B. RÉÉQUILIBRER LA PLACE DES FEMMES DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET LA RECHERCHE

L'analyse de la place des femmes dans l'enseignement supérieur et la recherche révèle de nombreuses disparités : leurs choix d'orientation tendent à les cantonner dans un nombre de filières qui ne sont pas les plus porteuses ; cette ségrégation horizontale, présente chez les étudiantes, s'accentue ensuite chez les enseignantes-chercheuses et se double d'une ségrégation verticale qui, pendant leurs carrières, ne leur permet d'accéder aux grades les plus élevés et aux postes les plus recherchés que dans une proportion très inférieure à celle des hommes.

Le rééquilibrage qui paraît aujourd'hui indispensable doit jouer sur différents leviers.

1. L'orientation

Filles et garçons sont très inégalement répartis entre les différentes filières de formation de l'enseignement supérieur et la persistance de ces choix sexués reflète la forte influence des stéréotypes de genre et de l'image qu'ont les futures étudiantes du contenu des études supérieures et des métiers sur lesquels celles-ci débouchent.

Comme l'ont reconnu la totalité des personnes qu'a entendues votre rapporteure, ces choix d'orientation se décident en amont de l'enseignement supérieur et c'est sans doute dès la seconde, et même sans doute plus tôt encore, que ces choix prennent forme et qu'il conviendrait d'intervenir.

Si l'enseignement scolaire et les services de l'orientation ont dans ce domaine une responsabilité décisive, celle-ci ne doit pas pour autant être exclusive.

Les auditions ont souligné la puissance du rôle des médias dans les choix d'orientation des jeunes gens, à travers l'image qu'ils diffusent de certains métiers. Elles ont souligné que certaines séries télévisées, diffusées aux heures de grande écoute, avaient pu provoquer un afflux d'étudiants vers certaines filières, car elles brossaient le portrait de personnages fortement engagés dans leur vie professionnelle et comportant un fort potentiel d'identification et qui donnaient un aperçu positif, même s'il est souvent romancé, de la réalité d'un métier.

Par-delà ces fictions, votre rapporteure juge particulièrement nécessaire aujourd'hui un renforcement de la diffusion de la culture scientifique et technique , pour contrecarrer une désaffection relative des jeunes pour les études scientifiques, désaffection que l'on constate traditionnellement chez les filles, mais qui touche aussi les garçons.

En ce domaine aussi les médias ont un rôle à jouer et il est important que, dans l' image qu'ils projettent de la recherche scientifique , ils soient attentifs à un équilibre entre les sexes . Une émission comme « C'est pas sorcier ! » , produite par France 3, constitue de ce point de vue un exemple à suivre : outre qu'elle fait preuve d'un grand éclectisme dans le choix de ses sujets, qu'elle traite de façon imagée et en faisant appel à d'excellents spécialistes, elle respecte une parfaite parité dans la composition de son équipe de présentateurs, la présence de Fred et Jamy étant équilibrée par celle de Sabine et les commentaires de « la petite voix ». Cette mixité est indispensable si l'on veut convaincre les petites filles que les questions scientifiques s'adressent également à elles.

L' enseignement supérieur ne peut se dispenser de s'acquitter des responsabilités qui sont les siennes en matière d'orientation, même si beaucoup se joue avant le baccalauréat.

Aussi votre délégation apporte-t-elle son plein soutien à l'introduction par l'Assemblée nationale à l' article 7 bis du projet de loi, sur la proposition de sa délégation aux droits des femmes, d'une disposition qui complète les missions assignées au service public de l'enseignement supérieur à l'article L.123-6 du code en disposant : « il mène une action contre les stéréotypes sexués, tant dans les engagements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative » .

Votre délégation se réjouit que l'Assemblée nationale ait, à l'invitation de sa délégation aux droits des femmes, complété par un article 7 bis les missions assignées au service public de l'enseignement supérieur en précisant qu'il doit aussi mener « une action contre les stéréotypes sexués, tant dans les enseignements que dans les différents aspects de la vie de la communauté éducative » . Elle recommande que cette action s'effectue non seulement en direction des étudiants, mais aussi des personnels, et notamment des enseignants-chercheurs.

Il faut inciter les établissements d'enseignement supérieur à se montrer vigilants quant au contenu des cursus qu'ils proposent et à l' image des métiers sur lesquels ils débouchent.

Les représentants des établissements d'enseignement supérieur qu'elle a rencontrés ont insisté sur le fait que les bons élèves des filières scientifiques au lycée ne présentaient pas le même profil suivant qu'il s'agissait de filles ou de garçons. Pour être considéré comme un bon élève, un garçon a tendance à se concentrer sur un nombre restreint de matières scientifiques-clefs. Les filles, au contraire, s'efforcent d'avoir de bons résultats dans une palette de disciplines plus large, englobant aussi des matières littéraires. Aussi éprouvent-elles par la suite une réticence à s'orienter vers un établissement concentrant son enseignement sur les seules matières scientifiques, car elles ne se résignent pas à abandonner les compétences qu'elles ont - chèrement - acquises dans d'autres domaines. Les établissements concernés doivent donc s'attacher à une certaine diversification de leurs programmes d'études s'ils veulent répondre à ces attentes.

Les établissements d'enseignement supérieur doivent également être attentifs à l'image qu'ils donnent des femmes qui ont réussi dans les métiers auxquels ils préparent. Comme le relevait très pertinemment Florence Dufour lors de son audition au titre de la Conférence des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs, parler trop exclusivement des cursus professionnels d'anciennes étudiantes qui auraient brillamment réussi un parcours professionnel assorti d'une vie de célibataire épanouie peut s'avérer contreproductif auprès d'étudiantes, également douées, mais n'entendant pas renoncer à une vie de famille.

2. Promouvoir la carrière des femmes

Lutter contre le phénomène du « plafond de verre » suppose d'assurer un effort de promotion des femmes aux différentes étapes de leur carrière.

a) Le recrutement

En vertu du principe d'indépendance des enseignants-chercheurs, ceux-ci et celles-ci sont recrutés par leurs pairs.

La composition des jurys de recrutement des enseignants-chercheurs et les jurys d'agrégation ne sont actuellement assujettis à aucune obligation quant à la mixité de leur composition.

Elle devra toutefois, à compter de son entrée en vigueur le 1 er janvier 2015, respecter les dispositions de l' article 55 de la loi du 12 mars 2012 précitée qui impose une proportion minimale de 40 % de personnes de chaque sexe dans la composition des jurys de sélection constitués pour le recrutement ou la promotion des fonctionnaires.

Il a toutefois été indiqué à votre rapporteure que l'application de cette règle pourrait soulever des difficultés dans le secteur de l'enseignement supérieur et de la recherche , compte tenu de la faible présence de femmes dans certaines disciplines.

Cette difficulté est souvent aggravée par la tendance à constituer des comités de sélection spécialisés à l'excès , où seuls sont invités à siéger les représentants d'une « sous-sous-discipline ». Ce rétrécissement du vivier contribue à rendre plus difficile la composition d'un jury respectant un équilibre entre les sexes. Votre rapporteure estime que c'est une tentation à laquelle les établissements doivent résister car ce rétrécissement du vivier n'a pas des inconvénients que pour la parité.

Votre rapporteure a pris connaissance avec intérêt de la solution proposée par la Conférence des présidents d'universités :

- le strict respect de l'exigence d'une proportion minimale de 40 % de personnes de chaque sexe dans les disciplines comportant au moins 20 % de personnes du sexe le moins représenté ;

- dans les disciplines se situant en dessous du seuil de 20 %, l'application à titre dérogatoire et transitoire d'un objectif de second rang fixé au double de la proportion du sexe le moins représenté dans les corps de recrutement concernés.

Le ministère de l`enseignement supérieur indique que l'application de ce dispositif dérogatoire pourrait concerner 16 des 52 sections du Conseil national des universités pour les professeurs des universités et 6 sections sur 52 pour les maîtres de conférences, soit 11,5 % de l'ensemble.

D'après les indications qui ont été fournies à votre rapporteure, une application trop stricte de la « loi Sauvadet » imposerait, dans les disciplines où les femmes sont très peu présentes, aux mêmes enseignantes-chercheuses d'être systématiquement requises pour participer aux jurys de sélection, au détriment du temps qu'elles peuvent consacrer à leurs travaux de recherche. Elle serait donc, pour elles, pénalisante.

Aussi votre rapporteure n'est-elle pas défavorable aux modalités de la dérogation envisagée, à condition que celle-ci soit limitée dans le temps , et réexaminée au bout de quatre ans.

Votre délégation recommande que les comités de sélection des universités et des grandes écoles se rapprochent dans leur composition d'une parité effective et que les dérogations qui seraient dictées par la nécessité dans les disciplines comportant moins de 20 % de personnes d'un des sexes, soient limitées dans le temps.

Votre délégation prend acte également de l'engagement pris par la ministre de nommer dès 2013 au moins trois femmes dans les jurys d'agrégation , composés de sept personnes (soit un peu plus de 40 %), devançant ainsi de deux ans l'entrée en vigueur de l'article 55 de la loi du 12 mars 2012.

b) Le déroulement des carrières

Les mesures destinées à encourager le parcours des femmes dans la recherche et l'enseignement supérieur doivent être envisagées à la fois à l'échelle de l'établissement et à l'échelle des carrières individuelles.

Pour ce faire, la délégation juge nécessaire, en premier lieu, que chaque établissement réalise un état des lieux statistique régulier permettant d'évaluer la proportion respective des hommes et des femmes parmi les étudiants aux différents stades de l'avancement de leurs études, et parmi leurs personnels aux différents stades de l'évolution de leurs carrières.

La délégation recommande en outre aux établissements d'enseignement supérieur d'élaborer un plan d'action comprenant des engagements précis et dont les statistiques sexuées permettront de vérifier la réalisation.

La délégation estime en outre que chaque établissement doit se doter d'une structure référente pour l'égalité femmes-hommes . Actuellement, seules 43 universités et 4 grandes écoles se sont dotées d'une chargée de mission à l'égalité. Il est nécessaire d'institutionnaliser cette pratique qui ne relève aujourd'hui que de la volonté de la direction des établissements. Ainsi la délégation se réjouit-elle de ce que l'Assemblée nationale a introduit, à l' article 25 du projet de loi, une disposition consacrant l'existence de ce type de structure.

La commission des Affaires culturelles de l'Assemblée nationale avait, à l'origine, introduit un alinéa additionnel imposant au président de l'université de « nommer, sur proposition conjointe du conseil d'administration et du conseil académique, un chargé de mission « égalité entre les femmes et les hommes », dont les missions et les compétences sont précisées par décret en Conseil d'État » .

L'Assemblée nationale a cependant, en séance publique, et à l'initiative du Gouvernement, substitué le terme de « mission » à celui de « chargé de mission » et supprimé la référence au décret en Conseil d'État. La ministre a expliqué qu'il pourrait ainsi s'agir « soit d'un redéploiement, soit d'une mission spécifique confiée à un membre du personnel appartenant par exemple aux ressources humaines » .

Cette modification et ces explications ont suscité l'inquiétude de la représentante de la Conférence des chargées de mission égalité. Celle-ci a craint qu'en l'absence de désignation d'une personne référente, il ne s'agisse plus que d'une mission rattachée à la Direction des ressources humaines (DRH). Elle a insisté pour que la responsabilité de cette mission soit confiée à une personne clairement identifiée, dotée de moyens, que celle-ci ne s'inscrive pas dans un rapport hiérarchique trop étroit par rapport au DRH et, pour conserver une dimension transversale, qu'elle soit rattachée directement au président.

Il a été également relevé, en sens inverse, qu'une mission à l'égalité femmes-hommes était également susceptible de bénéficier de moyens humains peut-être plus conséquents qu'une chargée de mission unique ne disposant que d'une simple décharge d'heures.

Votre délégation apporte son plein appui à la création d'une « mission égalité entre les femmes et les hommes ». Elle souhaite que la responsabilité en soit confiée à une personne clairement identifiée, dotée de moyens suffisants et dont le rattachement hiérarchique lui permette d'appréhender dans sa diversité la problématique de l'égalité des chances entre les femmes et les hommes au sein de l'établissement.

La délégation souhaite, en outre, qu'une attention particulière soit apportée au déroulement des carrières individuelles des enseignantes-chercheuses, grâce en particulier à une prise en compte des interruptions liées à la maternité qui en sont une des spécificités.

Les représentantes des associations ont indiqué à votre rapporteure que l' évaluation d'un chercheur , dans la perspective de l'attribution d'une prime ou d'une promotion, s'effectuait sur la base d'une période de référence de quatre ans .

La stricte application de cette règle pénalise les femmes qui, au cours des quatre années considérées, ont interrompu leur activité en raison d'une maternité.

L'équité commande donc d'allonger cette période de référence pour les femmes qui ont bénéficié d'un congé de maternité ou d'un congé parental. Plusieurs hypothèses peuvent être envisagées : rallonger cette période de référence d'un an, voire de dix-huit mois, ce qui permettrait de se caler sur les règles en vigueur dans les programmes de recherche de l'Union européenne. Une autre solution, plus flexible, consisterait à allonger la période de référence de la durée des congés liés à la maternité effectivement pris pendant la période considérée.

Votre délégation recommande la mise en place d'un dispositif correcteur, dans le cadre de l'évaluation préalable à une promotion ou à une demande de prime, au bénéfice des femmes qui ont eu des enfants au cours de la période de référence considérée. Ce dispositif correcteur consisterait à compléter les quatre ans de la période de référence considérée d'une durée de un an ou de la durée des congés liés à la maternité effectivement pris.

L'attention de votre rapporteure a également été attirée sur la réglementation des congés pour recherches ou conversions thématiques (CRCT). Ces congés, dont la durée peut être de six ou douze mois, sont attribués en priorité aux enseignants-chercheurs qui ont effectué pendant au moins quatre ans des tâches d'intérêt général ou qui ont conçu ou développé des enseignements nouveaux, ou des pratiques pédagogiques innovantes. Un chercheur ne peut bénéficier que d' un seul congé tous les six ans .

Ils permettent d'une façon générale aux chercheurs qui souhaitent investir un nouveau champ de recherche d'en explorer la thématique et de constituer une nouvelle équipe. Ils sont également utiles aux enseignantes-chercheuses dont le champ d'enseignement et de recherche aurait été confié à un remplaçant ou à une remplaçante pendant leur congé de maternité et qui souhaiteraient, à leur retour, investir un nouveau champ de recherche plutôt que d'évincer leur remplaçant-e. Dans ce cas toutefois, la périodicité de six années peut s'avérer un frein.

La délégation recommande que les conditions d'attribution et d'exercice des congés pour recherches ou conversions thématiques puissent faire l'objet d'assouplissements pour les enseignantes-chercheuses au retour d'un congé de maternité.

Les personnes auditionnées ont également souligné la nécessité d'apporter un soutien spécifique aux femmes dans le déroulement de leurs carrières.

Cet appui paraît particulièrement nécessaire pour les femmes qui s'engagent dans des filières et des carrières où les femmes sont peu nombreuses. Il semblerait que certaines jeunes filles engagées dans des études d'ingénieur soient davantage que les garçons tentées d'abandonner leurs études en cours de route car elles ont l'impression que les métiers auxquels celles-ci les destinent ne seront pas conciliables avec une vie familiale équilibrée. Un accompagnement adapté de ces jeunes filles vers le marché de l'emploi et les conditions de vie en entreprise s'avérerait dans ces conditions utile, comme l'envisage d'ailleurs la charte passée avec la Conférence des grandes écoles.

Votre délégation recommande aux établissements d'enseignement supérieur d'apporter un soutien particulier aux jeunes filles qui se destinent à des filières ou des métiers dont le recrutement est encore fortement masculin.

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