3. Les pays du Golfe et la carte religieuse
Comme au Proche et au Moyen Moyen-Orient, la diplomatie saoudienne se fonde sur les pétrodollars et une influence religieuse croissante.
Partant de l'Erythrée et suivant l'axe Karthoum-Ndjamena, traversant les provinces nord du Nigeria où s'applique la Charia, le Niger, le Nord Mali pour atteindre finalement le Sénégal, siège régional de la Ligue islamique mondiale, principal outil d'influence de l'Arabie Saoudite, un projet d'influence wahhabite semble se dessiner en Afrique.
La stratégie diplomatique saoudienne consiste à contourner les acteurs classiques afin d'établir un lien direct avec les populations locales. L'aide financière directe et les réseaux humanitaires facilitent le développement de son influence idéologique.
Cette volonté d'influence religieuse n'est pas nouvelle : afin de contenir l'expansion socialiste et progressiste voulue par Nasser et incarnée par la création de l'université Al-Azhar, Riyad créa l'université de Médine en 1961, point de diffusion de l'idéologie wahhabite dans le monde. Cette université est au centre du système de propagande de l'Arabie Saoudite et, selon les voeux de Riyad, « les musulmans de tous les pays islamiques sont conviés à Médine pour y étudier l'Islam (...) pour, plus tard, retourner chez eux et y enseigner et y guider ». Riyad est également à l'origine de la création du Conseil africain de coordination islamique.
Dakar accueille à la fois le siège régional de la Ligue islamique mondiale et le siège du Conseil africain de coordination islamique car le Sénégal est un des premiers pays musulman d'Afrique noire. De la même façon, la position géographique du Tchad le prédestinait à accueillir le centre de formation pédagogique de l'ISECO, équivalent de l'UNESCO pour les pays musulmans. Une annexe de l'Université de Médine a enfin été ouverte au Soudan, afin de former les prédicateurs.
L'Arabie saoudite finance des organisations islamiques locales qui agissent dans les domaines de l'humanitaire et de l'éducation afin de faire passer leur message. Les structures et les modes d'actions se multiplient, alors que l'objectif reste le même. Ainsi, après la création de la Ligue islamique mondiale, c'est la World Assembly of Muslim Youth (WAMY) qui est créée afin de rendre la politique prédicative de Riyad plus efficace et toujours plus visible. L'Arabie saoudite s'appuie également sur un réseau de personnalités religieuses influentes à l'échelle locale, allant même jusqu'à soutenir de façon assez paradoxale des entités soufies.
L'Afrique noire constitue une priorité pour la diplomatie d'influence de Riyad car elle est souvent considérée comme un maillon faible de l'Ummah, qu'il faudrait sauver et dont il faudrait garantir « l'identité musulmane ». C'est pourquoi l'Arabie saoudite soutient financièrement les associations humanitaires islamiques ainsi que les projets locaux, veillant au développement d'une éducation religieuse plutôt qu'à l'expansion de l'enseignement laïc. Les pétrodollars ainsi injectés dans les économies subsahariennes ont, durant les décennies précédentes, remodelé le paysage religieux d'une Afrique noire secouée par les crises financières. La contestation des modèles religieux sur le continent semble désormais passer par la manipulation des symboles religieux, notamment islamiques.
Le Qatar marque également un intérêt croissant pour l'Afrique depuis 2008. Il mène des actions sur plusieurs fronts. Il a lancé depuis septembre 2008 de multiples médiations pour relancer le processus politique au Darfour. Une nouvelle conférence des donateurs sur la reconstruction du Darfour a ainsi été organisée les 7 et 8 avril 2013 à Doha. En outre, l'émirat mène depuis juin 2010, à la demande de l'Erythrée et de Djibouti, une médiation dans le conflit frontalier opposant les deux pays. Le Qatar a par ailleurs signé avec le Kenya un accord pour le fermage de 40 000 hectares. Au Gabon, des discussions sont en cours à propos du gisement de fer géant de Belinga, un temps promis aux Chinois. Enfin, en décembre, le président soudanais Omar el-Béchir a conclu à Doha des accords dans les domaines minier et agricole.
Il existe une lutte d'influence sur le continent africain entre Doha et Riyad, les deux pétromonarchies cherchant à être le référent religieux pour l'ensemble de la communauté musulmane.
Les événements des « printemps arabes » ont conduit le Qatar et l'Arabie Saoudite à repenser leurs alliances stratégiques au Maghreb et au Moyen-Orient. L'influence d'Al Jazeera dans ces révolutions n'est plus à démontrer. La chaîne s'est fait le relais des intérêts qataris, soutenant les Frères musulmans lors des élections égyptiennes. A l'inverse, l'Arabie Saoudite est restée fidèle à Moubarak jusqu'à son éviction du pouvoir et accueille aujourd'hui Ben Ali. Elle cherche à limiter l'influence des Frères musulmans qu'elle considère comme un courant modéré voire mou de l'islam et a affiché son soutien aux salafistes. On retrouve cette lutte d'influence au Sahel, notamment au nord du Mali, où les deux Etats du Golfe ont apporté à différentes populations et groupes djihadistes des soutiens indirects.