2. Des performances, des profils et un degré de diversification variable
Structurellement, les pays disposant d'une rente pétrolière ou minière ont bénéficié, sauf exception, d'une croissance économique relativement plus vigoureuse en moyenne. C'est le cas de l'Angola, du Nigéria ou du Mozambique. Mais le Congo où 50 % de la population vit avec moins de 1 dollar, alors que les recettes du pétrole s'élèvent à 2,5 dollars par habitant et par jour, constitue un contre-exemple qui s'explique par la captation de la rente pétrolière et minière.
Si on regarde les quatre dernières années, les 11 pays d'Afrique les plus performants ont atteint le seuil de 7 %, considéré comme étant un préalable à la réalisation des OMD, l'Éthiopie et la Sierra Leone occupant les deux premières places.
Le résultat de l'Éthiopie est d'autant plus remarquable que le pays ne dispose pas de ressources du sol. La croissance en Éthiopie est due à l'augmentation des investissements publics et privés, à l'amélioration de la gestion macroéconomique et au rôle accru du secteur manufacturier et des services, notamment. La croissance en Sierra Leone reflète essentiellement la reprise après la guerre civile ainsi que la mise en exploitation des ressources naturelles.
La liste des pays les plus performants (Éthiopie, Sierra Leone, Libye, Ghana, Rwanda, Liberia, Malawi, Zimbabwe, Nigeria, Mozambique) n'en souligne que davantage l'importance centrale de la production et des exportations de produits de base. Ces pays sont, dans leur majorité, fortement tributaires du pétrole et/ou des minéraux.
A l'opposé, le Swaziland, le Soudan, Madagascar, les Comores et l'Afrique du Sud ont réalisé les performances les plus faibles durant la période 2008-2012.
L'économie du Swaziland a connu un ralentissement en raison notamment du déclin de l'industrie textile et du vêtement. Le faible taux de croissance du Soudan est largement dû à une contraction de 11 % en 2012, provoquée par l'environnement politique, la poursuite de la guerre civile, la sécession du Soudan du Sud et les tensions frontalières qui en ont découlé, autant de facteurs qui expliquent la faiblesse de ses taux de croissance moyens. Cependant, en raison de l'intensification des efforts de paix aux niveaux national et régional, la croissance dans ce pays devrait rebondir dans le moyen terme.
L'exposition de l'Afrique du Sud aux marchés financiers mondiaux a joué un rôle important dans sa faible performance de croissance durant les cinq dernières années. Nous avons cependant été frappés par la faiblesse des performances de ce géant de l'Afrique dont le PIB représente 30 % du PIB subsaharien. L'Afrique du Sud n'est pas la locomotive de la croissance africaine que l'on envisageait dans les années 90.
Une des façons de comprendre la spécificité, en termes d'opportunités et de défis, des pays africains est de les classer en fonction de leur niveau de diversification économique d'une part, et de leurs exportations rapportées au nombre d'habitants d'autre part.
Ceci permet d'évaluer deux dimensions connexes : la capacité à développer d'autres sources de croissance économique en plus des ressources naturelles et de l'agriculture, et la capacité à générer des revenus d'exportation pour financer l'importation de biens d'équipements nécessaires aux investissements. L'histoire économique montre que des progrès sur ces deux axes accompagnent généralement le développement des États.
Le modèle résultant de cette classification permet de distinguer quatre grands groupes de pays : ceux à économies diversifiées, les exportateurs de pétrole, ceux à économies en transition et ceux à économies en pré-transition.
Malgré des différences sensibles entre pays au sein d'un même groupe, les structures et les défis économiques sont relativement homogènes pour chaque catégorie. Notre modèle permet ainsi de mieux identifier les opportunités de croissance au-delà de la variété des situations nationales.
Parmi les économies diversifiées, qui constituent les moteurs de la croissance, certaines possèdent déjà une industrie manufacturière et un secteur des services bien développés, comme l'Afrique du Sud.
Au cours des 10 dernières années, le secteur tertiaire (ex. banque, télécoms et commerce de détail) a représenté plus de 50 % de la croissance de leur PIB national. Ces économies affichent les taux de croissance les plus stables d'Afrique et devraient largement bénéficier du renforcement de leurs liens avec l'économie mondiale.
Toutefois, les économies africaines diversifiées affichent encore des coûts unitaires de la main d'oeuvre supérieurs à ceux de la Chine ou de l'Inde, et doivent par conséquent chercher à se développer dans des secteurs à plus forte valeur ajoutée. Elles devront également relever d'autres défis : accroître leurs exportations, tant sur les marchés régionaux que mondiaux, améliorer l'éducation afin de disposer de la main d'oeuvre qualifiée indispensable dans les secteurs de pointe, et développer les infrastructures nécessaires pour accompagner la croissance.
Pour les exportateurs de pétrole, la stratégie consiste à renforcer leur croissance en se diversifiant. Les pays africains exportateurs de pétrole et de gaz affichent le PIB par habitant le plus élevé, mais ont les économies les moins diversifiées. La hausse des cours de l'or noir a considérablement gonflé leurs recettes d'exportation : entre 2000 et 2008, les trois plus gros producteurs (l'Algérie, l'Angola et le Nigeria) ont engrangé 1000 milliards de dollars grâce aux exportations de pétrole, contre 300 milliards de dollars dans les années 90.
Toutefois, l'industrie manufacturière et les services restent relativement modestes, puisqu'ils ne représentent qu'un tiers du PIB en moyenne. Ces pays bénéficient de solides perspectives de croissance, pour autant que la manne pétrolière soit utilisée pour financer le développement de leur économie dans d'autres secteurs.
Les exportateurs de pétrole africains sont aussi confrontés à des défis partagés par nombre de pays en développement de par le monde, notamment celui de préserver la stabilité politique et de maintenir le rythme des réformes économiques ; de résister à la tentation de trop dépenser et de surinvestir, ce qui les rendrait vulnérables à un recul des cours des matières premières ; et d'établir un environnement économique permettant aux entreprises de tous les secteurs de prospérer.
Les économies africaines en transition, au nombre desquelles figurent le Ghana, le Kenya et le Sénégal, affichent un PIB par habitant inférieur à celui des pays des deux premiers groupes, mais leurs économies se développent rapidement. Les secteurs de l'agriculture et des ressources naturelles cumulés pèsent 33 % du PIB et deux tiers des exportations. Toutefois, ces pays exportent aussi de plus en plus de biens manufacturés, principalement vers d'autres parties du continent : des combustibles et produits alimentaires transformés, des produits chimiques, des vêtements et des cosmétiques par exemple. Développer le commerce intra-africain et élargir les marchés régionaux est l'une des sources de croissance future des économies en transition.
Ces pays pourraient également concurrencer des économies émergentes à bas coûts sur le marché mondial en améliorant leurs infrastructures et leurs régimes réglementaires. Par ailleurs, même si le secteur tertiaire connaît une expansion rapide, les taux de pénétration de certains services comme les télécoms, la banque ou le commerce de détail formel restent largement inférieurs à ceux des pays où l'économie est diversifiée, d'où une opportunité pour les entreprises de répondre à une demande insatisfaite. Enfin, plusieurs économies en transition vont probablement accroître leurs exportations de ressources naturelles dans les années à venir, ce qui pourrait stimuler leur croissance. Grâce aux nouveaux gisements pétroliers récemment découverts, le Ghana et l'Ouganda, par exemple, vont engranger des recettes supplémentaires qui, judicieusement investies, pourraient accélérer aussi leur diversification.