C. LA TRAJECTOIRE BUDGÉTAIRE DEPUIS 2001
La police et la gendarmerie peuvent s'appuyer sur une organisation cohérente du processus décisionnel en matière d'investissement ainsi que sur le précieux outil d'aide à la décision que représente la programmation pluriannuelle. Pour autant, cet environnement favorable ne préjuge en rien de l'évolution des crédits consacrés à l'effort d'investissement. Précisément, cet effort s'est caractérisé par plusieurs inflexions notables depuis la mise en oeuvre de la LOSPI 1. Globalement, après une période de hausse relativement continue, les crédits d'investissement de la police et de la gendarmerie connaissent désormais une forte contraction.
1. Le « stop and go » des crédits de la police
Le montant de l'enveloppe dédiée aux investissements de la police par la loi précitée du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 s'établit à 156,5 millions d'euros .
Le graphique ci-dessous retrace l'évolution des crédits d'investissement de la police depuis 2001.
Ainsi que le fait apparaître ce graphique, les crédits d'investissement de la police ont subi une évolution assez heurtée depuis le début des années 2000. Faite d'une succession de hausses et de baisses plus ou moins marquées, cette trajectoire a ainsi pu inspirer à votre commission des finances l'utilisation du terme de « stop and go » au cours des années passées 10 ( * ) .
Les crédits d'investissement de la police ont crû fortement entre 2002 et 2007 en passant de 195,2 millions d'euros consommés à 261,5 millions d'euros, soit une hausse de 34 %. Cette augmentation s'explique par l'effet des crédits supplémentaires accordés dans le cadre de la LOPSI 1.
Le recul observé en 2008 (les crédits initialement prévus passant de 284 millions d'euros en 2007 à 220,8 millions d'euros en 2008, soit une baisse de 22,2 %) marque, quant à lui, la fin de la LOPSI 1 .
Le ressaut enregistré à l'occasion de la loi n° 2009-1673 du 30 décembre 2009 de finances pour 2010 (223 millions d'euros prévus contre 210,9 millions dans la loi n° 2008-1425 du 27 décembre 2008 de finances pour 2009) traduisait le début de la LOPPSI 2.
Toutefois, la LOPPSI 2 ne s'accompagnant d'aucun abondement supplémentaire en faveur de l'effort d'investissement de la police, « les crédits ne furent pas au rendez-vous ». Dès la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, l'enveloppe prévue chute à 159,9 millions d'euros (- 28,3 %) .
Le mouvement de « va-et-vient » s'est poursuivi au cours des deux derniers exercices , les dépenses d'investissement prévues pour 2012 s'élevant à 174,5 millions d'euros en 2012 (+ 9,1 %) et celles pour 2013 à 156,5 millions d'euros (- 10,3 %).
Au total, il ressort une évolution saccadée depuis 2001, mais marquée par une tendance de fond depuis 2009 : la baisse significative des crédits consommés . En 2009, ces crédits s'élevaient à 233,3 millions d'euros, tandis que leur montant n'est plus que de 141 millions d'euros pour 2012, soit une décrue de 39,5 % sur la période.
Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit, quant à lui, une enveloppe de 192,8 millions d'euros (+ 23,2 %).
Les écarts entre les prévisions initiales et l'exécution budgétaire sur la période trouvent plusieurs origines.
Tout d'abord, des mouvements de crédits peuvent venir fortement modifier l'équilibre initialement déterminé en loi de finances. Ainsi, en 2009, le programme « Police nationale » a été abondé de plus de 44 millions d'euros au titre de l'investissement immobilier. Par ailleurs, certaines années peuvent être marquées par une sous exécution plus forte qu'à l'habitude du fait de marchés déclarés infructueux, de conditions climatiques défavorables pour l'immobilier, d'arrêts de chantier par l'inspection du travail ou liés à la découverte d'amiante dans les bâtiments en travaux, de spécifications techniques des marchés relatifs aux SIC non respectées... Des redéploiements sont alors effectués au sein du programme « Police nationale » à partir des crédits ainsi libérés. Enfin, le choix final du titre retenu lors de l'exécution appartient au comptable public. Il n'est ainsi pas rare de voir des crédits classés en titre 5 en loi de finances initiale être finalement exécutés en titre 3. Ce cas de figure peut concerner aussi bien les dépenses de modernisation technologique que les dépenses immobilières.
2. La chute de l'investissement de la gendarmerie à partir de 2008
Le montant de l'enveloppe dédiée aux investissements de la gendarmerie par la loi précitée du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 s'établit à 260,2 millions d'euros .
Le graphique ci-dessous retrace l'évolution des crédits d'investissement de la gendarmerie depuis 2001.
La trajectoire des crédits d'investissement de la gendarmerie subit moins de soubresauts que celle de la police depuis 2001. Il s'en dégage encore plus nettement une forte tendance à la baisse, et ce depuis 2008.
L'impact budgétaire de la LOPSI 1 se fait sentir à compter de 2003 . Lors de cet exercice, les crédits ouverts en loi de finances initiale progressent de 28,5 % par rapport à ceux de 2002, en passant de 328,6 millions d'euros à 422,2 millions d'euros.
Au total, entre 2002 et 2007, les crédits prévus croissent de 73,5 % (570 millions d'euros en 2007). Une augmentation comparable se retrouve au niveau des crédits consommés qui progressent de 335,5 millions d'euros en 2002 à 525,3 millions d'euros en 2007 (+ 56,6 %). Ce résultat est obtenu malgré un retard d'exécution de la LOPSI 1 en 2004 caractérisé par un fort taux de sous-consommation des crédits ouverts (311,8 millions d'euros consommés contre 445 millions d'euros prévus, soit un taux de consommation de seulement 70 %).
A compter de 2008, le budget consacré à l'investissement de la gendarmerie connaît un retournement de tendance . De 570 millions d'euros ouverts en 2007, il chute à 249,4 millions d'euros en 2012, soit un recul de 56,2 %. De même, les crédits consommés passent de 525,3 millions d'euros en 2007 à 243,2 millions d'euros en 2012, soit une baisse de 53,7 %.
Avec une enveloppe ouverte de 260,2 millions d'euros, la loi précitée du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 s'inscrit en rupture avec ce mouvement . L'effondrement continu depuis 2008 de l'investissement de la gendarmerie s'interrompt et une légère reprise de l'effort est enregistrée : + 4,3 % (soit 10,8 millions d'euros supplémentaires).
Le projet de loi de finances pour 2014 prévoit, quant à lui, une enveloppe de 117,7 millions d'euros pour le titre 5 (dépenses d'investissement).
3. La faiblesse des marges de manoeuvre en gestion
Dans un contexte où les responsables des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » voient se restreindre les enveloppes dédiées à l'investissement en loi de finances initiale, subsiste-t-il des marges de manoeuvre pour faire face à des aléas de gestion ? Des besoins en investissement nouveaux et imprévisibles peuvent-ils être couverts en cours d'année ?
A cette question, des éléments de réponse peuvent être apportés grâce à l'analyse de la gestion des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » en 2012 .
Ainsi que l'a souligné votre rapporteur spécial lors de l'examen du projet de loi de règlement du budget et d'approbation des comptes de l'année 2012, la mission « Sécurité » a connu de très fortes tensions sur son budget au cours de l'exercice 2012.
L'insoutenabilité du budget des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » sans le déblocage de la réserve de précaution dès le début de l'exercice en 2012 « La décision (non prévue lors de l'élaboration initiale du budget pour 2012) de prolonger le « plan de mobilisation des forces de sécurité » lancé en 2011 a eu (...) pour conséquence de maintenir la pression budgétaire liée au recrutement des 800 adjoints de sécurité (ADS) et des 200 gendarmes adjoints volontaires (GAV) dans le cadre de ce plan. « Dès le 4 janvier 2012, le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (CBCM) avait d'ailleurs souligné l'impasse budgétaire prévisible . Il avait ainsi apposé son visa sur la programmation budgétaire initiale tout en l'assortissant d'avertissements explicites : « Le contrôleur budgétaire et comptable ministériel (...) appose son visa pour permettre la mise en place des crédits, bien que cette programmation ne soit pas soutenable hors mise en réserve sur le titre 2 ». « Pour le programme « Police nationale » , le ministère de l'intérieur a demandé, le 14 décembre 2011, la levée de la réserve de précaution, pour le début de l'exercice, à hauteur de 40,7 millions d'euros sur le titre 2 en arguant de la prolongation du « plan de mobilisation », des recrutements effectués, de l'emploi accru des réservistes et du mécanisme « d'optimisation opérationnelle des forces de police » (c'est à dire l'indemnisation des heures supplémentaires). Le ministère prévoyait dans son document initial prévisionnel de gestion une quasi saturation du plafond d'emplois du programme avec une consommation de 143 678 ETPT pour 143 689 ETPT autorisés. Cette saturation du plafond ne pouvait être réalisée que par une surconsommation des crédits de titre 2 à hauteur de 19,9 millions d'euros, couverte par la levée partielle de la réserve de précaution. « Hors titre 2 et toujours au sein du programme « Police nationale », les prévisions faisaient ressortir un besoin de 56,7 millions d'euros en CP, ainsi que le souligne la Cour des comptes dans son « Analyse de l'exécution du budget de l'Etat par mission et programme - Exercice 2012 - Sécurité ». Ce besoin ne pouvait, lui aussi, être couvert que par la levée de la réserve. Il correspondait au paiement des frais de fourrière, au fonctionnement d'une plate-forme technique mutualisée avec le ministère de la défense et à un surcoût induit par l'organisation de la direction des systèmes d'information et de communication (DSIC). « S'agissant du programme « Gendarmerie nationale » , plusieurs dépassements des crédits ouverts sur le titre 2 étaient également prévus par le ministère : « - 9,6 millions d'euros sur l'enveloppe dédiée à l'emploi des réservistes, du fait du renouvellement non anticipé du « plan de mobilisation des forces » ; « - 3,3 millions d'euros (à rapporter aux 11 millions d'euros initialement budgétés) pour l'enveloppe destinée aux opérations extérieures (OPEX). « Ces dépassements devaient être couverts par le dégel de la réserve de précaution. La mise en oeuvre de la fongibilité asymétrique à hauteur de 8,3 millions d'euros était également envisagée. ». Source : Sénat, rapport n° 711 (2012-2013) de François Marc, rapporteur général |
Le recours à la réserve de précaution dès le début de l'année 2012 souligne la trajectoire budgétaire particulièrement tendue de la mission « Sécurité » et de chacun de ses deux programmes. Alors que la réserve de précaution est destinée à faire face à des aléas de gestion ou à des erreurs de prévision, elle a été utilisée pour couvrir des besoins courants ou anticipés dès l'ouverture de l'exercice budgétaire. Ce choix témoigne de l'extrême faiblesse des marges de manoeuvre à la disposition des gestionnaires. Dans ces conditions, l'émergence de besoins inattendus en investissement au cours de l'année ne peut guère être couverte par un abondement via la réserve de précaution.
Recommandation n° 3 : respecter strictement le principe d'emploi de la réserve de précaution, qui a pour objet de permettre de couvrir des besoins non anticipés ou liés à des erreurs de prévision. |
* 10 Cf . Sénat, rapport spécial n° 111 (2010-2011), tome III - annexe 27 : « Sécurité », de votre rapporteur spécial, alors Aymeri de Montesquiou.