B. LA GRÈVE N'OCCUPE QU'UNE PLACE MARGINALE DANS LES PERTURBATIONS PRÉVISIBLES DU TRAFIC
1. D'étonnantes lacunes en matière d'étude des principales sources de perturbation du trafic ferroviaire national
Alors que la SNCF transporte quotidiennement 14 millions de voyageurs en France et que le réseau Transilien, en Ile-de-France, est fréquenté par 3 millions de personnes par jour, il est apparu étonnant à vos rapporteurs de ne pas pouvoir obtenir de données précises concernant les principales causes de perturbation prévisible du trafic.
Interrogée par vos rapporteurs, la SNCF a en effet indiqué ne pas tenir de statistiques par activité sur la typologie de ces causes. L'agrégation des données qui sont sans nul doute collectées par chacune des branches du groupe (principalement SNCF Proximités et SNCF Voyages) n'est donc pas réalisée.
Néanmoins, il est possible d'affirmer que le trafic souffre essentiellement de perturbations liées à la modernisation et à la rénovation du réseau et des infrastructures, sans toutefois pouvoir exactement les quantifier. Les mouvements sociaux, qu'ils soient nationaux ou locaux, ne représentent qu'une très faible part de l'ensemble des perturbations enregistrées. Ce n'est pas contradictoire avec le ressenti que peuvent en avoir les usagers de la SNCF car ces mouvements ont parfois pour conséquence une diminution importante de l'offre de service, moins localisée géographiquement qu'un incident technique ou des travaux.
Confrontée à un réseau vieillissant qui comporte 30 000 kilomètres de voies et dont la propriété et la gestion sont confiées à RFF, la SNCF doit donc poursuivre les efforts engagés ces dernières années pour améliorer sa fiabilité et rattraper le retard accumulé en matière d'entretien. C'est à cette seule condition qu'à moyen terme les perturbations diminueront fortement et que la qualité du service offert aux usagers sera conforme à leurs attentes.
2. Les perturbations du transport urbain et interurbain sont mal connues
L'UTP, organisation patronale unique du secteur des transports urbains de voyageurs, ne dispose pas de statistiques sur la part que représentent les perturbations prévisibles par rapport au total des perturbations subies par les réseaux de transport urbain.
Toutefois, il ressort des auditions réalisées par vos rapporteurs que les perturbations liées à l'infrastructure de transport sont rares, compte tenu de l'âge encore peu élevé des lignes de tramways, de l'état satisfaisant, en règle générale, de la voierie sur laquelle circulent les bus et du bon état du matériel roulant. De même, les perturbations dues aux aléas climatiques sont peu courantes, sauf pour le transport interurbain et scolaire.
En tout état de cause, les mouvements sociaux ne constituent qu'une faible part des perturbations du trafic.
Selon les informations fournies par l'UTP, le nombre de jours de grève par an et par salarié a connu une évolution aléatoire entre 2002 et 2005, étant par exemple multiplié par 7 entre 2003 et 2004.
Par contraste, la période comprise entre 2006 et 2009 est marquée par une relative stabilité. Le nombre de jours de grève par an et par salarié est passé de 0,7 en 2006 à 0,58 en 2008 avant de remonter progressivement à 1,02 en 2009. Après le pic enregistré en 2010 (1,66 jour de grève par salarié), l'année 2011 se caractérise par une forte baisse de la conflictualité. Cette tendance s'est poursuivie en 2012 : ce chiffre est tombé l'an dernier à 0,41 jour d'absence par salarié (et 0,33 si l'on ne prend pas en compte les grèves nationales).
Évolution du nombre de jours de grève par
an et par salarié
dans le secteur des transports urbains de 2002
à 2011
Année |
Nombre de jours de grève
|
Effectif concerné |
|
2002 |
1,05 |
39 000 |
|
2003 |
2,47 |
41 000 |
|
2004 |
0,34 |
42 000 |
|
2005 |
1,83 |
1,03 (hors RTM) |
42 000 |
2006 |
0,7 |
42 000 |
|
2007 |
0,56 |
43 000 |
|
2008 |
0,58 |
43 500 |
|
2009 |
1,02 |
0,67
|
44 000 |
2010 |
1,66 |
0,89
|
44 500 |
2011 |
0,58 |
0,49
|
46 000 |
Note : ces données sont issues du traitement des enquêtes sociales de l'UTP 2002 à 2011. Les chiffres sont calculés à partir des données des entreprises du panel pour chaque année concernée. Certaines entreprises ne répondent pas systématiquement à la question de l'enquête sur les grèves faisant suite à un mot d'ordre national. |
Source : UTP
Par ailleurs, vos rapporteurs ne disposent pas de statistiques sur les perturbations dans le transport interurbain, mais la Fédération nationale des transports de voyageurs (FNTV) a indiqué lors de son audition qu'elles étaient surtout liées aux intempéries.
3. En Ile-de-France, les perturbations du trafic sont exacerbées par la fréquentation du réseau
Avec près de 4 milliards de voyages réalisés annuellement sur les réseaux de transport public franciliens 5 ( * ) de la RATP, de la SNCF et des bus Optile, l'Ile-de-France est la région qui concentre le trafic le plus important en matière de transports collectifs. Ce territoire se distingue donc des grandes agglomérations provinciales et de leurs réseaux de transport urbain par son échelle même, mais également par le rôle que jouent les transports en commun dans son développement économique et son attractivité, alors qu'elle représente plus de 28 % du produit intérieur brut français, ainsi que par des problématiques d'enclavement et d'égalité des territoires dans une aire géographique pourtant réduite.
A la RATP, selon les données pour l'année 2012 communiquées à vos rapporteurs, la mise en oeuvre d'un plan de transport adapté a, la plupart du temps (94 %), fait suite à des travaux et seulement de manière accessoire à un conflit social (6 %). Les perturbations du trafic du métro étaient essentiellement dues à des causes techniques (43 %) ou à des incidents voyageurs (31 %). Les mouvements sociaux ne sont responsables que de 3 % des pertes de production enregistrées cette année-là. La situation est comparable sur le RER A, dont l'exploitation est partagée avec la SNCF. Les causes techniques et les incidents voyageurs sont à l'origine, respectivement, de 38 % et 33 % des perturbations tandis qu'aucune ne résulte de l'exercice du droit de grève. Sur le tronçon du RER B exploité par la RATP, en revanche, les causes sociales ont été la source de 19 % des perturbations, troisième motif de non-réalisation du service après les difficultés rencontrées sur la partie de la ligne gérée par la SNCF (38 %) et les incidents techniques (27 %).
En ce qui concerne le Transilien, d'après une étude par sondage réalisée sur l'année 2012 et communiquée à vos rapporteurs par la SNCF, ce sont les travaux programmés entraînant une adaptation du plan de transport qui forment l'écrasante majorité des perturbations du trafic initialement prévu (400 cas d'application de la loi du 21 août 2007 sur les 419 recensés dans l'année, soit 95,5 %). Avec 3,3 % du total (14 cas sur 419), les mouvements sociaux sont ici aussi une cause secondaire de perturbation.
Une fois ces chiffres rappelés, il ne faut pas nier les difficultés rencontrées par les usagers des transports en commun franciliens lorsque le trafic est perturbé. Au quotidien, ce sont souvent des incidents liés à la santé des voyageurs, des incivilités ou des actes de malveillance se situant, de par leur caractère imprévisible, hors du champ d'application de la loi du 21 août 2007 qui sont la cause des retards encore trop fréquemment constatés. C'est également l'engorgement des principales lignes qui est en cause.
Ainsi que le soulignait le rapport 6 ( * ) de la commission d'enquête de l'Assemblée nationale relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du RER, « l'histoire montre une incohérence manifeste entre l'urbanisation, le développement des activités économiques et celui des transports » en Ile-de-France, avec une concentration des activités économiques à l'Ouest de l'agglomération parisienne tandis que la construction de logements a principalement lieu à l'Est de celle-ci. En conséquence, la ligne A du RER, qui traverse l'Ile-de-France d'Est en Ouest sur 109 kilomètres, transporte plus de 1,2 million de passagers par jour, ce qui en fait la ligne au trafic le plus dense d'Europe. Du fait de sa saturation, qui dégrade les infrastructures et le matériel roulant, les retards sont très fréquents et les usagers ressentent négativement cette qualité de service dégradée.
De manière générale, l'augmentation de 21 % 7 ( * ) des déplacements en transport collectif en Ile-de-France constatée entre 2001 et 2010 par l'observatoire de la mobilité en Ile-de-France (Omnil) est supérieure à celle de l'offre durant la même période. Cette croissance, pour atteindre 8,3 millions de déplacements quotidiens, a été mal anticipée : le nombre de déplacements en Transilien a connu une hausse de 23 % sur la période, alors que le métro a vu sa fréquentation augmenter de 25 %. L'offre n'a, quant à elle, augmenté que de 9 % pour le premier et 14 % pour le second.
Au-delà du sujet de l'application de la loi du 21 août 2007 et du cadre fixé par celle-ci en matière de prévisibilité du service, il est donc évident que la moindre perturbation imprévue du trafic sur le réseau ferré francilien peut avoir des répercussions sur des centaines de milliers de voyageurs. Bien que cette question ne figure pas dans le champ de leurs travaux, vos rapporteurs souhaitent donc, maintenant que les discours des principaux acteurs concernés semblent démontrer qu'une prise de conscience des enjeux liés à l'amélioration de la qualité des transports franciliens a eu lieu, que les efforts soient amplifiés afin que le service offert atteigne la régularité que les usagers sont en droit d'attendre de la part de deux opérateurs publics.
* 5 Source : Observatoire de la mobilité en Ile-de-France, Les transports en commun en chiffres, édition 2011, p. 23.
* 6 Pierre Morange, rapport fait au nom de la commission d'enquête relative aux modalités, au financement et à l'impact sur l'environnement du projet de rénovation du réseau express régional d'Ile-de-France, n° 4458, treizième législature, 7 mars 2012, p. 59.
* 7 Source : Résultats de l'enquête globale transport 2010 de l'Omnil.