AUDITION DE PATRICK CALVAR, DIRECTEUR, DIRECTION CENTRALE DU RENSEIGNEMENT INTÉRIEUR, MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR
(mardi 23 juillet 2013)
L'audition a eu lieu à huis clos.
AUDITION DE M. PASCAL CANFIN, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES, CHARGÉ DU DÉVELOPPEMENT
(mardi 23 juillet 2013)
M. François Pillet, président . - Monsieur le Ministre, nous vous remercions d'avoir répondu à notre demande. Je vais vous demander de prêter serment. Monsieur Pascal Canfin, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député. - Je le jure.
M. François Pillet, président . - Je vous propose de vous laisser la parole 10-15 minutes, sachant que nous vous poserons ensuite des questions.
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député. - Je souhaite vous présenter mon action en tant que Ministre du Développement, depuis 14 mois. La lutte contre l'évasion fiscale est un sujet majeur pour les pays en voie de développement aussi, et peut-être même en premier lieu. Les premières victimes de l'évasion fiscale sont justement les pays du Sud. Les chiffres sont connus. Au niveau mondial, les flux financiers qui sortent des pays du Sud représentent 10 fois l'aide publique au développement et, pour l'Afrique, selon un rapport de Kofi Annan, la sortie illicite de capitaux représente deux fois l'aide au développement. Les enjeux sont massifs. Ma mission concerne à la fois l'aide publique au développement et le fait de permettre les conditions du développement, grâce notamment à la maîtrise des flux financiers et à la collecte des impôts qui permettent ensuite aux Etats de mener des politiques publiques et de fonctionner sans recourir nécessairement à l'aide publique au développement.
Nous avons pris certaines initiatives, depuis 14 mois, en commençant par soutenir l'initiative britannique prise dans le cadre du G8, pour renforcer la transparence des circuits financiers, notamment dans les industries extractives, mais aussi celle des intermédiaires financiers et des trusts. Ceci figure aussi dans la loi bancaire française et dans la loi en cours d'adoption sur la fraude fiscale. Toutes les entreprises extractives ayant leur siège dans l'Union européenne devront publier, à compter de l'année prochaine, leurs comptes pays par pays et projet par projet. Ceci instaure une première transparence sur les flux financiers entre les entreprises et les Etats, ces secteurs représentant une part importante des flux financiers qui manquent dans les pays.
Une seconde étape devra être franchie pour mettre de la transparence sur les contrats et sur la comptabilité. Pour qu'il y ait bénéfice, il faut que celui-ci soit établi et que la valorisation des actifs soit rendue publique et qu'il en aille de même pour les termes du contrat. Pour les flux financiers, la transparence devra devenir la norme, ce qui prendra encore quelques mois, même si d'importants progrès ont été constatés depuis douze mois aux Etats-Unis, au Canada et en Union européenne. Cette transparence concernera les contrats et la valorisation des actifs. A défaut, l'exploitation de ressources peut ne générer, officiellement, aucun flux lorsque les actifs ne sont pas valorisés à leur juste valeur. L'initiative sur la transparence dans les industries extractives (EITI) a, comme prochaine étape, la transparence sur les contrats. Certains pays ont mis en place la transparence sur les contrats ; nous le ferons au Burkina-Faso. Ce socle permettra ensuite de lutter contre les flux financiers illicites qui passent par des territoires non coopératifs et par des circuits proposés par des institutions financières. D'où l'importance de la transparence des intermédiaires. Nous avons avancé dans la loi bancaire française et dans la loi bancaire européenne. La transparence pour les banques ayant leur siège dans l'Union européenne, s'imposera progressivement à partir de 2014 et 2015.
La France porte un plaidoyer très fort sur la lutte contre les paradis fiscaux mais l'Agence française de développement n'était pas à la pointe de la définition de ce qu'est une juridiction non coopérative. J'ai souhaité que l'Agence française de développement se dote d'une liste, additionnant la liste française et la liste du forum mondial de l'OCDE, utilisée aussi par la banque européenne d'investissement, pour définir les juridictions non coopératives. Concrètement, dans les pays de cette liste, l'AFD, opérateur public français, peut continuer à opérer sur des projets de l'économie réelle mais ne peut plus utiliser ces pays comme des centres financiers offshore pour financer des projets dans d'autres économies. Nous avons donc relevé les standards.
En complément, je pourrai revenir sur le cadre de stabilité financière. Il s'agit aussi de travailler sur les dispositifs anti-corruption et anti-blanchiment. Nous avons donc amélioré ces dispositifs en mars dernier sur les paradis fiscaux et sommes maintenant parmi les plus efficaces, transparents et ambitieux au monde sur ces sujets.
Nous apportons également notre soutien à des initiatives multilatérales (G8 et G20) et, avec la Norvège, à une initiative « inspecteurs des impôts sans frontières » portée par l'OCDE, avec une étude de faisabilité cofinancée par la France et la Norvège. Cette initiative vise à aider les pays du Sud à renforcer leur lutte contre l'évasion fiscale leurs ressources humaines, savoir-faire et expertises, en utilisant des inspecteurs des impôts actifs ou à la retraite des pays du Nord. Cette initiative apporte une valeur ajoutée car elle portera sur des cas précis d'évasion fiscale supposée, de montage financier opaque, avec de l'expertise acquise par les Inspecteurs du Nord, au service des administrations du Sud.
M. François Pillet, président . - Merci Monsieur le Ministre.
M. Eric Bocquet . - Vous avez évoqué l'aide au développement que notre pays verse à d'autres pays. L'aide publique au développement est-elle suffisamment conditionnée à un contrôle des transferts financiers vers les pays aidés. De même, pour les grands bailleurs internationaux, la conditionnalité est-elle suffisamment coordonnée ? Inclut-elle des mesures d'amélioration des contrôles prudentiels et réglementaires des systèmes financiers et des mesures de renforcement de l'efficacité des administrations fiscales ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Quand nous prêtons ou donnons de l'argent à un tiers (entreprise, association, Etat ou entreprise publique), nous nous assurons que cet argent n'est pas détourné ou utilisé par des entreprises ayant des problèmes de corruption ou par des personnes exposées. Les décisions prises au conseil d'administration de mars concernent notamment le bloc de sécurité financière qui a renforcé ces standards. Concernant les personnalités exposées, la France a désormais le standard le plus élevé de l'ensemble des opérateurs. Quand PROPARCO prête à un fond ou une entreprise, nous regardons la composition du capital jusqu'à un degré de granularité de 5 % du capital : toute personne qui détient plus de 5 % du capital doit donc justifier l'absence d'exposition à certains risques. Nous sommes donc en situation de garantir, autant que possible, le non-détournement de l'argent qui transite par les opérateurs français tels que l'Agence française de développement et ses filiales.
Par ailleurs, pour renforcer les capacités des pays les plus vulnérables, les plus victimes de la fraude et de l'évasion fiscale, des mesures sont prises. Outre « inspecteurs des impôts sans frontière », nous avons des experts techniques dédiés dans certains pays. Neuf inspecteurs travaillent déjà et deux sont en cours de recrutement sur des pays d'Afrique subsaharienne francophone. Nous menons des missions ponctuelles dans des pays d'Afrique centrale pour renforcer la capacité des administrations fiscales en termes de savoir-faire, de maîtrise des outils informatiques et de ressources humaines.
Se posera la question, lorsque l'échange automatique d'informations deviendra la norme, de la capacité ou de la volonté des pays en développement à assurer cet échange automatique. En parallèle de la montée en puissance du standard de l'échange automatique d'informations, il convient effectivement d'accompagner ces pays pour qu'ils puissent assurer cet échange automatique qui leur bénéficiera.
M. Eric Bocquet . - L'an dernier, nous avions auditionné les représentants du CCFD. Il me semble que l'administration fiscale et financière du Ghana avait été mise en place par une banque, la Barclays me semble-t-il. Comment est-il alors possible de déconstruire le système, s'il pose problème ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député - Le Ghana est plutôt un modèle de transparence des contrats. Au Ghana, tous les contrats passés entre l'Etat et les grandes entreprises, sont publics. La Banque mondiale travaille dans cette direction avec de nombreux autres pays. Cet agenda de la transparence est le meilleur moyen pour lutter contre l'évasion fiscale car il n'est pas discriminant, contrairement à la liste qui crée des problèmes diplomatiques. Les pays non coopératifs ne sont pas préjugés mais révélés. Le Ghana est donc plus un modèle qu'un cas problématique.
M. Eric Bocquet - L'AFD a fait l'objet d'un contrôle de l'ACP. Quelles ont été les conclusions de l'ACP ? Des mesures ont-elles été prises ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Je n'ai pas connaissance de mesures particulières prises après ce contrôle mais de toute façon nous avons décidé, en mars, d'améliorer, à travers le bloc de sécurité financière, tous les éléments contrôlés par l'ACP. Nous avons engagé des travaux avec Transparency International pour renforcer le regard extérieur sur la mise en oeuvre de la doctrine et travaillons sur les lanceurs d'alerte pour que l'Agence ait, sur son site Internet, un espace où elle puisse être saisie directement par une personne signalant des détournements potentiels ou des zones de risques en lien avec un prêt, un don ou un apport en capital du groupe AFD. Nous essayons de prendre le problème par tous les bouts : la doctrine, les procédures, le regard extérieur sur ces procédures et la possibilité de lancer des alertes et de remonter la chaîne. Nous essayons de minimiser tous les risques éventuels liés à l'activité bancaire de l'agence.
M. Eric Bocquet. - Avez-vous des informations sur l'affaire dite des chèques africains. Cette affaire incrimine une banque française de premier plan.
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Il s'agit d'une banque privée et la justice travaille sur ce dossier. Je ne peux rien vous dire d'autre que ce qui a été rendu public.
M. Eric Bocquet . - Vous êtes l'auteur d'un livre intitulé « Ce que les banques vous disent et pourquoi il ne faut presque jamais les croire », publié en 2012. Pouvez-vous donner les grandes lignes de cet ouvrage ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Je m'exprimerai alors moins en tant que Ministre qu'en tant qu'auteur.
J'ai constaté une capacité de lobbying des institutions financières extrêmement puissante. Il n'y avait pas, jusqu'à une date relativement récente, de contre-pouvoir organisé sur ce sujet : il existait des contre-pouvoirs dans le domaine de la santé et de l'agriculture mais pas dans le domaine financier. Cet agenda a beaucoup progressé depuis la crise financière, avec la création de Finance Watch à Bruxelles. Des ONG comme Oxfam ou le CCFD sont montées en puissance sur cette question. Il est nécessaire d'avoir un contre-pouvoir au lobbying de ce secteur. Compte tenu de l'importance de ce sujet, il n'était pas sain, même en termes démocratiques, qu'un tel pouvoir n'ait pas de contre-pouvoir. Il est essentiel que ce contre-pouvoir soit organisé et fasse vivre le débat autour de la finance. Les banques et les institutions financières sont entendues et écoutées car elles détiennent un monopole quant à l'information et à la technicité des informations qu'elles possèdent. Il faut donc déconstruire ce discours et l'accompagner pour mieux le critiquer. D'où l'importance d'un contre-pouvoir comme Finance Watch, sur la technicité.
Depuis douze mois, l'agenda sur la transparence a énormément progressé, bien plus que ces dix dernières années. L'acte fondateur est évidemment la crise financière mais l'acte politique fondateur est la décision de Barack Obama de mettre en place la loi FATCA. A partir du moment où les Etats-Unis négocient avec la Suisse ou le Luxembourg l'échange automatique d'informations, le Luxembourg ou l'Autriche ne peuvent plus le refuser aux pays de l'Union européenne. Une fois que l'échange automatique est en place, la Suisse ne peut plus demander à l'Union européenne de mettre ce dispositif en place en interne dans un premier temps. La volonté politique se matérialise davantage depuis six ou douze mois pour des raisons morales mais aussi pragmatiques car il est budgétairement insoutenable de se passer de ressources financières si importantes. Quelle que soit la couleur politique des gouvernements, la position est la même.
La loi bancaire sur la transparence obligera toutes les banques, à partir de 2014, à faire un reporting pays par pays. Lorsque j'ai déposé cet amendement au Parlement européen, la probabilité qu'il aboutisse était extrêmement faible. En quelques mois, ce qui semblait relativement inaccessible est devenu la norme, en France et en Europe. Il faut souligner ces victoires politiques car la capacité du politique à reprendre la main sur la finance, sur les banques, est un sujet fondamental dans la capacité à redonner confiance aux politiques. Je crois sincèrement que, sur les douze derniers mois, le politique a repris la main sur le pouvoir financier.
M. François Pillet, président . - Lorsque les banques françaises que nous avons auditionnées affirment que leurs succursales dans les pays non coopératifs ne sont implantées que pour des raisons économiques, devons-nous les croire ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - C'est tout l'intérêt de la transparence. Aujourd'hui, ces informations ne sont pas publiques et circulent sous le manteau. En 2009, une étude a montré que la moitié des profits mondiaux réalisés par une banque l'ont été dans un seul pays, le Luxembourg. Il semble difficile de considérer que la moitié de l'activité bancaire mondiale de cette banque française se déroule au Luxembourg. Je ne peux répondre formellement à votre question, faute d'élément mais l'agenda de la transparence mettra toutes ces informations sur la place publique.
M. François Pillet, président . - Aurons-nous vis-à-vis des Etats des Etats-Unis les mêmes pouvoirs ? Pourrons-nous obtenir des renseignements automatiques du Delaware ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Je suis moins au fait des derniers éléments de négociation sur la réciprocité et ne peux répondre à cette question. Il me semble toutefois que les Etats-Unis optent pour la réciprocité.
Mme Corinne Bouchoux. - Les politiques peuvent reprendre la main. Se posent la question du système mais aussi celle des acteurs. Pensez-vous qu'il est facile de changer de paradigme alors que les acteurs qui ont connu l'ancien système sont encore en place ? Faudra-t-il attendre quelques années pour que la situation évolue dans le sens d'un jeu complet de la transparence ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Je ne sais pas s'il y aura un jour une génération spontanée d'acteurs n'ayant comme objectif que la transparence. Je préfère donc travailler dès maintenant, sachant que nous pouvons réussir, sur ce sujet - ou échouer - dans la reconstruction du lien de confiance entre les citoyens et le politique, à la fois en termes de démocratie politique et de contrôle de la mondialisation dite néo-libérale. Cet enjeu est central et ne peut attendre.
Les personnes en place peuvent se convertir. J'ai rencontré énormément d'anciens traders ou managers de salles de marché qui ne voient plus l'intérêt de leur métier, après avoir construit de la richesse artificielle, prédatrice de la richesse réelle, et mettent maintenant leur expérience au service de ceux qui veulent réguler. Il existe des alliés, des personnes ayant envie d'une finance plus régulée, davantage au service de l'économie réelle, où le politique peut représenter un intérêt général. Lehman Brothers n'était pas une banque universelle mais cela ne l'a pas empêché d'être au coeur de la crise financière. Je ne suis pas convaincu de la supériorité d'un modèle par rapport à un autre. Se pose en revanche une question d'aléa moral. La question du « too big to fail » peut-elle être résolue ? Il me semble que oui, à travers une mesure nationale qui se trouve dans la loi bancaire, avec la segmentation des actifs, et à travers l'union bancaire européenne qui édicte de nouvelles règles. Les actionnaires assument les premières pertes et les Etats n'ont plus à venir immédiatement à la rescousse. Ces mécanismes ont mis un certain temps à se mettre en place mais, le jour où ils seront opérationnels, nous ne serons plus tout à fait dans l'aléa moral de 2008 ou 2009. Nous avons progressé et avancé dans la bonne direction.
M. Eric Bocquet. - Vous avez évoqué le cas de la banque française réalisant 50 % de son bénéfice au Luxembourg. A quel document faites-vous référence ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Ceci a fait l'objet d'un rapport d'un groupe qui travaille pour les comités d'entreprise et qui, à la demande du comité d'Entreprise, a analysé les résultats pays par pays. Les syndicats peuvent effectivement demander ces informations.
M. Eric Bocquet . - De quelle banque s'agissait-il ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Il s'agissait de la Société Générale.
M. Eric Bocquet . - J'entends bien votre discours visant à remettre la finance au service de l'économie réelle, qui n'est pas une formule mais bien un objectif. La finance a une rentabilité à deux chiffres alors que la croissance économique est faible. Dans cette course à la rentabilité immédiate, comment faire en sorte que l'économie réelle soit plus rentable que l'économie financière ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Il convient de diminuer la rentabilité des produits financiers, ce qui passe par la simplification des produits financiers. De nombreux produits financiers n'ont aucun impact positif sur l'économie réelle. Lors de la crise financière, figuraient parmi les produits les plus rentables les fameux CDS. Le fait de penser que les marchés financiers puissent s'auto-assurer est profondément malsain, à mon avis, puisqu'ils ne font que construire du risque puis se le transmettre. Quand le risque se réalise, il est accru et non diminué puisqu'il est transféré à d'autres. C'est une des leçons de la crise financière : on a cru qu'on pouvait prendre plus de risques et l'éclater en micro-portions dans l'ensemble du système financier alors que, dès que l'accident a lieu (une faillite de banque par exemple), le risque n'a absolument pas diminué. On pouvait prêter, encaisser le taux d'intérêt, la marge et la commission et transmettre le risque à un autre. Pendant cette période, les profits ont été colossaux et même prédateurs par rapport au bon fonctionnement de l'économie. Aujourd'hui, la fonction d'assurance de ces marchés n'a pas été remise en cause, en termes de doctrine et il faut continuer à avancer sur le sujet.
Il convient aussi d'appliquer une logique de simplification. Les produits dérivés sont censés diminuer le risque. Or la volatilité n'a jamais été aussi importante depuis que l'ingénierie financière est censée assurer la stabilité. L'ingénierie permet de prendre plus de risques, de les sortir des comptes et d'augmenter la volatilité. Tout un travail, presque théorique, doit déconstruire tous les fondamentaux de l'économie financière qui ont été construits pour justifier la complexité. Nous n'avons pas encore tiré toutes les leçons. Il est difficile de le faire au niveau national : ce débat doit essentiellement être mené au niveau européen pour lever l'obstacle de la concurrence entre opérateurs. Charge ensuite au politique de mettre en place les mesures en cours de négociations, telles que l'union bancaire.
M. Éric Bocquet . - Quel rôle joue le FMI ou la Banque mondiale dans le processus d'extorsion des richesses des pays ?
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Je peux différemment répondre pour le FMI. Je ne constate pas d'encouragements de la Banque mondiale à l'extorsion de richesses, au contraire. La question qui se pose n'est pas tant d'améliorer les standards de lutte contre l'évasion ou de lutte contre le blanchiment des institutions de Bretton Woods ou des bailleurs bilatéraux que de voir quelle est l'offre concurrente. Or l'offre concurrente au prêt de la Banque mondiale est double : les pays du Golfe et la Chine. En Egypte, le gouvernement a refusé les conditions du FMI et un pays du Golfe a apporté le même montant. Il existe des grands projets d'infrastructures en Afrique confrontés à ce même type de choix...
M. Eric Bocquet. - Je pensais aux privatisations, demandées par le FMI, qui profitent in fine à des multinationales industrielles ou bancaires.
M. Pascal Canfin, ministre délégué auprès du ministre des affaires étrangères, chargé du développement, ancien député . - Le point est important en termes de rapport de force géopolitique. Nous sommes face à un agenda de reprise en main de la mondialisation et de la finance. Lorsqu'on tire la mondialisation vers le haut, en termes de standards, avec les conditionnalités sur les financements de projets, nous nous heurtons à la limite de l'offre alternative, qui n'existait pas il y a dix ans. Existaient alors uniquement les plans d'ajustement structurel FMI et les conditionnalités du FMI. Nous sommes maintenant loin du consensus de Washington. L'enjeu géopolitique dépasse la finance : comment la Chine s'insère progressivement dans le jeu multilatéral ou établit au contraire un standard concurrent ? La question finira par se poser sur les questions qui nous occupent. De vifs débats ont eu lieu au G20 quant à l'échange automatique d'informations auquel la Chine n'était pas spontanément favorable. Nous devons mener une réflexion - et les parlementaires ont un rôle important à jouer - pour voir quelle vision stratégique la France déploie et quel discours la France tient pour rassembler tout le monde derrière des standards partagés au sein de la communauté internationale.
Les termes du débat relatif au FMI et à la Banque mondiale ont considérablement évolué depuis 20 ans.
M. François Pillet, président . - Merci, Monsieur le Ministre, pour ces enseignements.