PREMIÈRE TABLE RONDE : COMMENT ACTIVER LES COOPÉRATIONS DE RECHERCHE SUR LA POLLUTION EN MÉDITERRANÉE ?
I. INTRODUCTION : POUR UN « MARE NOSTRUM » SCIENTIFIQUE
Roland COURTEAU
À l'occasion des travaux préparatoires à mon rapport, j'avais été frappé par la richesse et la diversité des recherches sur les milieux méditerranéens. Toutes les zones géographiques et tous les types de polluants font l'objet d'investigations. J'ai constaté également qu'il existe un certain cloisonnement dans ces études, aussi bien entre des organismes français qu'entre nos instituts de recherche et leurs homologues étrangers.
Par ailleurs, si certaines recherches coopératives existent à l'échelon européen sur les milieux marins, aucun programme n'est spécifiquement dédié à la Méditerranée. Les pays de la Baltique se sont pour leur part regroupés dans le cadre du 7 e Programme cadre de recherche et développement (PCRD) pour présenter des offres communes. Ils ont ainsi obtenu une enveloppe de 50 millions d'euros sur la durée du programme. Les pays de la zone méditerranéenne ne l'ont, en revanche, pas fait.
J'entends bien que la coopération dans ce domaine ne se proclame pas, d'autant plus que les niveaux d'intervention des chercheurs dans la chaîne de recherche ne sont pas les mêmes. De plus, le politique n'a certainement pas assez insisté sur la particularité du bassin méditerranéen et sur la nécessité de lui consacrer des recherches spécifiques et mieux coordonnées.
C'est la raison pour laquelle je me réjouis que depuis la parution de mon rapport, le programme Mediterranean integrated studies at regional and local scales (MISTRALS) ait permis de regrouper sur un horizon décennal treize organismes de recherche français. Ceux-ci visent à observer et à comprendre le fonctionnement environnemental du bassin méditerranéen dans la perspective du changement climatique, qui pourra avoir des impacts plus rapides et plus déséquilibrants sur ce bassin que sur l'océan.
Ce programme a également vocation à inviter les pays à rapprocher leurs objectifs scientifiques et à identifier les sujets à développer en priorité. Le rôle de l'Union européenne est essentiel sur ce point.
Afin d'explorer les possibilités d'amélioration des coopérations de recherche et de gouvernance scientifique, permettant de créer un véritable mare nostrum dans ce domaine, nous entendrons successivement Gérard RIOU et Maurice HERAL.
II. LES COOPÉRATIONS DE RECHERCHE EN FRANCE ET AVEC LES AUTRES INSTITUTS EUROPÉENS
Gérard RIOU
Les coopérations de recherche en Méditerranée s'exercent dans trois cadres principaux :
- les programmes nationaux de recherche académique : MISTRALS, Programme Mer de l'Alliance nationale de recherche pour l'environnement (AllEnvi), Agence nationale de la Recherche ;
- les programmes européens de recherche et de développement : PCRD et programmes de coopération régionale (Interreg), article 185 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) sur la Méditerranée, initiative de programmation conjointe « IPC Océans » ;
- les projets en support aux directives et conventions internationales : exemple de la directive-cadre sur la stratégie pour le milieu marin de l'Union européenne (expertise, définition d'indicateurs de programmes de mesure et de surveillance), Union pour la Méditerranée (UPM) et Conventions des Nations Unies (Barcelone, etc.).
a) Les programmes nationaux de recherche académique
Le programme Mer d'AllEnvi souligne que la structuration nationale des établissements de recherche s'effectue autour de grands programmes thématiques ou régionaux.
Le programme « Mistrals » regroupe treize institutions françaises. Ouvert aux pays du Sud, il est piloté par le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD).
Ce projet régional pluridisciplinaire est bâti autour de sept grands programmes thématiques qui couvrent un champ très large : atmosphère, hydrosphère, lithosphère, paléoclimats, écologie de l'environnement, etc. Ce chantier, focalisé sur la Méditerranée, se donne un horizon de dix ans.
Compte tenu de la complexité des sujets que nous devons traiter, surtout lorsque nous nous adressons à des thématiques qui s'intéressent aux sciences du vivant, nous ne pouvons progresser dans la connaissance et la théorie sans effectuer de mesures à la mer. Dans le domaine du vivant, il existe des cycles annuels. Il nous faut donc des observations saisonnières et structurées à long terme. La dimension temporelle constitue un élément important et, l'une des difficultés est d'avoir à traiter les sujets dans le cadre d'un projet de trois ans.
b) Les programmes européens de recherche et développement
Nous sommes confrontés à une compétition au sein des sciences de l'environnement. Il n'existe pas de programme d'appel d'offres spécifiquement marin. Dans le domaine de la mer, la recherche marine n'est pas relayée socialement de façon forte.
La mobilisation des instituts et des laboratoires de recherche a abouti à des succès dans le cadre d'appels d'offres de l'Union européenne :
- HERMIONE a permis de progresser sur la connaissance des écosystèmes des grands fonds en Méditerranée ;
- MYTILOS a donné lieu à une cartographie de la contamination chimique sur tout le pourtour de la Méditerranée en y associant les pays du Sud ;
- PERSEUS traite de la problématique de la gouvernance en valorisant les écosystèmes pour obtenir un développement durable en Méditerranée ;
- MEDSEA permet d'acquérir des connaissances sur l'acidification des océans.
Parallèlement, une initiative de programmation conjointe (IPC), « Oceans », vise à mettre en commun des réflexions en termes de stratégie, à identifier des enjeux et à les faire partager par des décideurs au niveau de l'Union européenne. Il s'agit d'une action de lobbying qui vise à redonner à la mer sa juste place de par son rôle dans l'équilibre de nos sociétés, et pas seulement dans l'équilibre économique à court terme.
Des réflexions ont été conduites, avec des publications récentes sur la mise en cohérence des infrastructures. Nous avons aujourd'hui l'opportunité de nous appuyer sur l'article 185 du TFUE, qui permet à cette dernière de cofinancer des programmes proposés et financés par plusieurs États membres.
À l'heure actuelle, un ERA-NET ( European Research Area Network - réseau de programmes de recherche nationaux ou régionaux), qui préfigure l'article 185, est en cours de montage. Il devrait regrouper les 15 pays concernés, dont 8 de l'Union européenne. Il est ciblé spécifiquement sur la Méditerranée. L'ANR est le financeur de la France.
Le modèle suivi est celui du PCRD sur la mer Baltique « BONUS », qui regroupe tous les partenaires de la mer Baltique et qui traite des problèmes de santé des écosystèmes et de gouvernance commune nécessaires pour améliorer la qualité de cette mer.
c) Les directives et conventions internationales
Si nous prenons les ordres de la directive-cadre « Stratégie pour le milieu marin », onze descripteurs sont fixés, qui tentent de couvrir tous les domaines pour obtenir une mer propre, saine et productive, afin de viser le bon état écologique. Il s'agit notamment de la conservation de la diversité biologique, la réduction des espèces indigènes, l'obtention de populations exploitables à l'intérieur des indicateurs de sécurité biologique ou la limitation de l'eutrophisation.
Au-delà de la surveillance des valeurs de contaminants dans l'eau instaurée par la directive-cadre sur l'eau, nous devrons bénéficier d'indicateurs qui prendront en compte l'impact de ces contaminants dans la chaîne trophique. Les pays de l'Union européenne devront respecter ces 11 indicateurs pour maintenir le bon état écologique de l'ensemble de leurs mers côtières. Ces indicateurs ont nécessité la mobilisation d'experts des programmes de recherche.
La directive répond donc à des programmes de recherche ayant pointé des difficultés et qui, en retour, posent des questions sur la gouvernance. Ces projets trouvent des financements, au travers notamment des agences de l'eau. Celles-ci se sont déjà engagées dans plusieurs programmes de recherche sur ces questions.