INTRODUCTION DU RAPPORTEUR
Mesdames, Messieurs,
Si le dopage est aussi ancien que le sport, la lutte antidopage a quant à elle longtemps été négligée, faute de moyens ou faute de conviction .
Toutefois, depuis la fin des années 1990 et l'affaire Festina dans le cyclisme, les pouvoirs publics, au niveau français puis au plan international, se sont pleinement saisis de la question de la lutte antidopage.
Plusieurs principes de base ont présidé à cette lutte :
- celle-ci ne saurait être circonscrite à un seul sport . Elle doit, au contraire, se placer dans une approche transversale non seulement de la compétition sportive, concernée par ce type de dérives, mais aussi plus globalement de la pratique sportive, y compris amateur ;
- elle remplit un double objectif, à la fois éthique et sanitaire .
En effet, la lutte contre le dopage est un des aspects de l'équité sportive . Dès lors que le sport est basé sur la fixation de règles que chacun s'engage à respecter, le dopage trouble les hiérarchies normalement établies par les entraînements et les compétitions 1 ( * ) . La lutte contre le dopage vise donc à ne pas créer une hiérarchie sportive faussée , fondée sur la capacité des athlètes à trouver les produits les plus performants et la capacité de chacun à potentialiser leurs effets.
Le dopage recouvre ensuite un enjeu sanitaire . La plupart des produits dopants, notamment les médicaments qui font l'objet d'un mésusage, ont des effets néfastes sur la santé des sportifs, à court, moyen ou long terme. Ces conséquences suffiraient à justifier la lutte antidopage, si le dopage était réservé aux sportifs professionnels. Mais, la prise de produits interdits pour améliorer ses capacités physiques est une pratique courante, y compris de la part des amateurs . Et même si ces usages ne sont pas de même nature que ceux connus dans le monde professionnel, les risques d'extension du dopage des professionnels aux amateurs rendent particulièrement nécessaires l'intervention des pouvoirs publics.
Votre commission d'enquête s'est pleinement inscrite dans cette double vision de la lutte antidopage comme enjeu sanitaire et sportif. De même a-t-elle souhaité que son champ d'analyse puisse couvrir l'ensemble des disciplines sportives 2 ( * ) , dans un souci d'équité bien évidemment, mais surtout afin d'avoir une bonne connaissance des pratiques dopantes, qui sont de facto universelles 3 ( * ) .
Elle a néanmoins approfondi sa réflexion en constatant que :
- le sport s'inscrivant de plus en plus dans l'économie du spectacle, avec pour corollaire l'injection massive d'argent dans de nombreuses disciplines, la lutte antidopage doit à la fois être à la hauteur de ces enjeux et prendre elle-même des accents financiers si nécessaire, notamment en termes de sanctions ;
- le dopage s'accompagne enfin de problématiques relatives à la protection de l'ordre public . En effet, les pratiques dopantes sont rendues possibles par un trafic de produits médicamenteux, sur notre territoire, mais aussi au niveau international. Un arsenal pénal spécifique a donc été mis en place afin de permettre aux enquêteurs de mieux remonter les filières et constitue l'un des moyens les plus efficaces de lutte contre le dopage.
Face à de telles problématiques, votre rapporteur avait établi une feuille de route précise, dans le cadre des objectifs fixés par la proposition de résolution n° 344 (2012-2013) du groupe socialiste, déposée au Sénat le 8 février 2013, à l'origine de la création de la commission d'enquête.
Un peu plus de cinq mois après l'adoption de cette résolution, votre rapporteur pense avoir réussi à remplir les objectifs fixés initialement : travailler sur un état des lieux du dopage, faire le bilan de la lutte antidopage, donner un éclairage sur les enjeux internationaux et formuler des propositions.
I. Le difficile état des lieux des pratiques dopantes
Selon la proposition de résolution précitée, votre commission d'enquête devait en premier lieu mener un travail de vérité sur la réalité des pratiques dopantes , « afin à la fois de dépassionner le débat public sur le sujet et de définir des objectifs pragmatiques de lutte contre le dopage ».
À cet égard, force est de reconnaître que, si la commission d'enquête a partiellement contribué à la libération de la parole sur le sujet, au cours d'une année 2013 rythmée par les déclarations sur le dopage, elle n'a pas complètement permis de libérer la parole sur l'usage de produits dopants .
Cependant, en croisant les tables rondes ouvertes, les témoignages publics et à huis clos et en examinant scrupuleusement les données chiffrées dont les agences antidopage disposent, votre rapporteur est parvenu à la conclusion que, si des risques pèsent davantage sur tel ou tel sport, du fait des habitudes établies, des calendriers des compétitions, ou encore de la légèreté de la lutte antidopage menée, le dopage traverse toutes les disciplines et à tous les niveaux de performance .
De nombreuses données issues de la recherche universitaire ou des laboratoires d'analyses ont aussi été fournies. Les échos des différentes affaires judiciaires, relayés par la presse et la littérature des « repentis » ont quant à eux livré de précieuses informations.
Votre rapporteur a pu constater que le fait de parler de dopage ne nuit pas au sport, mais contribue au contraire, à moyen et long terme, à lui redonner ses lettres de noblesse . L'application de la loi du silence sur le sujet transformerait l'activité professionnelle en jeux du cirque et à une perte de valeur symbolique des compétitions, sans compter les effets dévastateurs sur la pratique amateur.
Les années 2000 ont ainsi été une période importante de révélations, notamment dans le cyclisme avec les ouvrages d'Erwann Menthéour 4 ( * ) ou de Philippe Gaumont 5 ( * ) , ayant pour conséquence le renforcement des contrôles et de la prise en main du problème. Aux États-Unis c'est le rapport Mitchell, après le scandale Barry Bonds, qui a joué le rôle de révélateur et a permis de faire naître la problématique de l'antidopage. Ce sont bien les révélations qui vont faire avancer la lutte, car on ne traite pas un problème que l'on ne connaît pas .
C'est pour cette raison que votre rapporteur s'est donné tous les moyens de disposer d'informations sur la réalité des pratiques , et qu'il estime tout à fait nécessaire pour libérer la parole sur le sujet, de les diffuser auprès du public. Dans cette perspective et avec l'accord des membres de la commission d'enquête, il a fait notamment le choix de publier en annexe du rapport les bordereaux de prélèvement des Tours de France 1998 et 1999 qui lui ont été transmis par le ministère des sports.
Enfin des éléments très documentés permettent de constater la réalité des dangers encourus par les personnes qui se dopent , donnant un caractère très parlant aux déclarations du professeur Jean-Paul Escande, relayées par le juge Delegove, selon lesquelles « le dopage crée pour la santé, dans l'immédiat, à moyen et à long termes, des dégâts sans doute extrêmement graves. Le degré de probabilité de la réalisation de ces risques n'est pas connu faute de recul mais l'existence de ceux-ci paraît incontestable ».
II. Le bilan des politiques antidopage : les moyens utilisés par votre commission d'enquête
Votre commission d'enquête s'était ensuite fixée pour objectif d'établir un bilan de la politique de lutte contre le dopage mise en place depuis le début des années 1990, tant du point de vue de l'arsenal législatif et réglementaire, que de la pertinence des politiques publiques instaurées. À cet égard, devait être mené un travail d'archéologie législative, d'une part, et d'écoute des acteurs de l'antidopage, d'autre part.
L'organisation de nombreuses auditions , donnant la parole à tous les acteurs des compétitions sportives (sportifs actuels et retraités, entraîneurs, médecins, organisateurs de compétitions, fédérations nationales et internationales, organisations antidopage, pouvoirs publics) a permis d'éclairer les politiques passées et actuelles et d'établir un diagnostic précis de la pertinence de la lutte antidopage. Le caractère public de ces auditions a en outre offert à chacun des participants la possibilité d'interagir au fur à et à mesure de leur avancée . Ce dialogue à distance, via la commission d'enquête, a été fructueux et a considérablement fait avancer les connaissances des sénateurs.
Les visites au laboratoire de Châtenay-Malabry ou au siège de l'Oclaesp ont aussi donné une connaissance concrète des actions menées par nos acteurs.
Enfin, votre rapporteur tient à souligner la qualité de la coopération des personnes auxquelles des pièces ont été demandées , sur la base des pouvoirs d'enquête prévus par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires 6 ( * ) .
Le ministère des sports a tout d'abord apporté des réponses extrêmement complètes aux demandes qui lui ont été faites, permettant à la commission d'enquête de s'appuyer sur des documents d'archives jusqu'ici inexplorés. L'Agence française de lutte contre le dopage a en outre été très largement mise à contribution et a fourni avec célérité et sincérité l'ensemble des pièces demandées. Les fédérations sportives nationales 7 ( * ) ont enfin pleinement joué le jeu de la commission d'enquête, en transmettant à votre rapporteur des procès-verbaux d'assemblée générale ou des statistiques, qui n'avaient pas à l'origine vocation à être rendus publics.
III. Dopage mondialisé et lutte antidopage
Votre rapporteur était également missionné pour apporter des informations sur l'internationalisation du dopage et l'organisation de la lutte au niveau mondial .
Grâce à des déplacements ciblés, aux États-Unis, en Suisse, et en Espagne 8 ( * ) , mais aussi à l'audition de nombreuses personnalités étrangères 9 ( * ) , votre commission d'enquête est parvenue à réunir des éléments permettant d'enrichir son analyse , notamment sur les trafics de produits dopants, de comparer notre politique de lutte antidopage à des modèles différents, et ainsi de constituer des points d'appui pour la réflexion sur les aménagements à apporter à notre législation. Les enseignements tirés ont été incorporés au sein du rapport, quand leur mention apparaissait particulièrement pertinente.
Une attention particulière a aussi - forcément - été donnée à l'affaire Armstrong, point de départ de la commission d'enquête.
Les enseignements de l'affaire Armstrong sont doubles , sur la réalité du dopage d'une part, et sur les moyens de la lutte antidopage, d'autre part :
- ce n'est pas parce que les contrôles sont négatifs que les sportifs contrôlés ne sont pas dopés (certaines substances ou méthodes ne sont pas détectables, d'autres connaissent des fenêtres de détection assez courtes, des stratégies de contournement ont enfin été mises en place par les sportifs). La réalité du dopage ne peut donc pas être basée sur les statistiques de l'antidopage. À cet égard, votre commission d'enquête préconise que des outils complémentaires de connaissance de la réalité du dopage dans le sport soient développés, permettant à la fois de couper court aux fantasmes d'une prise généralisée de substances et de mettre fin aux dénégations répétées de l'existence de cette problématique ;
- l'efficacité de la lutte antidopage passe par la mise en place et la coordination d'un ensemble d'outils de politique publique, allant des contrôles antidopage aux enquêtes policières et douanières. Aux yeux de votre rapporteur, l'affaire Armstrong n'est au demeurant pas celle du « programme de dopage le plus sophistiqué, professionnel et réussi, jamais vu dans l'histoire du sport » 10 ( * ) mais bien celle de la sanction la plus sophistiquée, professionnelle et réussie, jamais vue dans l'histoire de la lutte antidopage .
En effet, l'élément déclencheur de l'enquête est un contrôle positif de Floyd Landis à la testostérone après la 17 e étape du Tour de France 2006. La tentative par le coureur de discréditation du laboratoire national de dépistage du dopage (LNDD) de Châtenay-Malabry, auteur de l'analyse, le conduit ensuite à commanditer un piratage informatique qui fait l'objet d'une enquête préliminaire du parquet de Nanterre. Les poursuites sportives et judiciaires menées contre lui placent ensuite le coureur dans une situation, notamment financière, extrêmement difficile, qui le conduit à faire des révélations sur Lance Armstrong, lesquelles entraînent l'ouverture d'une enquête fédérale, à laquelle succède enfin l'investigation menée par l'Agence américaine antidopage aboutissant à la suspension à vie du coureur américain.
Concrètement, la sanction est donc l'aboutissement d'une coopération très intense entre les autorités antidopage et les services de police français et américains , avec l'utilisation de l'ensemble des pouvoirs mis à leur disposition par l'arsenal juridique de la lutte contre le dopage.
La question qui se posait dès lors aux pouvoirs publics français est celle de savoir si notre cadre législatif et réglementaire est suffisamment complet pour aboutir à de tels résultats, dans l'ensemble des disciplines qui connaîtraient des pratiques similaires.
IV. Les propositions de la commission d'enquête : les sept piliers de la lutte antidopage
Votre rapporteur avait enfin, et même surtout, comme objectif de faire des propositions afin améliorer l'efficacité de la politique antidopage . Sur ce point, il a été aidé par l'imagination, souvent fertile, des personnes auditionnées, mais aussi par une analyse poussée des problèmes existants.
Les soixante propositions du rapport sont ainsi, pour certaines, défendues de longue date par les parlementaires ; d'autres sont totalement inédites, car construites sur la base d'informations très nombreuses, parfois fournies à huis clos ou dans des documents confidentiels.
Votre rapporteur considère qu'elles ont toutes vocation à être mises en oeuvre , même si certaines, dont le caractère est international, prennent davantage la forme de recommandations.
Elles sont présentes tout au long du rapport , au fil de l'analyse, qui permet à la fois d'éclairer leurs sources et de préciser leur nature. Néanmoins, votre rapporteur a également considéré qu'elles pouvaient être réunies dans sept grandes rubriques qui constituent les axes majeurs de la lutte antidopage : l'amélioration de la connaissance du dopage, sa prévention, la politique de contrôles, la qualité des analyses, la nature des sanctions, les contours de la pénalisation et enfin l'importance de la coopération, maître mot d'une politique antidopage efficace.
* 1 Voir, à cet égard, l'analyse tout à fait pertinente de M. Daniel Delegove, audition du 29 mai 2013.
* 2 Pas moins de quatorze disciplines ont ainsi été représentées : l'athlétisme, le baseball, le basketball, le cyclisme, l'escrime, le football, le football américain, le judo, la lutte, la natation, le patinage, le rugby, le ski et le tennis.
* 3 Notons néanmoins que le rapport a écarté de son champ d'investigation le dopage animal, qui constitue une problématique importante, mais différente de celle du dopage humain.
* 4 Erwann Menthéour, Secret Défonce, Ma vérité sur le dopage , Lattès, 1999.
* 5 Philippe Gaumont, Prisonnier du dopage , Grasset, 2005.
* 6 « Les rapporteurs des commissions d'enquête exercent leur mission sur pièces et sur place. Tous les renseignements de nature à faciliter cette mission doivent leur être fournis. Ils sont habilités à se faire communiquer tous documents de service, à l'exception de ceux revêtant un caractère secret et concernant la défense nationale, les affaires étrangères, la sécurité intérieure ou extérieure de l'État, et sous réserve du respect du principe de la séparation de l'autorité judiciaire et des autres pouvoirs ».
* 7 Notamment celles d'athlétisme, de basketball, de cyclisme, du handball, de football, de natation, de rugby et de tennis.
* 8 Les comptes rendus de ces déplacements sont présentés en annexe du rapport.
* 9 Francesco Ricci Bitti et Stuart Miller, Felipe Contepomi, John Fahey, Patrick McQuaid et Travis Tygart.
* 10 Les produits utilisés faisaient ainsi partie de la pharmacie courante du peloton des années 1990.