Rapport d'information n° 762 (2012-2013) de M. Jean BIZET , fait au nom de la commission des affaires européennes, déposé le 16 juillet 2013

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N° 762

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2012-2013

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 juillet 2013

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des affaires européennes (1) sur les relations franco - allemandes ,

Par M. Jean BIZET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour, président ; MM.  Alain Bertrand, Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries, vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Éric Bocquet, Mme Françoise Boog, Yannick Botrel, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mme Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Jacques Lozach, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca.

Mesdames, Messieurs,

En janvier 2013, la France et l'Allemagne ont célébré le 50 e anniversaire du Traité de l'Élysée qui, sous l'impulsion du Général de Gaulle et du Chancelier Adenauer, a marqué la naissance du « couple franco-allemand ». À cette occasion, les deux gouvernements ont fixé, lors de leur conseil des ministres commun, les grands axes politiques de l'action qu'ils entendent mener ensemble. La déclaration du conseil des ministres franco-allemand prend soin de préciser que les initiatives conjointes des deux pays devront être ouvertes aux autres États membres de l'Union européenne et s'inscrire dans le processus d'intégration européenne. Le couple franco-allemand retrouvera ainsi son rôle de force d'entraînement de l'ensemble de l'Union européenne.

Les relations franco-allemandes ont été au coeur de la construction européenne. Il est donc légitime et même indispensable de réfléchir à l'état de ces relations et à leurs perspectives. On doit le faire à partir d'un constat simple : l'Europe ne peut bien fonctionner que grâce à l'entente franco-allemande ; réciproquement, les deux pays ont besoin d'une Europe en état de marche.

Cette question des relations franco-allemandes est d'autant plus essentielle que l'Europe est confrontée à de véritables urgences sur le plan économique, social et financier. Au-delà, c'est le sens même du projet européen qui s'est effiloché depuis la fin du conflit Est/Ouest, et plus encore depuis la crise. Tout se passe comme si les États membres se concentraient exclusivement sur leur intérêt national au détriment de l'intérêt collectif. Les discussions sur le cadre financier pluriannuel l'ont malheureusement mis en évidence.

Dans ce contexte, le couple franco-allemand a une responsabilité particulière pour relancer l'ambition européenne. Dans cette perspective, le présent rapport s'attachera à rappeler le rôle moteur que les deux pays ont assumé ensemble dans la construction européenne et à expliquer pourquoi ce « moteur » a aujourd'hui besoin d'être relancé. Il s'interrogera ensuite sur les conditions dans lesquelles cette relance pourrait être réalisée.

I. MOTEUR DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE, LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND, A BESOIN D'ETRE RELANCÉ

A. UN MOTEUR DE LA CONSTRUCTION EUROPÉENNE

1. Les actes fondateurs de la relation franco-allemande

Cette réalité est bien connue. On se bornera à en rappeler les principales étapes.

a) Le couple Briand-Stresemann

La réconciliation franco-allemande est à l'origine de la construction européenne.

Dès les années vingt, Aristide Briand et Gustav Stresemann furent des acteurs majeurs de la Société des nations. Ils conçurent la relation franco-allemande comme instrument pour préserver une paix encore très fragile. La signature du Pacte fondant la Société des Nations (SDN), le 28 juin 1919, marqua l'espoir de pouvoir prévenir un retour des conflits armés sur le continent par un règlement pacifique des différends. Sous l'impulsion d'Aristide Briand et de Gustav Stresemann, la France et l'Allemagne poursuivirent une politique de réconciliation destinée à assurer une paix durable en Europe. Après l'évacuation par la France de ses troupes occupant la Ruhr (août 1925), les Accords de Locarno (octobre 1925) aboutirent à la reconnaissance de ses frontières par l'Allemagne et à celle définitive des frontières de l'est de la France et de la Belgique. Ces accords permirent aussi la mise en application d'un pacte d'assistance mutuelle. Les efforts de ces deux personnalités en faveur de la paix furent récompensés par l'attribution du prix Nobel de la paix en décembre 1926. La signature du pacte Briand-Kellog (août 1928), mit « la guerre hors la loi », Aristide Briand proposa ensuite - après s'en être entretenu avec Gustav Stresemann - devant les représentants des États à la SDN la formation d'États-Unis d'Europe sur des bases principalement économiques. Après le décès de Gustav Stresemann (octobre 1929), il soumit aux Chancelleries un mémorandum sur l'organisation d'un régime d'Union fédérale européenne. Les initiatives de ces deux personnalités servirent de référence aux actions menées après la deuxième guerre mondiale pour oeuvrer à la reconstruction franco-allemande et à la construction européenne.

b) La déclaration Schuman et la création de la CECA

La réconciliation franco-allemande a été au coeur de la Déclaration Schuman et de la création de la CECA en 1951. Face aux changements sur la scène internationale survenus depuis 1945, Robert Schuman proposa la création d'un marché commun pour le charbon et l'acier qui serait géré par une autorité supranationale. Acceptée très vite par le Chancelier Adenauer, le plan Schuman permit de lancer le processus de construction européenne.

Il s'agissait de créer entre les États des solidarités de fait susceptibles de conduire à un surcroît d'intégration politique.

La déclaration Schuman du 9 mai 1950
(extraits)

La paix mondiale ne saurait être sauvegardée sans des efforts créateurs à la mesure des dangers qui la menacent.

La contribution qu'une Europe organisée et vivante peut apporter à la civilisation est indispensable au maintien des relations pacifiques. En se faisant depuis plus de vingt ans le champion d'une Europe unie, la France a toujours eu pour objet essentiel de servir la paix. L'Europe n'a pas été faite, nous avons eu la guerre.

L'Europe ne se fera pas d'un coup, ni dans une construction d'ensemble : elle se fera par des réalisations concrètes créant d'abord une solidarité de fait. Le rassemblement des nations européennes exige que l'opposition séculaire de la France et de l'Allemagne soit éliminée. L'action entreprise doit toucher au premier chef la France et l'Allemagne.

Dans ce but, le gouvernement français propose immédiatement l'action sur un point limité mais décisif.

Le gouvernement français propose de placer l'ensemble de la production franco-allemande de charbon et d'acier sous une Haute Autorité commune, dans une organisation ouverte à la participation des autres pays d'Europe.

La mise en commun des productions de charbon et d'acier assurera immédiatement l'établissement de bases communes de développement économique, première étape de la Fédération européenne, et changera le destin de ces régions longtemps vouées à la fabrication des armes de guerre dont elles ont été les plus constantes victimes.

La solidarité de production qui sera ainsi nouée manifestera que toute guerre entre la France et l'Allemagne devient non seulement impensable, mais matériellement impossible. L'établissement de cette unité puissante de production ouverte à tous les pays qui voudront y participer, aboutissant à fournir à tous les pays qu'elle rassemblera les éléments fondamentaux de la production industrielle aux mêmes conditions, jettera les fondements réels de leur unification économique.

Cette production sera offerte à l'ensemble du monde sans distinction ni exclusion, pour contribuer au relèvement du niveau de vie et au développement des oeuvres de paix. L'Europe pourra, avec des moyens accrus, poursuivre la réalisation de l'une de ses tâches essentielles: le développement du continent africain.

Ainsi sera réalisée simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une communauté économique qui introduit le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes.

Par la mise en commun de productions de base et l'institution d'une Haute Autorité nouvelle, dont les décisions lieront la France, l'Allemagne et les pays qui y adhéreront, cette proposition réalisera les premières assises concrètes d'une Fédération européenne indispensable à la préservation de la paix (...).

c) Le traité de l'Élysée

Le Traité de l'Élysée, dont on célèbre le 50 e anniversaire, a constitué une étape essentielle. Signé le 22 janvier 1963, il a marqué la naissance du « couple franco-allemand ». Il a prévu un mécanisme de concertation périodique (tous les six mois) au sommet entre les deux responsables de l'Exécutif. Ces rencontres se tiennent alternativement en France et en Allemagne. Elles associent les principaux ministres. De manière plus fréquente, des réunions sont programmées entre ministres et hauts fonctionnaires des deux pays.

Traité de l'Élysée du 22 janvier 1963
(extraits)

(...)

I. - ORGANISATION

1. Les Chefs d'État et de Gouvernement donneront en tant que de besoin les directives nécessaires et suivront régulièrement la mise en oeuvre du programme fixé ci-après. Ils se réuniront à cet effet chaque fois que cela sera nécessaire et, en principe, au moins deux fois par an.

2. Les Ministres des Affaires étrangères veilleront à l'exécution du programme dans son ensemble. Ils se réuniront au moins tous les trois mois. Sans préjudice des contacts normalement établis par la voie des ambassades, les hauts fonctionnaires des deux Ministères des Affaires étrangères, chargés respectivement des affaires politiques, économiques et culturelles, se rencontreront chaque mois alternativement à Paris et à Bonn pour faire le point des problèmes en cours et préparer la réunion des Ministres. D'autre part, les missions diplomatiques et les consulats des deux pays ainsi que leurs représentations permanentes auprès des organisations internationales prendront tous les contacts nécessaires sur les problèmes d'intérêt commun.

3. Des rencontres régulières auront lieu entre autorités responsables des deux pays dans les domaines de la défense, de l'éducation et de la jeunesse. Elles n'affecteront en rien le fonctionnement des organismes déjà existants - commission culturelle franco-allemande, groupe permanent d'État-major - dont les activités seront au contraire développées. Les Ministres des Affaires étrangères seront représentés à ces rencontres pour assurer la coordination d'ensemble de la coopération ;

a) les Ministres des Armées ou de la Défense se réuniront au moins une fois tous les trois mois. De même, le Ministre français de l'Éducation nationale rencontrera, suivant le même rythme, la personnalité qui sera désignée du côté allemand pour suivre le programme de coopération sur le plan culturel ;

b) les Chefs d'État-major des deux pays se réuniront au moins une fois tous les deux mois ; en cas d'empêchement, ils seront remplacés par leurs représentants responsables ;

c) le haut-commissaire français à la Jeunesse et aux Sports rencontrera, au moins une fois tous les deux mois, le Ministre fédéral de la Famille et de la Jeunesse ou son représentant.

4. Dans chacun des deux pays, une commission interministérielle sera chargée de suivre les problèmes de la coopération. Elle sera présidée par un haut fonctionnaire des Affaires étrangères et comprendra des représentants de toutes les administrations intéressées. Son rôle sera de coordonner l'action des ministères intéressés et de faire périodiquement rapport à son Gouvernement sur l'état de la coopération franco-allemande. Elle aura également pour tâche de présenter toutes suggestions utiles en vue de l'exécution du programme de coopération et de son extension éventuelle à de nouveaux domaines.

II. PROGRAMME

A. - Affaires étrangères

1. Les deux Gouvernements se consulteront, avant toute décision, sur toutes les questions importantes de politique étrangère, et en premier lieu sur les questions d'intérêt commun, en vue de parvenir, autant que possible, à une position analogue. Cette consultation portera entre autres sur les sujets suivants : Problèmes relatifs aux communautés européennes et à la coopération politique européenne ; Relations Est-Ouest, à la fois sur le plan politique et sur le plan économique ; Affaires traitées au sein de l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord et des diverses organisations internationales auxquelles les deux gouvernements sont intéressés, notamment le Conseil de l'Europe, l'Union de l'Europe Occidentale, l'Organisation de coopération et de développement économique, les Nations Unies et leurs institutions spécialisées.

(...)

4. Les deux Gouvernements étudieront en commun les moyens de renforcer leur coopération dans d'autres secteurs importants de la politique économique, tels que la politique agricole et forestière, la politique énergétique, les problèmes de communications et de transports et le développement industriel, dans le cadre du Marché commun, ainsi que la politique des crédits à l'exportation.

B. - Défense

I. - Les objectifs poursuivis dans ce domaine seront les suivants :

1. Sur le plan de la stratégie et de la tactique, les autorités compétentes des deux pays s'attacheront à rapprocher leurs doctrines en vue d'aboutir à des conceptions communes. Des instituts franco-allemands de recherche opérationnelle seront créés.

2. Les échanges de personnel entre les armées seront multipliés ; ils concerneront en particulier les professeurs et les élèves des écoles d'État-major ; ils pourront comporter des détachements temporaires d'unités entières. Afin de faciliter ces échanges, un effort sera fait de part et d'autre pour l'enseignement pratique des langues chez les stagiaires.

3. En matière d'armements, les deux Gouvernements s'efforceront d'organiser un travail en commun dès le stade de l'élaboration des projets d'armement appropriés et de la préparation des plans de financement. À cette fin, des commissions mixtes étudieront les recherches en cours sur ces projets dans les deux pays et procéderont à leur examen comparé. Elles soumettront des propositions aux ministres qui les examineront lors de leurs rencontres trimestrielles et donneront les directives d'application nécessaires.

II. - Les gouvernements mettront à l'étude les conditions dans lesquelles une collaboration franco-allemande pourra être établie dans le domaine de la défense civile.

C. - Éducation et Jeunesse

En matière d'éducation et de jeunesse, les propositions contenues dans les mémorandums français et allemand des 19 septembre et 8 novembre 1962 seront mises à l'étude selon les procédures indiquées plus haut :

1. Dans le domaine de l'éducation, l'effort portera principalement sur les points suivants :

a) Enseignement des langues :

Les deux Gouvernements reconnaissent l'importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l'autre. Ils s'efforceront, à cette fin, de prendre des mesures concrètes en vue d'accroître le nombre des élèves allemands apprenant la langue française et celui des élèves français apprenant la langue allemande. Le Gouvernement fédéral examinera, avec les gouvernements des Länder, compétents en la matière, comment il est possible d'introduire une réglementation qui permette d'atteindre cet objectif. Dans tous les établissements d'enseignement supérieur, il conviendra d'organiser un enseignement pratique de la langue française en Allemagne et de la langue allemande en France, qui sera ouvert à tous les étudiants.

b) Problème des équivalences :

Les autorités compétentes des deux pays seront invitées à accélérer l'adoption des dispositions concernant l'équivalence des périodes de scolarité, des examens, des titres et diplômes universitaires.

c) Coopération en matière de recherche scientifique :

Les organismes de recherches et les instituts scientifiques développeront leurs contacts en commençant par une information réciproque plus poussée, des programmes de recherches concertées seront établis dans les disciplines où cela se révélera possible.

2. Toutes les possibilités seront offertes aux jeunes des deux pays pour resserrer les liens qui les unissent et pour renforcer leur compréhension mutuelle. Les échanges collectifs seront en particulier multipliés. Un organisme destiné à développer ces possibilités et à promouvoir les échanges sera créé par les deux pays avec, à sa tête, un conseil d'administration autonome. Cet organisme disposera d'un fonds commun franco-allemand qui servira aux échanges entre les deux pays d'écoliers, d'étudiants, de jeunes artisans et de jeunes travailleurs.

(...)

Le traité de l'Élysée prévoit aussi que les échanges entre jeunes doivent être favorisés à travers la création de l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ). De même, est retenu l'objectif d'un développement de l'apprentissage de la langue de l'autre dans chacun des deux pays.

Extraits du discours du général de Gaulle devant la jeunesse allemande au Château de Ludwigsburg, 9 septembre 1962

« (...) Eh bien ! Cette solidarité désormais toute naturelle il nous faut certes, l'organiser. C'est la tâche des Gouvernements. Mais il nous faut aussi la faire vivre et ce doit être avant tout l'oeuvre de la jeunesse. Tandis qu'entre les deux États la coopération économique, politique, culturelle ira en se développant, puissiez-vous pour votre part, puissent les jeunes français pour la leur, faire en sorte que tous les milieux de chez vous et de chez nous se rapprochent toujours davantage, se connaissent mieux, se lient plus étroitement ! L'avenir de nos deux pays, la base sur laquelle peut et doit se construire l'union de l'Europe, le plus solide atout de la liberté du monde, c'est l'estime, la confiance, l'amitié mutuelles du peuple français et du peuple allemand. »

Pour le Général de Gaulle, ce couple franco-allemand serait un succès à condition que les deux pays soient à un niveau de parité. Ce fut le cas dans les années soixante, la France et l'Allemagne connaissant un niveau de développement économique comparable. La France avait en outre le double avantage politique d'avoir un siège permanent au Conseil de Sécurité des Nations Unies et de posséder l'arme nucléaire.

Ce couple franco-allemand a été fondé sur les relations personnelles que les deux chefs de l'Exécutif ont su entretenir. Le Général de Gaulle et le Chancelier Adenauer ont développé une relation d'une qualité exceptionnelle. À leur suite, des relations fortes ont pu s'établir entre leurs successeurs.

2. Les réalisations du couple franco-allemand

Cette relation personnelle entre les chefs de l'Exécutif a très largement permis, qu'au-delà des actes « fondateurs », le « couple franco-allemand » ait pu jouer un rôle moteur dans les progrès de l'intégration européenne. On peut mentionner les avancées nombreuses impulsées par le « couple » Giscard-Schmidt, en particulier la création du Conseil européen en 1974. Nous devons aussi garder à l'esprit les initiatives du « couple » Mitterrand-Kohl sur lesquelles votre rapporteur reviendra. Moins spectaculaires, d'autres initiatives ont également témoigné de la force de l'axe franco-allemand et de son rôle d'entraînement vis-à-vis des autres partenaires européens. On citera les décisions prises à la suite de l'anniversaire du traité de l'Élysée en 2003, notamment avec l'organisation de conseils conjoints des ministres franco-allemands. Il convient de mentionner également les initiatives franco-allemandes au sein de la Convention européenne, puis les positions communes à la Conférence intergouvernementale de 2004 sur le projet de traité constitutionnel et ensuite sur le traité de Lisbonne. Plus récemment, la déclaration franco-allemande de 2010 sur la réforme de la gouvernance économique européenne a établi des priorités communes. L'adoption d'un régime matrimonial franco-allemand, en 2010, a permis de dessiner ce qui pourrait être un futur régime européen. De nouvelles initiatives ont été prises lors du 50ème anniversaire du traité de l'Élysée.

Les grandes étapes de la coopération franco-allemande

22 septembre 1963 : signature du traité de l'Elysée

8 juillet 1963 : création de l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ)

13 mars 1969 : lancement du programme Airbus A 300

10 février 1972 : création du bac franco-allemand

6-8 septembre 1978 : la France et l'Allemagne élaborent les bases du futur système monétaire européen (SME)

12 janvier 1989 : création de la brigade franco-allemande

2 octobre 1990 : création de la chaîne de télévision ARTE

5 novembre 1993 : création de l'Eurocorps

Juin 1988 : lancement du processus devant conduire à l'union économique et monétaire (UEM) sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, de François Mitterrand et d'Helmut Kohl

7 février 1992 : signature du traité de Maastricht créant l'Union européenne et la citoyenneté européenne, mettant en place l'union économique et monétaire

1997-1999 : création de l'université franco-allemande qui offre pas moins de 145 cursus au sein d'un réseau regroupant 169 établissements partenaires et qui compte 4 500 inscrits

22 janvier 2003 : 1 er conseil des ministres franco-allemand

22 janvier 2004 : 1 ère journée franco-allemande consacrée au rapprochement de la jeunesse des deux pays

10 juillet 2006 : premier manuel d'histoire franco-allemand

25 mai 2007 : création d'ALEO, filiale de coopération entre la SNCF et la Deutsche Bahn

4 février 2010 : signature d'un accord sur un régime matrimonial franco-allemand

8 juillet 2012 : 50 e anniversaire de la réconciliation franco-allemande à Reims

22 janvier 2013 : 50 e anniversaire de la signature du traité de l'Élysée

Votre rapporteur rappellera les principales réalisations sectorielles du couple franco-allemand.

a) La coopération économique

La coopération économique s'est concrétisée dès le début des années cinquante avec la création, en 1951, de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) dont le but était tout à la fois d'augmenter la production du charbon et de l'acier et de rendre interdépendantes les économies de la France et de l'Allemagne. Cette perspective fut élargie avec la création de la Communauté économique européenne par le traité de Rome (1957).

La cohérence des politiques économiques entre la France et l'Allemagne inspira aussi l'initiative du président Valéry Giscard d'Estaing et du Chancelier Helmut Schmidt qui conduisit à la création du Système monétaire européen (SME) en mars 1979. Remplaçant le Serpent monétaire européen (1972-1978), le SME permit une meilleure coopération afin d'éviter de trop grandes fluctuations des monnaies européennes et institua des taux de change fixes mais ajustables. À cette occasion, fut créé l'ECU (European Currency Unit).

En 1988, le président François Mitterrand et le Chancelier Helmut Kohl mirent en place le Conseil économique et financier franco-allemand afin d'harmoniser les politiques économiques et de renforcer la coopération économique. En juin 1988, sous l'impulsion de Jacques Delors, alors président de la Commission européenne, du président François Mitterrand et du Chancelier Helmut Kohl, fut lancé le processus qui conduira à la création de l'Union économique et monétaire (UEM) par le traité de Maastricht (1992).

La coopération franco-allemande s'est aussi concrétisée dans le domaine industriel. Le programme Airbus A 300 fut lancé en mars 1969. En juillet 2000, sous l'impulsion du président Jacques Chirac et du Chancelier Gerhard Schroeder, fut créée la société EADS spécialisée dans l'aéronautique.

Face à la crise de l'euro, le président Nicolas Sarkozy et la Chancelière Angela Merkel ont joué un rôle primordial pour bâtir une réponse européenne. Il n'est pas indifférent d'observer que chacun des deux pays a fait des concessions par rapport à ses positions de départ. L'Allemagne s'est ralliée à la mise en place d'instruments de sauvetage exprimant une solidarité européenne (Fonds européen de stabilité financière-FESF puis Mécanisme européen de solidarité-MES). La France a accepté le renforcement de la coordination et des contrôles au niveau européen sur les politiques économiques et budgétaires avec en particulier la signature, en mars 2012, du traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG). On rappellera en outre que le MES repose essentiellement sur les contributions franco-allemandes qui représentent 47 % du total.

Au-delà de la coopération entre les deux États, leurs économies sont fortement interdépendantes. En 2009, on recensait 2 700 entreprises allemandes en France et 2 200 entreprises françaises en Allemagne. Le stock d'investissements directs français en Allemagne s'élevait à 39,9 milliards d'euros et le stock d'investissements directs allemands en France à 45,9 milliards d'euros. L'Allemagne se classait, en 2010, au 5 e rang des pays investissant en France tandis que la France occupait le 4 e rang en Allemagne. Ces investissements ont des effets sur l'emploi puisque la France est le deuxième investisseur étranger en Allemagne avec 741 000 salariés recensés sur la période 2009-2010 ; l'Allemagne est le premier employeur étranger en France (320 000 personnes employées). Cependant, en 2011, les flux d'investissements des deux côtés de la frontière ont chuté sous l'effet de la crise de la dette dans la zone euro.

b) La coopération juridique

La France et l'Allemagne ont su également développer une coopération en matière juridique.

Dans le domaine fiscal, les deux pays ont signé la convention fiscale de 1959 qui concerne principalement l'impôt sur le revenu, sur la fortune sur les revenus immobiliers ainsi que sur les bénéfices industriels et commerciaux. Une nouvelle convention, signée en 2006, a permis de mettre un terme aux doubles impositions en cas de succession ou de donation franco-allemande, au bénéfice des résidents fiscaux en Allemagne. En février 2012, la volonté d'aboutir à une plus grande coordination de la fiscalité entre les deux pays s'est traduite par l'élaboration conjointe d'un livre vert sur les « points de convergence sur la fiscalité des entreprises ».

Sur le droit des personnes, le 12 e conseil des ministres franco-allemand de février 2010 a abouti à la signature d'un accord sur un régime matrimonial franco-allemand. D'autres États de l'Union européenne pourraient adopter ultérieurement ce régime matrimonial, par adhésion à cet accord. Ce régime pourrait donc permettre l'émergence d'un régime matrimonial européen.

c) La coopération universitaire et scientifique

Le traité de l'Élysée a mis l'accent sur l'enseignement des langues, l'équivalence des diplômes et la coopération en matière de recherche scientifique.

Pour l'apprentissage des langues, des doubles cursus ont notamment été mis en place. En 1994, a été créé l'AbiBac qui permet l'obtention simultanée du baccalauréat français et de l'Abitur allemand qui sanctionne également la fin des études secondaires. En 2011, des sections bilingues préparant à l'AbiBac existaient dans 72 lycées français dont cinq établissements français en Allemagne et dans 61 établissements allemands.

Des accords bilatéraux ont permis de reconnaître des équivalences entre les diplômes, d'abord dans les filières de sciences, de lettres, et de sciences humaines (1980), puis pour les formations technologiques supérieures et les sciences de l'ingénieur (1997).

De nombreux programmes d'échanges (programmes Voltaire, Heinrich Heine, Brigitte Sauzay) se sont développés avec le soutien de l'Office franco-allemand de la jeunesse (OFAJ). L'OFAJ soutient chaque année entre 9 000 et 11 000 programmes d'échanges auxquels participent 200 000 jeunes.

En mai 2000, l'université franco-allemande a été inaugurée à Sarrebruck. Il s'agit d'une université virtuelle qui met en relation des établissements allemands et français afin de construire des projets de recherche communs et de nouveaux cursus intégrés binationaux qui doivent favoriser la mobilité des étudiants. Cette université soutient également les collèges doctoraux franco-allemands (25 en 2010). On mentionnera aussi les centres de recherches conjoints : le Centre Marc Bloch, situé à Berlin, qui a été fondé en 1992 par la volonté des deux pays de créer un centre de recherche en sciences sociales ayant une ouverture européenne ; depuis 2011, le centre interdisciplinaire d'études et de recherches sur l'Allemagne situé à Paris.

La coopération scientifique et technologique se développe à travers l'association franco-allemande pour la Science et la Technologie, fondée à Paris en 1980, qui cherche à renforcer les synergies des projets de recherche communs. La recherche et développement a également fait l'objet de projets communs, axés principalement depuis les années soixante-dix sur les domaines du transport terrestre (programme Deufrako créé en 1978) et de l'énergie.

d) La coopération en matière de défense et de sécurité

La France et l'Allemagne ont développé des coopérations fructueuses dans le domaine de la défense, ce qu'a montré la création, en 1988, du conseil franco-allemand de sécurité et de défense.

Créée en octobre 1989, la brigade franco-allemande (BFA) a concrétisé une volonté commune dans l'esprit du traité de l'Élysée. Elle constitue une réalisation exemplaire dans la perspective d'une défense européenne. La brigade peut être amenée à intervenir dans l'ensemble des missions de maintien de la paix et de la sécurité sous couvert national, de l'OTAN ou de l'Union européenne et dans certains cas aux ordres du corps de réaction rapide européen. Elle projette des troupes sur tous les théâtres où la France et l'Allemagne sont engagées, et en particulier en Afghanistan et au Kosovo. Son état-major est implanté depuis 1992 à Müllheim (Land de Bade-Würtemberg). Lors de la conférence sur la sécurité, à Munich en 2009, la chancelière Angela Merkel et le président Nicolas Sarkozy ont fait le choix d'implanter une unité allemande de la BFA en France.

L'initiative franco-allemande a aussi été à l'origine de l'Eurocorps, qui a été inauguré en 1993. Il s'agissait de renforcer les liens stratégiques entre les deux pays et d'affirmer l'importance de la coopération européenne en matière de défense. L'Eurocorps regroupe aujourd'hui cinq États membres (Allemagne, Belgique, Espagne, France et Luxembourg). Ils constituent les « nations cadres » du Corps. D'autres États sont associés. L'Eurocorps est capable de commander une force allant jusqu'à 60 000 hommes. Cette unité peut être engagée pour la défense commune des alliés, le maintien et le rétablissement de la paix, ainsi que pour des actions humanitaires au profit de l'Union Européenne et de l'OTAN. Le Corps européen est, avec la création de la Brigade franco-allemande, une étape importante dans la construction de la politique européenne de Sécurité et de défense.

Les deux pays ont par ailleurs mis en place, en 2000, l'école franco-allemande TIGRE dont le but est d'approfondir la coopération relative au développement de cet hélicoptère de combat, à travers la mise en oeuvre de formations communes. Elle est appelée à former jusqu'à 70 stagiaires par nation chaque année.

e) La construction de l'espace de liberté, de sécurité et de justice

La France et l'Allemagne ont pris des initiatives majeures pour la construction d'un espace de liberté, de sécurité et de justice en Europe. Avec la Belgique, la France, le Luxembourg et les Pays-Bas les deux pays ont été à l'origine, en 1985, de la création de l'espace Schengen. Celui-ci est un espace de libre circulation dans lequel les États signataires ont aboli toutes leurs frontières internes pour une frontière extérieure unique où sont effectués les contrôles d'entrée selon des procédures identiques. Cet espace est régi par des règles communes qui permettent d'en assurer la sécurité.

De même, L'interconnexion des casiers judiciaires est née en 2003 d'une initiative franco-allemande. Elle se fonde sur la Convention européenne d'entraide judiciaire en matière pénale d'avril 1959. La France et l'Allemagne ont aussi été partie prenante au traité de Prüm, signé en mai 2005 entre sept États membres. Ce traité a permis de renforcer la coopération policière transfrontalière et les échanges d'information, notamment en matière de lutte contre les formes graves de criminalité transnationale et d'immigration illégale. Il a par la suite été intégré dans le cadre de l'Union européenne.

f) La coopération culturelle

La coopération culturelle est aussi une réalité. Le mouvement des jumelages franco-allemands a joué un rôle important dans le rapprochement entre la France et l'Allemagne. Il est né au lendemain de la seconde Guerre Mondiale. Aujourd'hui on dénombre plus de 2 200 jumelages franco-allemands de villes, départements et régions.

En 1988, a été créé le Haut Conseil culturel franco-allemand. Il regroupe des personnalités et des professionnels français et allemands représentant différents horizons culturels. Sa vocation est de mettre en oeuvre des initiatives franco-allemandes dans différents domaines de la culture, et d'encourager, notamment par le parrainage, des initiatives franco-allemandes culturelles remarquables.

La création de la chaîne télévisée ARTE, en 1990, a marqué une étape importante dans la coopération culturelle entre la France et l'Allemagne. Sa mission est, selon son contrat de formation, de « concevoir, réaliser et diffuser, ou faire diffuser (...) des émissions de télévision ayant un caractère culturel et international (...) propres à favoriser la compréhension et le rapprochement des peuples ». Ses programmes sont diffusés simultanément dans les deux langues.

La coopération s'est aussi développée dans le domaine du cinéma. Une académie franco-allemande du cinéma a été fondée le 26 juin 2000, à Berlin, en présence du président Jacques Chirac et du chancelier Gerhard Schröder. Voulue par les pouvoirs publics et les professionnels du cinéma des deux pays, elle a pour objectif de renforcer la collaboration entre la France et l'Allemagne dans quatre secteurs : la production, la distribution, la formation et le patrimoine. Des rendez-vous franco-allemands du cinéma ont été créés en 2003 par des professionnels, institutionnels et artistes français et allemands représentatifs de la profession dans les deux pays.

B. LE MOTEUR FRANCO-ALLEMAND A BESOIN D'ÊTRE RELANCÉ

1. Un contexte qui a changé profondément

Avec la fin du conflit Est/Ouest, le couple franco-allemand a malheureusement semblé perdre peu à peu une partie de sa portée.

La « guerre froide » rendait indispensable une réconciliation franco-allemande. Mais l'intérêt de cette réconciliation allait plus loin : pour l'Allemagne, elle permettait, avec la construction européenne, de se réinsérer dans la communauté internationale et d'éviter un tête-à-tête avec les États-Unis ; pour la France, le couple franco-allemand était le moyen d'avoir la taille critique pour exercer une grande influence sur l'Europe occidentale et garder une crédibilité comme puissance internationale.

La fin du conflit Est/Ouest a bouleversé la donne. Le couple franco-allemand a semblé perdre une partie de son contenu. Dans l'un et l'autre pays, l'intérêt pour la langue et la culture de l'autre est plutôt en déclin. On le sait, la réunification allemande a inquiété la France. Depuis cette date, l'Allemagne a regagné beaucoup d'autonomie.

C'est elle qui occupe, au sein de l'Europe élargie, la situation centrale qui était celle de la France dans l'Europe des douze. Et l'ancien équilibre, où les atouts politiques de la France contrebalançaient les atouts économiques de l'Allemagne, s'est transformé.

Les atouts de la France - sa liberté de manoeuvre internationale, son statut de puissance nucléaire et de membre permanent du Conseil de sécurité - ont perdu une partie de leur portée, tandis que l'Allemagne unifiée a recouvré une pleine capacité d'agir sur la scène internationale, et compte désormais quelque 20 millions d'habitants de plus que la France, ce qui lui donne dans la construction européenne une influence particulière.

2. Une divergence économique croissante

On ne peut qu'être inquiet de la situation actuelle qui voit nos économies diverger de plus en plus. L'Allemagne a surmonté trois chocs majeurs : la réunification, le remplacement du Deutsche Mark par l'euro, le défi de la mondialisation. Elle a su restaurer sa compétitivité tandis que celle de la France déclinait. Cela s'observe même dans le domaine agricole, où l'Allemagne a su appliquer ses principes efficaces de gestion économique. Nous devons aussi être attentifs au fait que le commerce extérieur de l'Allemagne dépend de moins en moins de la situation économique de la zone euro (36 %) et de plus en plus de celle du reste du monde.

La montée en puissance de l'Allemagne dans le domaine agricole

L'Allemagne est, aujourd'hui, le deuxième producteur agricole de l'Union européenne et le premier exportateur de produits agricoles et agroalimentaires. Le pays a su renforcer considérablement la compétitivité de son agriculture en appliquant dans ce secteur les principes de bonne gestion économique qui ont fait son succès par ailleurs. À cette fin, elle a su combiner efficacement plusieurs orientations :

- Les coûts de la main d'oeuvre ont été maîtrisés - parfois grâce au recours à un salariat occasionnel venu d'autres pays de l'Union voire extérieur à l'Union - et un différentiel s'est créé à son profit au détriment de la France.

- La restructuration de l'outil de production s'est inscrite dans le cadre d'une stratégie globale de l'économie allemande et s'est appuyée sur la recherche systématique de compétitivité. L'amélioration des rendements repose sur un effet taille (si la surface moyenne des exploitations est inférieure à celle constatée en France, il existe aussi des « méga exploitations », telle l'exploitation de Rhinmilch à proximité de Berlin, et son cheptel de 1 900 vaches laitières), un effet volume et un effet coût. La réforme de la PAC et le choix du paiement unique à l'hectare ont été l'occasion d'une réorganisation des filières. C'est le cas de l'élevage en général et de la filière laitière en particulier. L'Allemagne a pris la tête de la compétition européenne dans les filières du lait et du porc.

- Les exploitations agricoles ont joué le jeu de la diversification en s'investissant dans la production énergétique. Les agriculteurs sont très impliqués dans le développement des énergies renouvelables. 1,2 million d'hectares est destiné à la production de biocarburants. L'Allemagne compte 7 000 unités de biogaz pour la production d'électricité. La très grande exploitation laitière précitée est dotée de méthaniseurs valorisant la fermentation combinée de lisier, de fumier, de céréales, et de fourrages au point que la production animale est parfois considérée comme un sous-produit de la production énergétique. Cette diversification a aussi permis de stabiliser les revenus des agriculteurs. Cet effort a été soutenu par une politique publique fixant des tarifs de rachat d'électricité pour une durée de 20 ans.

- L'industrie agroalimentaire allemande fabrique des produits de base à des prix compétitifs. Par contraste, les producteurs français se sont concentrés sur des produits de qualité, bénéficiant d'appellations contrôlées. Ils sont évidemment un atout majeur du « label France » mais ils ne représentent que 20 % de la production.

- Aux yeux de votre rapporteur, l'Allemagne a su prendre en compte les attentes nouvelles de l'opinion et régler les rapports parfois difficiles entre agriculture et écologie. L'investissement dans les productions de l'agriculture biologique a permis de donner à l'Allemagne une image verte occultant les réalités d'une agriculture très intensive. L'Allemagne applique les normes européennes mais ne surajoute pas des normes nationales, ce qui illustre le souci de conserver une bonne compétitivité. Elle applique des délais d'instruction sur les normes beaucoup plus brefs qu'en France, ce qui a un effet bénéfique pour la production.

Les chiffres du commerce extérieur sont sans appel : le déficit commercial de la France a atteint 67 milliards d'euros en 2012, alors que l'excédent commercial de l'Allemagne s'est établi à 188 milliards. L'affaiblissement de la compétitivité de l'industrie française est spectaculaire : il y a dix ans, la France dégageait un excédent de 10 milliards d'euros pour ses échanges industriels, aujourd'hui elle enregistre un déficit de 50 milliards.

Les politiques économiques ont divergé. L'Allemagne a conduit une politique de réduction des coûts salariaux alors même que la France réduisait le temps de travail et augmentait fortement le salaire minimal. La politique de l'Allemagne lui a permis de gagner des parts de marché au détriment de ses partenaires européens, dont la France.

La France reste très largement marquée par une culture d'interventionnisme public supposé indispensable pour soutenir la croissance. On le voit bien dans les débats en cours où la contraction des déficits publics est souvent perçue comme une menace pour la croissance. A l'inverse, l'Allemagne a développé un modèle dans lequel la politique économique doit poursuivre un objectif de stabilité et où le rôle de l'État est de veiller à préserver un cadre dans lequel la concurrence peut s'exercer efficacement. Dans ce modèle 1 ( * ) , la croissance repose entièrement sur la compétitivité des entreprises. Cette vision n'est pas antinomique avec le besoin de protection sociale. C'est le dialogue social qui permet de définir un équilibre entre compétitivité et protection sociale. Cette politique axée sur la compétitivité, combinée avec le dialogue social, a permis à l'Allemagne de développer ses entreprises dans des secteurs à forte valeur ajoutée.

Ce modèle économique a été ébranlé par le choc de la réunification. L'Allemagne a connu une croissance ralentie (12 % en moyenne sur la période 2000-2005). Ses comptes publics ont dérivé au-dessus des critères de Maastricht (- 3,7 % de déficit et 66 % d'endettement en 2004). Le chômage n'a pu descendre en-dessous de 7,5 %. Mais les mesures volontaristes mises en oeuvre par Gerhard Schröder, à travers l'Agenda 2010, puis Angela Merkel ont permis de remédier à cette dérive.

En 2003, une réforme de l'assurance-maladie a permis de contenir la croissance des charges sociales. Plus profondément, quatre lois votés entre 2003 et 2005 (lois dites Hartz, du nom du directeur des ressources humaines de Volkswagen qui les a inspirées) ont permis de réformer le service public de l'emploi, de faciliter la réinsertion des chômeurs et de revoir leur système d'indemnisation. Les accords de compétitivité signés au niveau des entreprises, en particulier dans les grands groupes (Siemens, Mercedes, Volkswagen), ont permis une politique de modération salariale combinée avec le maintien de l'emploi et le renoncement à des plans de délocalisation.

Entre 2000 et 2008, le coût du travail dans l'industrie manufacturière a augmenté de 17 % en Allemagne contre 56 % en France. Le coût de l'heure travaillée est sensiblement inférieur en Allemagne : 31 euros contre 34,9 euros en France.

La politique économique et budgétaire a elle-même tendu à réduire les déficits et à accroître la compétitivité des entreprises. La part des dépenses publiques dans le PIB ont régressé de 45,1 % en 2000 à 43,8 % en 2008. Sous l'effet de la crise, ce taux est remonté à 47,5 % en 2009 avant de s'établir à 45 % en 2011. L'assiette des prélèvements a été déplacée des facteurs de production vers la consommation, avec une hausse de 3 % de la TVA en janvier 2007 tandis que les taux de cotisations sociales des entreprises étaient réduits de 1,6 %. Globalement les prélèvements obligatoires sur l'économie ne dépassent pas 40 % en Allemagne. Le taux de marge des entreprises dépasse les 40 % en Allemagne quand il est inférieur à 30 % en France. L'Allemagne a aussi su maintenir sa base industrielle (25 % dans la valeur ajoutée), ce qui constitue un atout précieux quand on sait que les échanges industriels représentent encore 2/3 des échanges mondiaux (contre 20 % pour les services). Cette politique a été bénéfique pour l'emploi puisque le taux de chômage a baissé de 6,5 % en 2011 à 5,5 % en 2012, quand la moyenne européenne s'établit à 10 %.

Pour ce qui concerne la France, le constat d'un décrochage de compétitivité a clairement été établi par le récent rapport de Louis Gallois dont on se bornera à rappeler les principaux éléments 2 ( * ) . La part de l'industrie (hors construction) dans la valeur ajoutée totale est passée de 18 % en 2000 à un peu plus de 12,5 % en 2011, situant la France à la 15 e place parmi les 17 pays de la zone euro, bien loin de l'Italie (18,6 %), de la Suède (21,2 %) et de l'Allemagne (26,2 %). L'emploi industriel est passé de plus de 26 % de l'emploi salarié total en 1980 à 12,6 % en 2011. La France a ainsi perdu plus de 2 millions d'emplois industriels en 30 ans. L'affaiblissement de l'industrie s'est traduit par des pertes de parts de marché considérable à l'exportation. Sur le marché européen, premier débouché commercial de la France (58,4 % des exportations en 2011), la part de marché des exportations françaises est passée de 12,7 % en 2000 à 9,3 % en 2011. Sur la même période, les exportations intracommunautaires de l'Allemagne ont progressé de 21,4 % à 22,4 %. Globalement, le solde commercial de la France est passé d'un excédent de 3,5 milliards d'euros en 2002 à un déficit de 67 milliards d'euros en 2012.

Produit intérieur brut (en milliards d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Allemagne

2 147,50

2 195,70

2 224,40

2 313,90

2 428,50

2 473,80

2 374,50

2 496,20

2 592,60

2 644,20

France

1 587,90

1 655,60

1 718,00

1 798,10

1 886,80

1 933,20

1 885,70

1 936,70

2 001,40

2 032,30

Taux de chômage (% de la population active)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Allemagne

9,8

10,5

11,3

10,3

8,7

7,5

7,8

7,1

5,9

5,5

France

8,9

9,3

9,3

9,2

8,4

7,8

9,5

9,7

9,6

10,2

Commerce extérieur (en millions d'euros)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Allemagne

129 905

156 078

155 809

160 420

194 259

177 525

138 868

153 964

157 411

186 679

France*

-1 688

-5 739

-24 928

-29 928

-42 494

-56 219

-45 390

-52 303

-74 021

-67 158

Déficit (État, administrations locales, organismes de sécurité sociale) (% du PIB)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Allemagne

-4,2

-3,8

-3,3

-1,6

0,2

-0,1

-3,1

-4,1

-0,8

0,2

France

-4,1

-3,6

-2,9

-2,3

-2,7

-3,3

-7,5

-7,1

-5,3

-4,8

Dette publique brute (% du PIB)

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

2012

Allemagne

64,4

66,2

68,5

68

65,2

66,8

74,5

82,4

80,4

81,9

France

62,9

64,9

66,4

63,7

64,2

68,2

79,2

82,4

85,8

90,2

Sources : Eurostat et * Douanes (France)

Positionnée sur le milieu de gamme en matière de qualité et d'innovation, l'industrie française est très exposée à la concurrence sur les prix alors même que ses coûts sont relativement élevés (hors énergie) par rapport aux autres pays européens. Pour le même motif, elle a été particulièrement sensible à la hausse de l'euro au cours des dix dernières années. Or pour conserver des prix compétitifs, l'industrie française a dû rogner sur ses marges qui ont baissé de 30 % à 21 % sur la période 2000-2011, alors qu'elles progressaient de 7 % en Allemagne. Le taux d'autofinancement s'est dégradé (64 % en France en 2012 contre 85 % en 2000).

Les autres causes de la baisse de la compétitivité française sont connues. Le taux des prélèvements obligatoires sur les entreprises est pratiquement deux fois plus élevé en France qu'en Allemagne. Les dépenses de recherche-développement des entreprises, qui sont la clef du dynamisme industriel, atteignent 1,4 % du PIB en France, contre 1,9 % en Allemagne, 2,7 % en Finlande et 2,3 % en Suède. Enfin, on l'a souvent souligné, les rigidités de notre droit social entravent la croissance des petites entreprises et leur transformation en entreprises moyennes. Le nombre de petites entreprises (moins de 10 salariés) est le même en Allemagne et en France, mais le nombre des entreprises de 10 à 500 salariés est deux fois et demie plus élevé en Allemagne qu'en France. Le nombre d'emplois industriels qui ne sont pas pourvus témoigne malheureusement de l'inadéquation entre l'offre de formation et les besoins de l'industrie, tant au niveau de la formation initiale que de la formation continue. Le rapport Gallois pointe aussi trois séries de difficultés : des flux de financement insuffisamment orientés vers le tissu industriel ; la faiblesse des solidarités industrielles, les filières ne fonctionnant pas comme telles ; un dialogue social insuffisamment productif et un marché du travail qui fonctionne mal.

Or, pour que le couple franco-allemand continue à fonctionner, il ne faut pas qu'il y ait un trop grand déséquilibre entre les deux partenaires. Et c'est bien le risque qui existe aujourd'hui.

Il est difficile, mais non pas impossible, d'agir sur ces différents facteurs pour réduire le différentiel de compétitivité entre la France et l'Allemagne. Au-delà de l'intérêt de la France, il y va de l'intérêt de l'Europe, car un déséquilibre trop prononcé du couple franco-allemand ne peut que lui enlever peu à peu sa portée et sa capacité à faire progresser l'Europe.

Pour que le couple franco-allemand joue son rôle, il faut que les deux pays convergent bien davantage. Certes, chacun de nos pays à sa propre histoire qui a façonné son modèle économique et social. On ne peut appliquer un modèle uniforme. Mais il faut agir pour réduire le différentiel de compétitivité. Cette convergence doit donc être la priorité politique de la France. Votre rapporteur ne peut que se référer à ce qu'a dit le Président de la République, lors du 150ème anniversaire du SPD (23 mai 2013) : « Le progrès, c'est aussi faire des réformes courageuses pour préserver l'emploi et anticiper les mutations sociales et culturelles comme l'a montré Gerhard Schröder. On ne construit rien de solide en ignorant le réel. »

On ajoutera que le contexte européen rend cette convergence incontournable. Comme le soulignait Louis Gallois dans un récent colloque 3 ( * ) , il ne peut y avoir d'euro sans convergence économique. Dans ce contexte, la renationalisation des politiques économiques ne pourrait mener qu'à une impasse. Les traités, en dernier lieu le TSCG, rendent inéluctable une coopération très étroite. Les politiques économiques et budgétaires doivent impérativement être coordonnées.

3. Des approches opposées des progrès de la construction européenne

Il est vrai que la France et l'Allemagne ont pu s'opposer sur leur approche de la construction européenne. Du côté français, c'est traditionnellement le Conseil européen qui est mis en avant. Du côté allemand, c'est une approche fédérale qui est privilégiée, avec un rôle central pour le Parlement européen. En réalité, ces oppositions ne sont jamais apparues insurmontables dans la pratique. Mais elles correspondent à une différence de culture entre les deux pays. La France a une tradition unitaire et centralisatrice, qui fait que les transferts de compétences à l'Union européenne sont conçus comme une centralisation à l'échelon européen. Pour l'Allemagne, qui a un système fédéral, le fédéralisme sert au contraire à définir plus clairement les responsabilités, et signifie que les pouvoirs de l'échelon central restent limités, de même que les transferts entre les États.

Ce clivage traditionnel prendra peut-être demain de nouvelles formes, surtout après les récentes décisions de la Cour de Karlsruhe, entre une approche allemande qui donne désormais aussi un grand rôle au Parlement national, et une approche française qui demeure plus axée sur la prédominance des gouvernements dans le processus de décision.

Toutefois, les récentes déclarations d'Angela Merkel jugeant qu'il n'était pas nécessaire d'attribuer de nouveaux pouvoirs à Bruxelles laissent entendre que les points de vue des deux pays pourraient se rapprocher 4 ( * ) .

Toujours est-il que les propositions pour porter à un niveau beaucoup plus étroit les relations entre les deux pays n'ont pas abouti : ce fut le cas en 1993 du projet de « noyau dur » avancé par Wolfang Schäuble et Karl Lamers, ce fut également le cas de l'idée d'« union renforcée » avancée en France au début des années 2000 par Pascal Lamy et Dominique Strauss-Kahn.

Votre rapporteur ne croit cependant pas que ces débats institutionnels soient décisifs : ce sont toujours les avancées concrètes qui ont fait durablement progresser l'Europe.

II. COMMENT RENFORCER LE COUPLE FRANCO-ALLEMAND ?

A. UNE VOLONTÉ POLITIQUE COMMUNE

1. La force du compromis franco-allemand

La France et l'Allemagne restent, de manière privilégiée, les deux pays qui peuvent entraîner l'ensemble européen et lui ouvrir des perspectives. La preuve en est que, lorsqu'ils cessent de le faire, personne ne prend le relais.

S'il existe ainsi une capacité d'entraînement propre au couple franco-allemand, c'est bien sûr en raison d'une réconciliation qui symbolise à bien des égards la construction européenne ; mais c'est surtout parce que ces deux pays voisins constituent le point de rencontre d'un grand nombre d'aspects différents, voire opposés, de l'identité européenne : du côté de la France, les dimensions atlantique et méditerranéenne, l'influence latine, la tradition de l'État-nation centralisé ; du côté de l'Allemagne, le rayonnement vers Nord et l'Est, l'influence de la Réforme, le fédéralisme associé à une forte unité culturelle, la tradition du « capitalisme rhénan ». L'ensemble franco-allemand est ouvert sur tous les espaces maritimes européens, et il touche à toutes les aires culturelles et linguistiques de l'Europe. Ainsi, un rapprochement des deux pays prend naturellement une dimension qui les dépasse, car il suppose une synthèse d'une large part de la diversité européenne.

L'axe franco-allemand ne doit donc pas être vécu par les autres États membres comme une posture dominatrice. Ce n'est pas une sorte de condominium. Son intérêt pour l'Europe naît au contraire du fait que les deux partenaires sont très différents, et même ont spontanément tendance à se retrouver aux antipodes l'un de l'autre. Un compromis franco-allemand a donc de bonnes chances d'ouvrir des voies pour l'Europe entière.

C'est parce qu'ils sont différents que les deux pays sont complémentaires. L'axe franco-allemand n'a pas pour objet de faire se ressembler ces deux pays, même si l'on peut considérer qu'une convergence apparaît inéluctable sur certains aspects fondamentaux comme le rapprochement des systèmes fiscaux et sociaux ou le respect des grands équilibres budgétaires.

Cette situation particulière confère aux deux pays une responsabilité spécifique. Une convergence franco-allemande est le meilleur moyen de favoriser une large convergence européenne.

C'est pourquoi nous devons retrouver le chemin des initiatives communes susceptibles d'entraîner l'ensemble de nos partenaires, car c'est d'abord le moteur franco-allemand qui permet à l'Europe d'avancer.

Dans ce but, nous ne devons pas craindre un débat approfondi sur les questions qui peuvent diviser. Mais il y a un préalable qui doit toujours être respecté. La discussion doit se dérouler dans un climat de confiance et d'ouverture réciproques. La modération dans l'expression publique est indispensable. Les couples Giscard-Schmidt ou Mitterrand-Kohl se sont toujours tenus à cette règle. C'est tout particulièrement nécessaire dans le cas des mesures à prendre pour sortir de la crise de la dette au sein de la zone euro et pour permettre à l'Europe de retrouver le chemin de la croissance.

Là également, les positions des deux pays ne sont pas spontanément convergentes, loin de là. Mais c'est plus que jamais vers eux qu'on se tourne pour inspirer des solutions. Il faut souligner que, à elles deux, l'Allemagne et la France représentent 46 % du PIB de la zone euro. De plus, les données économiques et géographiques font qu'une cohérence franco-allemande est indispensable pour éviter une fracture Nord/Sud au sein de cette zone. Si la France échouait à rétablir ses finances publiques, cette fracture serait inéluctable.

2. Éviter les « faux procès »

On ne doit pas de faux procès à nos amis allemands. L'Allemagne a admis les interventions de la Banque centrale européenne (BCE) sortant d'une stricte orthodoxie ; elle a accepté des délais plus longs pour permettre aux États membres concernés de rétablir leur situation budgétaire ; les récentes négociations sociales en Allemagne ont abouti à une augmentation des salaires qui pourra donner un peu d'air à la croissance en Europe. On peut assurément souhaiter que l'Allemagne soit plus allante sur l'Union bancaire. Mais il revient à la France, de son côté, de conduire les réformes structurelles indispensables pour restaurer sa compétitivité et assainir ses finances. C'est la condition de notre crédibilité.

Le moteur franco-allemand doit repartir. Lors de sa conférence de presse du 16 mai 2013, le Président de la République a indiqué que sans le couple franco-allemand, l'Europe ne peut avancer. On peut espérer que ce soit le signe qu'une nouvelle étape va s'ouvrir après une année de relations parfois difficiles. La rencontre du 30 mai entre le président de la République et la chancelière a abouti à un document commun qui se voulait la contribution franco-allemande en vue du Conseil européen de juin. C'est un signe supplémentaire dans le sens d'un réchauffement des relations bilatérales .

B. LES VOIES D'UNE RELANCE DU COUPLE FRANCO-ALLEMAND

Lors de sa conférence de presse, le Président de la République a suggéré plusieurs pistes pour une initiative européenne à soumettre à l'ensemble de nos partenaires européens : un gouvernement économique de la zone euro, un plan d'insertion des jeunes, une stratégie d'investissements notamment pour les nouvelles industries et pour les nouveaux systèmes de communication, une communauté européenne de l'énergie destinée à coordonner les efforts sur les énergies renouvelables et à assurer la transition énergétique. Il a par ailleurs mis en avant une capacité budgétaire de la zone euro et la possibilité, progressivement, de lever l'emprunt.

À vrai dire, ces idées étaient déjà sur la table. Mais le fait que la France s'en saisisse et souhaite les faire avancer est une bonne chose. Elle n'y parviendra qu'à partir du couple franco-allemand. La contribution commune peut être utile dans ce sens.

1. L'action dans le domaine économique et social
a) Le plan commun pour l'emploi des jeunes

Le chômage des jeunes en Europe est particulièrement préoccupant. 23,5 % des jeunes sont à la recherche d'un emploi. La situation est très grave dans certains États membres : L'Espagne (56,4 %), la Grèce (62,5 %), le Portugal (42,5 %), l'Italie (40,5 %), la Slovaquie (33,6%) et Chypre (32,7 %). A l'inverse, l'Allemagne (7,5 %), l'Autriche (8,0 %) et les Pays-Bas (10,6 %) sont dans une situation bien plus favorable. La France (26,5 %) se situe, quant à elle, au-dessus de la moyenne européenne.

Paris et Berlin ont annoncé un plan commun pour l'emploi des jeunes. Une conférence des ministres de l'Emploi et des administrations du marché de l'emploi aura lieu le 3 juillet à Berlin. La contribution franco-allemande approuve l'objectif de la « garantie pour la jeunesse » visant à ce que chaque jeune de moins de 25 ans se voit proposer une offre de qualité en matière d'emploi, de formation, d'apprentissage ou de stage. Ce plan devra viser à offrir une meilleure formation, une insertion dans le marché de l'emploi et des conditions de mobilité améliorées. La formation en alternance et l'apprentissage devront être développés. Les possibilités qu'offre le programme « Erasmus pour tous » devront être mieux utilisées. Pour que l'initiative pour l'emploi des jeunes joue pleinement son rôle, la contribution prévoit que le décaissement des 6 milliards d'euros qui lui ont été alloués devra être concentré sur les deux premières années de la prochaine période financière pluriannuelle et être effectif dès que possible en 2014. Les préparatifs concrets devront être menés avant la fin de 2013. D'autres fonds structurels, en particulier le Fonds social européen, pourront aussi être utilisés. L'accès des PME au financement sera amélioré par des actions des institutions européennes, en particulier la Banque européenne d'investissement (BEI).

b) L'énergie

La déclaration du conseil des ministres franco-allemand à l'occasion du 50 e anniversaire du traité de l'Élysée a affirmé l'objectif des deux pays d'augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Angela Merkel a fixé un objectif pour son pays de 40 % d'électricité issue des énergies renouvelables d'ici 2020. Cette énergie renouvelable est actuellement essentiellement fournie par l'éolien (8,6 % de la production d'électricité). En France, la contribution des énergies renouvelables au mix électrique a progressé en 2012 pour atteindre 16,4 %.

En février 2013, les ministres français et allemand de l'environnement Delphine Batho et Peter Altmaier ont signé une déclaration commune transformant le bureau de coordination énergies renouvelables en un office franco-allemand pour les énergies renouvelables dans le cadre de la transition énergétique.

Les deux ministres ont récemment cosigné une tribune 5 ( * ) dans laquelle ils indiquent vouloir « faire de la transition énergétique le nouveau moteur du couple franco-allemand pour les énergies renouvelables ».

Votre rapporteur fait observer que nous disposons d'une expertise dans d'autres domaines énergétiques. Il faut donc veiller à ne pas limiter notre coopération aux seules énergies renouvelables. Aux yeux de votre rapporteur, le nucléaire reste pour la France un atout en termes de compétitivité et de protection contre l'effet de serre, qu'il convient de préserver.

c) La gouvernance de la zone euro

Pour la gouvernance de la zone euro, le Président de la République a proposé d'instaurer un gouvernement économique qui se réunirait tous les mois autour d'un véritable président nommé pour une durée longue et affecté à cette seule tâche. Cette question de la gouvernance a déjà été abordée dans le TSCG. L'Eurogroupe, qui a été formellement reconnu par le traité de Lisbonne, se réunit déjà tous les mois. En revanche, il est vrai que le président de l'Eurogroupe est élu pour un mandat limité à deux ans et demi qu'il cumule avec les fonctions ministérielles nationales. Un mandat plus long et exclusif d'autres activités serait peut-être un gage de plus grande efficacité. Lors de leur rencontre du 30 mai, le Président de la République et la Chancelière ont retenu le principe de sommets plus réguliers de la zone euro et d'un président à temps plein de l'Eurogroupe disposant de moyens renforcés. Ils ont aussi invité le Parlement européen à mettre en place en son sein des structures dédiées pour la zone euro. S'y ajouterait un contrôle démocratique exercé au niveau national pour les compétences relevant du niveau national. Cette césure paraît contestable tant les deux niveaux - national et européen - sont désormais étroitement imbriqués. C'est pourquoi votre rapporteur préférerait à cette césure l'idée d'un fédéralisme « coopératif ».

Des questions - peut-être plus décisives - vont se poser. Nous consolidons la zone euro. Nous voulons renforcer sa gouvernance. Jusqu'où voulons-nous aller ? Comment cette gouvernance rénovée s'articulera-t-elle avec l'ensemble institutionnel de l'Union européenne ? Votre rapporteur ne croit pas que l'on puisse progresser sans une sorte de « noyau dur » pour piloter la zone euro. C'est là où le moteur franco-allemand peut retrouver tout son sens.

d) La convergence économique et sociale

La convergence économique et sociale au sein de l'Europe doit aussi être un sujet franco-allemand. On en parle depuis longtemps. Il faut maintenant avancer et prendre des initiatives concrètes. Le Président de la République a indiqué que le gouvernement économique de la zone euro « harmoniserait la fiscalité, commencerait à faire acte de convergence sur le plan social par le haut et engagerait un plan de lutte contre la fraude fiscale. » . La France et l'Allemagne doivent agir ensemble dans ce sens afin d'entraîner nos partenaires européens. C'est évidemment un préalable à la possibilité, également évoquée par le Président de la République, que la zone euro soit dotée de la capacité de « lever l'emprunt ». Dans leurs propositions, le président de la République et la Chancelière souhaitent le développement d'une politique économique de la zone euro, visant compétitivité, croissance et emploi. Parmi les domaines d'action, ils mentionnent expressément la convergence des systèmes fiscaux et la dimension sociale avec notamment la mise en place de salaires minimaux, définis au niveau national, soit par la législation, soit par des conventions collectives. Par ailleurs, au second semestre, devraient être définis à la fois le concept de « contrats de compétitivité et de croissance » ainsi que les ressources et les modalités d'un fonds de la zone euro. On rappellera également que la France et l'Allemagne participent à la coopération renforcée relative à la création d'une taxe sur les transactions financières (TTF) qui associe onze États membres.

En réalité, il ne pourra pas y avoir mutualisation des dettes sans un véritable partage de la souveraineté. On est ainsi renvoyé à l'idée d'une « union politique », évoquée périodiquement par l'Allemagne sans que son contenu soit toutefois précisé. Le Président de la République a repris à son compte cette idée d'« union politique » en paraissant l'axer surtout sur les propositions citées plus haut. Pour l'instant, les contours de ce qui pourrait être une « union politique » restent donc assez flous de part et d'autre du Rhin. Personne ne semble pressé de relancer le débat institutionnel dans un contexte économique particulièrement difficile. La Chancelière a récemment déclaré à la presse allemande 6 ( * ) qu'elle ne voyait pas la nécessité d'abandonner de nouveaux pouvoirs nationaux. La coordination des politiques devrait être renforcée sans que de nouveaux pouvoirs soient attribués à Bruxelles.

2. L'espace de liberté, de sécurité et de justice

La coopération franco-allemande peut jouer un rôle d'impulsion efficace pour construire l'espace de liberté, de sécurité et de justice

La France et l'Allemagne ont souvent été à l'origine d'avancées concrètes. Les accords de Schengen en sont un bon exemple. Ensemble, elles peuvent permettre de nouvelles avancées. Le régime matrimonial franco-allemand, élaboré en 2010, peut préfigurer un régime européen. La création d'un Parquet européen ne se fera pas sans un accord franco-allemand. La récente concrétisation d'une position commune est donc une bonne nouvelle.

La déclaration du conseil des ministres franco-allemand à l'occasion du 50è anniversaire du traité de l'Élysée souligne la volonté commune d'approfondir la coopération dans ce domaine. Outre le renforcement de la citoyenneté européenne qui reste un objectif commun, les deux pays envisagent une coopération approfondie dans la lutte contre le terrorisme, la criminalité organisée, le trafic de drogues, la traite des êtres humains, ainsi que la cybercriminalité.

De même, les commissariats européens seront multipliés et renforcés pour servir de cadre à l'engagement conjoint de policiers allemands et français lors d'évènements festifs ou lors de périodes estivales.

En matière d'immigration, la France et l'Allemagne amélioreront leur coopération dans la gestion des flux de population, notamment pour favoriser l'intégration.

3. La politique étrangère et la défense

La politique étrangère et la défense constitue un autre domaine où la coopération franco-allemande peut jouer un rôle décisif. L'Union européenne doit se positionner dans un monde instable. Si elle est capable d'élaborer des positions communes, sa voix portera. Dans le cas contraire, elle ne sera pas entendue. La France et l'Allemagne doivent agir ensemble dans ce sens. L'Europe doit pouvoir se défendre contre les différentes menaces. Les dernières années ont montré qu'il était possible de concevoir une défense européenne sans mettre en cause le rôle de l'OTAN. Avec le Royaume-Uni, la France et l'Allemagne fournissent l'essentiel de l'effort européen de défense. Ensemble, ils pourraient prendre des initiatives communes, en particulier pour promouvoir une véritable industrie européenne de l'armement.

La déclaration du conseil des ministres franco-allemand à l'occasion du 50 e anniversaire du traité de l'Élysée souligne l'engagement de la France et de l'Allemagne pour la mise en oeuvre d'une véritable politique étrangère européenne, la logique de rapprochement de leurs ministères des affaires étrangères ainsi la recherche d'une mise en commun de services entre les postes des deux pays, en particulier dans le domaine consulaire (services des visas notamment).

Dans le domaine de la défense, la déclaration du conseil des ministres franco-allemand annonce des propositions et initiatives communes dans le cadre de la coopération bilatérale afin de développer les capacités de l'Union européenne au titre de la politique de sécurité et de défense commune (PSDC). À plus long terme, les deux pays chercheront à contribuer à l'émergence d'une véritable culture de défense commune en Europe. La déclaration mentionne également la recherche d'une analyse stratégique convergente, prérequis d'une capacité d'action commune. Elle appelle à une mutualisation et à un partage accru des ressources et des capacités. En ce qui concerne l'industrie de défense, elle relève qu'en décembre 2012, la France et l'Allemagne ont réaffirmé leur engagement conjoint en faveur d'EADS.

Le Président de la République a indiqué qu'il ferait des propositions en vue du Conseil européen de décembre 2013. Il faut souhaiter que la coopération franco-allemande joue aussi dans ce domaine.

CONCLUSION

La relation franco-allemande reste incontournable. La réconciliation entre la France et l'Allemagne a été à l'origine de la construction européenne. Le dynamisme du couple franco-allemand a permis à celle-ci de franchir des étapes décisives. C'est vers lui que repose l'espoir que renaisse une grande ambition pour le projet européen.

Indispensable, cette relation entre les deux pays ne pourra fonctionner de manière équilibrée que si la France retrouve sa compétitivité et assainit ses finances publiques. Ce doit être une priorité pour notre pays. Mais c'est aussi un enjeu majeur pour la construction européenne.

Nous ne devons pas faire de mauvais procès à l'Allemagne. C'est le laxisme budgétaire depuis trop d'années qui a conduit de nombreux pays européens à connaître aujourd'hui une situation de crise et de sous-emploi, même si le renflouement du secteur financier en 2008-2009 a lourdement aggravé le problème. Comme le soulignait Mario Monti au colloque de Sciences Po sur l'avenir de l'Europe 7 ( * ) , la dette a paralysé la capacité des politiques économiques.

Des finances publiques bien gérées sont un facteur positif pour la croissance et l'emploi. Il est donc injuste de taxer l'Allemagne d'« égoïsme » quand elle met en avant les disciplines nécessaires. Pour que s'instaure une véritable mutualisation au sein de la zone euro, il faut que les États se fassent confiance. Et, pour cela, ils doivent respecter les critères qui résultent des traités. Cela doit se faire de manière intelligente pour que les efforts demandés soient supportables. L'Union européenne est désormais prête à plus de flexibilité vis-à-vis des États membres qui se sont engagés sur la voie de l'assainissement. Elle est disposée à une contractualisation avec les États qui mettent en oeuvre des réformes structurelles.

Le couple franco-allemand est une référence pour la construction européenne. Il doit retrouver une véritable ambition à travers de grands projets, notamment dans le domaine industriel, afin de redonner de l'espoir à notre jeunesse et de lui ouvrir des perspectives.

EXAMEN EN COMMISSION

La commission s'est réunie le jeudi 6 juin 2013 pour entendre la présentation de M. Jean Bizet. À l'issue de celle-ci, le débat suivant s'est engagé :

Mme Catherine Tasca . - Je félicite le rapporteur pour ce travail, qui arrive fort à-propos, alors que certains événements faisaient douter de l'avenir de la relation franco-allemande. J'apprécie en outre la tonalité apaisante de son propos - en espérant qu'elle ne témoigne pas d'un excès d'optimisme. La prudence dans l'expression publique, j'en conviens, est particulièrement souhaitable.

La France et l'Allemagne doivent certes converger, mais il restera toujours de fortes différences entre les deux pays. Les réactions à la décision de la Commission européenne de taxer l'importation de panneaux solaires chinois est une nouvelle illustration de la divergence de certains de nos intérêts... Réduisons les différences qui peuvent l'être et acceptons les autres.

Les dernières propositions de François Hollande et d'Angela Merkel donnent la marche à suivre. Il conviendrait toutefois d'insister davantage sur la réhabilitation des objectifs sociaux de l'Union, de plus en plus marginalisés. Le social fait partie du pacte européen originel, ne l'oublions pas. Vous avez parlé du niveau de salaire horaire : ce n'est pas le seul critère à prendre en compte, car le marché du travail allemand est déstructuré par le recours aux emplois précaires et au temps partiel, ce qui fait exploser la pauvreté dans certaines catégories sociales. Réfléchissons à un salaire minimum européen - au moins applicable, dans un premier temps, à un noyau dur d'États membres.

Que peut faire notre commission pour entretenir le dialogue entre nos deux pays ? Sous la présidence d'Hubert Haenel, nous avions effectué une visite de travail avec nos collègues du Bundesrat au Mont-Saint-Michel... où nous avions été accueillis par M. Bizet. Un déplacement à Berlin est-il envisageable, sans visée technique, simplement pour entretenir le dialogue ?

M. Simon Sutour , président. - Les déplacements de notre commission sont limités par ses crédits, qui ont diminué. Notez que le président du Sénat a choisi Berlin pour son premier déplacement officiel il y a un an - je participais au voyage. Et que les membres du bureau de notre commission ainsi que le groupe d'amitié France-Allemagne étaient à Berlin pour l'anniversaire du traité de l'Élysée. Nos contacts plus poussés sont avec le Bundesrat. Il est toutefois difficile de travailler avec les membres d'une assemblée qui se réunit douze jours par an, et dont la présidence est tournante, confiée chaque année à un Land différent. Nous aurions aussi bien vocation à nouer des contacts au Bundestag, mais ses membres ont naturellement noué déjà des relations privilégiées avec les députés français.

Je retiens le principe d'un déplacement en Allemagne mais il faudrait éviter de nous y rendre durant la période électorale, à l'automne prochain.

Mme Catherine Tasca . - Je souhaiterais que cette communication débouche sur un rapport.

Mme Colette Mélot . - Je félicite à mon tour le rapporteur : son travail arrive à point nommé. Nous avons besoin d'un bilan historique pour éclairer l'avenir. Je soutiens moi aussi la publication du rapport.

Continuons à travailler à tous les niveaux. Dans nos territoires, entretenons la flamme de l'amitié franco-allemande. Ne laissons pas se banaliser l'anti-germanisme, ni même se développer une indifférence à l'égard de notre voisin. La politique de jumelage, par exemple, nourrit la connaissance et l'appréciation mutuelles. L'Office franco-allemand pour la jeunesse fête ses cinquante ans : soutenons les rencontres de la jeunesse. Privilégions l'apprentissage de la langue allemande, qui décline comme celui du français en Allemagne.

M. Jean-François Humbert . - Je félicite également le rapporteur. Ce sujet est essentiel pour l'avenir de notre pays, et pour celui de l'Europe. Peut-être le rapport écrit pourrait-il être étoffé ? Je souhaiterais par exemple que le voile soit levé sur certains aspects, comme l'attitude allemande à l'égard de la Grèce. Une mise au point serait bienvenue pour ne pas laisser accréditer des informations inexactes.

M. Alain Bertrand . - À mon avis, en étant trop policé, j'allais dire trop gentil, on trahit l'amitié franco-allemande. Par peur de mettre à mal son acquis le plus important, la paix, nous n'osons rien dire. La vérité, c'est que l'Allemagne ne joue pas le jeu en matière de croissance, d'emploi, de salaire minimum, ni en matière sociale.

Ma ville est jumelée avec Wunsiedel en Allemagne. Mes discours sont souvent traduits en direct par mon directeur de cabinet, qui est franco-allemand. Cela ne m'empêche pas de dire la vérité ! Lors d'une réunion récente, un ancien ministre des affaires européennes expliquait au groupe RDSE qu'il fallait mettre des gants pour traiter avec les Allemands et contourner les sujets de désaccord : à mon avis, c'est le meilleur moyen de donner l'impression aux Français qu'on ne fait rien, et aux Allemands qu'on est d'accord avec eux sur tout ! Et doit-on glisser vers un rapport de vassalité parce que l'un est moins bon que l'autre ? Au bistrot, à la chasse ou aux champignons, les Français en parlent, ils perçoivent tout cela. Alors cessons de nous excuser à tout propos, et en préambule à tout débat, de notre gestion publique, et ayons le courage de la franchise. La fraternité et l'affection qui nous unissent aux Allemands l'exigent.

M. Simon Sutour , président. - Ces sujets sont très complexes. Je comprends le point de vue d'Alain Bertrand. Nous avons souvent le sentiment d'être les élèves du professeur allemand, mais au dîner donné à l'invitation du Bade-Wurtenberg, à l'occasion du 50 e anniversaire du traité de l'Élysée, j'ai été frappé au contraire par l'humilité des élus allemands, et par les nombreuses attentes qu'ils formulaient à notre égard. Entre Européens, il ne faut pas jouer aux donneurs de leçons. À Chypre, lors de la réunion des présidents des commissions des affaires européennes de juillet 2012, j'ai défendu l'idée qu'il n'y avait pas d'États vertueux par nature. À accuser la Roumanie, nous en oublions nos propres turpitudes, celles de douaniers à Roissy ou celles du Président allemand contraint l'an dernier à la démission. Le respect des engagements est un combat permanent.

Cela vaut tout autant en matière économique, comme l'a rappelé Mme Tasca : la médaille allemande comporte naturellement un revers. C'est pourquoi je m'étais réjoui que le Président de la République cherche à coopérer davantage avec l'Italie pour défendre une vision européenne plus tournée vers la croissance.

Mon expérience des instances de coordination européenne me laisse toutefois penser que le plus souvent, on ne peut compter que sur la France et l'Allemagne pour faire avancer l'Europe. À Nicosie en avril dernier, où je représentais le président du Sénat à la réunion des présidents de Parlements de l'Union, la discussion sur la mise en oeuvre de l'article 13 du TSCG sur le contrôle parlementaire partait dans tous les sens : c'en était effrayant ! Heureusement, le représentant du Bundestag, celui du Bundesrat et le président du Parlement européen, Martin Schulz, ont recadré la discussion.

Les Allemands attendent beaucoup de nous. Ils ont parfois l'impression que nous les ignorons. Trouvons un nouvel équilibre, des poids et des contrepoids.

Mme Colette Mélot . - Il faut un moteur à l'Europe !

M. Simon Sutour , président. - Oui. En outre, alternance ou non, il faut se retenir de prononcer certaines phrases. À Athènes, j'ai entendu des choses inacceptables, des références à la seconde guerre mondiale : les Allemands d'aujourd'hui ne sont tout de même pas responsables de ce qu'ont fait les nazis ! De même, évitons la caricature des cigales du nord de l'Europe et des fourmis du sud.

M. Jean-François Humbert . - Elle n'est pas complètement fausse.

M. Simon Sutour , président. - Nous sommes à la jonction de l'Europe du Nord et de celle du Sud : nous réalisons une synthèse.

Je vous propose que la communication donne lieu à la publication d'un rapport d'information, sous réserve que notre collègue étoffe son texte, notamment par des chiffres, et qu'il soumette le texte aux membres de la commission.

Il en est ainsi décidé.

M. Jean Bizet . - Nous vivons une époque où la moindre déclaration publique peut avoir des conséquences disproportionnées. Le populisme et la démagogie sont à nos portes. Maîtrisons notre expression publique.

Nos deux pays sont différents et complémentaires. Ils constituent le moteur de l'Union. Disons-nous la vérité. On n'arrivera à rien en envisageant de contourner l'Allemagne. Tous les présidents de la République, en début de mandat, ont cherché de nouveaux partenaires, avant de revenir aux fondamentaux, c'est-à-dire à la relation franco-allemande. Nicolas Sarkozy s'est rapproché du Royaume-Uni avant de se rendre compte que ce pays regardait toujours vers le large. François Hollande peut toujours chercher l'appui de Mario Monti, reste que le mécanisme européen de stabilité (MES) est financé à hauteur de 27 % par l'Allemagne et à 20 % par la France. Comme l'on dit dans nos campagnes, finalement, qui paye commande !

Le social n'est pas mon penchant premier, vous le savez. Mais je reconnais qu'on ne peut rien construire sans le social, aujourd'hui moins que jamais.

Je serais heureux de faire un rapport d'information à partir de ma communication. Il serait alors nécessaire de compléter certains points et d'approfondir certains autres, comme la perte de notre leadership agricole.

M. Simon Sutour , président. - Qui est tout de même un paradoxe...

M. Jean Bizet . - Oui, car la construction européenne était implicitement fondée sur une Allemagne industrielle et une France agricole.

M. Jean-François Humbert . - Il nous reste le tourisme !

M. Jean Bizet . - Concernant les relations avec la Grande-Bretagne, j'ai perçu pour ma part le discours de David Cameron du 24 janvier de façon plutôt positive. Certes, il fait souffler un vent très libéral sur l'Europe. Mais il faut comprendre ces propos au second degré, c'est un Anglais qui parle. L'Europe ne peut se passer de l'importance, du savoir-faire et de l'ingénierie financière britannique. L'Europe et la France ne peuvent non plus se passer des partenariats noués avec le Royaume-Uni en matière d'armement et de défense. Là également, il faut se dire les choses, entretenir le dialogue.

M. Simon Sutour , président. - Quand le projet de rapport sera finalisé, il sera transmis aux membres la commission et s'ils n'ont pas de remarques sur ce que M. Bizet y aura ajouté, nous le publierons.


* 1 Alain Fabre : Le modèle économique allemand, une stratégie pour l'Europe ? Fondation Robert Schuman, Questions d'Europe, n° 237, 23 avril 2012.

* 2 « Pacte pour la compétitivité de l'industrie française », Rapport au Premier ministre, 5 novembre 2012.

* 3 Journée de l'économie franco-allemande organisée au Conseil économique et social le 23 mai 2013.

* 4 Der Spiegel du 3 juin 2013.

* 5 Le Monde du 15 mai 2013.

* 6 Der Spiegel du 3 juin 2013.

* 7 « Europe : les prochaines étapes », 28 mai 2013.

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