AUDITION DE MME MAÏTÉ GABET, DIRECTRICE, DIRECTION NATIONALE DES VÉRIFICATIONS DES SITUATIONS FISCALES, MINISTÈRE DE L'ÉCONOMIE ET DES FINANCES
M. François Pillet, président . - Je vais devoir vous faire prêter serment. Madame Maïté Gabet, prêtez-vous serment de dire toute la vérité, rien que la vérité ? Levez la main droite et dites « je le jure ».
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je le jure.
M. François Pillet, président. - Je vous propose de vous laisser la parole 10 minutes, compte tenu des questions que vous avez reçues. Le rapporteur vous posera ensuite des questions.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances. - Vous m'avez adressé un nombre de questions important. Toutes ne relèvent pas directement de la compétence de la DNVSF. Il me paraît important de vous présenter la direction nationale des vérifications des situations fiscales dans le dispositif du contrôle fiscal français. La DNVSF est une des trois directions nationales de contrôle fiscal, la plus petite, la DVNI étant en charge du contrôle des multinationales et la DNEF des enquêtes fiscales. La DNVSF est la direction qui est repérée dans le dispositif comme contrôlant les personnes physiques. La compétence de la DNVSF est double, voire triple puisqu'une nouvelle mission vient de lui être confiée. La DNVSF a été créée en 1983 avec pour but historique de contrôler de façon externe - de faire un examen de situation fiscale personnelle, procédure approfondie - des particuliers les plus significatifs. Son périmètre d'intervention s'apprécie en fonction de critères chiffrés, relatifs à l'importance du revenu ou du patrimoine, ou de critères relatifs à la qualité des personnes, notamment leur notoriété, ou des critères relatifs à la complexité des situations. La DNVSF exerce toujours cette mission historique de contrôle externe avec 600 contrôles externes par an. La DNVSF s'est vue confier en 2011 une nouvelle mission de surveillance et de contrôle des revenus et du patrimoine des contribuables les plus fortunés. Relèvent maintenant exclusivement de la DNVSF les foyers fiscaux déclarant 2 millions d'euros de revenus annuels ou 15 millions d'euros d'ISF. A ce titre, la DNVSF doit assurer la surveillance de ce tissu fiscal, par le contrôle sur pièces au départ des dossiers.
M. François Pillet, président. - Les seuils mentionnés valent-ils en impôts payés ou en base ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Ils s'entendent en base. La DNVSF exerce le contrôle corrélé de ces dossiers, en contrôle sur pièce, dans le délai de reprise de l'administration fiscale. Dans le délai de trois ans, l'ensemble de ces personnes fait donc l'objet d'un contrôle de la DNVSF. Cette opération a débuté en 2011. A ce titre, la DNVSF pratique 1 000 et 1 250 contrôles sur pièces par an. L'intérêt d'avoir mis cette tâche à la DNVSF est double : s'assurer d'une réelle surveillance de ce tissu, de manière systématique, et pouvoir, le cas échéant, basculer en contrôle approfondi lorsque le dossier le requiert. La DNVSF procède alors elle-même au contrôle fiscal approfondi.
La DNVSF vient de se voir confier une nouvelle mission fin juin, pour monter le service permettant aux personnes détenant des avoirs non déclarés à l'étranger de déposer leur déclaration rectificative conformément à la circulaire du Ministre du 21 juin 2013.
La DNVSF est implantée dans le 17 ème arrondissement et compte 280 agents dont 180 vérificateurs inspecteurs.
Pour les problématiques bancaires, la DNVSF a été totalement associée aux contrôles de la liste HSBC puisqu'elle a procédé aux contrôles externes en 2010 et 2011, ainsi qu'aux problématiques des listes dites du Lichtenstein. Il faut bien comprendre que la DNVSF n'est pas une direction d'enquête mais une direction de contrôle. Elle dépend donc des informations et des propositions de contrôle apportées par les autres services de la DGFIP. La DNVSF a en revanche son portefeuille dédié pour le contrôle des dossiers à enjeux. La Direction nationale des enquêtes fiscales lui apporte un certain nombre d'informations. La DNVSF peut également exploiter certains bulletins TRACFIN.
En termes de rendement financier, en 2012, nous distinguons le contrôle externe du contrôle sur pièces. La DNVSF a mis en recouvrement 300 millions d'euros et 175 millions d'euros de pénalités, contre 215 millions d'euros et 90 millions d'euros de pénalités en 2011. 58 % des droits proviennent de l'impôt sur le revenu, 25 % de l'ISF et 10 % des contributions sociales. En matière de contrôle sur pièces, la DNVSF a mis en recouvrement 6,5 millions d'euros de droits en 2011 et 42 millions d'euros de droits en 2012. Cette augmentation se confirme en 2013.
Les grandes problématiques occupant la DNVSF peuvent être regroupées en quatre grandes catégories :
• l'offshore et les actifs non déclarés
à l'étranger, avec la difficulté immense du contrôle
de ces actifs,
• les problématiques liées à la
mise en place de schémas visant à éluder, notamment, la
taxation des plus-values (apport-cession, donation-cession, donation
d'usufruit...), avec les montages patrimoniaux visant à éviter de
payer l'impôt et qui relèvent de l'abus de droit,
• les fausses domiciliations ou les faux
non-résidents, coeur de métier de la DNVSF depuis sa
création en 1983. Nous avons été confrontés
à des difficultés réelles et demandé des renforts
que nous avons obtenus via l'élargissement du champ de la police fiscale
qui peut maintenant travailler sur les problématiques de domiciliation,
sachant que l'administration fiscale n'a pas de moyens d'investigations. Pour
démontrer la domiciliation d'une personne physique, l'administration
fiscale peut maintenant porter plainte pour présomption de fraude
fiscale à la domiciliation et demander à des services de police
d'amener des éléments factuels qui permettront ensuite à
la DNVSF de localiser les personnes.
• la problématique de l'intéressement
des dirigeants et des salariés cadres d'entreprise, notamment les
mécanismes d'intéressement sauvage.
Ce propos introductif vous permettra de poser des questions qui vous semblent judicieuses.
M. François Pillet, président. - Je cède la parole à notre rapporteur.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Vous dites opérer 600 affaires de contrôles par an. Ce chiffre est-il issu d'un objectif ou correspond-il aux capacités matérielles de vos services ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Des objectifs sont fixés aux services en fonction du nombre d'agents. La volumétrie a varié mais reste toujours autour de 600. Ceci est contractualisé avec l'administration fiscale, dans le cadre d'un dialogue de gestion.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Vous avez cité les critères chiffrés, de notoriété - j'imagine le sport et le show business - et la complexité des situations. Pouvez-vous préciser ce que cette complexité recouvre ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - La DNVSF a été créée pour prendre en compte les problématiques territoriales de l'impôt. Des contribuables avaient des actifs en France, des actifs à l'étranger, des résidences en France et à l'étranger, critère de complexité qui ne permet pas au service local ou à la direction régionale de gérer la situation. Le décret d'attribution renvoie à la situation des contribuables qui relèvent d'au moins deux conventions internationales signées par la France ; les activités connues sont diversifiées sur le territoire national ou à l'étranger et nécessitent des investigations approfondies. Enfin, la complexité peut résulter du lien avec des instances judiciaires : les suites fiscales d'instances judiciaires relèvent peuvent relever de la DNVSF lorsqu'elles concernent des affaires à enjeux.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - La dimension internationale apporte de l'opacité et de la complexité. Depuis quand vous intéressez-vous à l'offshore ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Depuis 2007 environ.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Pouvez-vous déjà formuler des observations particulières sur les circuits et schémas à l'oeuvre dans ces phénomènes d'évasion fiscale à partir des territoires non coopératifs ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Le mécanisme est toujours le même. Les avoirs, pour ne pas être déclarés, doivent être placés dans des territoires pratiquant le secret bancaire. Le secret bancaire, depuis 2009 et les travaux de l'OCDE en matière internationale, a subi quelques coups, notamment dans le cadre de l'assistance administrative internationale et de la coopération autour des travaux au niveau du G20 ou de l'OCDE. Il est question d'échanges automatiques dans l'Union européenne : la DNVSF appelle évidemment de ses voeux ce type d'informations.
Nous avons appris qu'il n'existe pas un lieu de l'opacification mais une ingénierie fiscale qui passe par un compte en Suisse, une société à Panama, un compte à Singapour... Cette ingénierie est connue des praticiens du droit. Pour aller contre, il convient d'avoir les outils juridiques internationaux permettant de poser des questions, les outils de taxation de ces avoirs non déclarés, en interne, et des outils coercitifs. Nous avons amélioré notre dispositif depuis 2007. La coercition s'accroît progressivement.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Il existe de nombreuses listes, toutes différentes les unes des autres ce qui pose un vrai problème de définition générale et de périmètre. Comment délimitez-vous le périmètre de l'offshore ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Au plan de l'assiette de l'impôt, l'administration fiscale ne connaît pas l'offshore mais uniquement les pays à fiscalité privilégiée qui, sur une transaction donnée, pratiquent un impôt inférieur à 50 % de l'impôt français. Au plan de la transparence et de l'échange de renseignements, la difficulté consiste à connaître la nature des avoirs dans ces pays, avec la problématique de l'échange d'informations et de l'accès à l'information. Les territoires peuvent décider de leur taux d'imposition mais la problématique, pour la France comme pour d'autres pays, est d'accéder à l'information. Jusqu'en 2009, ces territoires étaient sur la liste grise de l'OCDE qui a servi de base aux négociations. La liste française est actuellement très réduite car elle espère une assistance administrative et des réponses aux questionnements faits par la France. Un rapport doit être présenté au Parlement chaque année. L'offshore regroupe les pays à fiscalité privilégiée, avec une difficulté d'accès aux informations.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Placeriez-vous dans cette catégorie Jersey ou le Luxembourg ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je placerai le Luxembourg comme un pays à fiscalité privilégiée. Comme il est membre de l'Union européenne, son traitement fiscal n'est pas le même que Panama. Le Luxembourg ne taxe pas un certain nombre d'avoirs, historiquement. La problématique des plus-values est connue. En revanche, pour Jersey la question de l'assistance administrative internationale se pose également.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Plus concrètement, pouvez-vous nous expliquer comment les avoirs sont transférés dans ces pays? Quel est le circuit ? Que deviennent ces avoirs transférés ? Comment sont-ils rapatriés, le cas échéant ? Quelle estimation chiffrée en feriez-vous ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Si j'avais une estimation, je saurai parfaitement ce qui n'est pas déclaré : je suis donc incapable de répondre. Je ne suis pas sûre que tous les circuits soient connus. Les vérificateurs de la DNVSF indiquent que des avoirs sont constitués dans les pays à fiscalité privilégiée, de manière historique, sur la durée (20, 30 ou 40 ans) et ont fructifié. Ils peuvent être alimentés par le commerce, par des sociétés qui versent des commissions dans plusieurs pays. La structure de l'évasion repose sur des structures 'écrans. Cet avoir peut ensuite être réinvesti, en France, pour acheter, par le biais de sociétés écrans interposées, du patrimoine.
L'argent sort toujours à travers des écrans.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Les filiales des banques jouent-elles un rôle déterminant dans ces schémas et transferts ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Des professionnels accompagnent ces montages. Ce ne sont pas forcément les banques elles-mêmes : ce peut être des professions du chiffre ou des avocats. L'administration fiscale essaie d'attraire pour complicité, dans certains dossiers pour fraude fiscale, les monteurs. Une réflexion avait été initiée pour savoir s'il fallait faire des déclarations de montage, comme les Américains ou les Britanniques. Ce projet avait été abandonné face à la masse administrative de gestion qu'il impliquait. Un contribuable qui veut procéder volontairement à sa propre évasion fiscale doit être très compétent ou recourir à des monteurs. Nous avons déposé des plaintes de fraude fiscale à l'encontre des monteurs. Ces sujets sont connus.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Quels sont les actifs financiers les plus difficilement décelables dans vos travaux ? L'opacité empêche-t-elle parfois de comprendre les mécanismes ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Si vous distinguez les dividendes, des intérêts, des plus-values et les successions, il me semble que l'élément le plus difficile à prendre en compte concerne les successions passées à l'étranger. Il n'existe toutefois pas de hiérarchie entre les dividendes et les plus-values. Le plus difficile, en matière d'évasion, est de lier un contribuable à des actifs puisque des trusts ou des sociétés font écran. La doctrine juridique et fiscale prévoyait pendant un moment que les trusts irrévocables et discrétionnaires n'appartenaient plus à personne. Or, quand nous avons fait la cellule de régularisation, nous nous sommes aperçus que des trusts irrévocables et discrétionnaires étaient révoqués et devaient donner lieu à taxation. Un arrêt de la Cour de Cassation vient de trancher en faveur de l'administration fiscale. L'interaction juridique conduit à une extrême opacité. La difficulté est liée à la traçabilité des structures.
M. François Pillet, président. - Vous avez indiqué faire 600 contrôles approfondis et 1 200 contrôles sur pièces, uniquement pour les personnes physiques.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Les contrôles externes doivent comprendre une centaine de dossiers de vérification de comptabilité. Comme les personnes physiques sont des professionnels, nous vérifions le bénéfice non commercial, l'entreprise ou la holding. Si nous devons procéder à un contrôle plus approfondi, nous nous rapprochons de la DVNI.
M. François Pillet, président. - Sur un total de 1 800 dossiers, combien, selon vous, sont empreints de fraude fiscale ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Nous distinguons l'application de pénalités pour manquement et les poursuites fiscales (plaintes pour fraude fiscale). Le taux de correctionnalisation de la DNVSF est de 11 %. Les manoeuvres frauduleuses représentent environ 30 %. Je vous donnerai les chiffres si vous les souhaitez.
M. François Pillet, président. - Qui décide de transmettre un dossier à la CIF ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Toute la chaîne : en amont de la vérification des affaires, nous savons parfois qu'il y a fraude fiscale. Nous devons alors agir rapidement puisque la prescription fiscale, tout comme la prescription pénale, n'est que de trois ans. Le dossier est ciblé comme tel et la directrice fait une proposition d'envoi à la CIF.
M. François Pillet, président. - Si un contribuable paie tout de suite les pénalités fiscales, abandonnez-vous le recours à la CIF ? Certains dossiers n'ont-ils pas été décorrectionnalisés, en raison d'une décision de vos autorités de tutelle, vos supérieurs hiérarchiques préférant le paiement des sanctions fiscales.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - La DGFIP présente environ 1 000 dossiers par an avec dépôt de plainte. Une politique de diversification des plaintes est en oeuvre pour ne pas cibler que l'occulte et le travail dissimulé mais toucher aussi le patrimonial et la délinquance en col blanc. La fiscalité est soumise à un principe général de proportionnalité des peines et des sanctions. Il peut arriver que, dans certaines affaires, en l'absence de caractérisation totalement avérée de la fraude fiscale, le contribuable paie ses droits et pénalités et que le dossier s'arrête là.
M. François Pillet, président. - A qui faites-vous des propositions ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je les adresse au président de la commission des infractions fiscales, par l'intermédiaire du service du contrôle fiscal.
M. Yvon COLLIN . - Quels obstacles rencontrez-vous dans vos investigations ? Nous avons l'impression que les fraudeurs ont toujours deux coups d'avance. Avez-vous les moyens d'aller plus vite ? Existe-t-il une liste des meilleurs conseillers pour les fraudeurs fiscaux ? Je ne crois pas que nous soyons dans l'amateurisme.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Il faut avoir conscience du monde dans lequel nous vivons. Vous transférez des sommes à Singapour en deux minutes ; vous allez à Londres en deux heures ; vous n'avez plus besoin de liquide. Entre la dématérialisation, la liberté de circulation des personnes et des capitaux, il n'y a plus de contrôle des changes, cette évolution des sociétés est exponentielle depuis 15 ans. Sur les problématiques de domiciliation, quand vous pouvez être à Londres en deux heures, à Bruxelles en une heure, vous pouvez être dans vos trois maisons la même journée. Les critères jurisprudentiels étaient auparavant physiques et tangibles. Aujourd'hui c'est inadapté. Il faut intégrer cette difficulté.
L'administration fiscale française a compris qu'elle ne pouvait rien faire seule. Nous devons instaurer une politique de collaboration avec nos partenaires, comme la politique en oeuvre à l'OCDE. Les moyens légaux ont massivement augmenté. En cinq ans, nous avons augmenté toutes les amendes pour non-déclaration des comptes à l'étranger ; nous avons créé une police fiscale qui a vu son champ élargi ; nous venons de créer un article L23 C du livre des procédures fiscales permettant, lorsque l'administration fiscale a une suspicion tangible quant à la détention d'un compte à l'étranger, de poser une question à la personne : si elle ne répond pas deux fois de suite, l'administration fiscale est en droit de taxer 60 % du montant connu depuis 10 ans. Les moyens ont été augmentés. La DGFIP fait beaucoup, dans cette collaboration avec la justice, avec les autres services de l'Etat et avec ses collègues extérieurs. La DNVSF pratique l'assistance administrative. Il faut sans doute adapter nos méthodes de travail à nos enjeux et procéder de manière moins normée par rapport aux sujets que nous avons à traiter.
La pratique permet d'établir une liste des conseils mais elle n'est pas publique. L'administration fiscale a mené des actions très coercitives- perquisitions, poursuites...- à l'encontre de monteurs.
M. Jacques CHIRON, sénateur . - Combien de personnes sur le territoire national ont-elles des comptes dans les territoires à fiscalité privilégiée ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je n'ai pas ce chiffre. Je n'ai la vision que des contrôles effectués par la DNVSF. Au cours des contrôles exercés par la DNVSF au cours des trois dernières années, près des 40 % concernaient des pays dits à fiscalité privilégiée.
M. Jacques CHIRON, sénateur . - Vous avez parlé de pays avec des structures de fiscalité différentes. Certains pays privilégient davantage le patrimoine, comme la Belgique et le Luxembourg, d'autres les commissions et les sociétés écran. Avez-vous cette liste ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Nous connaissons les typologies de montages en fonction des particularités fiscales des pays. Si une société est implantée à Panama, il y a peu de chances que le compte soit à Panama.
M. Jacques CHIRON, sénateur . - Les comptes bancaires se trouvent plutôt dans les pays de structure solide : les pays plus exotiques ont des structures plus légères. Vous connaissez ce schéma. J'imagine que tous les pays européens ont la même démarche.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Le forum des administrations fiscales de l'OCDE comprend un groupe « agressive tax planning » d'échange informel entre des vérificateurs des pays membres de l'OCDE qui partagent constamment les schémas qu'ils ont repérés. Cette information est partagée et nous progressons conjointement. Ce travail d'échanges sur nos pratiques est assez constant.
M. Jacques CHIRON, sénateur . - Vous parlez de dématérialisation. La transaction entre le paiement et la banque d'origine laisse forcément des traces. Est-il possible de retracer des paiements relativement lourds ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Oui, mais vous avez toujours un effet retard entre la délocalisation des flux et leur utilisation. Nous pouvons, depuis trois ans, élargir notre champ d'investigation. Le Luxembourg commence à coopérer. Les travaux de police judiciaire et de saisie sont plus efficaces pour ce type d'offshore que les travaux simplement administratifs et fiscaux, d'où notre demande d'élargissement, acceptée par le Parlement.
M. Jacques CHIRON, sénateur . - Intervient ensuite l'utilisation des biens.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - L'administration fiscale est confrontée à la difficulté de faire le joint entre personne morale et personne physique. Ceci passe par du questionnement administratif, de l'enquête fiscale, du recours à la police judiciaire pour avoir des faisceaux d'indices permettant de dire que le bien appartient à une personne physique.
M. François Pillet, président. - Est-il possible d'utiliser le Delaware pour opacifier un montage ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Le Delaware ne communique aucune information.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Il est intéressant de noter que le Delaware refuse toute coopération en dépit des proclamations d'intention vertueuses des Etats-Unis.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Il ne la refuse pas mais ne dispose d'aucune information. Prenons un exemple administratif : les nouveaux territoires coopératifs n'ont pas de cadastre. Pour savoir à qui appartient le bien, il faut passer par des notaires locaux dont la certitude ou l'objectivité n'est pas forcément garantie. Le travail de l'OCDE porte sur le corpus juridique des Etats en droit civil, droit commercial, droit notarial, droit des successions.... Lors de l'évaluation de la France, nous avons communiqué des tombereaux de documents pour démontrer que nous étions capables de répondre aux questions. Or, il est possible de s'immatriculer au Delaware sans décliner son identité.
M. François Pillet, président. - Le Delaware ne se dote donc pas des outils juridiques lui permettant de contrôler ses ressortissants ou résidents.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Les banques sont-elles aussi confrontées à ces difficultés pour accéder aux informations au Delaware ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je pense que les professionnels, s'ils ont conseillé cette installation au Delaware, connaissent ces informations.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Ont-elles contribué à la législation en vigueur dans cet Etat ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je l'ignore. Le Delaware n'est pas l'Etat qui a concentré le plus de critiques de la DNVSF car il ne concerne pas forcément les personnes physiques.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Pour en revenir à des préoccupations hexagonales, confirmez-vous qu'est opéré un contrôle systématique de la situation des ministres ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - La DNVSF ne participe pas au contrôle d'entrée des Ministres, à leur entrée dans le gouvernement : ce contrôle républicain consiste en un contrôle sur pièces, piloté par l'administration centrale avec les directions locales de lieu de dépôt des déclarations.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Les dossiers transmis à la CIF sont-ils visés par le cabinet du Ministre ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Absolument pas. La fonctionnaire que je suis vous répond, à partir de ce qu'elle a vu, que non, sous serment, au regard des affaires qu'elle traite.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Les affaires HSBC ou UBS vous amènent-elles à entamer des démarches particulières ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Sur l'affaire HSBC, le rapport Eckert montre bien que l'administration fiscale a mis en place un dispositif particulier : elle n'a pas terminé. Nous avons porté plainte pour fraude fiscale. Cette affaire a donné lieu à un dispositif d'ampleur. La DNVSF a pratiqué 1 000 contrôles alors qu'elle en fait normalement 600, en moins de deux ans.
Pour les autres affaires, les autres questions se posent en amont, lors de l'enquête fiscale. La DNVSF intervient alors au moment du lancement des contrôles.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Avez-vous été associée de près ou de loin aux dossiers Bettencourt ou Takieddine ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je ne peux répondre ainsi sur des dossiers particuliers. Je suis délivrée du secret fiscal avec le rapporteur. Si vous voulez que je réponde à cette question, je répondrai.
M. François Pillet, président. - Vos collègues de l'administration fiscale nous ont invités à réfléchir à une nouvelle rédaction de l'article L 64 sur l'abus de droit pour éviter le recours au critère « d'exclusivement fiscal » et passer éventuellement à « principalement fiscale ». Partagez-vous ce point de vue ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Totalement. Tous les montages d'optimisation fiscale sont tout à fait connus : il n'est question ni de fraude ni d'offshore. La rédaction du L. 64 nous prive de notre capacité d'action car sa rédaction est trop fermée. Si on trouve un autre but que fiscal - par exemple un but social, pour éviter de payer des charges sociales, nous ne pouvons appliquer l'article.
M. François Pillet, président. - Pourquoi ne recourrez-vous pas davantage au comité des abus de droit qui peut renverser la charge de la preuve ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Le comité de l'abus de droit ne suit pas toujours les préconisations de l'administration fiscale. Le comité examine le redressement et le schéma remis en cause par l'administration fiscale au regard du droit tel qu'il existe. Comme le texte est très fermé, nous rencontrons beaucoup de difficultés sur l'abus de droit.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Vous avez évoqué différents schémas, avec le Lichtenstein par exemple. Pouvez-vous en communiquer certains à la commission, à titre d'exemples ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Oui.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Êtes-vous surprise de l'inventivité des schémas ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Non.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Monsieur Saint-Amans nous avait dit avoir recensé 350 schémas en 2012 et 400 cette année.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Il en existe peut-être 1 000. L'administration fiscale intervient toujours avec un an de retard. Un événement qui survient en juillet 2013 ne peut être traité par l'administration fiscale qu'avec un retard d'une année correspondant au délai de déclaration même s'il existe désormais la flagrance fiscale. La grande difficulté de l'administration fiscale quand elle met en oeuvre des procédures est d'être équilibrée La fraude continuera mais nous avons énormément progressé en cinq ans sur notre connaissance de la fraude et du offshore. Les actions menées ont été emblématiques et importantes. Il convient de collaborer davantage avec la magistrature et la justice. Les magistrats ont accès à nos procédures et nous avons accès aux leurs, ce qui est très utile.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Les banques jouent-elles un rôle dans la diffusion de ces schémas ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Je ne saurai répondre. Pour organiser ces évasions fiscales, vous avez besoin d'autres personnes, dans la profession du chiffre ou du droit. Je ne peux toutefois stigmatiser une profession en particulier. La complicité de fraude fiscale est un délit qui existe.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Avez-vous des collaborations spécifiques avec l'ACP ou l'AMF ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Non. TRACFIN envoie en revanche des bulletins à l'administration fiscale mais ce n'est pas la DVNSF qui les reçoit en direct. C'est la DNEF.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Avez-vous relevé des situations d'enrichissement personnel illicites, en lien avec des extorsions financières ? Disposez-vous de tous les moyens pour contrôler que les flux financiers des entités sociales ne dissimulent pas de telles manoeuvres ou processus ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Votre question vise à savoir si des personnes participent à la création de montage s'enrichissent au point de ne pas déclarer ces revenus. Certains dossiers d'évasion fiscale ont clairement mis en lumière que le monteur lui-même était un fraudeur. Nous n'avons pas eu d'axes de vérifications des dirigeants des banques. L'administration fiscale a un axe sur l'intéressement des managers et les hautes rémunérations des cadres dirigeants mais ceci concerne toutes les professions.
M. Eric BOCQUET, sénateur . - Nous formulerons des propositions au terme de nos travaux. Souhaitez-vous nous recommander des améliorations sur la transparence des actifs financiers ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Le point primordial concerne l'échange automatique. Ce sujet n'est toutefois pas national mais européen. Il faut arriver à mettre fin au secret bancaire.. Nous avons gagné une première bataille psychologique en montrant que le silence n'était pas éternel. Une action conjointe des Parlements dans ce sens pourrait être utile.
M. François Pillet, président. - Pensez-vous que la productivité législative et réglementaire facilite l'imagination des fraudeurs et est un handicap pour vous ? Ne devrions-nous pas être beaucoup plus stables dans notre législation fiscale ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - La loi est générale et impersonnelle, par construction. Elle prévoit des cas particuliers : dans ces détails s'insèrent les montages. Les professions du droit sauront toujours trouver la faille des systèmes. Aucun système n'empêche en lui-même l'utilisation abusive des textes. Il est toutefois exact que l'inflation législative et réglementaire et, surtout, les exceptions à la loi générale conduisent à l'optimisation.
M. François Pillet, président. - Je reviens sur la modification de la rédaction de l'article L. 64. Si la référence était « prioritairement fiscal », ceci m'interrogerait moins si les contribuables utilisaient davantage le rescrit. Le rescrit repose sur une relation de confiance entre le contribuable et l'administration.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Le rescrit figure déjà dans les textes. L'administration fiscale a réalisé des progrès énormes en matière de rescrits fiscaux et en termes de sécurité juridique, qui est nécessaire. Le rescrit du L. 64 existe depuis l'origine. Je ne sais pas pourquoi le contribuable l'utilise peu. Des travaux avaient été menés il y a quelques années aux Etats-Unis sur la déclaration de montages. Nous avions réfléchi à cette possibilité en France mais les conseils n'en voulaient pas, disant que nous avions déjà l'abus de droit.
M. Yvon COLLIN sénateur . - Pensez-vous que les grands dirigeants d'entreprise bénéficient de schémas particuliers ?
Concernant le football, la motivation des dirigeants d'entrer en bourse n'est-elle pas une manoeuvre pour bénéficier d'un certain nombre d'avantages puisque certains clubs européens sont soupçonnés d'être des structures pour blanchir de l'argent ?
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - Sur les dirigeants, la systématisation du contrôle sur pièces des dossiers des particuliers les plus fortunés me paraît apporter une première réponse. Les plus grands dirigeants sont donc traités par ma direction, la DNVSF qui peut également procéder à un contrôle plus approfondi.
Sur le football, la DNVSF peut vérifier les joueurs mais pas les clubs. La Direction nationale des enquêtes fiscales peut mettre en oeuvre ces travaux, en lien avec la justice.
M. François Pillet, président. - Je vous remercie.
Mme Maïté Gabet, directrice, direction nationale des vérifications des situations fiscales, ministère de l'économie et des finances . - J'essaierai de vous communiquer quelques schémas.