II. UNE PASSION POUR LE DESIGN ET LA MONTÉE EN GAMME QUI S'EXPRIME DANS DES MICRO-ENTREPRISES INDUSTRIELLES TRAVAILLANT  EN RESEAU

Les économistes ont tenté, depuis plusieurs dizaines d'années, d'élucider le « secret » de la réussite du modèle industriel italien en s'attachant principalement à le rechercher dans le mécanisme des districts. Or ce dernier semble difficilement transposable en dehors des frontières italiennes, comme en témoignent les expériences conduites en France.

La mission sénatoriale a en revanche été frappée, au cours de son déplacement en Lombardie par la passion pour le design et pour la qualité des produits qui apparaît sinon comme « l'esprit du capitalisme italien » du moins comme un ressort fondamental de l'efficacité industrielle de ses PME. Les succès de ce modèle lombard semblent ainsi imputables à un cercle vertueux entre les grappes de micro-entreprises et la créativité des personnes qui y exercent leur talent.

A. LES RÉSEAUX D'ENTREPRISES INDUSTRIELLES ITALIENNES : UNE RÉUSSITE DIFFICILEMENT TRANSPOSABLE À L'ÉTRANGER

Comme le fait observer M. Marc Maupas-Oudinot, dans une synthèse élaborée pour la mission sénatoriale, les districts industriels et les contrats de réseaux, sont devenus, au fil des années, une des spécificités du tissu économique italien, très axé sur les PME. C'est en effet la taille réduite des entreprises italiennes qui les a conduites à mener des politiques de regroupement dès les années 1970 avec la création des premiers districts industriels, ces derniers n'ayant été reconnus par la loi qu'en 1991. Par la suite, après dix ans de débat sur le rôle et l'identité des districts, le « contrat de réseau d'entreprises » a été finalement introduit dans le système juridique italien par une loi de 2009.

Alors que le district est un modèle d'organisation souple et peu encadré reposant sur le territoire, le contrat de réseau est un instrument réglementé se basant sur l'objet social commun et le regroupement par filière, dont les districts eux-mêmes peuvent se servir.

1. Le district industriel : une organisation territoriale

Les districts industriels permettent aux entreprises d'un certain territoire (qui recouvre le plus souvent les départements ou les régions) de coordonner leurs activités productives. Dans ce cadre, chacune des entreprises intéressées continue à y exercer son activité dans son domaine de spécialisation ou d'excellence, alors que les autres phases productives sont réalisées par les autres membres du même district. Ce dispositif garantit la continuité de la production et réduit les coûts accessoires, améliorant ainsi la compétitivité de l'ensemble. Les districts industriels sont au nombre de 101 et regroupent environ 275 000 entreprises.

Selon le cinquième rapport sur les districts industriels d'Intesa Sanpaolo qui porte sur les années 2010-2011, les entreprises organisées en districts ont de meilleures performances, en particulier à l'exportation, que celles qui ne le sont pas. Les meilleurs résultats proviennent des secteurs des métaux (dont les ventes ont progressé de 8,8 % en 2011), de la mécanique (+7,5 %), de l'alimentaire (+6,2 %) et surtout du secteur emblématique de la mode avec une croissance de 8,6 % en 2011 pour les entreprises en districts, contre 4,1 % pour les autres. Globalement, les districts industriels ont enregistré un chiffre d'affaires en croissance de 3 % en 2011-2012 et une hausse des profits de 5,8 % contre, respectivement, 1 % et 4,3 % pour l'industrie hors districts. Le rapport identifie les 11 meilleurs districts en termes de performance de croissance, d'exportation et de rentabilité en citant les machines pour emballages à Bologne, les pneus à Bergame, les lunettes à Belluno et l'habillement à Naples .

2. La relance des districts par les contrats de réseau, dans une logique de filière

Le droit italien indique que, par définition, les contrats de réseaux sont des accords conclus par plusieurs entreprises qui s'entendent pour exercer en commun une ou plusieurs activités économiques rentrant dans le cadre de leurs objets sociaux respectifs dans le but d'accroitre leur capacité innovante et leur compétitivité. Le contrat de réseau doit être inscrit au registre du commerce où les entreprises ont leur siège.

La réglementation des districts s'applique également aux réseaux d'entreprises . Réseaux et districts ont, en effet, les mêmes finalités de diffusion des savoir-faire, de développement de projets marketing communs, d'investissements dans la recherche, d'exploration de nouveaux marchés et d'accroissement de la capitalisation, le regroupement se faisant, dans un cas, par filière, et dans l'autre, par zone géographique.

Ces modes d'agrégation extrêmement souples permettent aux entreprises de garder leur autonomie ou de créer une entité juridique commune, en continuant de bénéficier des mêmes aides fiscales, financières et administratives.

Fin 2012, trois ans après leur création, 647 contrats de réseaux, concernant 3 350 entreprises, 6 fondations et 4 associations sont enregistrés. Selon Aldo Bonomi, vice-président de Confindustria pour les réseaux d'entreprises, qui a porté le projet dès sa conception, l'objectif, d'ici quatre ans, est d'atteindre le seuil de 2 000 contrats de réseaux, impliquant environ 10.000 entreprises, pour favoriser leur capacité d'internationalisation. Le ministère du Développement économique, ainsi que les associations professionnelles, auraient sensibilisé la Commission européenne afin d'obtenir une reconnaissance internationale des contrats de réseau. Le premier contrat de réseau international ayant été mis en place inclut une entreprise française.

Territorialement, les contrats de réseaux concernent 99 provinces, appartenant aux vingt Régions d'Italie. Les zones géographiques privilégiées sont le Nord-est pour le nombre de contrats (246) et le Nord-ouest pour le nombre d'entités impliquées (986). Presque la moitié des contrats implique entre 4 et 9 entreprises, qui sont pour la plupart des sociétés de capitaux. Les secteurs les plus prisés sont ceux des services (384 entreprises), du BTP et du bâtiment écologique (334), de l'ameublement et des loisirs (226).

3. Un exemple de réussite difficilement transposable à l'étranger

Le succès des réseaux d'entreprises s'explique par un ensemble de facteurs :

- la souplesse de l'instrument qui permet de mettre en commun une partie de l'activité tout en préservant l'autonomie des co-contractants ;

- au-delà de la filière, le contrat de réseau a pour objectif la promotion de produits "made in Italy" et de l'exportation ;

- pour les PME, cet instrument est un des seuls qui favorise leur compétitivité dans un contexte de crise et de mondialisation des échanges ;

- les contrats de réseaux facilitent l'accès au crédit : les banques ont ainsi proposé des services de conseil spécialisé et des « bonds de réseaux » ont été institués;

- ils compensent enfin le faible niveau d'intervention de l'Etat, les aides d'Etat italiennes étant parmi les plus basses de l'Union européenne.

A titre d'exemple, le contrat de réseau peut être utilisé à titre défensif, lorsque la production d'une grande entreprise dépend de ses fournisseurs et sous-traitants. C'est dans ce contexte que Gucci (groupe Kering, anciennement Pinault-Printemps-Redoute) a incité ses fournisseurs à se regrouper : trois réseaux d'entreprises ont ainsi été institués, avec le soutien de la Confindustria locale, concernant 24 PME qui emploient 635 personnes. Les fournisseurs, dans le cadre du contrat de réseau, se sont engagés contractuellement à collaborer en termes d'efficacité productive, d'innovation technologique et organisationnelle, de standards de qualité et de sécurité. Gucci a un rôle de sponsor du réseau et de consultant organisationnel et financier. Selon le vice-président de Gucci, Micaela Le Divelec Lemmi, le groupe entend préserver les métiers d'excellence de sa filière, tant en Toscane où elle compte 60 fournisseurs et des dizaines de sous-traitants, qui emploient 7 000 personnes sur les 45 000 qui alimentent toute la filière productive de Gucci en Italie).

Les contrats de réseau ont ainsi permis :

- de relancer les districts industriels, une organisation traditionnelle longtemps vantée mais mise à mal par la disparition et la délocalisation de petites entreprises ;

- et de sauver des petites entreprises italiennes dont la taille ne permet pas d'affronter, seules, la récession et la mondialisation.

Cet outil s'inscrit dans la tendance toujours plus marquée des entreprises italiennes à s'orienter non pas vers un « marché de masse » mais vers une « masse de niches » centrées sur la montée en gamme du produit.

Page mise à jour le

Partager cette page