'hui un large périmètre lié aux opérations et missions de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC) ainsi qu'à l'entraînement et à la formation.
Sur les 16 missions civiles et opérations militaires actuelles de la PSDC, 8 ont lieu sur le territoire africain et concernent plus particulièrement la bande sahélienne, à savoir Mali, Niger, Soudan jusqu'à la Corne de l'Afrique, et la République démocratique du Congo. La proportion devrait augmenter car, sur la seule année 2012, les 4 dernières missions lancées l'ont été sur le territoire africain, a fortiori dans la bande sahélienne.
Pour le Sahel, une stratégie pour la sécurité et le développement a été adoptée en octobre 2010 avec comme objectifs le retour à la sécurité, une réduction de la pauvreté et une relance de l'économie. La dernière mission (EUTM Mali), décidée par le Conseil le 17 janvier 2013, vise à appuyer la formation et la réorganisation des forces armées maliennes.
Un autre champ d'action privilégié de l'Europe est la Corne de l'Afrique, qui comprend Djibouti, Erythrée, Ethiopie, Kenya, Somalie et Ouganda. Un cadre stratégique a été approuvé et un Représentant spécial a été nommé, avec mission de coordonner les moyens de l'Union européenne déployés sur place en se focalisant plus particulièrement sur la Somalie et la lutte contre la piraterie.
L'opération anti-piraterie EUNAVFOR Atalante a permis de protéger les navires du Programme Alimentaire Mondial (PAM) et d'éradiquer progressivement la piraterie. En parallèle, l'Union européenne continue à former et entraîner les soldats somaliens qui participent maintenant à la reconquête de leur pays aux côtés de l'AMISOM, mission de l'Union africaine financée par l'Europe.
Une troisième mission, EUCAP Nestor, est en cours de montée en puissance. Elle a pour objectif de renforcer les capacités maritimes de cinq pays de la Corne de l'Afrique et de l'océan Indien occidental. Elle constitue en soi un élément important de l'approche globale de l'Union européenne en matière de lutte contre la piraterie. Dans le cadre de cette mission, l'Union européenne a développé des partenariats stratégiques avec l'Organisation maritime internationale (OMI), l'Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) et le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).
Une des particularités de ces interventions est la complémentarité avec les autres projets de coopération au développement financés par l'Union européenne Pour la Somalie, un programme complet de la Commission européenne couvre les secteurs de la gouvernance (institutions, État de droit, droits de l'homme), de l'éducation, du domaine social et du développement économique (ressources en eau, élevage, agriculture).
Depuis 2011, l'Union européenne alloue, en marge du Programme alimentaire mondial, une aide humanitaire supplémentaire pour venir en aide aux victimes de sécheresses, d'inondations, de famines, de conflits et de déplacements. On peut estimer que pour la seule Somalie, l'enveloppe financière engagée par l'Union européenne en 2012 s'est élevée à plus de 500 millions d'euros.
Dans ces opérations, la France est souvent restée une nation-cadre, notamment en Afrique francophone, tout en bénéficiant d'un soutien européen important.
La France trouve, quand elle arrive à convaincre ses partenaires à Bruxelles, une légitimité et des moyens qui lui font défaut ; en contrepartie, l'Europe a pu trouver de nouveaux « terrains d'expérimentation » pour sa politique de défense commune.
Le recours à des forces « européennes » est nécessaire car, dans certains pays, une intervention bilatérale s'avère impossible tant l'opinion publique serait réticente à voir l'ancienne puissance coloniale intervenir militairement. C'est typiquement le cas de la RDC.
L'affaire du Mali montre cependant le chemin à parcourir pour que l'européanisation de notre politique de sécurité en Afrique ait un sens. Pour l'instant l'Europe n'a pas de capacité politique à entrer en premier dans un théâtre d'opérations en Afrique comme ailleurs. Les délais de discussion pour obtenir une décision unanime sont incompatibles avec les nécessités d'une action militaire, comme l'a illustré le cas du Mali.
De même, le bilan de l'européanisation de RECAMP apparaît aux yeux de nombreux interlocuteurs encore assez décevant. Le programme EUROCAMP s'est concrétisé par un premier cycle d'exercices dit « Amani Africa », conduit de 2008 à 2010, pour lequel la France a accepté de demeurer nation-cadre.
L'appropriation de ce dialogue stratégique par l'Union Européenne semble s'être traduite par un essoufflement de la dynamique et une diminution de la coopération.
Les réticences des Allemands, voire des Anglais, à exercer un rôle actif dans la sécurité régionale africaine ont des raisons historiques, mais tiennent également au comportement de la France.
A titre d'illustration, lors de l'opération au Tchad en février 2008, l'intervention des soldats d'Épervier au profit d'Idriss Déby a donné aux partenaires européens de la France l'impression d'être instrumentalisés par Paris pour maintenir au pouvoir l'un de ses alliés africains. Certains des États de PUE ont alors envisagé le retrait de leurs soldats déjà déployés ; quant à l'Allemagne et au Royaume-Uni, l'intervention française les a confortés a posteriori dans leur décision de ne pas envoyer de troupes pour l'opération européenne.
C'est donc en impliquant en amont ses partenaires sur des objectifs partagés que la France peut espérer partager avec ses partenaires européens des responsabilités dans la stabilité du continent.
La politique de l'Union européenne en Afrique dans les domaines de la sécurité et de la défense concerne enfin des perspectives à plus long terme.
L'interlocuteur privilégié reste l'Union africaine (UA), dont le rôle est d'assurer la concertation à moyen terme et, si nécessaire, d'intervenir pour la stabilité du continent. En particulier, l'Union africaine développe une architecture africaine de paix et de sécurité destinée à lui permettre de garantir la paix et la stabilité sur le continent.
Afin de participer à cet objectif, l'Union européenne a signé avec l'Union africaine une stratégie commune en 2007, traduite dans un plan d'action financé par l'Union européenne à hauteur d'1 milliard d'euros.
Aujourd'hui, vue la situation de l'Europe de la défense et de la politique étrangère commune, à européaniser sa politique africaine, la France gagne en légitimité et en moyens et perd en autonomie et en réactivité.
La situation actuelle se caractérise par un entre-deux où la France cherche à jouer sur les deux tableaux en cherchant un équilibre entre l'invention d'une politique africaine de l'Europe aujourd'hui embryonnaire et le maintien d'une spécificité française en Afrique.