2. Une indispensable industrialisation
La croissance remarquable de cette dernière décennie en Afrique ne s'est pas traduite par la diversification économique, ni par la création d'emplois en nombre conséquent.
Ben Turok, figure éminente du « Congress of Democrats », militant syndicaliste et intellectuel, député de l'ANC, figure historique de la lutte contre l'apartheid et symbole de l'opposition blanche au système de l'apartheid, nous l'a dit avec véhémence : « La plupart des économies africaines restent encore largement tributaires de la production et de l'exportation des produits de base, avec très peu de création de valeur ajoutée et peu de liens en amont et en aval avec les autres secteurs de l'économie ».
En partance pour la sixième édition de la conférence commune des ministres africains des Finances, du Planning et du Développement économique consacrée à l'industrialisation du continent, il nous a dit : « L'heure du made in Africa a sonné, l'industrialisation doit être au service de l'émergence de l'Afrique, le besoin des entreprises africaines de « transfert de technologie » et de formation est immense, la France peut participer aux transformations du continent, rejoindre le nouveau monde en investissant en Afrique ».
Force est de constater que les sérieux déficits de capacité des États et des institutions, d'infrastructures physiques et politiques ainsi que l'incapacité d'amortir les incidences des chocs extérieurs ont contribué à ce qu'il est convenu d'appeler « le défi de la transformation » du continent.
Le défi majeur qui se pose aux pays africains est de savoir comment concevoir et mettre en application des politiques efficaces pour promouvoir l'industrialisation et la transformation économique.
En dépit de quelques progrès accomplis dans le secteur manufacturier au cours des dix ans passés, le continent n'est pas encore parvenu à inverser la tendance à la désindustrialisation qui a caractérisé son changement structurel : entre 1980 et 2010, la part du secteur manufacturier dans la production totale s'est rétrécie revenant de plus de 12 % à environ 11 %, alors qu'elle est demeurée à plus de 31 % en Asie de l'Est, où les industries à forte intensité de main-d'oeuvre ont induit une croissance forte et soutenue et permis de sortir des millions de citoyens de la pauvreté.
L'Afrique accuse également du retard par rapport à l'Asie de l'Est à d'autres égards. Cette région a affiché non seulement un revenu par habitant en hausse, mais également une part croissante des exportations mondiales et des revenus au cours des quatre dernières décennies. Les politiques industrielles ont particulièrement connu du succès en Asie de l'Est en raison de l'engagement et de la vision des dirigeants et des institutions politiques qui ont mis au point et appliqué des critères stricts de performance pour les industries. Ces dernières ont bénéficié de subventions et de mesures protectionnistes, avec l'appui d'une administration publique compétente en grande partie à l'abri des pressions politiques.
Forts de richesses aussi abondantes et de la demande mondiale croissante de matières premières, les gouvernements africains établissent actuellement de nouveaux partenariats, s'emploient à accroître les investissements dans les infrastructures et à acquérir du savoir-faire et de la technologie.
Mais la production et l'exportation des matières premières à l'état brut conduit à un abandon de recettes énormes en l'absence de valeur ajoutée.
« Il n'est pas normal que 60 % de la valeur ajoutée sur le cacao soit produite hors d'Afrique » nous a dit M. Gnamien Guillaume, directeur de cabinet du ministre de l'industrie de Côte d'Ivoire.
« Plutôt que de compter sur les exportations de matières premières, le continent devrait ajouter de la valeur à ses produits de base afin de promouvoir une croissance soutenue, la création d'emplois et la transformation économique ».
La création de valeur ajoutée aiderait les pays africains à réduire leur exposition au risque de fluctuations des cours de ces produits et, dans le même temps, à passer à des produits à plus forte valeur et plus diversifiés, à des marchés finaux sur lesquels les prix dépendent plus des fondamentaux du marché que de la spéculation.
Certains pays réussissent à réaliser des progrès substantiels au plan local à partir des secteurs des produits de base non renouvelables, énergétiques ou agricoles.
En Éthiopie, nous avons été surpris de constater l'implantation d'usines chinoise de chaussures fonctionnant avec de la main-d'oeuvre locale et du cuir local. En 2012, une fabrique de chaussures du groupe Huajian a vu le jour dans la ville de Dukem, à 30 kilomètres d'Addis-Abeba. L'entreprise, qui compte Calvin Klein parmi ses clients, emploie déjà près de 600 salariés, dont la moitié sont éthiopiens. En bonne marche, elle exporte 20 000 paires de chaussures par mois. Huajian ne cache pas ses ambitions puisqu'il prévoit d'investir 1,5 milliard d'euros dans son site africain. Et ce n'est que le début. Engagés dans un partenariat public-privé, le gouvernement éthiopien et des investisseurs chinois construisent une zone industrielle entière. A terme, 80 usines et 20 000 emplois pourraient être créés. Cette plate-forme de production et d'exportation sera prête à inonder le marché local d'ici à 2014.
Au Ghana, Cadbury a investi les capitaux de lancement d'un montant de 2 millions de dollars en 2008 afin dans de petites communautés agricoles au Ghana, qui fournit les fèves de cacao pour le chocolat à Cadbury Royaume-Uni, y compris Cadbury Dairy Milk, Wispa, Flake, Creme Egg et Buttons.
Mais la création de valeur ajoutée est encore limitée et la profondeur des liens varie d'un pays à l'autre, essentiellement en raison de contraintes propres à chaque pays ou industrie qui ne peuvent être surmontées par les forces du marché et nécessitent des politiques stratégiques et systématiques d'industrialisation. Même aujourd'hui, 90 % du revenu total tiré du café va aux pays consommateurs riches -- ce qui souligne les avantages dont les pays africains se privent actuellement.