B. RENDRE PLUS COHÉRENTES NOS POLITIQUES PUBLIQUES EN CONSÉQUENCE

1. Renforcer le dialogue entre acteurs du développement: le futur Conseil national du développement et de la solidarité internationale (CNDSI)

Si une meilleure connexion entre les ministères de tutelle, l'AFD et les opérateurs de recherche devrait permettre de donner à la dimension partenariale la place qui lui revient dans la politique de coopération, il importe de faire partager cette inflexion à l'ensemble du Gouvernement et de la société civile.

Conformément à la volonté du Président de la République d'ouvrir la politique de développement à la société civile, le Gouvernement, lors du CICID du 31 juillet 2013, a décidé la création du Conseil National du Développement et de la Solidarité Internationale (CNDSI). Ce conseil est chargé de maintenir de manière souple une concertation régulière entre l'État, les élus et l'ensemble des parties prenantes du développement, notamment les ONG. Ce lieu de dialogue politique, que votre mission conçoit comme un instrument de veille (pour le présent) et une boîte à idées (pour l'avenir), doit permettre de débattre des orientations de la politique française de développement et d'assurer la cohérence des politiques publiques en matière de développement.

Selon les informations recueillies par votre rapporteure, le CNDSI pourrait être composé d'une cinquantaine de membres répartis entre huit collèges représentant les grandes familles d'acteurs impliqués dans la politique française de développement : l'administration (dans une composition interministérielle 129 ( * ) ), les ONG, les acteurs économiques, les partenaires sociaux, les collectivités internationales, les parlementaires mais aussi la recherche. Le huitième collège (International) serait composé d'un membre de chacun des sept autres.

Le CNDSI sera présidé par le Ministre en charge du développement, ce qui permettra d'assurer la prise en compte de ses travaux dans l'action gouvernementale. Ce n'était pas le cas dans l'ancienne enceinte de consultation de la société civile, le Haut Conseil de la Coopération Internationale (HCCI) créé en 1999 et dissous en 2008, victime de sa structure trop rigide et trop lourde 130 ( * ) et de son fonctionnement coûteux. Économe en moyens, le CNDSI verra son secrétariat assuré par la Direction générale de la mondialisation du MAEE, en lien étroit avec le co-secrétariat du CICID, qui constitue l'ossature ministérielle du CNDSI.

La création du CNDSI s'accompagne de la suppression du Conseil stratégique pour la coopération non gouvernementale.

Votre mission se félicite de la prochaine constitution de ce Conseil, tant elle juge importants le dialogue et la concertation dans l'élaboration et la mise en oeuvre de la politique de développement . Elle insiste sur la nécessité d'y donner un écho réel aux enjeux de la recherche pour le développement. Plutôt que d'alourdir la composition du CNDSI à cette fin, elle propose de veiller à réunir régulièrement le groupe thématique qui sera consacré à la recherche : cette concertation sur le thème de la recherche permettra notamment d'orienter et de mieux coordonner la projection au Sud des cinq alliances nationales de recherche thématiques 131 ( * ) . M. André Syrota, président d'Aviesan, a en effet insisté auprès de votre mission sur la nécessité de connecter la politique du ministère des affaires étrangères et les projets des alliances.

Une bonne circulation verticale devra ensuite garantir que les débats au sein du CNDSI seront effectivement alimentés par les remontées provenant de cet espace de concertation thématique consacré à la recherche.

2. Faciliter la mobilité des chercheurs par une adaptation de la politique des visas

La mobilité des chercheurs et étudiants conditionne la vitalité des partenariats de recherche. Les difficultés mises au jour dans l'octroi des visas doivent donc amener à réfléchir aux conditions d'une meilleure offre de visas pour les étudiants et chercheurs étrangers.

Le nouveau gouvernement a compris la nécessité de restaurer la confiance en abrogeant la circulaire Guéant qui avait suscité de nombreuses difficultés pour les étudiants et les chercheurs. Parce que les étudiants et les chercheurs étrangers sont une richesse et une opportunité, les mobilités créent des partenariats utiles au développement de nos partenaires comme de nos échanges extérieurs.

De nombreux efforts restent à faire pour simplifier la chaîne d'accueil et encourager la dématérialisation et la simplification des procédures d'inscription et de délivrance des visas et, en particulier, des titres de séjour valables pour toute la scolarité.

Lors du récent débat sur le projet de loi relatif à l'enseignement supérieur et à la recherche, le Sénat , à l'initiative du rapporteur de sa commission de la culture, de l'éducation et de la communication, a adopté une série de dispositions reprenant la proposition de loi relative à l'attractivité universitaire, déposée en février 2013 , et modifiant le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour faciliter l'accueil des étudiants étrangers et l'insertion professionnelle des étrangers diplômés par notre système d'enseignement supérieur.

Les modifications apportées au code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) visaient à favoriser les conditions d'exercice des premières années d'expérience professionnelle - expérience qualifiante - pour les étrangers tout juste diplômés d'un établissement d'enseignement supérieur français, mais aussi à sécuriser la situation des étudiants étrangers en France et limiter les démarches administratives, souvent vexatoires, qui les épuisent et les précarisent tout en encombrant inutilement les services préfectoraux.

Ainsi, l'étudiant étranger qui aurait accompli une année d'études en France obtiendrait un titre de séjour pluriannuel : d'une durée de trois ans s'il prépare un diplôme équivalent à la licence ; de deux ans pour le master ; d'une durée de quatre ans pour un diplôme de doctorat. Cette disposition était jusqu'ici à la discrétion des services préfectoraux ; elle deviendrait de plein droit.

Pour prévenir la fuite des cerveaux, le Sénat avait prévu un droit illimité au séjour en France pour tout diplômé d'un doctorat obtenu en France auquel la carte « Compétences et talents » serait délivrée sur demande. Cette disposition permettrait de favoriser les échanges entre les pays d'origine et la France et de développer une coopération économique continue, enrichissante, sans pillage des cerveaux des pays du Sud.

Adopté contre l'avis du Gouvernement, ce dispositif a été remplacé en commission mixte paritaire par un dispositif transitoire plus restrictif qui poursuit les mêmes objectifs : maintien de l'ouverture du marché du travail par la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, suppression des entraves à l'accès du marché du travail, doublement de la durée de l'autorisation provisoire de séjour. Ce texte a été définitivement adopté dans la loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche n° 2013-660 du 22 juillet 2013.

Le Gouvernement a en effet souhaité traiter cette question dans le cadre plus général d'un projet de loi sur l'immigration : « un projet de loi spécifique visant à renforcer l'attractivité de notre pays et à permettre au ministère de l'intérieur de proposer des visas pluriannuels, calqués sur la durée des études et intégrant, comme pour les bourses, une année supplémentaire » selon les termes de Mme Fioraso, ministre de la recherche.

« Nous mettrons également en place un statut spécifique pour les personnes qui ont obtenu leur doctorat en France. Nous songeons à un droit de visite permanent. En effet, qu'ils choisissent de retourner dans leur pays d'origine ou de mener une carrière internationale, ces experts garderont toute leur vie un lien très étroit avec la France et seront ses meilleurs ambassadeurs. », a-t-elle indiqué lors du débat.

Votre mission ne peut que se féliciter de ces initiatives et espère vivement que le projet de loi viendra bientôt remettre en cohérence notre politique des visas avec notre politique en matière de recherche partenariale en reprenant l'essentiel des dispositions adoptées au Sénat en mai dernier .

Elle relève aussi avec satisfaction que l'Union européenne pourrait contribuer à faciliter la mobilité des étudiants et chercheurs : la Commission européenne a en effet proposé en mars 2013 une directive 132 ( * ) destinée à harmoniser et simplifier les conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche ou d'études. Ce texte, auquel votre mission est naturellement favorable, est en cours de négociation entre le Parlement européen et le Conseil.

3. Responsabiliser les chercheurs dans la mise en application de la PPST pour concilier impératifs de sécurité et recherche partenariale

Il importe de regagner la confiance du monde de la recherche, inquiet des nouvelles règles de protection du potentiel scientifique et technique de la nation, sans quoi le nouveau dispositif sera inappliqué ou contourné et perdra sa crédibilité.

Un premier élément de confiance tient à la rapidité de la réponse du haut fonctionnaire de défense et de sécurité (HFDS) aux demandes d'avis qui lui sont adressées. Certes, tout avis sur une demande d'autorisation d'accès aux zones à régime restrictif (ZRR), qui est contraignant, sera rendu sous deux mois, l'avis étant réputé favorable passé ce délai. Mais ce délai est bien long : selon M. Gasnot, fonctionnaire de sécurité de défense du CNRS, ce délai n'est que d'un mois en Allemagne. Il risque d'entraver le recrutement par la France des meilleurs scientifiques en provenance du monde entier, alors même que le bassin de recrutement de chercheurs français s'amenuise. De même, le délai de trois mois prévu pour rendre un avis sur tout projet de coopération scientifique internationale risque d'entamer la compétitivité de nos équipes scientifiques lors des appels à projets. Un effort important doit donc être consenti pour raccourcir ces délais et ne pas pénaliser la recherche française en partenariat .

Une deuxième voie de progrès consisterait à prévoir la mise en place d'une instance d'appel que les laboratoires pourraient saisir quand un refus (non motivé) leur est opposé.

Un troisième impératif est de progresser vers une harmonisation européenne des règles en matière de protection du potentiel scientifique et technique : il est incompréhensible que des chercheurs étrangers que le HFDS refuse d'accueillir dans des laboratoires français soient reçus sans difficultés par nos voisins européens.

Il est certain que toute coopération scientifique entraîne des risques de fuite d'informations. Les chercheurs n'ignorent pas ces risques; surtout, ils estiment que la prise de risques mesurés est plus profitable à terme qu'une application trop stricte de la PPST qui entraverait excessivement les partenariats de recherche et priverait finalement la recherche française du bénéfice qu'elle tire de ses collaborations avec l'étranger. M. Claude Kirchner, Délégué général à la recherche et au transfert pour l'innovation d'INRIA, a ainsi fait observer à votre rapporteure que plus de la moitié des étudiants effectuant leur thèse à l'INRIA sont étrangers et que se couper de leurs compétences serait très préjudiciable à l'établissement et incohérent avec sa politique scientifique. Il a souligné l'importance des relations qui se nouaient lors de l'accueil d'étudiants étrangers, évoquant l'exemple du Chili avec lequel l'INRIA a développé une forte collaboration (du big data jusqu'à l'astronomie), facilitée par la tradition de formation en France des scientifiques chiliens.

Pour parvenir à trouver le bon réglage, votre mission préconise enfin de miser sur le dialogue au sein de chaque unité de recherche, entre le fonctionnaire responsable de défense et de sécurité, la hiérarchie du laboratoire et les chercheurs qui travaillent dans l'unité. Pour concilier impératifs de sécurité et recherche partenariale, il convient d'adopter une approche pragmatique pour ne pas nuire à l'attractivité de notre pays et au dynamisme de nos partenariats de recherche . À cet égard, votre mission soutient la demande qu'ont adressée les présidents d'INRIA, du CNRS, de l'INRA, de l'INSERM et du CEA à la Ministre de l'enseignement supérieur et de la recherche, Mme Fioraso: mettre en place un groupe de travail réunissant le HFDS et les personnes en charge de ces questions dans ces établissements de recherche . En effet, ce n'est que dans un climat de confiance que les chercheurs pourront se responsabiliser et internaliser progressivement la PPST au stade même du montage de projets.

Au-delà de ce réaménagement interne de l'ensemble de notre action publique, et une fois confortée la mission des opérateurs de recherche pour le développement, votre mission considère nécessaire de trouver les moyens d'améliorer nos partenariats de recherche avec le Sud, pour les rendre plus équilibrés et plus efficaces.


* 129 Le MAEE, le MINEF, l'AFD seraient membres de droit, et les autres ministères conviés en tant que de besoin en fonction notamment de l'ordre du jour des réunions.

* 130 Le HCCI fonctionnait avec des sous-commissions et groupes de travail, alors que le CNDSI pourra renvoyer aux espaces de concertation thématiques déjà existants le traitement de sujets spécifiques.

* 131 M. Delfraissy, président de l'ANRS, a déploré devant votre mission le défaut de coordination ministérielle et de pilotage politique qui laissait les agences de recherche définir seules leurs priorités, notamment au Sud.

* 132 Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, d'échange d'élèves, de formation rémunérée et non rémunérée, de volontariat et de travail au pair, 25 mars 2013, COM(2013) 151 final.

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