ANNEXES
Annexe 1.- Lettre de saisine de Mme la Présidente de la commission des Affaires sociales
Annexe 2.- Compte-rendu des auditions de la délégation
Annexe 3.- Programme des auditions menées par Mme Laurence Rossignol, rapporteure
Annexe 1 - Lettre de saisine de Mme la Présidente de la commission des Affaires sociales
Annexe 2 - Compte rendu des auditions de la délégation
Audition de l'Union nationale des associations
familiales (UNAF)
M. François Fondard, président,
Mme
Guillemette Leneveu, directrice
générale,
accompagnés de
Mme
Claire Ménard, chargée des relations avec le
Parlement
(3 octobre 2013)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous débutons nos travaux sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraite par l'audition des représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) : M. François Fondard, son président, Mme Guillemette Leneveu, sa directrice générale, accompagnés de Mme Claire Ménard, chargée des relations avec le Parlement.
L'UNAF avait été auditionnée dans le cadre des réflexions préalables au projet de loi menées notamment par la commission présidée par Mme Yannick Moreau qui a rendu son rapport le 12 juin 2013.
Je vous précise que notre collègue Laurence Rossignol sera la rapporteure de la délégation et que nous sommes aujourd'hui particulièrement intéressés de savoir comment l'UNAF évalue les réponses apportées par ce texte à la problématique spécifique de la retraites des femmes.
M. François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales . - La question des droits des femmes revêt une importance particulière au regard du rôle qu'elles jouent dans la famille et qui, de temps partiels en interruptions de carrière, aboutit à d'énormes différences de pensions : elles perçoivent 950 euros de pension en moyenne contre 1 450 pour les hommes. Le temps partiel ne se limite pas à l'âge de la maternité ; la question est plus globale et les dispositifs relatifs à la retraite ne suffiront pas à combler les écarts creusés pendant la vie professionnelle. Il faut agir en amont en faveur d'une meilleure intégration de la vie professionnelle et de la vie familiale ; ce sera d'ailleurs le thème d'un colloque que nous organisons au Conseil économique, social et environnemental (CESE) le 21 novembre 2013 et auquel nous vous convions.
Quelques chiffres relatifs aux mesures actuelles : l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) coûte 4,5 milliards d'euros, les majorations de pensions 3,75 milliards et les majorations de durée d'assurance (MDA) s'élèvent à 4 milliards, tandis que les majorations de pensions des régimes Agirc et Arrco représentent 1,5 milliard. Quant aux majorations dans la fonction publique, elles coûtent 610 millions pour les agents territoriaux et 1,2 milliard pour les personnels de l'État. Conformément aux prévisions du Haut conseil de la famille, les deux premières dépenses représentent donc 8 milliards d'euros, à la charge de la branche famille.
La réforme des droits familiaux est légitime car ces droits ont vieilli quand bien même les objectifs qui les fondent demeurent d'actualité.
S'agissant tout d'abord des pensions de réversion, le gouvernement n'a pas souhaité engager de réforme dans ce domaine et nous donnons, pour notre part, la priorité au rapprochement entre les régimes.
Pour ce qui est de l'AVPF et des MDA, force est de constater que si la retraite des mères de famille est aujourd'hui particulièrement faible du fait de cotisations inférieures. Une correction de cette situation est attendue à l'échéance de 2020 : à cette période, elles devraient toutes pouvoir bénéficier d'une retraite à taux plein. Leur période de cotisation validée sera même supérieure à celle des hommes du fait précisément de l'AVPF et de la MDA. L'hypothèse d'une fusion de la MDA et de l'AVPF envisagée par le rapport Moreau mérite examen, même s'il faut être très prudent quant à ses modalités. Il faut regarder les choses au cas par cas car ces deux dispositifs ne se cumulent pas toujours : leur fusion pourrait avoir pour conséquence, lors de la liquidation des droits, des carrières non complètes pour certaines mères de famille.
Je terminerai par les majorations de pensions évoquées par l'article 13 du projet de loi. Conscients de la nécessaire réforme des majorations, nous avions proposé leur fiscalisation dans le cadre du débat sur les économies de la branche famille - ces mesures ont été annoncées par le Premier ministre le 3 juin 2013. La majoration est bien prévue par le projet de loi de finances mais nous regrettons qu'elle ne bénéficie pas précisément à la branche famille.
Dans la mesure où les majorations de pensions profitent davantage aux hommes - aussi bien dans le cadre du régime général que dans celui des régimes complémentaires - nous sommes favorables à sa forfaitisation. Nous sommes toutefois opposés à son extension aux familles d'un ou de deux enfants envisagée par l'article 13 du projet de loi. Il convient en effet de reconnaître l'investissement réalisé par les familles de trois enfants et plus, dont on sait que le niveau de vie moyen est de plus de 25 % inférieur à celui des familles de deux enfants.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Qu'entendez-vous par niveau de vie ? Cette différence se poursuit-elle au moment de la retraite, une fois que les enfants ne sont plus à charge ?
M. François Fondard . - C'est difficile à évaluer.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le niveau de vie de ces familles reste-t-il inférieur au moment de la retraite ?
M. François Fondard . - Il est certain qu'à niveau de revenu égal, une famille de trois enfants dispose de moins de patrimoine, notamment immobilier, qu'une famille de deux enfants. C'est vrai en particulier depuis la disparition des aides à la pierre, il y a une vingtaine d'années.
Du fait du temps partiel et des différences de salaires, la majoration de pension pour enfant, qui représente 10 % de la pension versée par le régime général, bénéficie davantage aux hommes. Cette inégalité serait corrigée par la forfaitisation, le montant aujourd'hui envisagé pour le forfait étant de 122 euros. Il ne s'agit bien sûr pas de mettre fin, par cette seule mesure, à toutes les différences qui affectent le niveau des pensions car ces différences résultent fondamentalement des écarts de salaires.
En résumé, oui à la forfaitisation, mais non à son élargissement aux familles de moins de trois enfants, qui la dénaturerait.
Le quotient conjugal est aussi remis en cause au motif qu'il serait néfaste à l'activité professionnelle des femmes. Mais nous n'en sommes pas convaincus.
Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l'Union nationale des associations familiales . - La rédaction de l'article 13 du projet de loi pose effectivement problème. Que la loi annonce un rapport, soit. Mais tel qu'il est rédigé, le texte semble retenir d'ores et déjà l'option d'une forfaitisation dès le premier enfant. Si l'article était maintenu, mieux vaudrait une rédaction ouverte à plusieurs scenarios. L'élargissement de cet avantage à un plus grand nombre de familles affecterait son montant ; quid des conséquences sur les familles modestes ?
Mme Françoise Laborde . - Il est vrai que cette affaire de majoration et de forfaitisation n'est pas simple. Il faut l'égalité entre hommes et femmes, mais ce sont, à ma connaissance, ces dernières qui portent les enfants... Il y a quand même une petite différence !
Monsieur le Président, pouvez-vous revenir sur les projections en matière de retraites à taux plein pour les femmes en 2020 ? Quelles femmes ne seraient pas concernées ?
Mme Gisèle Printz . - Comment s'explique la différence dans le montant des pensions ? Selon quelles modalités la majoration pour trois enfants peut-elle bénéficier à l'homme ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Si chacun des membres du couple touche une pension de retraite, ils bénéficient tous les deux de la majoration pour trois enfants. Mais si dans un couple l'écart dans le montant des pensions est très marqué, la bonification accroît cet écart. Comment cela impacte-t-il la réversion ? La femme ne percevra qu'une pension de réversion dans laquelle la majoration est plafonnée. N'aurait-elle pu percevoir un montant plus important si elle avait pu bénéficier directement de la totalité de la majoration ?
M. François Fondard . - Sur une pension moyenne de 950 euros, une femme perçoit 600 euros en provenance du régime général, soit une majoration de 60 euros au titre de ce régime, si elle a eu trois enfants et plus. Pour un homme, le régime général versant une pension moyenne de 1 000 euros sur 1 450, la majoration sera alors de 100 euros. Notre proposition serait donc de rendre la majoration forfaitaire, par exemple en l'établissant à 122 euros pour chaque parent comme proposé par le Conseil d'orientation des retraites (COR). La forfaitisation continuerait donc à réduire les inégalités.
Quant à l'idée, que vous évoquez, consistant à porter ce chiffre à 244 euros au seul bénéfice de la femme, je vous rappelle que la Cour de justice de l'Union européenne a rendu un jugement aux termes duquel notre ancien dispositif de MDA était discriminatoire pour les hommes. Ceci a contraint notre pays à instaurer pour les pères la possibilité de demander une année de MDA, qui est, fort heureusement, peu connue par ces derniers. La décision de la Cour nous a semblée scandaleuse mais c'est ainsi : si nous ne réservions les majorations de pensions qu'aux femmes, il y aurait discrimination.
En matière de réversion, les femmes vivant en moyenne six années de plus que les hommes, perçoivent effectivement 54 % de la pension du régime général avec sa majoration, mais plafonnée, et la même part de la pension au titre des régimes complémentaires, elle aussi majorée, mais non soumise à plafond. Ce principe n'est pas remis en cause et nous considérons qu'il n'y a pas lieu de le faire.
La différence de pensions moyennes entre les femmes et les hommes s'explique d'abord par un écart de salaires de 25 % ...
M. Roland Courteau . - ... de 27 % !
M. François Fondard . - Elle tient aussi à une perte de trimestres d'assurance pour les femmes qui n'ont bénéficié ni de l'AVPF - qui génère aujourd'hui des trimestres de cotisations pour celles qui arrêtent de travailler pour se consacrer à l'éducation des enfants -, ni de la valorisation pendant toute la durée du congé parental d'éducation, ni de la majoration de durée d'assurance.
Une part de l'écart résulte aussi du recours au temps partiel.
Toutefois, comme je l'ai dit, en 2020, ce sont bien toutes les femmes qui devraient bénéficier d'une retraite à taux plein, comme l'indiquait un rapport du Sénat publié il y a trois ou quatre ans.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Concernant l'argument de la discrimination en matière de majoration, n'oublions pas que la Cour de justice prend aussi en compte les différences de situation. Or, on pourrait tout à fait plaider que c'est bien la retraite à taux réduit des femmes qui a permis celle à taux plein de leur conjoint. Ne pourrait-on pas dire qu'il s'agit pour ces derniers d'une forme d'enrichissement sans cause ? D'autant qu'il a pu y avoir séparation ; ce n'est pas toujours la vie commune, la caisse commune et le conte de fées.
M. François Fondard . - Vous avez raison, la situation des femmes après une séparation peut être très difficile. On sait que 50 % des couples mariés se séparent. Et il n'est pas rare qu'une mère de trois ou quatre enfants ne perçoive qu'une pension de 800 euros quand celle de son mari dépasse les 3 000. C'est à la pension compensatoire qu'il devrait revenir de compenser ce type d'inégalités au moment de la séparation. Or, il y a souvent un manque d'information sur ces sujets. Soyons-y très attentifs car dans 98 % des cas, ce sont les femmes qui sont pénalisées.
Certes, même en cas de séparation, le conjoint a droit à une pension de réversion mais il est tout de même délicat de considérer que l'on doive attendre le décès de son ex-conjoint pour disposer de ressources convenables.
Mme Corinne Bouchoux . - Comment les familles homoparentales sont-elles prises en compte dans le cadre de votre organisation et de ces travaux ?
M. François Fondard . - Certaines associations de parents de même sexe ont demandé à être agréées par l'UNAF et leurs dossiers sont en cours d'instruction. Dès lors que leurs statuts respectent le code de l'action sociale et des familles et qu'elles se conforment à la pratique de notre organisation, il sera fait droit à leur demande.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.
Audition du Conseil d'orientation des retraites
(COR)
M. Yves Guégano, secrétaire
général,
M. Jean-Michel Hourriez, responsable des
études
(3 octobre 2013)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je remercie MM. Yves Guégano, secrétaire général, et Jean-Michel Hourriez, responsable des études, représentants du Conseil d'orientation des retraites (COR), d'avoir répondu à notre invitation pour nous aider à préparer notre réflexion sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
J'informe MM. Guégano et Hourriez que notre collègue Mme Laurence Rossignol a été désignée pour être la rapporteure de la délégation.
Je rappelle que le COR a pour mission première d'assurer le suivi permanent du système des retraites. Il s'appuie pour cela sur une structure associant parlementaires, experts, partenaires sociaux et représentants de l'État français. Le COR constitue ainsi un lieu permanent d'études et de concertation entre les principaux acteurs des retraites.
Son rapport annuel, dont la publication fait partie de ses missions, a porté en 2013 sur un « état des lieux » du système de retraites français destiné à servir de base, entre autres expertises, à l'élaboration de la réforme dont le projet de loi qui nous est soumis est le préalable législatif.
Je rappelle qu'un précédent rapport du COR avait, en 2008, été consacré aux droits familiaux et conjugaux, sujet qui bien évidemment nous intéresse tout particulièrement.
Messieurs, je vous laisse la parole pour nous présenter vos conclusions sous l'angle des retraites féminines.
M. Yves Guégano, secrétaire général du Conseil d'orientation des retraites . - Je vous remercie de nous avoir conviés à cette audition, l'une des missions dévolues au COR étant une mission d'information sur l'état des travaux concernant la question des retraites.
Je vous prie tout d'abord d'excuser l'absence de M. Hadas-Lebel, président du COR.
Pour dresser un état des lieux de la situation des femmes à l'égard des retraites, nous nous appuierons sur les deux rapports du COR publiés en 2008 et en 2013, que Madame la Présidente vient de mentionner. Je préciserai tout d'abord que le COR n'a pas vocation à se prononcer sur le projet de réforme en cours d'examen.
M. Jean-Michel Hourriez, responsable des études . - Les analyses du COR s'intéressent aux facteurs explicatifs des écarts persistants entre les pensions de retraites des hommes et des femmes et proposent des voies de réflexion sur l'évolution des droits familiaux et conjugaux.
Si l'on considère les dernières statistiques publiées sur les personnes retraitées de plus de 65 ans, on constate des écarts très importants entre la pension moyenne des femmes et celle des hommes, la pension moyenne d'une femme étant de 879 euros par mois alors que celle d'un homme s'élève à 1 657 euros par mois. Ce rapport d'un sur deux vaut pour l'ensemble des générations qui sont actuellement à la retraite. On ne prend en considération que les droits à retraite propres, sans tenir compte des pensions de réversion. Les droits directs issus de l'activité professionnelle sont donc, de manière générale, beaucoup plus faibles pour les femmes que pour les hommes, ces écarts étant encore plus marqués pour les populations les plus âgées alors qu'ils ont déjà diminués pour les générations suivantes. Ainsi, pour les femmes nées après 1945, qui ont pris récemment leur retraite, on constate que ces écarts se sont sensiblement réduits.
Par ailleurs, des projections, réalisées conjointement avec l'INSEE, montrent que ces écarts vont continuer à diminuer. Ainsi, pour les générations nées dans les années 1950, qui prennent leur retraite aujourd'hui, ces écarts ne seront plus que de 30 %. Pour ceux qui ont actuellement 30-40 ans, ils se réduiront à 20 %.
Malgré cette amélioration, les pensions moyennes des femmes demeureront sensiblement inférieures à celles des hommes, même pour les générations actives les plus jeunes. Il n'y aura pas de résorption spontanée de ces écarts, du moins à l'horizon prévisible des trente ou quarante prochaines années. Cette persistance des écarts de pension de droit direct a amené le COR à s'interroger sur la question des droits familiaux, qui permettent de les compenser partiellement.
Pour appréhender complètement la situation des femmes au moment de la retraite, outre l'examen de leurs droits directs, il faut aussi prendre en considération leur situation conjugale et matrimoniale, qui influe fortement sur leur niveau de vie à la retraite. La situation d'une femme au moment de la retraite est très différente selon qu'elle est soit mariée ou veuve, soit célibataire ou divorcée. Les femmes mariées bénéficient en effet de la pension de leur conjoint vivant ; les veuves perçoivent la pension de réversion de leur conjoint décédé ; les femmes célibataires disposent de leurs seuls droits propres.
Les travaux du COR menés en 2008 sur les droits conjugaux et familiaux ont permis de vérifier que le mécanisme français de la pension de réversion permet en moyenne de garantir le maintien du niveau de vie antérieur au décès : le niveau de vie moyen d'une veuve demeure sensiblement identique au niveau de vie du couple antérieur au décès.
En revanche, la situation en termes de niveau de vie des femmes célibataires ou divorcées pourrait être plus préoccupante, surtout si elles vivent seules sans conjoint de fait, car elles ne bénéficieront que de leur retraite propre.
Si l'on s'intéresse au niveau de vie actuel des femmes retraitées, 15 % de celles-ci sont en situation de pauvreté. Ce taux est comparable à celui observé pour l'ensemble de la population française, mais demeure supérieur à celui de l'ensemble des retraités qui n'est que de 10 %. À titre de comparaison, le taux de pauvreté des femmes jeunes qui élèvent seules leurs enfants est de 30 % environ.
Si pour l'instant, la situation des femmes âgées en termes de niveau de vie ne semble pas inquiétante, l'avenir est incertain. Qu'est-ce qui, de l'amélioration des pensions individuelles des femmes relativement aux hommes ou de la détérioration des situations conjugales au fil des générations, va influer de manière prépondérante sur les pensions futures des femmes ?
Au fil des générations, le modèle du couple stable perd de sa prédominance : si les femmes âgées de plus de 65 ans aujourd'hui sont, à plus de 90 %, mariées ou veuves, trois femmes sur dix, dans la génération qui arrive aujourd'hui à la retraite, sont divorcées ; quant aux femmes plus jeunes (moins de 40 ans), elles sont nombreuses à rester célibataires. Selon certains démographes, un tiers de femmes seront encore célibataires au moment de la retraite dans ces générations. Elles ne bénéficieront donc pas de droits à réversion.
Voilà donc pour le constat d'ensemble.
Il faut maintenant que nous nous interrogions sur l'origine de cette persistance prévisible d'un écart de l'ordre de 20 % entre retraites des hommes et retraites des femmes. Une part de l'explication est à rechercher dans le mode de calcul des retraites, le montant de la pension étant fonction, d'une part de la durée d'assurance validée tous régimes, d'autre part du salaire de référence - par exemple, au régime général, le salaire des 25 meilleures années.
Les écarts de pension entre hommes et femmes proviennent des deux éléments combinés. Les femmes qui partent aujourd'hui à la retraite sont désavantagées par rapport aux hommes tant en termes de durée d'assurance que de salaire de référence. Néanmoins, pour les générations futures de retraités, notamment les femmes nés après 1960 qui prendront leur retraite après 2020, on s'attend, sur la base de la législation actuelle en matière de retraite, à une certaine convergence des durées moyennes validées par les hommes et les femmes. La source principale des écarts résultera donc de l'infériorité des salaires féminins.
Mais il faut aussi considérer le taux d'activité des femmes, qui restera inférieur à celui des hommes, même si le différentiel entre taux d'activité masculin et féminin tend à décroître chez les jeunes générations.
Aujourd'hui, si les femmes travaillent pendant presque toute leur vie active, elles persistent toutefois à interrompre leur activité au moment des naissances : après une première naissance, 38 % des femmes ne travaillent pas, chiffre qui passe respectivement à 51 % et à 69 % après une seconde et une troisième naissance. Il y a donc un comportement persistant d'inactivité féminine après les naissances ; ces interruptions demeurent toutefois temporaires et leur durée a tendance à baisser (de l'ordre de trois années, pendant lesquelles les femmes bénéficient du complément de libre choix d'activité).
Si le taux d'activité des femmes demeure inférieur à ceux des hommes entre l'âge de 25 et 45 ans, les taux d'activité féminin et masculin deviennent similaires après 45 ans. Les durées cotisées par les femmes demeureront donc inférieures.
Les droits familiaux permettent de valider des trimestres supplémentaires au titre des enfants : la majoration de durée d'assurance (MDA) de deux ans par enfant bénéficie de fait aux femmes, même si elle a été ouverte récemment en droit aux hommes, et l'allocation vieillesse des parents au foyer (AVFP) permet aux femmes qui ont interrompu leur activité de valider des trimestres à hauteur de la durée d'interruption, sachant que le nombre de trimestres validés est extrêmement variable puisque certaines femmes mère de 3 enfants peuvent valider au titre de l'AVPF jusqu'à 21 ans.
Ces droits familiaux que sont l'AVPF et la MDA permettront, à terme, que les durées validées par les femmes et les hommes soient à peu près identiques ; cela ne vaut cependant pas encore pour les générations qui partent actuellement à la retraite.
L'autre paramètre qui influe sur le calcul de la pension de retraite, le salaire de référence, demeure inférieur pour les femmes. Les salaires horaires des femmes, tant dans le secteur privé que dans la fonction publique, restent inférieurs à ceux des hommes, de 15 à 20 % en équivalent temps complet.
Le travail à temps partiel des femmes (une femme sur trois) qui s'est beaucoup développé depuis les années 1990, contribue aussi à accroître l'écart entre les salaires de référence des femmes et des hommes.
Ces deux effets, écart de salaire horaire et activité à temps partiel, conduisent à des écarts de salaires de référence entre les hommes et les femmes ; heureusement, le système de retraite corrige en partie certains écarts salariaux car un dispositif (minimum contributif dans le régime général ; minimum garanti dans la fonction publique) permet aux femmes à très bas salaires de percevoir une pension portée à hauteur d'un montant minimum. Au régime général, le minimum contributif est de l'ordre de 600 euros par mois, ce qui a permis d'atteindre un objectif fixé par la loi de 2003 sur les retraites consistant à garantir 85 % du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) à toute personne qui a travaillé pendant 40 ans.
Ces correctifs ne concernent toutefois que les salaires de références trop bas.
Dans ses rapports de 2008 et 2013, le COR a avancé plusieurs pistes de réflexion sur les droits familiaux et conjugaux. S'agissant des droits conjugaux, le COR a pris conscience que l'évolution des structures conjugales pourrait conduire à adapter le mécanisme de la réversion, notamment, en cas de divorce, en la proratisant en fonction de la durée du mariage, ou en l'étendant à certains couples non mariés.
Le COR a aussi indiqué des pistes beaucoup plus radicales de réformes de la réversion, parmi lesquelles l'introduction de dispositifs de partage des droits, inspiré de certains exemples étrangers comme celui de l'Allemagne, où est opéré un partage égal et systématique des droits à la retraite propres entre les deux conjoints au moment d'un divorce.
Le COR a néanmoins émis des réserves sur de tels dispositifs de partage des droits, d'autant qu'ils ne sont pas systématiquement favorables aux femmes. Par ailleurs, si la mise en oeuvre d'un tel système est aisée dans des régimes de retraite à points, elle serait complexe en France qui connaît principalement des régimes de retraite à annuités.
La tendance au fil des générations est à des unions de plus en plus fragiles, les unions mariées se raréfiant et s'abrégeant, de même que la cohabitation - sous forme de pacte civil de solidarité (PACS) ou d'union libre - tend à devenir plus brève.
Cette tendance de fond conduit à une perte d'efficacité des droits conjugaux pour compenser les inégalités hommes-femmes.
De ce fait, on a pu observer une tendance, dans les pays étrangers qui ont depuis 20 ou 30 ans développé des droits familiaux liés aux enfants, à majorer directement les droits propres des femmes indépendamment de leur situation conjugale.
Les droits familiaux recouvrent essentiellement trois types de dispositifs : la majoration de durée d'assurance (MDA) de deux ans par enfant, l'allocation vieillesse de parent au foyer (AVPF) qui compense les périodes d'interruption sous certaines conditions, et un troisième dispositif, sous la forme d'une majoration de pension (en général de 10 %), pour les parents d'au moins trois enfants. Ce dispositif concerne à la fois les hommes et les femmes.
L'évolution à moyen ou long terme de la MDA conduit le COR à envisager de privilégier des majorations de montant afin de compenser les écarts de salaire de référence qui persistent entre les hommes et les femmes, en dépit de la convergence progressive des durées d'assurance. Le bénéfice de la MDA peut en effet inciter certaines femmes ayant élevé plusieurs enfants sans interrompre leur activité professionnelle à prendre leur retraite prématurément, ce qui va à l'encontre d'objectifs d'augmentation du taux d'emploi des seniors.
S'agissant de l'AVPF, il faudrait plutôt simplifier ce dispositif dont les conditions d'ouverture de droits sont assez complexes, et privilégier des durées d'interruption plus courtes mais qui seraient davantage compensées. Ainsi l'AVPF accorde-t-elle actuellement des droits sur la base du SMIC : on peut imaginer qu'elle s'oriente sur une base salariale plus favorable. En compensation, la durée de l'AVPF pourrait être limitée à trois ans par enfant.
Quant aux majorations pour les parents d'au moins trois enfants, qui concernent à la fois les hommes et les femmes, elles ne permettent pas de réduire les écarts de pension entre les hommes et les femmes : elles les accroissent même légèrement.
L'idée serait, dans une logique de redistribution entre retraités, de remplacer ces majorations proportionnelles au montant de la pension par des majorations forfaitaires, qui permettraient de mieux réduire les inégalités entre hauts et bas revenus.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - La question des droits familiaux et conjugaux a un grand intérêt pour compenser les inégalités de retraites entre hommes et femmes.
Mais ces compensations ne sont pas une solution pour les femmes qui n'ont pas eu d'enfants et qui sont néanmoins pénalisées parce qu'elles subissent des inégalités au travail.
La délégation aux droits des femmes est particulièrement sensibilisée aux difficultés liées aux temps partiel et au temps de travail que je qualifierais d'« hachuré ».
Je voudrais revenir avec vous sur les projections dont vous avez fait état concernant le taux d'activité des femmes, qui ne progresserait pas à l'avenir : cette stagnation se traduira sur le montant de leurs droits propres, indépendamment des droits familiaux et conjugaux.
La question de la retraite des femmes rejoint celles de la politique familiale et de l'organisation de la garde des enfants : il s'agit d'un problème global.
Le projet de loi prévoit la création d'un « compte personnel pénibilité » : or il faudrait améliorer la reconnaissance de la pénibilité de certaines professions féminisées. Autant la reconnaissance de la pénibilité de certains métiers, essentiellement masculins, va de soi - c'est le cas par exemple des hommes qui travaillent dans les hauts-fourneaux - autant il ne semble pas évident de qualifier de pénibles des situations de travail essentiellement féminines, comme par exemple les institutrices de maternelle en fin de carrière, les caissières, ou les femmes subissant des temps partiels impliquant une forte amplitude horaire. Y a-t-il une réflexion sur le sujet ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Sur quelles raisons s'appuie ce postulat de la non-progression, à l'avenir, du taux d'activité des femmes ?
Mme Corinne Bouchoux . - Je voudrais souligner à quel point notre système des retraites a été conçu sur des bases aujourd'hui dépassées : celles de la famille nucléaire stable, du plein emploi et de la prospérité économique. Nous savons désormais que la famille est évolutive et que l'emploi est soumis à de nombreux aléas. Dans mon département, on observe actuellement une hausse significative du nombre de divorces chez les plus de 60 ans. Or, dans de nombreux cas, les intéressés n'ont pas nécessairement mesuré les conséquences de ce choix... Tenez-vous compte, dans vos projections, de ce phénomène, qui concerne des seniors qui sont parfois des retraités aisés ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Disposez-vous de données comparées s'agissant des droits familiaux, et plus particulièrement des majorations de durée d'assurance ? Par ailleurs, je suis particulièrement sensibilisée à la situation des épouses d'expatriés qui, pour suivre leur mari dans une affectation à l'étranger, interrompent parfois leur carrière : l'amélioration de l'information de ces personnes est un réel progrès et je suis heureuse d'y avoir contribué, par le passé, à travers un amendement.
M. Jean-Michel Hourriez . - Cette projection des taux d'activité est effectuée par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) tous les cinq ans à partir des tendances observées. Certes, le taux d'activité des femmes progresse, mais on peut anticiper un maintien des comportements concernant les interruptions de carrière à l'occasion des naissances, qui touche les femmes de 30-35 ans. Mais après 45 ans, on observe une hausse de l'activité des femmes qui permet de prévoir à l'avenir des taux d'activité équivalents des hommes et des femmes de cette tranche d'âge. En 1975, le taux d'activité des femmes était de 60 % au moment de la maternité, puis il passait à 50 % vers 50 ans. Les statistiques de 2010 montrent un taux d'activité global de 80 % ; en 2050-2060, on devrait donc atteindre un taux d'activité de 80 % vers 30 ans et de 95 % vers 50 ans.
Ces projections ne sont pas figées : on s'attend à une hausse du taux d'activité, sauf pour les femmes jeunes.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le taux global d'activité va donc rester inférieur à celui des hommes pour les femmes relevant des tranches d'âge concernées par la maternité. Or, le fait de prendre en compte les conséquences de cette situation sur les retraites, par exemple avec les droits familiaux, revient en quelque sorte à encourager les femmes à interrompre leur activité professionnelle plus fréquemment que les hommes.
J'espère que les congés maternité ne sont pas considérés, dans ces statistiques, comme une interruption d'activité.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le congé maternité permet de valider des trimestres. On ne peut donc le considérer comme une période d'interruption d'activité professionnelle.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - C'est un sujet complexe : en atténuant les conséquences négatives, sur le niveau des retraites des femmes, des interruptions d'activité, on encourage des choix qui ne sont pas favorables au maintien des femmes dans l'emploi.
M. Yves Guégano . - C'est bien là toute l'ambiguïté de la politique familiale et des choix effectués en matière de retraite. L'idée est à la fois d'encourager les femmes à rester sur le marché du travail et de compenser les inégalités entre hommes et femmes : or, les compensations mises en oeuvre à cet effet en matière de retraite sont de nature à conforter des comportements qui ne semblent pas tournés vers l'avenir.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Peut-être faudrait-il se limiter, en matière de compensation, aux situations pour lesquelles les femmes n'avaient pas le choix...
M. Yves Guégano . - On rejoint là la réflexion sur le temps partiel, subi ou choisi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le choix du temps partiel est souvent lié à des soucis concernant la garde des enfants. Est-il alors subi ou contraint ?
M. Jean-Michel Hourriez . - L'accroissement du nombre de divorces chez les retraités n'a à ce jour pas fait l'objet, à ma connaissance, d'une étude au plan national. Les statistiques attestent néanmoins que le comportement matrimonial des générations nées après 1945 est différent de celui des générations précédentes. Il n'est pas étonnant que la banalisation du divorce (qui concerne aujourd'hui trois couples sur dix) se poursuive après la retraite. On constate également une augmentation du nombre de couples de retraités - divorcés ou veufs - en situation de cohabitation.
M. Yves Guégano . - Les critères de pénibilité se réfèrent aux conséquences de l'activité professionnelle sur l'espérance de vie. Ces critères, dont la définition est particulièrement complexe, pourraient-ils prendre en compte des différences entre les hommes et les femmes ? À l'étranger, ce sujet n'est pas traité.
Mme Françoise Laborde . - Ces critères s'appliquent donc indifféremment aux hommes et aux femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . -Je voudrais que l'on réfléchisse à la pénibilité spécifique, et pourtant invisible semble-t-il, de certaines professions féminisées. Si l'on pense assez spontanément aux infirmières, on pense moins spontanément, comme je le disais tout à l'heure, aux caissières ou aux professeures des écoles en fin de carrière. Ces critères me semblent « aveugles » au regard de certaines situations professionnelles.
M. Yves Guégano . - Ces situations doivent trouver une solution dans le cadre des relations de travail ; je pense notamment au temps « haché ».
M. Jean-Michel Hourriez . - Je voudrais revenir sur les comparaisons internationales en matière de droits familiaux. Il y a environ 25 ans, le système français était sur ce point très spécifique. Son originalité tenait pour une grande part à l'intégration d'éléments de politique familiale dans le système des retraites, dont témoigne la majoration de pension pour les parents ayant élevé trois enfants ou plus. On constate cependant, désormais, une tendance d'autres pays à compenser l'incidence des maternités sur les retraites des femmes.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam . - Je voudrais revenir sur la situation des conjoints d'expatriés : il a des pays où les femmes n'ont pas le droit de travailler. Elles sont donc extrêmement pénalisées quand elles suivent leur conjoint affecté à l'étranger. J'ajoute qu'aujourd'hui cette mobilité internationale est devenue obligatoire pour certains salariés. Quelle compensation peut-on envisager pour leurs conjoints ? La situation de ces personnes est évidemment encore plus difficile quand les conséquences d'un divorce s'ajoutent à ces interruptions de carrière...
M. Yves Guégano . - Ces situations sont en effet très complexes. Je voudrais souligner qu'une retraite peu élevée n'est pas nécessairement synonyme de faible niveau de vie : les difficultés résultent souvent de l'instabilité des couples. Les séparations ont des conséquences importantes en termes de niveau de vie.
Les règles de calcul des retraites (salaire de référence, décote, surcote...) créent des redistributions entre retraités au détriment de ceux qui ont eu des carrières courtes, et donc principalement aux dépens des femmes. Pour réévaluer les droits des femmes en matière de retraite, il faudrait agir sur les méthodes de calcul des droits à pension. Or, le projet de loi apporte peu de précisions sur ce point.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Certes, l'instabilité des couples affecte le train de vie des retraités. Mais idéalement, la femme devrait à l'avenir pouvoir s'assumer comme un acteur économique à part entière : c'est donc à la revalorisation des droits propres des femmes qu'il faut penser.
M. Yves Guégano . - Il faut également tenir compte des différences entre hommes et femmes en matière d'espérance de vie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.
Audition de la Fédération des
associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC)
Mme
Christiane Poirier, présidente,
Mme Laure Bardinet, secrétaire
générale adjointe
(10 octobre 2013)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous poursuivons cette semaine nos auditions sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites avec celle de la Fédération des conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC). Je remercie Mme Christiane Poirier, sa présidente, et Mme Laure-Anne Bardinet, secrétaire générale adjointe, d'être venues nous présenter le point de vue de leurs adhérents et adhérentes.
Notre délégation a été saisie par la commission des affaires sociales pour aborder ce projet de loi sous l'angle spécifique des retraites des femmes et nous avons désigné notre collègue Laurence Rossignol pour être rapporteure de la délégation.
La question des pensions des conjoints survivants est un aspect important des retraites des femmes et vous avez des éléments intéressants à nous apporter sur ce sujet, même s'il ne fait pas l'objet de dispositions spécifiques dans le projet de loi.
Mme Christiane Poirier, présidente de la Fédération des associations de conjoints survivants et parents d'orphelins (FAVEC) . - Le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites ne comporte pas de dispositions sur les pensions de réversion. Pourtant, en matière de retraite, les femmes sont défavorisées, leur carrière étant souvent incomplète du fait des enfants ou parce qu'elles ont interrompu leur activité professionnelle pour suivre leur mari. De plus, le droit à réversion du régime général est plafonné à 1 634,53 euros - sa revalorisation est fonction du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC) - ce qui pénalise les veufs et les veuves qui ne peuvent percevoir la pension de réversion à laquelle ils ou elles ont droit quand leur propre retraite dépasse ce plafond. Bien que leur conjoint ait cotisé, ces veufs et veuves sont condamnés à percevoir des pensions limitées : c'est pourquoi nous en demandons depuis 2004 la suppression.
La situation des conjoints survivants est alarmante du fait de la suppression de la demi-part pour les veuves, des augmentations d'impôt qui font que ceux et celles qui en payaient en payent plus et que celles et ceux qui n'en payaient pas sont désormais imposables. En moyenne, les impôts ont augmenté de 400 euros, ce qui est énorme pour une petite pension, d'autant que la taxe d'habitation a également augmenté, que les veufs et veuves doivent acquitter la redevance télévisuelle, et que des droits accordés par les communes, comme la gratuité des transports, sont remis en question.
Enfin, nous craignons que l'âge de la retraite augmentant, l'âge pour toucher la pension de réversion n'augmente lui-aussi.
Mme Laure-Anne Bardinet, secrétaire générale adjointe . - On ne réalise pas toujours que les veufs ou veuves précoces ayant des enfants à charge ont une vie professionnelle plus pénible que les couples élevant leurs enfants. Pourquoi ne pas reconnaître la pénibilité de leur vie et de leur travail ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Ces personnes ne peuvent-elles s'apparenter aux familles monoparentales ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - La définition de la famille monoparentale ne nous satisfait pas car sont mis dans cette même catégorie les veufs et veuves, les parents célibataires et les parents séparés. Les mères célibataires vivent les mêmes difficultés pratiques que les veufs et veuves avec enfants, mais la situation est différente lorsque les deux parents sont vivants et titulaires de l'autorité parentale. Il faudrait que la notion de parent isolé ne comprenne que ceux qui le sont réellement. Or, en cas de séparation, chacun des parents peut prétendre être parent isolé. Pourtant, ils sont tous les deux là pour veiller sur leurs enfants... la situation des veufs et des veuves est différente.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Disposez-vous de statistiques précises sur les veufs et veuves précoces (âge, niveau de revenu...) ?
Même lorsque les deux parents sont vivants, il y a beaucoup de cas où l'un des parents est totalement absent et ne verse pas de pension alimentaire. En fait, il est difficile d'identifier les véritables parents isolés. Ce n'est pas parce que les deux parents sont vivants qu'ils participent tous les deux à l'éducation des enfants.
Mme Laure-Anne Bardinet . - Concernant le versement des allocations parents isolés, il y a sans doute quelque chose à faire. Pour les retraites, les parents réellement seuls n'ont pas de droits spécifiques.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Comment identifier les veufs et les veuves précoces ? Quel est le statut des parents non mariés qui se retrouvent seuls du fait du décès de leur compagne ou de leur compagnon ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - La définition est simple.
Une mère qui a élevé seule ses enfants est une mère célibataire. Des personnes qui ont vécu en couple et fondé une famille hors mariage et qui se retrouvent seuls ont choisi, dès le départ, d'élever leurs enfants hors du statut du mariage et donc du veuvage. Libre à eux, pendant leur vie commune, de mettre en place les moyens d'éduquer leurs enfants jusqu'au bout. La question se pose au moment où l'on choisit, ou non, d'adopter le statut juridique du mariage, ou alors il faudrait considérer que, mariage ou pas, les droits sont les mêmes, mais si tel était le cas, à quoi bon se marier ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Depuis une quarantaine d'années, les choses ont évolué de sorte que la situation matrimoniale des parents aille dans le sens d'une neutralité croissante pour les enfants. On ne peut aller à rebours de cette évolution.
Mme Laure-Anne Bardinet . - Les obligations envers les enfants sont effectivement les mêmes pour les parents naturels ou légitimes. La loi protège tous les enfants, qu'ils soient légitimes ou naturels. Lorsqu'il y a un père et une mère, ces deux personnes sont juridiquement responsables de leurs enfants. Ce n'est pas le cas si un conjoint décède alors que le couple avait adopté un statut juridique censé le protéger. C'est pourquoi nous souhaiterions que ces personnes soient reconnues comme telles, et qu'elles ne soient pas systématiquement assimilées aux familles malheureusement « décomposées ».
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Et qu'en est-il de la notion de parent isolé ? Quid de de la femme seule quand le père a disparu ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - Elle est mère célibataire. L'UNAF devrait avoir réfléchi à cette question. Entre les enfants qui ont leurs deux parents vivants, mais séparés, et ceux qui n'ont qu'un parent parce que l'autre est décédé, la situation est très différente.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Vous voudriez donc mettre d'un côté les veufs et veuves et les mères célibataires, qui seraient sous statut identique, et de l'autre les familles séparées dont les deux parents sont vivants ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - Tout à fait, car les conséquences sur la vie courante sont fort différentes.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Il ne faut cependant pas oublier le cas des femmes qui ne perçoivent pas la pension alimentaire à laquelle elles ont droit : les pères sont vivants, mais inexistants. Que faire de ces situations très fréquentes ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - Les allocations parents isolés offrent peut-être une solution.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Pensez-vous que le montant des pensions doive tenir compte du veuvage précoce ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - Ces personnes ont indubitablement des carrières professionnelles perturbées et leur retraite - surtout celle des femmes - est plus faible. Il serait donc logique que leur traitement soit différencié.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Les femmes ont fait le choix de se marier pour « assurer leur sécurité », pour atténuer les conséquences de carrières interrompues et d'un niveau de salaire moindre, la pension de réversion devant intervenir en cas de problème. On est dans l'obligation, en assurant un niveau correct de réversion, de corriger leur situation. Mais n'est-ce pas aussi les conforter dans le fait qu'elles ne sont pas capables de s'assumer en tant qu'acteurs économiques à part entière ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - Les gens ne se marient pas pour la pension de réversion...
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - On se marie aussi parce que le mariage va permettre une plus grande sécurité vis-à-vis de la maternité, même si cela est de moins en moins vrai avec le pacte civil de solidarité (PACS).
Mme Laure-Anne Bardinet . - Le PACS n'a pas d'incidence sur la famille.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - C'est aussi une difficulté !
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quand le titulaire de la pension principale décède avant d'avoir fait valoir ses droits à la retraite, la pension de réversion est-elle versée sous la double condition que le conjoint survivant puisse faire valoir ses droits à la retraite et que le titulaire décédé aurait eu l'âge faire valoir ses droits ?
Mme Christiane Poirier . - Les veuves de moins de 55 ans n'ont pas droit à la pension de réversion, mais à deux ans d'assurance veuvage, assurance qui a failli être supprimée en 2011. En outre, le plafonnement du régime général vient minorer les ressources du conjoint survivant.
M. Roland Courteau . - Du fait de ce plafond, de nombreuses veuves ne perçoivent pas de pension de réversion. Nous avons compris que vous souhaitiez sa suppression, mais si ce plafond venait à être augmenté, quel serait le montant qui aurait votre préférence ?
À quel âge devrait, selon vous, commencer le versement de la pension de réversion ?
Mme Laure-Anne Bardinet . - L'idéal serait de supprimer le plafond de ressources. Le relèvement de son montant est une idée intéressante, mais nous n'avons pas, pour l'heure, de chiffre à vous donner.
Mme Christiane Poirier . - Le seuil de 55 ans pour percevoir la pension de réversion ne doit pas être relevé. C'est vraiment un maximum.
Mme Laure-Anne Bardinet . - Pourquoi ne pas l'abaisser, d'ailleurs ? Quand le veuvage est précoce, après les deux ans d'assurance veuvage, la société ne vient plus en aide à ces personnes avant qu'elles n'aient atteint 55 ans.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - L'article 21 du projet de loi traite des conjoints non-salariés agricoles. Qu'en pensez-vous ?
Mme Christiane Poirier . - Par le passé, nous avons beaucoup travaillé sur la question, mais la Mutualité sociale agricole (MSA) et les syndicats agricoles ont pris le relais depuis quelques années.
Mme Laure-Anne Bardinet . - Pourquoi ne pas prendre en compte la composition de la famille au moment du veuvage pour calculer le montant du plafond applicable à la pension de réversion et l'âge auquel celle-ci commencerait à être versée ?
Autre sujet important : ne serait-il pas temps de prévoir un rééquilibrage entre les régimes ? Aujourd'hui, les inégalités entre eux sont énormes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Quelle est la différence entre les pensions de réversion des veufs et celles des veuves ?
Mme Christiane Poirier . - Elle s'élève à 32 %.
J'aimerais que vous nous éclairiez sur un point : naguère, huit trimestres étaient accordés à la mère, puis les règles ont changé : qu'en est-il exactement ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quatre trimestres sont accordés à la mère et les quatre autres trimestres sont accordés soit au père, soit à la mère.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.
Audition du Laboratoire de
l'Égalité
Mme Corinne Hirsch et M. François Fatoux,
membres du conseil d'administration
(10 octobre 2013)
Présidence de Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nous accueillons Mme Corinne Hirsch et M. François Fatoux, membres du conseil d'administration du Laboratoire de l'Égalité, pour nous éclairer sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système des retraites. Notre délégation a été saisie par la commission des Affaires sociales pour aborder ce projet de loi sous l'angle spécifique des retraites des femmes. Mme Laurence Rossignol sera la rapporteure de notre délégation.
Nos auditions ont commencé la semaine dernière avec l'audition des représentants de l'Union nationale des associations familiales (UNAF) et du Conseil d'orientation des retraites (COR). Le Laboratoire de l'Égalité est une association créée en 2010 pour faire avancer l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Son objet est de sensibiliser l'opinion publique et d'interpeller les décideurs publics sur les inégalités de salaires, de conditions de travail, de stéréotypes, de partage des tâches et des responsabilités. Le Laboratoire de l'Égalité comprend des femmes et des hommes également impliqués dans la lutte pour un meilleur partage des responsabilités citoyennes, économiques et familiales entre les hommes et les femmes.
Les inégalités entre hommes et femmes en matière de retraites sont le reflet d'inégalités dont les effets s'accumulent tout au long de la carrière des femmes.
M. François Fatoux, membre du conseil d'administration du laboratoire de l'Égalité . - La question des retraites est compliquée car il existe une grande diversité de régimes de retraite : de base ou complémentaires, régime général, régime de la fonction publique, régime des non-salariés, etc. C'est aussi le cas pour la fonction publique. Tout le monde s'accorde sur le diagnostic : il est nécessaire d'agir en amont en réduisant les écarts de salaires, en revalorisant les métiers occupés majoritairement par des femmes, comme le préconise un rapport récent de Mmes Séverine Lemière et Rachel Silvera pour le Défenseur des droits, ce qui suppose de procéder à des augmentations de salaires des hommes moindres dans d'autres secteurs et en menant une réflexion sur le temps partiel subi, y compris dans la fonction publique, ou sur l'interruption d'activité des femmes pour garder des enfants, mais aussi de plus en plus souvent des ascendants... mais il est difficile d'agir en ce sens dans une période de récession.
Pour parvenir à l'égalité, il faut renforcer les droits propres plutôt que d'améliorer les droits dérivés : à l'image de la pension de réversion, ces mécanismes renforcent souvent la dépendance à l'égard du conjoint. Des femmes restent au foyer faute d'indépendance économique. On rejoint aussi parfois, du fait de cette dépendance, la question des violences conjugales... De même, est-il acceptable que des femmes dépendent de la décision de leur conjoint pour être affiliées et bénéficier du statut de conjoint non-salarié ? C'est le cas pour les artisans ou les professions agricoles, par exemple. L'attribution du statut de conjoint collaborateur dépend de la décision de l'homme. Christine Delphy montre ainsi que certaines politiques publiques maintiennent la dépendance féminine vis-à-vis de leur conjoint. Des avancées ont eu lieu car les aidants pourront être affiliés à l'Assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) sans condition de ressource. La difficulté réside dans la distinction entre périodes cotisées et périodes assimilées et dans le nombre de périodes assimilées à des périodes travaillées.
En outre, les salariés méconnaissent souvent leurs droits, comme les entreprises d'ailleurs. Ainsi, la disposition de la loi du 9 novembre 2010 sur les retraites qui donne la possibilité aux entreprises d'affilier les salariés en congé, avec prise en charge de la part salariale des cotisations par l'employeur, reste méconnue. Il serait souhaitable que les partenaires sociaux fassent oeuvre de pédagogie et soient davantage sensibilisés à la question de l'égalité entre sexes.
Les pouvoirs publics ont engagé une réflexion d'ensemble sur les droits familiaux. Dans le contexte budgétaire actuel, il n'est pas possible d'améliorer la situation des femmes sans réforme de ces droits. En effet, ce sont surtout les hommes qui profitent des dispositifs existant. C'est par exemple le cas pour la majoration de 10 % pour le troisième enfant : les hommes ne s'arrêtent pas de travailler au troisième enfant, alors que le taux d'activité des femmes chute fortement à ce moment. De même, les femmes sont les plus concernées par le temps partiel. Une piste serait de soumettre à l'impôt les majorations de retraites pour familles nombreuses, qui bénéficient davantage aux hommes.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Cette mesure devrait figurer dans le projet de loi de finances.
M. François Fatoux . - L'exonération permet aux cadres supérieurs de bénéficier de fortes majorations de pension car elle est proportionnelle au salaire et un cadre peut cotiser jusqu'à huit fois le plafond de la sécurité sociale. Dans la fonction publique, la majoration est de 10 % pour trois enfants, et 5 % par enfant au-delà du troisième. La fiscalisation de ces majorations rapporterait 2,5 milliards. Sans doute conviendrait-il de plafonner ces avantages et de réaffecter les gains à l'acquisition de droits propres.
Le gouvernement s'est engagé à supprimer la condition de ressources pour l'affiliation au régime vieillesse des parents au foyer. C'est une avancée : les personnes qui interrompent leur activité professionnelle pour s'occuper de personnes handicapées sont très majoritairement des femmes. En outre, la fonction d'aidant est très pénible. Parmi les femmes qui assistent une personne dépendante au quotidien peu bénéficient du statut d'aidant. Celui-ci permet de bénéficier d'une majoration de retraite d'un trimestre tous les 30 mois. Mais, après s'être sacrifiée pendant 20 ans pour prendre soin d'une personne handicapée, le gain de deux ans n'est-il pas dérisoire ?
Mme Corinne Hirsch, membre du conseil d'administration du laboratoire de l'Égalité . - L'information en matière de retraite est un enjeu crucial pour les femmes. Un couple sur deux divorce. Les femmes doivent en avoir conscience, au moment de solliciter un congé parental ou un temps partiel, des conséquences de cette décision sur le niveau de leur retraite à venir. Les entreprises devraient les informer systématiquement des conséquences sur leur retraite.
M. François Fatoux . -Depuis la loi de 2010, l'information est obligatoire après 50 ans. Généralisons-la.
Mme Corinne Hirsch . - De même, il serait souhaitable de respecter la parité au conseil d'administration du Comité d'orientation des retraites (COR).
M. François Fatoux . - Sur trente-cinq membres, dix seulement sont des femmes.
Mme Corinne Hirsch . - Et ce chiffre était moindre il y a quelques années. Notre campagne a porté ses fruits.
Le projet de loi prend en compte la pénibilité dans le calcul des retraites. Il faut mettre l'accent sur la pénibilité des métiers occupés majoritairement par des femmes. Dans les secteurs de l'aide à la personne, les femmes qui soulèvent plusieurs fois par jour des personnes âgées n'exercent-elles pas un métier pénible ?
M. François Fatoux . - Les partenaires sociaux ne sont pas très sensibles au sujet. Les entreprises doivent mettre en place des plans d'action pour l'égalité homme-femme. Mais les inspecteurs du travail constatent que la question des conditions de travail n'est pas souvent traitée, ni celle de la pénibilité spécifique du travail des femmes.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - La pénibilité des métiers féminins constitue un vaste sujet, même si l'exemple que vous évoquez, concernant la manipulation des corps des personnes âgées, relève plutôt de la pénibilité des tâches en milieu hospitalier plus que de l'aide à domicile.
M. François Fatoux . - Il faut aussi prendre en considération les horaires atypiques.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Nous réfléchissons à intégrer dans la prise en compte de la pénibilité le temps partiel subi, dû à l'organisation de l'entreprise, avec des plages de travail morcelées et une amplitude horaire importante par rapport au temps de travail effectif.
M. François Fatoux . - Pourquoi ne pas instaurer une taxe sur ce travail à temps partiel subi lorsqu'il s'exerce hors des horaires de travail habituels, comme par exemple les missions réalisées entre 6 heures et 8 heures du matin dans les entreprises de nettoyage ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Le registre de situations comparées définit-il des critères de pénibilité ?
M. François Fatoux . - Des dispositions concernent les conditions de travail. Tout dépend de la volonté des partenaires sociaux d'utiliser les instruments mis à leur disposition et de creuser les sujets. Les accords d'entreprise portent surtout sur les salaires ou la thématique du « plafond de verre », mais peu sur les conditions de travail ou la définition de critères de pénibilité, sujets encore insuffisamment abordés sous l'angle des activités féminines. Il n'y a pas encore, du côté syndical, de véritable intérêt pour ces questions, ce qui peut s'expliquer par une moindre syndicalisation dans les métiers spécifiquement féminins.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Dans un de nos rapports, nous avions étudié l'invisibilité de la pénibilité du travail féminin, les risques psycho-sociaux, les accidents du travail ou de trajet des femmes qui augmentent à cause de la multiplication des plages de travail et des lieux de travail dans une journée.
M. François Fatoux . - Les statistiques de la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM) sont réalisées par branches et ne font pas de différences en fonction des sexes.
Mme Corinne Hirsch . - Les critères existants sont très flous et ne permettent pas de saisir la pénibilité du travail des femmes.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Comment définir par exemple une « charge lourde » ?
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Les critères sont liés à l'existence de pathologies, comme le mal de dos par exemple.
M. François Fatoux . - Souvent les symptômes se cumulent : troubles musculo-squelettiques (TMS), mal de dos, etc. Mais le nombre de maladies professionnelles déclarées est très inférieur à la réalité, dans notre pays.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Les institutrices en maternelle se plaignent d'être épuisées car elles portent toute la journée des enfants. Qui songerait pourtant à classer ce métier parmi les professions pénibles ? La pénibilité des métiers féminins est invisible, ignorée par la médecine du travail.
M. François Fatoux . - Il en va de même des infirmières confrontées à la tension ou à la souffrance des patients. Ces difficultés des professions du « care » ne sont pas reconnues par la société, comme l'a montré Mme Rachel Silvera.
Mme Corinne Hirsch . - Il faut rendre visible l'invisible : la pénibilité des métiers occupés principalement par des femmes. Si vous y ajoutez le temps partiel, c'est la double peine ! Il faut agir sur les représentations. Si la société est plus sensible à la question des travaux de force, c'est parce que la capacité à manier des charges lourdes - par exemple dans les métiers du bâtiment - est une composante de l'identité masculine.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - La définition des critères de pénibilité relève d'un décret. Des députés souhaitent réintégrer cette définition dans la partie législative du code du travail, par amendement au projet de loi sur les retraites, actuellement en discussion à l'Assemblée nationale. Espérons qu'ils réussiront. Ensuite il faudra examiner la liste des critères sous l'angle du genre.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Nos travaux peuvent influencer le gouvernement et nos collègues députés.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Vous avez raison : il faut rendre visible l'invisible !
M. François Fatoux . - Il faudrait profiter des débats en cours pour poser la question de la pénibilité dans la sphère domestique : liée à la garde d'enfants handicapés ou à l'assistance à des personnes âgées, c'est un sujet tabou qui mérite d'être soulevé. La moyenne d'âge des aidants serait passée de 50 à 40 ans. Les femmes sont prises en tenaille ; à peine leurs enfants sont-ils devenus autonomes qu'elles doivent s'occuper de leurs parents ! Surtout que dans certains cas, aider un parent dépendant va se traduire par une interruption d'activité. Or, une majoration de retraite d'un trimestre pour trente mois est-elle une compensation adaptée ? La prise en charge de la dépendance va contribuer à dégrader encore la retraite des femmes qui assistent un parent handicapé ou âgé. L'AVPF ne résout que partiellement le sujet...
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le projet de loi supprime la condition de ressource des aidants pour prétendre à l'affiliation à l'AVPF.
M. François Fatoux . - L'AVPF concerne uniquement la retraite de base. Mais on pourrait aussi sensibiliser les entreprises et poser la question des régimes complémentaires. L'article 100 de la loi du 9 novembre 2010 considère que la prise en charge, par une entreprise, de la part salariale de cotisation à un régime de retraite complémentaire d'un salarié en congé n'est pas considérée comme un salaire. Mais cet avantage est limité à une durée de six mois. Abrogeons ce plafond ! Autrement, être aidant devient un sacrifice. En outre, les systèmes collectifs d'accueil des enfants handicapés ou des personnes âgées ne sont pas suffisants.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quelle est la proportion des femmes qui ont dû cesser leur activité professionnelle pour s'occuper d'une personne dépendante, par exemple entre 45 et 55 ans ? La plupart du temps, elles font plutôt trois journées en une, en conciliant activité professionnelle, tâches domestiques et soin des personnes dépendantes.
M. François Fatoux . - La proportion est difficile à estimer. Les femmes, après avoir élevé leurs enfants, ont très vite à s'occuper de leurs ascendants. Leur retour sur le marché du travail est donc encore plus compliqué.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - En moyenne, l'écart entre l'arrivée à l'âge adulte d'un enfant et la prise en charge des parents dépendants s'élève à dix ans.
M. François Fatoux . - De plus, l'évolution de carrière est ralentie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Droits propres ou droits familiaux, tel est bien le sujet ! Avez-vous d'autres remarques à formuler sur le sujet qui nous réunit ?
Mme Corinne Hirsch . - Il est nécessaire d'étendre aux couples pacsés le bénéfice du régime de la pension de réversion.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Quel en serait le coût ?
Mme Corinne Hirsch. - Élevé ...
M. François Fatoux . - Avec l'adoption du mariage pour tous, il faudra revoir la réglementation car certains privilégieront le mariage plutôt que le PACS.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Sans doute pas. La majorité des personnes pacsées sont hétérosexuelles.
M. François Fatoux . - Pour trouver des ressources, interrogeons-nous sur certaines politiques publiques qui ont pour effet de maintenir des inégalités. C'est le cas du quotient conjugal qui coûte 5 à 10 milliards et incite les femmes à cesser leur activité, et sur lequel le Laboratoire de l'Égalité souhaite qu'il y ait un questionnement. Un tel gain pourrait être affecté au rééquilibrage des retraites des femmes et des hommes.
Mme Laurence Rossignol, rapporteure . - Le supprimer faciliterait la mise en place de l'impôt à la source, mais ce n'est pas évident de mettre en oeuvre une réforme aussi vaste !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Il faudrait une réforme fiscale de grande ampleur.
M. François Fatoux . - N'attendons pas le grand soir fiscal qui n'arrivera jamais, et avançons ! Les avantages du quotient conjugal peuvent s'élever à 38 000 euros, quand le conjoint ne travaille pas ! Or, l'avantage du quotient familial est plafonné à 2 000 euros
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, présidente . - Je vous remercie.
Annexe 3 - Programme des auditions menées par Mme Laurence Rossignol, rapporteure
Organisme |
Personnes auditionnées |
Date |
Institut national d'études démographiques (INED) |
Mme Carole Bonnet, chercheur |
Mercredi 9 octobre 2013 |
Défenseur des droits |
M. Jamel Oubéchou, directeur du département « promotion des droits et de l'égalité » Mme Sarah Bénichou, chargée de mission égalité femmes-hommes |
Jeudi 10 octobre 2013 |
Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA) |
M. Christophe Simon |
Contribution écrite |
Fédération nationale des Associations de conjoints de travailleurs indépendants (Fédération nationale ACTIF) |
Mme Annie Deudé, présidente |
|
Union nationale des conjoints de professionnels libéraux (UNACOPL) |
Mme Régine Noulin, présidente |
|
Université de Lorraine |
M. Nicolas Castel, sociologue, maître de conférences |
Mme Laurence Rossignol a en outre participé, à l'invitation de la commission des affaires sociales, à l'audition de Mme Marisol Touraine , ministre des affaires sociales et de la santé, le mercredi 16 octobre 2013 à 17 heures.